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AFFAIRE : N° RG 22/01025 – N° Portalis DBVC-V-B7G-G7CJ
Code Aff. :
ARRET N°
E.G
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CAEN en date du 07 Avril 2022 RG n° 21/00187
COUR D’APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2023
APPELANTE :
S.A.S. ECONOM WORKPLACE INFRA INNOVATION,
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN
substitué par Me BRIDIER, avocat au barreau de PARIS, de la SCP FROMONT BRIENS .
INTIME :
Monsieur [E] [P]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Xavier MORICE, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme DELAHAYE, Président de Chambre, rédacteur ,
Mme PONCET, Conseiller,
Mme VINOT, Conseiller,
DÉBATS : A l’audience publique du 08 juin 2023
GREFFIER : Mme JACQUETTE-BRACKX
ARRÊT prononcé publiquement le 12 octobre 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, président, et Mme GOULARD, greffier
Selon contrat de travail à durée indéterminée à effet du 1er octobre 2010, M. [E] [P] a été engagé en qualité d’ingénieur système et réseaux, cadre position 1.2 coefficient 100 par la société Osiartis Systems devenu Econocom Osiatis France puis Econocom Infogérance Service.
M. [P] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 26 novembre 2020 par lettre du 6 novembre précédent, et licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du1er décembre 2020 ;
Contestant la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de la rupture de son contrat de travail, M [P] a saisi le 19 avril 2021 le conseil de prud’hommes de Caen , qui, statuant par jugement du 7 avril 2022, a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société Econocom Infogérances Systèmes à lui payer la somme de 9000 € à titre d’indemnité de préavis et celle de 900 € à titre de congés payés afférents, celle de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, celle de 10 000€ à titre d’indemnité de licenciement, celle de 3000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral pour circonstances vexatoires et celle de 1300 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;
Par déclaration au greffe du 22 avril 2022, la société a formé appel de cette décision ;
Par conclusions remises au greffe le 19 juillet 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel, la société Econocom Infogérance Systèmes devenue Econocom Workplace Infra Innovation demande à la cour d’infirmer le jugement, dire le licenciement fondé et de débouter M. [P] de ses demandes, de le condamner au paiement d’une somme de 4000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
Par conclusions remises au greffe le 20 septembre 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel, M. [P] demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner la société au paiement d’une somme de 2500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
MOTIFS
La lettre de licenciement après avoir rappelé que M. [P] fait partie de l’équipe multi projets et intervient chez le client La Shema, fait état d’un incident signalé par ce client le 23 octobre 2020 en ce que M. [P] a été surpris dans les locaux de l’entreprise en possession de cartons et d’une valisette, a indiqué sur question que la valisette était vide, et qu’après contrôle il a été constaté qu’il sortait du matériel de l’entreprise sans autorisation. La lettre fait également état de la position de M. [P] lors de l’entretien préalable à savoir l’intention de jeter les cartons et la valisette dans une benne à ordure, et rappelant qu’il n’avait pas pour fonction de jeter des cartons des locaux du client, lui reproche une tentative de vol de matériel au préjudice du client alors qu’il représente la société lorsqu’il est en mission chez les clients et que son attitude remet en question la continuité des relations contractuelles avec ce client;
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l’employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail ;
L’employeur produit aux débats :
-une lettre du 4 novembre 2020 de Mme [U] directrice administrative et financière de la société Shema par laquelle elle informe l’employeur d’un incident lors de la venue de son informaticien M. [P] le 23 octobre 2020.
Cette lettre reprend ensuite les « propos de Mme [X] [L] à l’accueil sur l’incident » desquels il résulte que Mme [X] a croisé [E] en rentrant de sa pause déjeuner au niveau de l’ascenseur, avec des cartons à priori vides, que ce dernier lui a dit qu’il allait porter les cartons à la poubelle car
ils trainaient sur le bureau de [B], et que s’apercevant qu’il dans la main un carton style valisette ressemblant à celui des petits ordinateurs portables que nous avons en stock dans le local serveur, elle lui a demandé pourquoi il le jetait et pourquoi il était vide, que M. [P] lui a répondu qu’il était vide, et alors qu’elle lui proposait d’aller dans le bureau de [B] pour vérifier, il a alors indiqué que le carton n’était peut être pas vide, que s’étonnant qu’il jette un carton sans vérifier son contenu, elle a ouvert le carton au moment où elle l’a remis dans le local serveur et constaté qu’il y avait un ordinateur portable à l’intérieur ;
-une attestation de M. [I], Buisiness Manager au sein de la société Econocom qui indique que [E] allait chez le client Shéma une fois par semaine, que ses tâches lors de l’installation de nouveaux équipements se limitaient au déballage, démarrage mise à jour et paramétrage et installation et validation, qu’il n’avait pas à s’occuper des emballages car le local poubelle est une pièce en dehors des bureaux à laquelle nous n’avions pas accès ;
Aucun de ces deux témoins n’a constaté personnellement les faits reprochés à M. [P], Mme [U] se contentant de reproduire une relation des faits émanant de Mme [X] sans expliquer dans quelles circonstances ce témoignage a été recueilli, étant relevé que Mme [X] n’a pas attesté dans le cadre de la présente procédure ;
Or, si M. [P] reconnaît avoir été ce jour là lorsqu’il a croisé Mme [X], en possession de cartons vides et d’un carton valisette, il a tant lors de l’entretien préalable ainsi qu’il résulte du procès verbal de M. [M] délégué syndical qui l’assistait que dans une lettre adressée à l’employeur le 10 décembre 2020 donné les explications suivantes :
-ce jour là il doit installer 4 disques durs et également faire une offre de leasing concernant la flotte de PC portables du client ;
-il est allé dans la salle des serveurs pour y installer les nouveaux disques durs, puis il a aperçu dans une armoire une rangée de petits cartons style carton de PC portables en a pris un pour lire la référence dans la perspective de l’offre de leasing, que n’y parvenant pas il a emporté le carton ainsi que les cartons vides des disques à son bureau, qu’il a vérifié alors les références indiquées sur le carton et a constaté qu’il s’agissait d’un matériel obsolète (hybride PC/Tablette de 2016 d’une valeur de 300 € et inutile pour la cotation du leasing ;
-il a pris sa pause déjeuner vers 14h et a pris afin de les jeter tous les cartons sans faire attention qu’il prenait le carton avec l’ordinateur, les conteneurs jaunes étant le vendredi directement devant le bâtiment ;
-il a vu l’hôtesse d’accueil est allé vers elle lui dire qu’il partait déjeuner et évacuer les cartons vides, précisant alors que celle-ci lui a fait remarquer qu’il avait un carton ne devant pas être vide, la tablette, et qu’il s’est alors rendu compte alors qu’elle avait raison, qu’ils sont retournés dans son bureau, qu’il a reposé les cartons et lui a redonné la tablette et qu’elle est partie la reposer dans la salle serveur ;
-il conteste avoir affirmé que ce carton était vide, et indique que ce carton n’a jamais été ouvert en sa présence ;
De ce qui vient d’être exposé, les pièces produites par l’employeur ne permettent pas d’exclure que le salarié ait pris ce carton par erreur en voulant jeter des cartons vides, en particulier par le fait qu’il a lui-même été spontanément à la rencontre de Mme [X] ce jour là en possession des cartons, si bien que la tentative de vol reprochée n’est pas suffisamment caractérisée ;
Par ailleurs, le fait que le salarié n’avait pas à jeter les cartons des locaux du client n’est pas davantage établi. En effet, l’attestation de M. [X] qui a été le supérieur de M. [P] jusqu’en 2019 indique que dans le cadre d’une prestation sur site comprenant livraison et installation de matériels, il était fréquent de réaliser de faire un nettoyage succinct des locaux pouvant aller jusqu’à une évacuation des cartons, que d’ailleurs si M. [I] indique que le salarié n’avait pas à s’occuper des emballages c’est parce qu’il ne pouvait avoir accès au local poubelle. Sur ce point, le salarié n’est pas contredit lorsqu’il indique qu’il jetait les cartons d’emballage dans les containers jaunes qui étaient le vendredi devant les locaux de l’entreprise.
Dès lors les pièces produites ne permettent pas de tenir établis les griefs constitutifs de faute grave énoncés dans le lettre de notification du licenciement ;
Le salarié est par conséquent en droit de prétendre, non seulement aux indemnités de rupture (indemnité compensatrice de préavis augmentée des congés payés afférents, indemnité légale ou conventionnelle de licenciement), mais également à des dommages et intérêts au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement ;
Les droits du salarié au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité de licenciement, non contestés dans leur quantum, seront confirmés ;
En application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017, le salarié peut prétendre, au vu de son ancienneté de 10 années complètes (les bulletins de salaire mentionnant une reprise d’ancienneté au 6 avril 2010) et de la taille de l’entreprise, à une indemnité comprise entre 3 et 10 mois de salaire brut, soit au maximum une indemnité de 28 297.80€ (sur la base au vu des bulletins de salaire d’un salaire moyen de 2829.78 €) ;
En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l’ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, le salarié justifiant avoir retrouvé un emploi à compter du 1er mars 2021 (contrat à durée indéterminée en qualité d’administrateur réseaux moyennant un salaire mensuel brut de 2700 €), la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme de 28 000€. Le jugement qui a accordé une somme au delà des dispositions de l’article précité, sera infirmé ;
Le salarié justi’ant, en raison des circonstances vexatoires ou brutales de la rupture, d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte d’emploi, peut prétendre à des dommages et intérêts.
En l’occurrence, le salarié fait état des circonstances brutales et vexatoires de la rupture de son contrat pour des motifs attentatoires à son honneur et à sa réputation. Toutefois la motivation même non fondée de la lettre de licenciement, outre qu’elle est réparée par les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne suffit pas en soi à caractériser des circonstances brutales et vexatoires, le salarié ne produisant aucun élément ou pièce de nature à les établir.
Dès lors le jugement sera infirmé en ce qu’il a alloué des dommages et intérêts à ce titre ;
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront confirmées.
En cause d’appel, la société Econocom qui perd le procès sera condamnée aux dépens d’appel et déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile. En équité, elle réglera, sur ce même fondement, une somme de 2000 € à M. [P];
Le salarié ayant plus de deux ans d’ancienneté et l’entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail et d’ordonner à l’employeur de rembourser à l’antenne pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressé depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations, le jugement sera confirmé sur ce point ;
Enfin, il n’y a pas lieu d’enjoindre à l’employeur de régulariser la situation de M. [P] auprès des organismes sociaux, cette obligation découlant des condamnations à des sommes brutes prononcées. Le jugement sera infirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement rendu le 7 avril 2022 par le conseil de prud’hommes de CAEN sauf sur le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sauf en ce qu’il a alloué des dommages et intérêts pour indemniser des circonstances vexatoires et brutales du licenciement et sauf en ce qu’il a enjoint l’employeur de régulariser la situation de M. [P] auprès des organismes sociaux;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant :
Condamne la société Econocom Workplace Infra Innovation à payer à M. [P] la somme de 28 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Déboute M. [P] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement intervenu dans des circonstances brutales et/ou vexatoires ;
Condamne la société Econocom Workplace Infra Innovation à payer à M. [P] la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
La déboute de sa demande aux mêmes fins ;
Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;
Dit n’y avoir lieu à enjoindre la société Econocom Workplace Infra Innovation à régulariser la situation de M. [P] auprès des organismes sociaux ;
Condamne la société Econocom Workplace Infra Innovation à rembourser à l’antenne pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressé depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations.
Condamne la société Econocom Workplace Infra Innovation aux dépens d’appel;
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
E. GOULARD L. DELAYAHE