Violation de clause d’exclusivité : 28 juin 2023 Cour d’appel de Riom RG n° 21/01621

Violation de clause d’exclusivité : 28 juin 2023 Cour d’appel de Riom RG n° 21/01621

28 juin 2023
Cour d’appel de Riom
RG n°
21/01621

COUR D’APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°278

DU : 28 Juin 2023

N° RG 21/01621 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FURW

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Arrêt rendu le vingt huit Juin deux mille vingt trois

Sur APPEL d’une décision rendue le 28 juin 2021 par le Tribunal judiciaire de CUSSET (RG n° 19/00139)

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire

En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l’appel des causes et Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors du prononcé

ENTRE :

La société POYCLINIQUE [4]

SAS immatriculée au RCS de Cusset sous le n° 975 520 867

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentants : la SARL TRUNO & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Me Bertrand Vorms de l’AARPI LERINS & BCW, avocats au barreau de PARIS (plaidant)

APPELANTE

ET :

M. [D] [N]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentant : la SCP LARDANS TACHON MICALLEF, avocats au barreau de MOULINS

INTIMÉ

DEBATS : A l’audience publique du 05 Avril 2023 Madame DUBLED-VACHERON a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 07 Juin 2023, délibéré prorogé au 28 Juin 2023.

ARRET :

Prononcé publiquement le 28 Juin 2023, après prorogé du délibéré initialement prévu le 07 juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Par convention en date du 11 mai 1998, la SA Polyclinique [4] a autorisé M. [D] [N], masseur kinésithérapeute, à exercer son activité dans ses locaux, précisément dans le service de chirurgie. La polyclinique s’est engagée pour une durée de 20 ans à compter du 15-11-1995, la convention se renouvelant par tacite reconduction pour des périodes de 10 ans. M. [N] s’est engagé pour une durée indéterminée.

Une exclusivité partagée de l’exercice de l’activité de masseur-kinésithérapeute, a été conférée à M. [N] comme il en a été de même pour trois autres masseurs-kinésithérapeutes, Messieurs [P], [V] et [T], par des conventions similaires établies le même jour.

La convention prévoit également, dans son article 11 intitulé ” Association-cession-décès -incapacité “, l’obligation pour le masseur qui souhaiterait cesser son activité, de rechercher un successeur et d’arrêter avec lui les conditions de la succession et de le faire agréer par ses confères de la même spécialité ainsi que par la clinique. Cet article autorise la clinique à opposer un droit de refus du candidat à l’agrément, sous réserve de verser une indemnité.

A la suite de l’ouverture d’un centre de balnéothérapie ayant permis à la polyclinique d’obtenir l’autorisation d’effectuer des soins de suites, M. [N] a été autorisé à exercer une activité pour ce service de SSR par contrat du 10 janvier 2011.

M. [N], envisageant de céder son activité au frère du cessionnaire de M. [B], M. [F] [U] [Y], en a fait part au directeur de la polyclinique, M. [I] [R], lors d’un entretien en date du 20 novembre 2017.

C’est dans ces conditions que M. [N] a adressé une demande d’établissement d’une convention de cession à Maître [L] [A], notaire, qui, par courrier recommandé du 16 février 2018 et par une relance du 16 mars 2018, a sollicité l’agrément de la polyclinique.

Cette dernière a opposé au notaire une fin de non-recevoir, considérant que le contrat du 11 mai 1998 n’était pas cessible et que par ailleurs M. [U] [Y] avait signé avec elle, le 15 janvier 2018, un contrat d’exercice libéral de l’activité de kinésithérapeute.

Face à cette opposition du droit de refus par la polyclinique, M. [N] a sollicité par courrier recommandé du 13 juin 2018 le bénéfice d’une indemnité d’un montant de 176 394 euros.

Confronté au silence de la polyclinique, M. [N] a mis en place le protocole de conciliation prévue par la convention qui n’a pas abouti dans le délai d’un mois.

Suivant acte extra-judiciaire en date du 1er février 2019, M. [N] a fait assigner la polyclinique devant le tribunal de grande instance de Cusset aux fins de paiement de l’indemnité de 176 394 euros, augmentée des intérêts au taux légal, de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Suivant jugement du 28 juin 2021, le tribunal judiciaire de Cusset a tranché le litige comme suit:

” Condamne la POLYCLINIQUE [4] à porter et payer à Monsieur [D] [N] la somme de 176 300.94 euros avec intérêts de droit au taux légal à compter du 03 avril 2018,

– Déboute la POLYCLINIQUE [4] de ses demandes principales et subsidiaires,

– Condamne la POLYCLINIQUE [4] à porter et payer à Monsieur [D] [N] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Déboute la POLYCLINIQUE [4] de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-Condamne la POLYCLINIQUE [4] aux entiers dépens,

– Prononce l’exécution provisoire de la présente décision. ”

Le tribunal a considéré que la cession d’une clientèle libérale est licite ; que des cessions identiques à celle souhaitée par M. [N] avaient été effectuées les 11 mai 1998 et 24 juin 2003 avec l’accord de la polyclinique.

Selon déclaration du 19 juillet 2021 intimant M. [N], la SA Polyclinique [4] a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions N°2, elle demande à la cour :

-d’infirmer le jugement rendu le 28 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Cusset en toutes ses dispositions et

Statuant à nouveau

A titre principal :

De juger que le contrat d’exercice conclu par M. [N], en date du 11 mai 1998, au titre de l’activité au service de chirurgie, ne prévoyait qu’un droit de présentation d’un successeur et qu’il n’était donc pas cessible ;

De juger que le contrat d’exercice conclu par M. [N], en date du 10 janvier 2011, au titre de l’activité au sein du service de soins de suite de rééducation, ne prévoyait ni droit de présentation d’un successeur, ni de cessibilité du contrat ;

De juger qu’elle a agréé le successeur que M. [N] lui présentait, conformément aux stipulations du contrat d’exercice du 11 mai 1998 ;

En conséquence,

De juger qu’elle n’a manqué à aucune de ses obligations contractuelles et n’est pas tenue d’indemniser M. [N] au titre de son refus de consentir à la cession du contrat d’exercice privilégié du 11 mai 1998 ;

De débouter purement et simplement M. [N] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire :

De juger que l’indemnité prévue à l’article 11 du contrat du 11 mai 1998 dont M. [N] sollicite l’application ne vise que son activité de kinésithérapie dans le service de chirurgie, à l’exclusion de son activité dans le service SSR, cette dernière faisant l’objet d’un contrat conclu postérieurement ;

En conséquence :

De juger que l’indemnité contractuelle due par elle doit être calculée par la moyenne des recettes encaissées par M. [N] pour son acticité de kinésithérapie dans le service de chirurgie sur les années 2015, 2016 et 2017, soit un montant total dû de 58 885, 05 euros,

En toute hypothèse :

De condamner M. [N] à lui verser la somme de 10 000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

De condamner M. [N] aux dépens, dont distraction au profit de Maître Bernard Truno, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

La polyclinique assure qu’elle ne dénie pas à M. [N] la possibilité de céder sa patientèle, les termes du litige n’ayant à aucun moment porté sur la licéité ou l’exercice d’une telle cession. Elle considère :

-que la cession de clientèle ou d’activité ne peut s’analyser en un droit à la cession du contrat d’exercice libéral ;

-que le droit de présentation d’un successeur ne peut s’assimiler au droit de céder le bénéfice du contrat d’exercice lui-même, lequel constitue un droit distinct devant être, soit prévu au contrat, soit accepté librement par le partenaire contractuel cédé. Elle insiste sur le fait que les contrats du 11 mai 1998 et du 10 janvier 2011 ne comportent aucune clause de cessibilité et qu’ainsi son refus de donner son consentement à la cession du contrat ne constitue pas une faute, mais l’exercice d’une prérogative légitime.

Elle fait valoir qu’aucune indemnité ne saurait être sollicitée de sa part puisqu’elle a agréé le successeur proposé par M. [N].

Elle conteste l’interprétation du contrat par le juge lorsqu’elle ne consiste pas à en élucider le sens, ou à en combler les lacunes et soutient que l’indemnité contractuelle devrait être réduite.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives d’intimé devant la cour d’appel de Riom, M. [N] demande à la cour :

-De confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Cusset du 28 juin 2021 ;

-De condamner la SA la Polyclinique [4] à lui porter et lui payer une indemnité complémentaire de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

-De condamner la SA Polyclinique [4] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Il soutient que la Polyclinique [4] a accepté le principe de cessibilité soumise à son agrément, par le contrat du 11 mai 1998 dans les conditions stipulées conventionnellement et respectées par lui, comme le prouve d’ailleurs la pluralité des actes de cession régularisés depuis le début de l’exécution de ladite convention.

Il estime que la Polyclinique [4], a contrevenu à son obligation de bonne foi, par la personne de son directeur qui l’a court-circuité en signant directement, le 15 février 2018, un contrat au successeur proposé et présenté par lui, et en appliquant, de ce fait, des normes contractuelles du nouveau groupe dont elle dépendait.

Il considère que le montant de l’indemnité demandée résulte d’une détermination conventionnelle claire, précise et qui ne peut donner lieu à interprétation.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 février 2023.

Motivation :

M. [N] exerçait son activité de kinésithérapeute au sein du service de chirurgie de la Polyclinique [4].

Deux contrats ont été signés entre les parties :

-un contrat d’exercice du 11 mai 1998, aux termes duquel la clinique autorise le praticien à exercer dans ses locaux aux conditions stipulées, sa spécialité de kinésithérapie. Ce contrat permet à M. [N] d’exercer en libéral dans le cadre d’un cabinet en ville ou au domicile de sa patientèle. En revanche, et en contrepartie de l’exclusivité de l’exercice de son activité (partagée avec MM [P], [V] et [T]), M. [N] ne peut exercer à temps partiel dans un autre hôpital ou dans une autre clinique sans autorisation écrite du directoire.

En application de l’article 11 dudit contrat, M. [N] dispose d’un droit de présentation de son successeur. Il lui incombe ainsi, en cas de départ volontaire ou de retraite rechercher un successeur, arrêter avec lui les conditions de la succession, le faire agréer par ses confrères de même spécialité puis par la clinique. Le droit de refus de la clinique est limité à des problèmes de compétence ou d’honorabilité ” dûment motivés ” sauf pour elle à choisir de verser au praticien une indemnité égale à 100% du montant des revenus perçus par lui inscrit dans la ligne A de l’imprimé fiscal 2035 BNC.

-un contrat du 10 janvier 2011, dont le caractère intuitu personae est expressément mentionné à l’article 1, accordant à M. [N], la mise à disposition par la clinique des moyens nécessaires pour lui permettre d’exercer son art. Il est stipulé à l’article 6 que sauf non-respect de la période de préavis, totalement ou partiellement, qui n’aurait pas fait l’objet d’un accord exprès préalable, les parties ne pourront prétendre à aucune indemnité du fait de la rupture contractuelle.

L’article 7 du contrat précise que le professionnel est libre de présenter sa patientèle, totalement ou partiellement, à un éventuel associé ou successeur, personne physique ou morale, avec laquelle la clinique pourrait, si elle l’agréé, convenir d’un contrat tenant compte des spécificités de l’exercice à la date de présentation du candidat.

Le tribunal dans sa motivation n’a statué que sur la cessibilité du premier contrat sans évoquer le second contrat, qui suivant M. [N] est mort-né.

-Sur la cessibilité du contrat d’exercice de M. [N] du 11 mai 1998 :

Suivant les dispositions de l’article 1134 du code civil, applicable en l’espèce au regard de la date du contrat, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

M. [N] soutient que la convention est nécessairement cessible puisqu’elle est le support de l’autorisation du successeur à continuer à exercer dans les locaux de la Polyclinique. Il ajoute que la conclusion directe d’un contrat entre la polyclinique et un successeur constituerait une violation de la clause d’exclusivité dont il bénéficie.

En application de l’article 1192 du code civil, le juge ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation.

Le contrat signé entre les parties présente un caractère intuitu personae . Il ne peut donc être cédé qu’avec l’accord du co-contractant cédé (la clinique). Il accorde au praticien un droit d’exercice exclusif (partagé avec trois autres kinésithérapeutes) au sein du service à charge pour lui de ne pas exercer dans d’autres établissements hospitaliers publics ou privés. La clause d’exclusivité assure à la clinique la disponibilité permanente du praticien.

La cessibilité du contrat d’exercice ne se présume pas et l’article 11 du contrat litigieux ne stipule pas que M. [N] aura la possibilité de céder la convention d’exercice à un successeur exerçant la même spécialité, ainsi que certains contrats d’exercice le prévoient expressément.

Les autres clauses du contrat permettent de constater que le droit consenti en cas de cessation d’activité est un droit de présentation du successeur ” Le même droit de présentation d’un successeur exercé dans les mêmes conditions ‘ ” Le droit de présentation représente le droit de cession de la patientèle. La polyclinique [4], ne conteste pas l’existence de ce droit.

En revanche, il n’est pas stipulé que M. [N] pourra céder le bénéfice de son contrat et des prérogatives qui y sont attachées.

Le tribunal retient que la polyclinique a précédemment accepté de telles cessions pour en conclure que M. [N] pouvait légitimement se prévaloir des mêmes droits.

Toutefois, quelles qu’aient été les dispositions antérieures prises par la Polyclinique à l’égard d’autres praticiens, elles ne peuvent permettre d’ajouter au contrat de M. [N].

-sur la cessibilité du contrat du 10 janvier 2011

A l’instar du premier contrat, le contrat du 10 janvier 2011 ne prévoit pas la possibilité de céder le contrat. Il est très clairement stipulé que M. [N] pourra présenter son successeur avec lequel la clinique pourra, si elle l’agréé, convenir d’un contrat tenant compte des spécificités de l’exercice à la date de présentation du candidat.

En conséquence, le jugement sera réformé en ce qu’il a constaté la cessibilité ” du contrat ” liant M. [N] à la Polyclinique [4]. La SA Polyclinique [4] ayant agréé le successeur de M. [N] avec lequel elle a signé un contrat, aucune indemnité ne peut lui être réclamée.

-Sur l’exécution fautive du contrat :

Monsieur [N] soutient que la Polyclinique [4] a contrevenu à ses obligations et fait preuve de mauvaise foi dans l’exécution du contrat.

Elle lui reproche de l’avoir ” court-circuité ” en faisant signer directement un contrat à M. [F] [U] [Y] le 15 février 2018 pour soutenir ensuite qu’il était ” dégagé de la convention d’exclusivité du 11 mai 2018. ”

Cependant, les dispositions du contrat du 10 janvier 2011 prévoyaient expressément la faculté pour la polyclinique de signer directement un contrat avec le successeur de M. [N] dans l’hypothèse où elle l’agréerait.

Par ailleurs, compte-tenu des motifs ci-dessus développés, aucune faute ne peut être reprochée à la Polyclinique [4] dans le fait d’avoir signé un contrat avec M. [U] [Y], alors que le contrat d’exercice n’était pas cessible.

M. [N] sera donc débouté de l’ensemble de ses prétentions.

M. [D] [N] succombant en ses demandes sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.

L’équité commande de fixer à la somme de 2.000 euros l’indemnité qui sera versée par M. [N] à la SA Polyclinique de [4].

Par ces motifs :

La cour, statuant par mise à disposition au greffe, publiquement et contradictoirement

Infirme le jugement critiqué en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau ;

Déboute M. [N] des demandes indemnitaires présentées à l’encontre de la SA Polyclinique [4] ;

Condamne M. [D] [N] à verser à la Polyclinique de [4] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [D] [N] aux dépens de première instance et d’appel dont distraction suivant les termes de l’article 699 du code de procédure civile, au profit de Me Truno.

Le greffier La Présidente

 


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