Violation de clause d’exclusivité : 19 octobre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/04215

Violation de clause d’exclusivité : 19 octobre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/04215

19 octobre 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
22/04215

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 19/10/2023

****

SUR RENVOI DE CASSATION

N° de MINUTE :

N° RG 22/04215 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UPDI

Jugement (N° 14/04074) rendu le 29 juin 2016 par le tribunal de grande instance d’Amiens

Arrêt rendu le 31 janvier 2019 par la cour d’appel d’Amiens

Arrêt rendu le 07 juillet 2021 par la Cour de Cassation

DEMANDERESSE A LA DECLARATION DE SAISINE

La SCP [S]-[W]

prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Frédéric Dasse, avocat au barreau d’Amiens, avocat plaidant

DÉFENDEUR A LA DECLARATION DE SAISINE

Monsieur [T] [Y]

né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 6]

[Adresse 5]

[Localité 4]

représenté par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué assisté de Me Alain Gravier, avocat au barreau d’Amiens, avocat plaidant

DÉBATS à l’audience publique du 22 juin 2023, tenue par Bruno Poupet magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023 après prorogation du délibéré en date du 05 octobre 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 mai 2023

****

Le 1er octobre 1993, M. [T] [Y] et Mme [X] [S], kinésithérapeutes, se sont associés au sein d’une société civile professionnelle (SCP) exerçant dans des locaux situés à [Localité 3] (Somme).

Au cours du mois de février 2003, M. [G] [W] est devenu associé de la SCP [Y]-[S] à hauteur d’un tiers des parts.

Par acte d’huissier en date du 18 août 2011, M. [Y] a notifié à ses associés son retrait de la société à effet au 18 février 2012.

Par ordonnance du 30 août 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance d’Amiens a désigné un expert aux fins, notamment de faire l’état des comptes de la SCP à la date du départ de M. [Y], donner un avis sur la valeur des parts de ce dernier et déterminer le montant de son compte courant débiteur et celui des honoraires non encaissés à cette date, ainsi que d’évaluer les consommations d’eau en relation avec l’occupation des étages. Le rapport d’expertise a été déposé le 15 mai 2014.

Par acte du 12 novembre 2014, la SCP [S]-[W] a fait assigner M. [Y] devant le tribunal de grande instance d’Amiens afin d’obtenir la condamnation de ce dernier au paiement de diverses sommes.

Parallèlement, et par acte du 13 novembre 2014, M. [Y] a fait assigner la SCP'[S]-[W], Mme [S] et M. [W] devant le même tribunal aux fins, notamment, de voir annuler les assemblées générales tenues postérieurement à son départ et condamner ces derniers au paiement de diverses sommes. Les deux instances ont été jointes.

Par jugement du 29 juin 2016, le tribunal de grande instance d’Amiens a :

– dit que M. [Y] avait conservé la qualité d’associé,

– annulé les assemblées générales postérieures au 20 février 2012 tenues sans convocation de M.'[Y],

– dit que l’assemblée générale des associés devrait donc être de nouveau convoquée dans le délai de deux mois à compter de la date de signification du jugement pour statuer sur les comptes sociaux depuis le 1er janvier 2012,

– dit que M. [Y] conservait son droit aux dividendes, en ce compris les honoraires perçus postérieurement au 20 février 2012, jusqu’au remboursement de la valeur de ses parts,

– débouté ce dernier de sa demande de condamnation de ses associés au paiement d’une provision,

– débouté les demandeurs de leur prétention relative au compte débiteur de celui-ci, ainsi que de leur demande relative à la violation de la clause de non-rétablissement,

– débouté M. [Y] de sa demande relative à la violation de la clause d’exclusivité,

– condamné ce dernier à verser à la SCP [S]-[W] la somme de 61 726,17 euros au titre des agencements des locaux ainsi que la somme de 1 765,10 euros au titre du remboursement des factures d’eau,

– dit que la valeur des parts de ce dernier s’élevait à la somme de 36 893 euros,

– débouté M. [Y] de sa demande de condamnation de ses associés au paiement de cette somme ainsi que de sa demande de dommages et intérêts,

– condamné in solidum Mme [S] et M. [W] à verser à M. [Y] la somme de 3’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l’instance en référé et les frais d’expertise.

La SCP [S]-[W] et M. [Y] ont respectivement interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 31 janvier 2019, la cour d’appel d’Amiens a :

– constaté l’irrecevabilité des demandes dirigées par M. [Y] à l’encontre de Mme'[S] et de M. [W] qui n’étaient pas dans la cause,

– confirmé le jugement en ce qu’il a dit que les parts sociales de M. [Y] s’élevaient à la somme de 36 893 euros,

– condamné ce dernier à payer à la SCP [S]-[W] la somme de 1 765,10 euros au titre des factures d’eau,

– débouté M. [Y] de sa demande relative à la clause d’exclusivité opposée à M. [W],

– débouté la SCP [S]-[W] de sa demande au titre de la clause de non-rétablissement,

– infirmé le jugement en ce qu’il a annulé les assemblées générales organisées postérieurement au 20 février 2012, condamné M. [Y] à verser à la SCP [S]-[W] la somme de 61 726,17 euros au titre des loyers relatifs aux agencements, statué sur la demande de dividendes et débouté la SCP [S]-[W] de sa demande de remboursement du solde débiteur du compte courant associé, statué sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau et y ajoutant,

– condamné M. [Y] à verser à la SCP [S]-[W] la somme de 7 356,54 euros au titre du solde de son compte courant d’associé,

– débouté les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires,

– laissé à chacune d’elles la charge des dépens par elle exposés en première instance et en appel et dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt du 7 juillet 2021, la Cour de cassation a :

– cassé et annulé l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Amiens mais seulement en ce qu’infirmant le jugement, il a rejeté les demandes d’annulation des assemblées générales postérieures au 20 février 2012 et la demande de convocation d’une nouvelle assemblée générale formées par M.'[Y] et en ce qu’il statue sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile,

– remis, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant cet arrêt et renvoyé celles-ci devant la cour d’appel de Douai.

La SCP [S]-[W], par conclusions du 25 octobre 2022, demande à la cour, au visa de l’article R. 4381-70 du code de la santé publique, des articles 1836 et suivants du code civil, et notamment des articles 1844 et 1844-10 du code civil :

– d’infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance d’Amiens en ce qu’il a dit que l’intimé avait conservé la qualité d’associé, annulé les assemblées générales tenues postérieurement au 20 février 2012, dit que l’assemble générale des associés devrait être convoquée dans un délai de deux mois à compter de la date de signification du jugement pour statuer sur les comptes sociaux depuis le 1er janvier 2012, dit que M. [Y] conservait son droit aux dividendes, en ce compris les honoraires perçus postérieurement au 20 février 2012, jusqu’au remboursement de la valeur de ses parts, débouté les demandeurs de leur prétention relative au compte débiteur de l’intimé, condamné in solidum Mme [S] et M. [W] à verser à M. [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l’instance en référé et les frais d’expertise, dont distraction au profit des avocats de la cause,

statuant à nouveau,

– de débouter M. [Y] de sa demande d’annulation des assemblées générales tenues postérieurement au 20 février 2012, de sa demande de droit à dividende sur les exercices postérieurs au 20 février 2012 et d’une part dans les bénéfices mais également les honoraires qu’elle a perçus depuis le 20 février 2012,

– de condamner M. [Y] à lui verser la somme de 11 679,04 euros,

– de le débouter de l’ensemble de ses demandes,

– de le condamner à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris les dépens exposés devant la cour d’appel de céans.

Par conclusions du 23 décembre 2022, M. [Y] demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a annulé les assemblées générales tenues postérieurement au 20 février 2012, ordonné la convocation d’une nouvelle assemblée générale pour statuer sur les comptes sociaux postérieurs au 1er janvier 2012 et condamné l’appelante au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance, en ce compris les frais d’expertise,

– débouter la SCP [S]-[W] de l’ensemble de ses demandes et, y ajoutant, la condamner à lui payer la somme de 74 749 euros au titre de ses droits pour la période allant du 1er janvier au 20 février 2012, avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir, désigner un expert aux fins de rétablir les comptes en appliquant les principes énumérés dans sa motivation, à savoir la détermination de sa quote-part dans les bénéfices distribués depuis le 20 février 2012 jusqu’au 6 décembre 2019, et en recherchant si les recettes correspondant à des actes pratiqués sur un exercice n’ont pas été artificiellement différés en encaissement sur des exercices postérieurs,

– condamner la SCP [S]-[W] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens de la première instance.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé de leur argumentation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’article 1869 du code civil dispose notamment que sans préjudice

des droits des tiers, un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés ; que l’associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux, fixée, à défaut d’accord amiable, conformément à l’article 1843-4.

Il est constant que tant qu’il n’a pas obtenu le remboursement intégral de la valeur de ses droits sociaux, l’associé retrayant conserve un intérêt à agir en annulation des assemblées générales, non pas en sa qualité d’associé, qu’il a perdue, mais en celle de propriétaire de ces droits sociaux et de créancier de la société, ainsi que pour la sauvegarde des droits patrimoniaux qu’il a conservés, tenant aussi bien au capital apporté et à la valeur de ses parts qu’à la rémunération de son apport.

C’est donc à tort que le tribunal a dit que M. [Y] avait conservé la qualité d’associé, et le jugement doit être infirmé de ce chef, mais la demande de l’intéressé tendant à l’annulation des assemblées générales postérieures à son retrait est en revanche recevable.

Toutefois, pour annuler les assemblées générales en question (qui, au demeurant, ne sont pas individualisées), le tribunal a simplement retenu que M. [Y] n’y avait pas été convoqué alors qu’il avait conservé la qualité d’associé. Ce motif n’est donc pas pertinent.

L’intéressé ne soutient pas que l’intérêt qui lui est reconnu, en tant qu’associé retrayant n’ayant pas encore obtenu le remboursement intégral de la valeur de ses droits sociaux, de contester la validité des assemblées générales postérieures à son retrait impliquerait une obligation de le convoquer auxdites assemblées générales. Il ressort même de ses conclusions qu’il admet que la SCP n’était pas tenue de le convoquer. Il ne développe pas d’autres moyens d’annulation d’une assemblée générale dans son intégralité, ce qui est spécifiquement l’objet de sa demande, moyens qui ne peuvent tenir qu’aux conditions de convocation ou de tenue de l’assemblée.

Or, s’il invoque dans le corps de ses conclusions l’ancien article 1167 du code civil selon lequel les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits ainsi que le principe général « fraus omnia corrumpit’», et critique notamment la résolution n° 4 de l’assemblée générale du 2 octobre 2012, dont il dit qu’elle «’prépare les impostures des années suivantes’», il ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions l’annulation de cette résolution ni d’aucune autre, alors que la cour, aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, et sa critique d’une résolution sur le fond ne saurait entraîner la nullité de l’assemblée générale au cours de laquelle elle a été prise.

Il y a donc lieu d’infirmer le jugement non seulement en ce qu’il a dit que M.'[Y] avait conservé la qualité d’associé mais aussi en ce qu’il a annulé les assemblées générales postérieures au 20 février 2012 et dit que l’assemblée générale des associés devrait être de nouveau convoquée dans le délai de deux mois à compter de la date de signification du jugement pour statuer sur les comptes sociaux depuis le 1er janvier 2012, et de débouter M. [Y] de ses demandes à ce titre.

Les demandes de ce dernier tendant à la condamnation de la SCP à lui payer la somme de 74 749 euros au titre de ses droits pour la période allant du 1er janvier au 20 février 2012, avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir, et à la désignation d’un expert aux fins de rétablir les comptes et de déterminer sa quote-part dans les bénéfices distribués depuis le 20 février 2012 jusqu’au 6 décembre 2019 sont irrecevables comme extérieures à l’objet du litige soumis à la présente cour de renvoi tel qu’il est circonscrit par l’arrêt de la Cour de cassation.

Il en est de même de la demande de la SCP tendant à la condamnation de M.'[Y] à lui verser la somme de 11 679,04 euros.

Les considérations qui précèdent justifient que chacune des parties conserve la charge des dépens par elle exposés en première instance et en appel et de ses autres frais.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites du renvoi de la Cour de cassation,

infirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit que M.'[Y] avait conservé la qualité d’associé, annulé les assemblées générales postérieures au 20 février 2012 et dit que l’assemblée générale des associés devrait être de nouveau convoquée dans le délai de deux mois à compter de la date de signification du jugement pour statuer sur les comptes sociaux depuis le 1er janvier 2012,

statuant à nouveau, déboute M. [Y] de ses demandes à ces titres,

déclare irrecevables :

– les demandes de ce dernier tendant à la condamnation de la SCP [S]-[W] à lui payer la somme de 74’749 euros au titre de ses droits pour la période allant du 1er janvier au 20 février 2012, avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir, et à la désignation d’un expert aux fins de rétablir les comptes et de déterminer sa quote-part dans les bénéfices distribués depuis le 20 février 2012 jusqu’au 6 décembre 2019,

– la demande de la SCP [S]-[W] tendant à la condamnation de M.'[Y] à lui verser la somme de 11 679,04 euros,

dit que chacune des parties conservera la charge des dépens par elle exposés en première instance et en cause d’appel et de ses autres frais.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Le président

Bruno Poupet

 


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