Vigilance bancaire et responsabilité : enjeux d’une relation de confiance en matière de transactions financières.

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Vigilance bancaire et responsabilité : enjeux d’une relation de confiance en matière de transactions financières.

Madame [E] a un compte à la SOCIETE GENERALE et a effectué, entre septembre et octobre 2021, 18 virements totalisant 208.000 € à un homme rencontré en ligne, qu’elle accuse d’avoir abusé de sa fragilité mentale. Elle a déposé une plainte pénale en novembre 2021 et a assigné la banque en juin 2023 pour obtenir des dommages et intérêts. Dans ses conclusions, elle demande l’annulation des virements, le remboursement de la somme, et souligne que la banque aurait dû détecter ces opérations atypiques. La SOCIETE GENERALE, en réponse, demande le rejet des demandes de Madame [E] et la condamnation de celle-ci aux dépens. Le tribunal a rendu son jugement le 10 octobre 2024, déboutant Madame [E] de toutes ses demandes et la condamnant aux dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
23/10603
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

à
Me HUET
Me LAURENT

9ème chambre 3ème section

N° RG 23/10603
N° Portalis 352J-W-B7H-C2FXH

N° MINUTE : 5

Assignation du :
28 Juin 2023

JUGEMENT
rendu le 10 Octobre 2024
DEMANDERESSE

Madame [T] [B] [G] [L] [E] née [I]
[Adresse 3]
[Localité 1]

représentée par Maître Ludovic HUET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2123

DÉFENDERESSE

S.A. SOCIETE GENERALE
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Maître Denis LAURENT de l’AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0010

Décision du 10 Octobre 2024
9ème chambre 3ème section
N° RG 23/10603 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2FXH

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.

Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.

Béatrice CHARLIER-BONATTI, Vice-présidente, statuant en juge unique, assistée de Chloé DOS SANTOS, Greffière.

DÉBATS

A l’audience du 29 Août 2024, tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats des parties que la décision serait rendue le 10 Octobre 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DIU LITIGE

Madame [E] est titulaire du compte auprès de la SOCIETE GENERALE.

Madame [E] indique avoir ordonné, en septembre et octobre 2021, différents virements depuis son compte ouvert dans les livres de SOCIETE GENERALE, au profit d’un homme « rencontré sur internet ».Elle prétend que cette personne aurait « abusé de son état de grande fragilité mentale afin de lui soutirer d’importantes sommes d’argents » et que « ses capacités de discernement étaient altérées ».

Madame [E] fait état de 18 virements litigieux, exécutés entre le 24 septembre et le 29 octobre 2021, pour un montant total de 208.000 €. Elle s’est, dès le début du mois de novembre 2021, aperçue de l’emprise et de la manipulation dont elle avait été victime et a, le 18 novembre 2021, déposé une première plainte pénale.

Par exploit du 28 juin 2023, Madame [E] a assigné la SOCIETE GENERALE devant le tribunal judiciaire de PARIS aux fins d’obtenir sa condamnation à payer la somme de 208.000 € à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 5.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions en date du 22 mai 2024, Madame [E] demande au tribunal de:
“- JUGER que les opérations de virements suivantes sont nulles compte tenu du trouble mental dont a fait l’objet Madame [E] au moment des faits : le 29 octobre 2021, 2 virements de 15.000 € et 2 virements de 10.000 €, le 22 octobre 2021, 6 virements de 10.000 €, le 19 octobre 2021, 6 virements de 10.000 €, le 5 octobre 2021, 1 virement de 8.000 € et le 24 septembre 2021, 3 virements de 10.000 € ;
– CONDAMNER, en conséquence, la SOCIETE GENERALE à rembourser et à payer la somme de 208.000 € à Madame [E] ;
– JUGER que la SOCIETE GENERALE ne prouve pas que lesdites opérations n’ont pas été authentifiées, dûment enregistrées et comptabilisées et qu’elles n’ont pas été affectées par une déficience technique ou autre ;
– CONDAMNER, en conséquence, la SOCIETE GENERALE à rembourser et à payer la somme de 208.000 € à Madame [E] ;
– JUGER les opérations de virement représentant la somme totale de 208.000 euros étaient atypiques et auraient dû attirer l’attention de la banque ;
– CONSTATER les manquements de la société SOCIETE GENERALE a ses obligations de vigilance ;
En conséquence,
– Condamner la société SOCIETE GENERALE à payer la somme de 208.000 euros à Madame [E] à titre de dommages et intérêts ;
– Condamner la société SOCIETE GENERALE au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société SOCIETE GENERALE aux entiers dépens.”

Par conclusions en date du 31 mai 2024, la SOCIETE GENERALE demande au tribunal de:
“- DEBOUTER Madame [T], [B], [G], [L] [E] née [I] de l’intégralité de ses demandes ;
– CONDAMNER Madame [T], [B], [G], [L] [E] née [I] au paiement d’une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER Madame [T], [B], [G], [L] [E] née [I] à supporter l’intégralité des dépens ;
En toute hypothèse,
– ECARTER l’exécution provisoire de la décision à intervenir ou subsidiairement, la subordonner à la constitution par Madame [T], [B], [G], [L] [E] née [I] d’une garantie émanant d’un établissement bancaire de premier ordre et d’un montant suffisant pour répondre de toutes restitutions dues en cas d’infirmation du jugement.”

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures susvisées pour l’exposé complet des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 13 juin 2024 avec fixation à l’audience de plaidoirie du 29 aout 2024. L’affaire a été mise en délibéré au 10 octobre 2024.

SUR CE,

I. Sur le prétendu manquement au dispositif LCB/FT

Les dispositions des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier, insérés au chapitre Ier du titre 6, concernant les obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, ont pour seul objet la protection de l’intérêt général et ne peuvent donc fonder, à les supposer violées, une dette de dommages-intérêts.

Ces textes, qui constituent des règles professionnelles, ont pour seule finalité la détection de transactions visant à blanchir de l’argent issu d’activités criminelles et ne peuvent pas être invoqués par la prétendue victime d’un manquement allégué à une obligation de vigilance.

Ils ont en outre pour objet de mettre à la charge de la banque une obligation de surveillance à l’égard de son client et non un devoir de protection à son profit, que ne saurait dès lors revendiquer Madame [E] dans la mesure où il s’agit de règles professionnelles poursuivant un objectif d’intérêt général qui ne peuvent servir de fondement à une action en responsabilité civile.

Les demandes de Madame [E] à l’encontre de la SOCIETE GENERALE ne seront, en conséquence, pas accueillies sur ce fondement juridique.

II. Sur le devoir de vigilance

L’article L. 133-3 du code monétaire et financier définit l’opération de paiement comme une action consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, indépendante de l’obligation sous-jacente. Cette disposition fait corps avec les articles L. 133-6 et L. 133-7 du même code qui définissent de façon objective l’opération de paiement « autorisée », le seul critère étant le respect des formes prévues par les parties.

Par ailleurs, l’article L. 133-13 du code monétaire et financier impose au prestataire de service de paiement, à savoir la banque du payeur d’exécuter l’opération de paiement autorisée au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant le moment de réception de l’ordre.

Excepté les cas de retard ou de mauvaise exécution, les articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier ne contiennent aucun élément suggérant une responsabilité de la banque pour avoir exécuté des opérations autorisées.

La responsabilité du préstataire n’est susceptible d’être engagée qu’en cas d’opérations non autorisées ou mal exécutées.

Une opération autorisée est celle pour laquelle le client ou son représentant habilité a donné son consentement à son exécution.

En application des dispositions de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur d’une obligation contractuelle qui du fait de l’inexécution de son engagement, cause un préjudice au créancier, s’oblige à le réparer. Il revient au créancier qui réclame réparation de rapporter la preuve du manquement contractuel et du dommage en résultant.

A défaut d’anomalies apparentes, intellectuelles ou matérielles, faisant naître à sa charge un devoir de vigilance l’obligeant à se rapprocher de son client aux fins de vérification de son consentement, le banquier teneur de compte n’a pas à s’immiscer dans les affaires de son client. Il ne saurait ainsi effectuer des recherches ou réclamer des justifications pour s’assurer que les opérations de son client, dont il n’a pas à rechercher la cause sont opportunes et exemptes de danger.

Au cas présent, il n’est pas discuté que les sommes virées depuis le compte de Madame [E] l’ont été sur le compte indiqué et que Madame [E] en était le donneur d’ordre, si bien que ces ordres étaient authentiques et qu’ils n’ont pas été dévoyés, la demanderesse n’en querellant en réalité que l’objet. Par ailleurs, elle n’a jamais soutenu que les opérations litigieuses étaient non autorisées ou mal exécutées.

Le compte de Madame [E] était en outre provisionné des montants à débiter.

Dans ses plaintes pénales, son assignation et ses conclusions récapitulatives, Madame [E] a toujours indiqué avoir ordonné ces paiements.

Madame [E] était bien à l’origine des opérations de paiement litigieuses. Aucun faux, aucune falsification ne vient affecter les opérations de paiement en cause, ce qui n’est pas contesté.

Il est rappelé que le 2 décembre 2021, Madame [E] a renseigné des formulaires de contestation d’opérations dans lesquels elle indique être à l’origine des 18 virements litigieux et les avoir effectués avec le service de Banque à Distance.

En ce qui concerne le trouble mental au moment de l’acte que Madame [E] a évoqué récemment, il convient de rappeler que la nullité ne peut donc être prononcée qu’à la double condition que la personne signataire de l’acte soit sous l’emprise d’un trouble mental et que le trouble et la signature de l’acte litigieux soient concomitants.

Or, au cas présent, Madame [E] ne justifie aucunement la présence des deux conditions exigées par l’article 414-1 du code civil, et ce pour chacune des opérations dont elle sollicite le remboursement. Par ailleurs ni son âge, ni aucun autre élément ne sauraient faire présumer qu’elle ne disposait pas de toutes ses capacités mentales lorsqu’elle a ordonné les opérations litigieuses.

Il ne saurait ainsi dériver de la connaissance de l’établissement teneur de compte d’investissements, une obligation de surveillance ou de vigilance, au bénéfice de son client, puisque le banquier n’est pas tenu, sauf convention dont l’existence n’est ici pas établie, d’un devoir de conseil ou de mise en garde, sur des produits auxquels il demeure étranger.

S’agissant des ordres émanant du titulaire du compte, qui sont donc des ordres autorisés, la question du devoir de vigilance ne se pose pas.

La SOCIETE GENERALE n’était donc pas tenue à une obligation d’information sur les risques que présentaient les virements effectués par la demanderesse ; pas plus n’était-elle tenue d’en vérifier la légalité.

En conséquence de quoi, la SOCIETE GENERALE avait une obligation de résultat dans l’exécution des ordres donnés, et qui, simple mandataire du client n’avait pas à contrôler l’usage de fonds dont Madame [E] avait la libre disposition, en sorte que les prétentions de Madame [E] dirigées contre la SOCIETE GENERALE seront rejetées.

III. Sur un prétendu manquement à une obligation d’information de la SOCIETE GENERALE

Aux termes de l’article 1112-1 du code civil :
« Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants ».

Il sera rappelé qu’en présence de virements autorisés et en l’absence de toute anomalie manifeste, la banque, agissant en qualité de teneur de compte, n’est nullement tenue à une obligation d’information qui plus est concernant des produits qu’elle ne commercialise pas.

L’obligation d’information pesant sur le banquier porte exclusivement sur les produits et services qu’il commercialise.

En conséquence, Madame [E] sera déboutée de sa demande formée de ce chef.

IV.Sur les frais irrépétibles et les dépens

Succombant à l’instance, Madame [E] sera condamnée aux dépens, sur le fondement de l’article 696 du code de procédure civile.

Compte tenu de la nature de l’affaire, il ne sera pas fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe :

DEBOUTE Madame [T] [E] de l’ensemble de ses demandes ;

DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Madame [T] [E] aux dépens.

Fait et jugé à Paris le 10 Octobre 2024.

LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE


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