Vie privée des artistes : le préjudice moral

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Vie privée des artistes : le préjudice moral
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En matière d’atteinte à la vie privée des artistes, l’étendue du préjudice moral causé à la victime doit être appréciée en considération de :

– l’objet même des atteintes relevées, qui portent sur son état de santé et son hospitalisation et qui touchent ainsi au coeur de son intimité,

– le caractère désagréable des informations révélées dans l’article,

– l’ampleur donnée à leur exposition du fait de l’importance de la diffusion du magazine litigieux, qui jouit d’une visibilité certaine, étant rappelé à ce titre que si l’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause, l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat d’un magazine sont de nature à accroître le préjudice.

– la surface éditoriale consacrée aux atteintes constatées ;

– l’importance de la diffusion du magazine litigieux, qui peut jouir d’une large visibilité et toucher un public nombreux, étant précisé à ce titre que si l’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause, l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat d’un magazine sont de nature à accroître le préjudice ;

– la captation de plusieurs clichés photographiques d’illustration représentant l’intéressé, dans un moment d’intimité, procédé en lui-même générateur d’un trouble par l’intrusion qu’il opère dans un moment de vie privée, le caractère public du lieu de fixation ne pouvant être regardé comme propre à annihiler le préjudice en résultant.

Doivent également être prises en considération les attestations décrivant l’état psychologique dans lequel se trouvait la victime à la suite de la publication de l’article litigieux, ainsi que les démarches qui ont dû être accomplies pour rassurer ses proches et partenaires professionnels (“contrainte à devoir rassurer nombre de ses proches inquiets”, “mais également certaines personnes avec qui [G] a des engagements professionnels”.

Est toutefois de nature à relativiser le domage revendiqué par la demanderesse, le caractère purement identitaire du cliché illustrant l’article litigieux, qui ne la représente nullement à son désavantage.

Résumé de l’affaire :

Contexte de l’Affaire

Par acte d’huissier de justice en date du 16 mai 2024, [G] [I], connue sous le pseudonyme [G] [D], a assigné en référé la société CMI France, éditrice de l’hebdomadaire Ici Paris, devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Elle réclame réparation pour atteintes à ses droits de la personnalité suite à la publication d’un article et d’une photographie la concernant dans le numéro 4109 du magazine, daté du 3 au 9 avril 2024.

Demandes de [G] [I]

Dans son assignation, [G] [I] demande au juge des référés de condamner CMI France à lui verser 10 000 euros pour violation de sa vie privée, 10 000 euros pour atteinte à son droit à l’image, ainsi que 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en plus des dépens.

Réponse de CMI France

La société CMI France, dans ses conclusions, demande au juge de déclarer qu’il n’y a pas lieu à référé, de débouter [G] [I] de ses demandes, et, à titre subsidiaire, de réduire l’indemnisation à un euro symbolique. Elle réclame également 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Compétence du Juge des Référés

Le juge des référés a le pouvoir de prescrire des mesures pour faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée, même en cas de contestation sérieuse. La constatation d’une atteinte à la vie privée et au droit à l’image justifie une réparation, et le juge peut ordonner des mesures conservatoires en cas d’urgence.

Contenu de l’Article Litigieux

L’article de l’hebdomadaire Ici Paris relate que [G] [I] a dû renoncer à participer à une émission de télévision en raison d’une hospitalisation liée à sa maladie auto-immune. Il évoque également ses sentiments et inclut une photographie d’elle.

Atteintes à la Vie Privée et au Droit à l’Image

Les articles 8 et 9 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissent le respect de la vie privée et de l’image. Les informations publiées concernant l’état de santé de [G] [I] et ses sentiments relèvent de sa vie privée, et la société défenderesse ne peut justifier la publication par la notoriété de l’artiste.

Arguments de la Défense

CMI France soutient que [G] [I] a une grande notoriété et qu’elle a elle-même exposé sa vie privée dans divers médias. Elle argue que l’article traite d’un sujet d’actualité et que les informations publiées ne dépassent pas ce qu’une personnalité publique devrait accepter.

Évaluation du Préjudice

Le juge doit évaluer le préjudice moral causé à [G] [I] en tenant compte de la nature des atteintes, de l’importance de la diffusion du magazine, et des témoignages sur l’impact psychologique de la publication. Les atteintes à la vie privée et au droit à l’image sont considérées comme des sources de préjudice distinctes.

Décision du Juge

Le juge des référés a décidé d’allouer à [G] [I] une provision de 3 000 euros pour l’atteinte à sa vie privée et 500 euros pour l’atteinte à son droit à l’image. CMI France a également été condamnée à payer 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Conclusion

La décision a été rendue le 24 octobre 2024, confirmant que la publication de l’article et de la photographie a porté atteinte aux droits de la personnalité de [G] [I].

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

24 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Nanterre
RG n°
24/01165
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE

RÉFÉRÉS

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RENDUE LE 24 OCTOBRE 2024

N° RG 24/01165 – N° Portalis DB3R-W-B7I-ZO2G

N° MINUTE : 24/01948

Madame [G] [I] dite [G] [D]

c/

S.A.S. CMI FRANCE

DEMANDERESSE

Madame [G] [I] dite [G] [D]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Jean-marie GUILLOUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0818

DEFENDERESSE

S.A.S. CMI FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : W10

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidente : Alix FLEURIET, Vice-présidente, tenant l’audience des référés par délégation du Président du Tribunal,

Greffière : Divine KAYOULOUD ROSE, Greffière,

Statuant publiquement en premier ressort par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe du tribunal, conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

Nous, Président , après avoir entendu les parties présentes ou leurs conseils, à l’audience du 13 juin 2024, avons mis l’affaire en délibéré au 12 septembre 2024, prorogé ce jour.

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte d’huissier de justice en date du 16 mai 2024, [G] [I], connue sous le pseudonyme [G] [D], a fait assigner en référé la société CMI France, éditrice de l’hebdomadaire Ici Paris, devant le président du tribunal judiciaire de Nanterre, afin d’obtenir réparation d’atteintes aux droits de la personnalité qu’elle estime avoir subies du fait de la publication d’un article et d’une photographie la concernant dans le numéro 4109, du 3 au 9 avril 2024, de ce magazine.

Aux termes de cette assignation, développée oralement à l’audience, [G] [I] demande au juge des référés, au visa de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de l’article 9 du code civil, de :

– condamner la société CMI France à lui payer, à titre de provisions sur dommages et intérêts, la somme de 10 000 euros du fait de la violation de sa vie privée et la somme de 10 000 euros du fait de la violation de son droit à l’image,

– condamner la société CMI France à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par la voie électronique le 10 juin 2024 et développées oralement à l’audience, la société CMI France demande au juge des référés, au visa des articles 9 du code civil et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, de :

– dire n’y avoir lieu à référé,

– débouter [G] [I] de ses demandes,

– à titre subsidiaire, ramener l’indemnisation du préjudice subi à hauteur d’un euro symbolique,

– condamner [G] [I] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance sera contradictoire.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La compétence et les pouvoirs du juge des référés

Aux termes de l’article 9, alinéa 2, du code civil, les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée, ces mesures pouvant, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.
 
Le juge des référés tient par ailleurs de l’article 835 du code de procédure civile le pouvoir de prescrire, même en présence d’une contestation sérieuse, les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation, même s’il s’agit d’une obligation de faire.

La seule constatation de l’atteinte portée par une publication à la vie privée et au droit de chacun de s’opposer à la publication de son image caractérise l’urgence et ouvre droit à réparation. La forme de cette réparation est laissée à la libre appréciation du juge, qui tient des dispositions précitées le pouvoir de prendre, au besoin en référé, toutes mesures propres à empêcher ou à faire cesser l’atteinte, ainsi qu’à réparer le préjudice qui en résulte (1 Civ., 12 décembre 2000, pourvoi n° 98-17.521, Bull. 2000, I, n° 321).
 
En l’espèce, [G] [I], qui fonde son action tant sur les dispositions de l’article 9 du code civil que sur celles de l’article 835 du code de procédure civile, pour solliciter le versement de provisions, revendique une atteinte à l’intimité de sa vie privée et au droit dont il dispose sur son image, caractérisant ainsi l’urgence fondant la compétence et les pouvoirs du juge des référés.
 
Par ailleurs, la possibilité pour le juge des référés, en vertu des textes précités, d’octroyer une provision n’est pas exclusive de l’appréciation de la proportionnalité entre le respect dû à la vie privée et le principe de liberté de la presse, et ne contrevient donc pas aux dispositions de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
 
Par conséquent, le moyen tiré, à titre liminaire, du défaut de pouvoir du juge des référés, ne saurait prospérer.

La publication litigieuse

L’hebdomadaire Ici Paris n° 4109 du 3 au 9 avril 2024 consacre à [G] [I] un article développé en page 16 sous le titre “[G] [D] Tournage annulé !” et le sous-titre “La maladie a obligé la chanteuse à renoncer au projet qui lui tenait à coeur”, aux termes duquel est relaté le fait que la demanderesse aurait été contrainte, alors qu’elle s’apprêtait à participer à une émission de télévision, “de rebrousser chemin”, en raison de son hospitalisation résultant d’une mauvaise réaction consécutive à l’injection d’un produit destiné à traiter les effets de la maladie auto-immune dont elle souffre depuis une dizaine d’années.

Précisément, l’article relate que la demanderesse avait préparé ses valises et déjà “imprimé ses billets de train” lorsqu’elle a été contrainte “de rebrousser chemin en catastrophe”, mais également que l’injection qui a causé son hospitalisation “d’urgence”, consistait en une “injection intra-vitréenne”, “préventive”, destinée à lui permettre d’être “opérationnelle sur les épreuves physiques”. La publication suppute également ses sentiments (“[G] se réjouissait de retrouver [L] [W] (…) car ils sont très amis dans la vie”, “Elle est dégoutée”).

L’article est illustré par une photographie posée de l’intéressée.

Les atteintes à la vie privée et au droit à l’image

Les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil garantissent à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, le respect de sa vie privée et de son image. L’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers.

La combinaison de ces deux principes conduit à limiter le droit à l’information du public d’une part, pour les personnes publiques, aux éléments relevant de la vie officielle, et d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général. Ainsi chacun peut s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de sa vie professionnelle ou de ses activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.

Les informations ici diffusées entrent à l’évidence dans le champ de la protection de la vie privée instituée par les textes précités, pour concerner :
– l’état de santé de la demanderesse et en particulier son hospitalisation,
– la manière dont elle s’était préparée à participer à une émission télévisée,
– ses prétendus sentiments.

La société défenderesse expose en premier lieu qu’[G] [I] est une artiste-interprète qui jouit de longue date d’une grande popularité auprès du public français et qui a coutume d’exposer sa vie privée en faisant usage de divers canaux de communication (presse écrite, radio, livres, réseaux sociaux…), de sorte qu’elle ne peut s’étonner que le public s’intéresse à sa vie privée. Elle ajoute que l’article a d’ailleurs été construit à partir des déclarations de l’intéressée elle-même au sujet de son état de santé et de ses répercussions sur sa vie professionnelle ; qu’elle s’est exprimée dans l’émission Sept à Huit diffusée sur TF1 le 6 mai 2024, soit postérieurement à la publication de l’article litigieux, sur sa maladie, ainsi que dans une interview donnée au magazine Gala le 6 avril 2023, au cours duquel elle a précisément indiqué souffrir de dégénérescence maculaire ; que dans ces conditions, l’évocation de son état de santé ne saurait excéder ce qu’une personnalité populaire comme elle devrait accepter de voir publier à son sujet, d’autant qu’elle a fait sortir elle-même cet état de santé de sa sphère privée en l’évoquant publiquement.

La société défenderesse soutient également que l’article litigieux évoque ici un sujet d’actualité, relatif à la manière dont elle concilie son état de santé actuel et sa vie professionnelle, ajoutant à ce sujet que ce qui a trait à sa vie professionnelle relève de la sphère publique.

Enfin, elle soutient que pour le reste, l’article ne contient que des digressions anecdotiques propres à la liberté éditoriale du magazine Ici Paris et qu’il en va du même du ton alarmiste adopté par le rédacteur de l’article.

Il convient cependant de relever que :
– la notoriété d’[G] [I], qui est incontestable et peut certes accroître l’intérêt du public pour des informations qui la concernent, ne constitue pas un fait justificatif général des atteintes aux droits de la personnalité,
– la complaisance qui lui est imputée n’a aucune pertinence en ce qui regarde la caractérisation des atteintes aux droits de sa personnalité, le moyen développé de ce chef manquant ainsi en droit,
– s’il est exact qu’elle s’est exprimée à plusieurs reprises au sujet de son état de santé, elle n’a néanmoins jamais évoqué publiquement, à tout le moins avant la publication de l’article litigieux, le fait qu’elle avait été contrainte d’abandonner un projet de participation à l’émission télévisée en cause, ni a fortiori pour quelle raison, de même qu’elle n’avait pas fait état d’une hospitalisation concomittante à la publication litigieuse, de sorte qu’il ne peut être considéré qu’il s’agit là d’informations rendues publiques par la demanderesse elle-même,
– à cet égard, ses interventions postérieures, dans la presse, ne sauraient être prises en considération pour démontrer le caractère notoire des informations en cause au moment de la publication de l’article,
– et s’il ne peut être reproché à la société éditrice d’avoir indiqué qu’[G] [I] devait participer à une émission télévisée et qu’elle a dû y renoncer, ces informations relevant de sa vie professionnelle, les circonstances ayant entouré cette décision ressortent en revanche du champ de sa vie privée pour concerner son état de santé,
– il n’est pas non plus démontré que la demanderesse aurait autorisé la société CMI France à faire état de telles informations,
– celles-ci, ainsi livrées au lecteur, sont tangibles et précises et dépassent le propos général et l’exposé de faits communs à tout un chacun, et comportent des imputations identifiant des composantes spécifiques de sa personnalité, les éléments qu’elle contient ne présentant pas le caractère anodin que lui prête la société défenderesse.

Enfin, les informations dont s’agit ne peuvent être rattachées à un fait d’actualité justifiant la légitime information du public, la notoriété prêtée à [G] [I] étant à cet égard indifférente, alors même que l’article se borne à exposer des éléments se rattachant à la sphère de son intimité qui, comme tels, échappent au domaine de l’actualité. Et il n’est pas plus démontré que cette publication s’inscrit dans un débat d’intérêt général.

Dans ces conditions, l’immixtion opérée par la publication litigieuse dans la vie privée d’[G] [I] ne saurait être regardée comme légitime.

Par ailleurs, la publication d’une photographie la représentant, détournée de son contexte de fixation et illstrant les propos attentatoires à sa vie privée, contenus dans l’article, porte ici également atteinte à son droit à l’image.

Les atteintes alléguées sont en conséquence constituées avec l’évidence requise en référé et commandent que le juge statue sur les demandes formées.

Les mesures de réparation

En application de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge des référés ne peut accorder une provision au créancier que dans les cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable ; faute de contestation sérieuse des atteintes alléguées, il appartient au juge des référés de fixer à quelle hauteur l’obligation de réparer n’est pas sérieusement contestable. La seule constatation de l’atteinte au droit à la vie privée et au droit à l’image par voie de presse ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes. Le demandeur doit toutefois justifier de l’étendue du dommage allégué, le préjudice étant apprécié concrètement, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes et des éléments versés aux débats.

L’atteinte au respect dû à la vie privée et l’atteinte au droit à l’image constituent des sources de préjudice distinctes, pouvant ouvrir droit à des réparations différenciées. L’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas à la gravité de la faute commise, ni au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause. Cependant, l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat d’un magazine, sont de nature à accroître le préjudice.

Par ailleurs, dans le cas où le demandeur s’est largement exprimé sur sa vie privée, cette attitude ne le prive pas de toute protection de sa vie privée mais justifie une diminution de l’appréciation du préjudice.

En l’espèce, l’étendue du préjudice moral causé à [G] [I] doit être appréciée en considération de :

– l’objet même des atteintes relevées, qui portent sur son état de santé et son hospitalisation et qui touchent ainsi au coeur de son intimité,

– le caractère désagréable des informations révélées dans l’article,

– l’ampleur donnée à leur exposition du fait de l’importance de la diffusion du magazine litigieux, qui jouit d’une visibilité certaine, étant rappelé à ce titre que si l’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause, l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat d’un magazine sont de nature à accroître le préjudice.

Doivent également être prises en considération les deux attestations sur l’honneur produites en demande, par la mère de l’intéressée, [M] [J], ainsi que par son directeur artistique, [H] [R], décrivant l’état psychologique dans lequel se trouvait [G] [I] à la suite de la publication de l’article litigieux, ainsi que les démarches qui ont dû être accomplies pour rassurer ses proches et partenaires professionnels (“contrainte à devoir rassurer nombre de ses proches inquiets”, “mais également certaines personnes avec qui [G] a des engagements professionnels. Pour exemple, les organisateurs d’un événement à [Localité 5] pour lequel elle s’était engagée ou encore la production de l’émission “Incroyable talent” qui s’inquiétait de savoir si elle pourrait assurer ses tournages…”, “Vous comprendrez donc les répercussions négatives sur les personnes qui emploient [G] et pourraient devenir frileuses à cause de ce type de rumeurs infondées. J’ai dû personnellement rassurer une par une les personnes concernées professionnellement”). S’il est exact que les deux attestations présentent des similitudes dans leur rédaction, elles présentent également des spécificités propres à leur rédacteur respectif, son directeur artistique notamment ayant livré avec une certaine précision les interventions qui ont dû être menées conjointement avec [G] [I] auprès de ses partenaires professionnels. Elles apparaissent en conséquence tout à fait pertinentes. En outre, si elles sont également similaires à deux autres attestations rédigées par les mêmes personnes dans le cadre d’une autre procédure consécutive à la publication d’un article dans le magazine France Dimanche, cela s’explique aisément par le fait que d’une part, les deux publications en cause évoquent les mêmes informations, et d’autre part, qu’elles sont concomittantes.

La société éditrice lui oppose notamment, pour minorer l’étendue de son préjudice, sa complaisance à l’égard des médias. Elle produit à cet égard plusieurs interviews données par la demanderesse, desquelles il résulte qu’elle s’est régulièrement exprimée dans les médias au sujet de ses problèmes de santé, et en livrant certains détails relatifs au type de traitements qu’elle prend, à leur caractère “expérimental”, à leur lourdeur ou encore au temps qu’elle a été contrainte de passer à l’hôpital pour être soignée.

Il est également établi par les pièces produites en défense qu’elle s’exprime également avec une certaine aisance sur des sujets relevant de sa vie sentimentale et familiale.

Or, si cette exposition choisie ne la prive pas de la protection inhérente au repsect dû à ses droits de la personnalité, ni ne légitime les intrusions constatées, elle révèle chez elle une moindre aptitude à souffrir des effets d’une telle publicité.

En outre, la société éditrice ne saurait être tenue responsable de la reprise des informations qu’elle a dévoilées par d’autres publications, et partant, de la multiplication des références auxdites informations lorsqu’une recherche est effectuée au sujet d’[G] [I] sur le moteur de recherche Google.

Est enfin de nature à relativiser le domage revendiqué par la demanderesse, le caractère purement identitaire du cliché illustrant l’article litigieux, qui ne la représente nullement à son désavantage.

Ainsi, au regard de l’ensemble de ces éléments, il conviendra de lui allouer, à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice, la somme de 3 000 euros pour l’atteinte faite à sa vie privée et 500 euros pour l’atteinte faite à son droit à l’image, montants à concurrence desquels l’obligation de la société défenderesse n’apparaît pas sérieusement contestable.

Les demandes accessoires

L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Il y a en conséquence lieu de condamner la société CMI France, qui succombe, aux dépens.

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation.

Il serait inéquitable de laisser à la partie demanderesse la charge des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer pour la défense de ses intérêts et il y aura lieu en conséquence de condamner la société défenderesse à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, rendue en premier ressort par mise à disposition au greffe le jour du délibéré,

Condamnons la société CMI France à payer à Mme [G] [I] une indemnité provisionnelle de trois mille euros (3 000 €) à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant de l’atteinte au respect dû à sa vie privée par la publication d’un article la concernant dans le n° 4109 du magazine Ici Paris du 3 au 9 avril 2024,

Condamnons la société CMI France à payer à Mme [G] [I] une indemnité provisionnelle de cinq cents euros (500 €) à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant de l’atteinte au droit dont il dispose sur son image par la publication d’une photographie la représentant dans le n° 4109 du magazine Ici Paris du 3 au 9 avril 2024,

Condamnons la société CMI France à payer à Mme [G] [I] la somme de deux mille euros (2 000 €) en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejetons toute demande plus ample ou contraire,

Condamnons la société CMI France aux dépens,

Rappelons que la présente décision est exécutoire par provision.

FAIT À NANTERRE, le 24 octobre 2024.

LA GREFFIÈRE

Divine KAYOULOUD ROSE, Greffière
LA PRÉSIDENTE

Alix FLEURIET, Vice-présidente


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