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La vie affective des couples de personnalités relève de leur vie privée, les digressions de la presse People sur ce sujet constituent des atteintes à la vie privée.
Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.
Ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la même convention. Ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression, ladite publication étant appréciée dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit.
Le droit à l’information du public s’agissant des personnes publiques, s’étend ainsi d’une part aux éléments relevant de la vie officielle, d’autre part aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général.
A l’inverse, les personnes peuvent s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de leur vie professionnelle ou de leurs activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur leur vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.
En l’espèce, Frédéric Beigbeder soutient que l’article s’attache à évoquer son état de santé à travers la question de la drogue, son état d’esprit ainsi que sa situation sentimentale, maritale et familiale actuelle. Il fait valoir que de tels détails, qui appartiennent incontestablement à la sphère exclusive de sa vie personnelle et amoureuse, n’ont aucun rapport avec un éventuel sujet d’actualité ou d’intérêt général relatif à son placement en garde à vue.
[D] [P] soutient que l’article prétend renseigner sur sa situation amoureuse et familiale mais également sur le fonctionnement de son mariage, particulièrement sur la question de la fidélité au sein de son couple, tout en spéculant sur la réaction de surprise que la révélation de la liaison de son époux et du motif de sa garde à vue pourrait provoquer chez elle. Elle fait valoir que ces éléments n’entretiennent aucun lien avec l’éventuel sujet d’actualité que pourrait constituer l’affaire judiciaire qui concerne [I] [G].
La société PRISMA MEDIA soutient que toute faute est exclue lorsque la vie privée d’une célébrité participe d’un fait divers, la notoriété de l’intéressé conférant la dimension d’un fait d’actualité. En l’espèce, elle relève que la cause du placement en garde à vue de [I] [G] dans le contexte du mouvement de libération de la parole des femmes constitue un fait divers d’actualité digne d’intérêt. Soulignant l’écho public de l’affaire dans les médias, la société défenderesse rappelle que [I] [G] s’est lui-même exprimé sur sa garde à vue. Elle souligne également la complaisance de l’écrivain à propos de son couple, l’adultère, le désir, le mariage et la consommation de drogue, et estime dès lors que l’information en cause entre directement en lien avec le discours public du demandeur. S’agissant de [D] [P], la société défenderesse fait valoir que les propos de l’article n’ont pas excédé ce que la liberté d’expression autorise.
Il convient de rappeler que le comportement d’un demandeur, fut-il complaisant à l’égard de la presse sur sa propre vie privée, ne le déchoit pas de son droit de voir constater ces atteintes sauf à ce qu’il ait fait rentrer dans le champ médiatique l’information dont il entend précisément demander réparation.
En l’espèce, l’article, se fondant sur la « garde à vue » effectuée par [I] [G] en décembre 2023, évoque l’état des relations conjugales entre ce dernier et son épouse [D] [P].
Les parties conviennent en l’espèce que les informations publiées au sein de l’article critiqué évoquent la vie privée de [I] [G] et [D] [P]. Ce fait est effectivement établi dès lors que les détails donnés sur leurs états d’esprit et les sentiments qui leur sont prêtés
(« anéanti », « [D] était loin de s’imaginer que [S] pouvait la tromper, et encore moins qu’on puisse un jour évoquer un viol le concernant », « Depuis qu’il vit au Pays basque, il s’est apaisé »), sont des éléments qui relèvent avec évidence de l’intimité de leur vie privée.
Il n’est pas davantage contestable que cet article intervient dans un contexte d’actualité, lié au placement en garde à vue de [I] [G] suite à l’ouverture à son encontre d’une enquête préliminaire pour viol sur mineur.
Néanmoins, si la mesure de garde à vue et l’enquête concernant [I] [G] sont notoires à raison de multiples articles parus dans la presse (pièce 6 à 15 en défense) et d’un communiqué de presse de l’avocate de l’intéressé (pièce 13 en défense), tel n’est pas le cas des
sentiments du couple sur lesquels l’article disgresse.
En effet, s’il est exact que [I] [G] a pu par le passé, dans un livre intitulé “Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé” paru en avril 2023 (pièce 16 en défense) ainsi que dans plusieurs interviews (pièces 23, 25, 26, 27 en défense), évoquer ses sentiments vis-à-vis de sa compagne, il convient de relever que ces évocations n’ont pas pour effet de rendre notoires les sentiments éprouvés par les demandeurs au jour de la publication de l’article.
La société défenderesse n’établit pas en quoi les propos de l’article sont de nature à apporter un élément d’information d’intérêt général qui justifierait que le droit à l’intimité de la vie privée de [I] [G] et [D] [P] s’éclipse. Les disgressions sur les sentiments du couple suite aux mesures judiciaires que connait [I] [G] ne peuvent être considérées comme présentant un sujet d’intérêt légitime pour le public.
Ainsi, en procédant à des disgressions sur leurs sentiments, sans l’autorisation de [I] [G] et [D] [P], alors que cela n’était pas justifié par un sujet d’actualité ni un débat d’intérêt général, l’atteinte à la vie privée des demandeurs se trouve caractérisée, avec l’évidence requise en référé.
Dans son numéro 1880 paru le 15 décembre 2023, l’hebdomadaire Voici consacre un article à [I] [G] et [D] [P]. L’article évoque la garde à vue de [I] [G] pour viol et ses propos ironiques à ce sujet. Il mentionne également des détails sur la vie privée du couple, suscitant la colère des demandeurs.
Les demandeurs invoquent le respect de leur vie privée et de leur image, protégés par la loi. Ils estiment que l’article en question porte atteinte à leur intimité sans justification d’intérêt public. La société défenderesse soutient que la notoriété des demandeurs justifie la publication de ces informations.
Les demandeurs demandent une indemnité pour le préjudice subi. Le juge reconnaît l’atteinte à la vie privée des demandeurs et accorde des dommages et intérêts. Il tient compte du contexte médiatique et de la complaisance passée des demandeurs en matière de vie privée.
La société défenderesse est condamnée aux dépens et doit verser une somme supplémentaire aux demandeurs au titre des frais irrépétibles. Le juge considère que cette décision est équitable compte tenu des circonstances de l’affaire.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
N° RG 24/50656 – N° Portalis 352J-W-B7I-C33SP
N° : 3/MM
Assignation du :
25 Janvier 2024
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 15 mars 2024
par Delphine CHAUFFAUT, Juge au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDEURS
Monsieur [I] [G]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Maître Romain FOURNIER de la SELAS BLEU SAMOURAI, avocats au barreau de PARIS – #C1125
Madame [D] [P]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Maître Romain FOURNIER de la SELAS BLEU SAMOURAI, avocats au barreau de PARIS – #C1125
DEFENDERESSE
S.A.S. PRISMA MEDIA
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Maître Olivier D’ANTIN de la SCP S.C.P d’ANTIN – BROSSOLLET – BAILLY, avocats au barreau de PARIS – #P0336
DÉBATS
A l’audience du 09 Février 2024, tenue publiquement, présidée par Delphine CHAUFFAUT, Juge, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Vu l’assignation délivrée par acte d’huissier le 25 janvier 2024 à la société PRISMA MEDIA, éditrice du magazine Voici, à la requête de [I] [G] et [D] [P], lesquels, estimant qu’il avait été porté atteinte au respect dû à leur vie privée dans le numéro 1880 du magazine en date du 15 décembre 2023 nous demandent, au visa des articles 9 du code civil, 834 et 835 du code de procédure civile de :
• Condamner la société PRISMA MEDIA à payer à [I] [G] la somme de 10 000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts qui lui sont dus en réparation du préjudice que lui a causé la publication de l’article portant atteinte à sa vie privée ;
• Condamner la société PRISMA MEDIA à payer à [D] [P] la somme de 20 000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts qui lui sont dus en réparation du préjudice que lui a causé la publication de l’article portant atteinte à sa vie privée ;
• Condamner la société PRISMA MEDIA à verser aux requérants la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
• Condamner la société PRISMA MEDIA aux dépens.
À l’audience du 9 février 2024, le conseil de [I] [G] et [D] [P] reprenait oralement les demandes formulées dans l’assignation.
Vu les conclusions en défense de la société PRISMA MEDIA, déposées et soutenues à l’audience, qui nous demande, au visa de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, de :
• Dire n’y avoir lieu à référé
* Débouter [I] [G] et [D] [P] de leurs demandes ;
• Condamner in solidum [I] [G] et [D] [P] à verser à la société PRISMA MEDIA la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
• Condamner [I] [G] et [D] [P] aux entiers dépens.
À l’issue de l’audience, au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus en leurs observations, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 15 mars 2024, par mise à disposition au greffe.
MOTIFS
Sur la publication litigieuse
[I] [G] est un écrivain, critique littéraire et scénariste français. Il est l’époux de [D] [P], photographe franco-suisse.
Dans son numéro 1880 paru le 15 décembre 2023, l’hebdomadaire Voici leur consacre un article d’une page intitulé « [I] [G] / LA PROVOC DE TROP ». Un chapeau introductif annonce : « Alors qu’il a été placé en garde à vue pour viol, l’écrivain, qui nie les faits, a jugé bon d’ironiser sur le sujet. Du grand n’importe quoi ». Au centre du texte est placée la mention
suivante : « Il “ remercie les effectifs du commissariat pour leur accueil” ».
Une large photographie représentant [I] [G] posant en costume occupe la moitié de la page. La légende précise : « Pour l’heure, l’écrivain jet-setteur n’a pas été mis en examen ».
L’article litigieux débute en évoquant « les investigations du parquet de Pau » et la « garde à vue » de [I] [G], rappelant certains éléments de l’affaire et le communiqué de presse de l’intéressé.
L’article poursuit en relatant les propos d’un « proche ». Selon ce dernier, [I] [G] est « anéanti », et cette affaire « est aussi une catastrophe pour son couple ». Il indique : « [D] était loin de s’imaginer que [S] pouvait la tromper, et encore moins qu’on puisse un jour évoquer un viol le concernant. Depuis qu’il vit au Pays basque, il s’est apaisé, il ne prend plus de coke, mais continue de beaucoup sortir ».
Sur la même page, un encadré placé sur la droite du corps de l’article s’intéresse plus précisément aux relations entre [I] [G] et [D] [P]. Le paragraphe a pour titre : « Marié, mais visiblement pas fidèle ». Rappelant que les intéressés ont deux enfants « âgés de 6 et 8 ans », l’article cite de nouveau un « proche », selon lequel « Elle est folle amoureuse de [S] et c’est réciproque ». L’encadré est accompagné d’une photographie les représentant posant côte à côte lors d’un évènement.
C’est dans ces conditions qu’a été délivrée la présente assignation.
Sur les atteintes à la vie privée
Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.
Ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la même convention. Ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression, ladite publication étant appréciée dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit.
Le droit à l’information du public s’agissant des personnes publiques, s’étend ainsi d’une part aux éléments relevant de la vie officielle, d’autre part aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt
général. A l’inverse, les personnes peuvent s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de leur vie professionnelle ou de leurs activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur leur vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.
[I] [G] soutient que l’article s’attache à évoquer son état de santé à travers la question de la drogue, son état d’esprit ainsi que sa situation sentimentale, maritale et familiale actuelle. Il fait valoir que de tels détails, qui appartiennent incontestablement à la sphère exclusive de sa vie personnelle et amoureuse, n’ont aucun rapport avec un éventuel sujet d’actualité ou d’intérêt général relatif à son placement en garde à vue.
[D] [P] soutient que l’article prétend renseigner sur sa situation amoureuse et familiale mais également sur le fonctionnement de son mariage, particulièrement sur la question de la fidélité au sein de son couple, tout en spéculant sur la réaction de surprise que la révélation de la liaison de son époux et du motif de sa garde à vue pourrait provoquer chez elle. Elle fait valoir que ces éléments n’entretiennent aucun lien avec l’éventuel sujet d’actualité que pourrait constituer l’affaire judiciaire qui concerne [I] [G].
La société PRISMA MEDIA soutient que toute faute est exclue lorsque la vie privée d’une célébrité participe d’un fait divers, la notoriété de l’intéressé conférant la dimension d’un fait d’actualité. En l’espèce, elle relève que la cause du placement en garde à vue de [I] [G] dans le contexte du mouvement de libération de la parole des femmes constitue un fait divers d’actualité digne d’intérêt. Soulignant l’écho public de l’affaire dans les médias, la société défenderesse rappelle que [I] [G] s’est lui-même exprimé sur sa garde à vue. Elle souligne également la complaisance de l’écrivain à propos de son couple, l’adultère, le désir, le mariage et la consommation de drogue, et estime dès lors que l’information en cause entre directement en lien avec le discours public du demandeur. S’agissant de [D] [P], la société défenderesse fait valoir que les propos de l’article n’ont pas excédé ce que la liberté d’expression autorise.
Il convient de rappeler que le comportement d’un demandeur, fut-il complaisant à l’égard de la presse sur sa propre vie privée, ne le déchoit pas de son droit de voir constater ces atteintes sauf à ce qu’il ait fait rentrer dans le champ médiatique l’information dont il entend précisément demander réparation.
En l’espèce, l’article, se fondant sur la « garde à vue » effectuée par [I] [G] en décembre 2023, évoque l’état des relations conjugales entre ce dernier et son épouse [D] [P].
Les parties conviennent en l’espèce que les informations publiées au sein de l’article critiqué évoquent la vie privée de [I] [G] et [D] [P]. Ce fait est effectivement établi dès lors que les détails donnés sur leurs états d’esprit et les sentiments qui leur sont prêtés
(« anéanti », « [D] était loin de s’imaginer que [S] pouvait la tromper, et encore moins qu’on puisse un jour évoquer un viol le concernant », « Depuis qu’il vit au Pays basque, il s’est apaisé »), sont des éléments qui relèvent avec évidence de l’intimité de leur vie privée.
Il n’est pas davantage contestable que cet article intervient dans un contexte d’actualité, lié au placement en garde à vue de [I] [G] suite à l’ouverture à son encontre d’une enquête préliminaire pour viol sur mineur.
Néanmoins, si la mesure de garde à vue et l’enquête concernant [I] [G] sont notoires à raison de multiples articles parus dans la presse (pièce 6 à 15 en défense) et d’un communiqué de presse de l’avocate de l’intéressé (pièce 13 en défense), tel n’est pas le cas des
sentiments du couple sur lesquels l’article disgresse.
En effet, s’il est exact que [I] [G] a pu par le passé, dans un livre intitulé “Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé” paru en avril 2023 (pièce 16 en défense) ainsi que dans plusieurs interviews (pièces 23, 25, 26, 27 en défense), évoquer ses sentiments vis-à-vis de sa compagne, il convient de relever que ces évocations n’ont pas pour effet de rendre notoires les sentiments éprouvés par les demandeurs au jour de la publication de l’article.
La société défenderesse n’établit pas en quoi les propos de l’article sont de nature à apporter un élément d’information d’intérêt général qui justifierait que le droit à l’intimité de la vie privée de [I] [G] et [D] [P] s’éclipse. Les disgressions sur les sentiments du couple suite aux mesures judiciaires que connait [I] [G] ne peuvent être considérées comme présentant un sujet d’intérêt légitime pour le public.
Ainsi, en procédant à des disgressions sur leurs sentiments, sans l’autorisation de [I] [G] et [D] [P], alors que cela n’était pas justifié par un sujet d’actualité ni un débat d’intérêt général, l’atteinte à la vie privée des demandeurs se trouve caractérisée, avec l’évidence requise en référé.
Sur les mesures sollicitées
Sur la demande d’indemnité provisionnelle
En application de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge des référés ne peut accorder une provision au créancier que dans les cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable.
Si la seule constatation de l’atteinte au respect à la vie privée et au droit à l’image par voie de presse ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes, il appartient toutefois au demandeur de justifier de l’étendue du dommage allégué ; l’évaluation du préjudice est appréciée de manière concrète, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes, ainsi que des éléments invoqués et établis.
Par ailleurs, l’atteinte au respect dû à la vie privée et l’atteinte au droit à l’image constituent des sources de préjudice distinctes, pouvant ouvrir droit à des réparations différenciées, à conditionqu’elles soient dissociables. L’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas à la gravité de la faute commise, ni au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause. Cependant, l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat de ce magazine à fort tirage, sont de nature à influer sur l’ampleur du préjudice.
Au soutien de leur demande indemnitaire, les requérants exposent que l’article s’attache à exposer les détails supposés d’évènements fondamentalement privés qu’ils étaient en droit de vivre en toute confidentialité. Ils soutiennent qu’un tel étalage a un effet extrêmement négatif sur leur psychologie et leur vie maritale, comme en témoigne l’attestation de leur thérapeute. Ils estiment que le préjudice doit s’évaluer au regard de la très large diffusion du magazine. Par ailleurs, ils indiquent souffrir du fait que leurs deux jeunes enfants puissent être pris à partis dans le milieu scolaire afin de répondre à ces fausses révélations. Enfin, les demandeurs attestent avoir mis en demeure la société défenderesse de retirer l’article litigieux du site internet de l’hebdomadaire.
[I] [G] indique qu’il est discret sur sa vie privée et ne fait preuve d’aucune complaisance. Il fait valoir que cette publication vient considérablement accroitre sa détresse psychologique dans laquelle il est plongé depuis l’accusation de viol dont il fait l’objet.
[D] [P] soutient qu’elle se tient à l’écart de la vie publique et que son mariage avec [I] [G] ne doit en aucun cas la priver de la possibilité de vivre une vie de couple à l’abri des regards.
La société défenderesse estime que l’attestation produite par les demandeurs ne justifie pas du préjudice allégué. Soulignant que les termes de celle-ci sont trop généraux, elle fait valoir que l’attestation témoigne d’un préjudice causé par la garde à vue de [I] [G] et non par la publication de l’article querellé.
S’agissant du préjudice subi par [I] [G] :
En l’espèce, pour évaluer l’étendue du préjudice moral de [I] [G] consécutif à la publication litigieuse, il convient de prendre en considération le fait que celui-ci subit l’exposition au public d’éléments de son intimité familiale et affective. Il sera également relevé que l’article se rapporte à un sujet douloureux.
Par ailleurs, [I] [G] a, par l’intermédiaire de son conseil, adressé une mise en demeure pour informer la société PRIMSA MEDIA de sa volonté de faire respecter sa vie privée en lui demandant de supprimer l’article querellé du site internet de l’hebdomadaire (pièce 4 en demande). La société défenderesse n’a pas donné suite à sa demande.
Certains éléments commandent toutefois une appréciation plus modérée du préjudice subi.
Il y a tout d’abord lieu de prendre en considération, comme le relève la société défenderesse, que [I] [G] s’est par le passé largement exprimé sur sa vie privée, notamment s’agissant de sa vie affective. PRISMA MEDIA produit à cet égard des interviews du demandeur, dans lesquelles il évoque sa vie amoureuse (pièces 23, 25, 26, 27 en défense). Encore récemment, au cours de l’année 2023, [I] [G] a publié un livre autobiographique intitulé “Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé” (pièce 16 en défense) dans lequel il livre des détails intimes sur son rapport aux femmes.
Le souci de discrétion que [I] [G] revendique doit ainsi être relativisé, puisqu’il consent à évoquer des éléments de sa vie amoureuse ; cette complaisance étant de nature à attiser la curiosité du public et à nuancer la sensibilité de [I] [G] à l’évocation d’éléments relevant de sa vie privée.
Il convient également de relativiser le lien qu’établissent les éléments apportés par le demandeur entre son préjudice et l’article querellé. En effet, l’ordonnance d’anxiolytiques (pièce n°5), antérieur à l’article, ne saurait avoir été causé par celui-ci. Par ailleurs, si l’attestation de [B] [U], conseillère conjugale et familiale, produite aux débats (pièce 3 en demande) indique que“la publication d’articles spéculant sur leur vie conjugale et la désinformation publique exposant leur intimité menace leur union et le travail de reconstruction engagé.” et que“les mensonges colportés par la presse “people” sont de nature à augmenter leur stress.”, elle ne cite aucun article en particulier, ne permettant pas de distinguer l’effet propre de l’article ici en cause.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu d’allouer à [I] [G], à titre de réparation de son préjudice, la somme de 2 000 € pour les atteintes portées à sa vie privée.
S’agissant du préjudice subi par [D] [P] :
En l’espèce, pour évaluer l’étendue du préjudice moral de [D] [P] consécutif à la publication litigieuse, il convient de prendre en considération le fait que celle-ci subit l’exposition au public d’un épisode pénible de sa vie privée s’agissant de difficultés conjugales rencontrées suite à l’ouverture d’une enquête judiciaire à l’encontre de son époux [I] [G].
Par ailleurs, [D] [P], qui n’est pas connue du grand public, est mariée avec un célèbre écrivain qui fait régulièrement mention de sa vie privée, et singulièrement de sa relation avec sa compagne, dans la presse (pièces 23, 25, 26, 27 en défense) et dans son dernier livre paru en avril 2023 (pièce 16 en défense). Pour autant, il ne saurait être déduit de ces éléments et du rare concours qu’elle apporte à sa médiatisation (pièce 19 et 20 en défense), qu’elle ne souhaite pas, pour elle-même, une plus grande discrétion, les choix de communication de son époux ne lui étant pas imputables. Au demeurant, la seule interview accordée par cette dernière (pièce 21 en défense), par son caractère isolé, ne peut être considérée comme de nature à alimenter, de fait et en soi, la curiosité du public.
[D] [P], souhaitant préserver sa vie privée, a, par l’intermédiaire de son conseil, adressé une mise en demeure pour informer la société PRISMA MEDIA de sa volonté de faire respecter sa vie privée en lui demandant de supprimer l’article querellé du site internet de l’hebdomadaire (pièce 4 en demande). La société défenderesse n’a pas donné suite à sa demande.
Pour autant, il convient de relativiser l’apport de la pièce fournie pour étayer le préjudice subi par la demanderesse. En effet, si l’attestation de [B] [U], conseillère conjugale et familiale, produite aux débats (pièce 3 en demande) indique que“la publication d’articles spéculant sur leur vie conjugale et la désinformation publique exposant leur intimité menace leur union et le travail de reconstruction engagé.” et que“les mensonges colportés par la presse “people” sont de nature à augmenter leur stress.”, elle ne cite aucun article en particulier, ne permettant pas de distinguer l’effet propre de l’article ici en cause.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu d’allouer à [D] [P], à titre de réparation de son préjudice, la somme de 4 000 € pour les atteintes portées à sa vie privée.
Sur les autres demandes
L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Il y a en conséquence lieu de condamner la société défenderesse, qui succombe, aux dépens.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation.
Il serait inéquitable de laisser aux demandeurs la charge des frais irrépétibles qu’ils ont dû exposer pour la défense de leurs intérêts et il y aura lieu en conséquence de condamner la société défenderesse à leur payer la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
Condamnons la société PRISMA MEDIA à payer à [I] [G] la somme provisionnelle de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées au respect dû à sa vie privée dans le numéro 1880 du magazine Voici publié le 15 décembre 2023 ;
Condamnons la société PRISMA MEDIA à payer à [D] [P] la somme provisionnelle de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées au respect dû à sa vie privée dans le numéro 1880 du magazine Voici publié le 15 décembre 2023 ;
Condamnons la société PRISMA MEDIA aux dépens ;
Condamnons la société PRISMA MEDIA à payer à [I] [G] et [D] [P] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboutons les parties du surplus de leurs demandes,
Rappelons que le présent jugement est exécutoire de plein droit nonobstant appel.
Fait à Paris le 15 mars 2024
Le Greffier,Le Président,
Minas MAKRISDelphine CHAUFFAUT