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Vidéosurveillance sans lien avec le licenciement
La question du système de vidéo-surveillance dans l’entreprise, installé puis retiré, n’est pas recevable dès lors qu’elle n’apparaît pas en lien avec le licenciement du salarié.
En l’espèce, le Salarié n’a pas saisi le juge prud’homal d’une demande concernant une situation de harcèlement moral et ne démontre pas que l’employeur l’aurait harcelé ou aurait exercé sur lui des pressions ou brimades aux fins de dégrader ses conditions de travail et de le pousser à la faute.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
19 mars 2024
Cour d’appel de Riom
RG n°
21/00392
19 MARS 2O24
Arrêt n°
ChR/NB/NS
Dossier N° RG 21/00392 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FRM3
[Z] [O]
/
S.A.S. [H] RUBANS
jugement au fond, origine conseil de prud’hommes – formation paritaire du puy en velay, décision attaquée en date du 19 janvier 2021, enregistrée sous le n° f19/00001
Arrêt rendu ce DIX NEUF MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Sophie NOIR, Conseiller
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
M. [Z] [O]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Emmanuelle BONNET-MARQUIS de la SELARL BONNET – EYMARD-NAVARRO – TEYSSIER, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE, avocat constitué, substitué par Me Karim MRABENT, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, avocat plaidant
APPELANT
ET :
S.A.S. [H] RUBANS
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Hervé ROCHE, avocat suppléant Me Willy VILLE de la SELAFA SEDOS CONSEIL, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
INTIMEE
M. RUIN, Président et Mme NOIR, Conseiller après avoir entendu, M. RUIN, Président en son rapport, à l’audience publique du 11 décembre 2023, tenue par ces deux magistrats, sans qu’ils ne s’y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré après avoir informé les parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
La SAS [H] RUBANS (RCS LE PUY EN VELAY 383 608 874) exerce une activité de fabrication et de négoce de rubans. Cette entreprise fait application des dispositions de la convention collective nationale de l’industrie textile.
Monsieur [Z] [O], né le 1er avril 1960, a d’abord été embauché par la SAS [H] RUBANS suivant des contrats de travail à durée déterminée successifs pour les périodes suivantes : du 10 juin au 26 juillet 2002, à compter du 29 août 2002 pour remplacer un salarié absent, du 21 décembre 2002 au 28 mars 2003, du 29 mars 2003 au 25 juillet 2003, du 23 octobre 2023 au 7 novembre 2023. Par la suite, la relation contractuelle s’est poursuivie entre les parties dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée. Au dernier état de la relation contractuelle, Monsieur [Z] [O] occupait un emploi de teinturier (coefficient 152 niveau 3 échelon 2) à temps complet (152,25 heures par mois / taux horaire brut de 12 euros / ancienneté au 23 octobre 2003).
L’employeur à notifié au salarié plusieurs avertissement successifs les 23 mai 2018, 4 juin 2018 et 10 septembre 2018.
Par courrier recommandé (avec avis de réception) daté du 13 décembre 2018, la société [H] RUBANS a notifié à Monsieur [Z] [O] son licenciement pour faute grave.
Selon l’attestation Pôle Emploi établie par l’employeur, Monsieur [Z] [O] a été employé par la société [H] RUBANS du 23 octobre 2003 au 13 décembre 2018 en qualité de teinturier. L’employeur a versé au salarié une indemnité compensatrice de congés payés de 1.912,60 euros, mais ni indemnité de licenciement ni indemnité compensatrice de préavis.
Le 7 janvier 2019, Monsieur [Z] [O] a saisi le conseil de prud’hommes de LE PUY-EN-VELAY aux fins notamment de voir annuler les avertissements des 23 mai, 4 juin, 10 septembre 2018 et 22 octobre 2018, de juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement, outre obtenir la condamnation de l’employeur à lui payer les indemnités de rupture afférentes ainsi qu’à l’indemniser du préjudice résultant du caractère injustifié des sanctions disciplinaires, outre obtenir un rappel de salaire sur mise à pied conservatoire.
La première audience devant le bureau de conciliation et d’orientation a été fixée au 5 mars 2019 (convocation notifiée au défendeur le 10 janvier 2019) et, comme suite au constat de l’absence de conciliation, l’affaire été renvoyée devant le bureau de jugement.
Par jugement rendu contradictoirement le 19 janvier 2021 (audience du 8 septembre 2020), le conseil de prud’hommes de LE PUY-EN-VELAY a :
– dit que le licenciement pour faute grave de Monsieur [Z] [O] est justifié ;
– dit que les avertissements notifiés à Monsieur [Z] [O] sont justifiés ;
– débouté en conséquence Monsieur [Z] [O] de l’ensemble de ses demandes ;
– débouté la SAS [H] RUBANS de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
Le 16 février 2021, Monsieur [Z] [O] (avocats : SCP BONNET EYMARD NAVARRO TEYSSIER du barreau du PUY EN VELAY et Maître Karim MRABENT du Barreau de ST ETIENNE) a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne le 22 janvier précédent.
Maître Kader KARAKAYA (SEDOS CONSEIL), du barreau de SAINT-ETIENNE, s’est constitué avocat pour la SAS [H] RUBANS dans le cadre de la présente procédure d’appel.
L’affaire a été fixée à l’audience du 20 mars 2023 puis a été renvoyée à l’audience de la chambre sociale du 11 décembre 2023 pour cause de sous-effectif de magistrats.
Vu les conclusions notifiées à la cour le 14 septembre 2021 par Monsieur [Z] [O],
Vu les conclusions notifiées à la cour le 6 octobre 2021 par la SAS [H] RUBANS,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 20 février 2023
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions, Monsieur [Z] [O] conclut à l’infirmation du jugement en toutes ses dispositions et demande à la cour, statuant à nouveau, de :
– Prononcer l’annulation des avertissements des 23 mai 2018, 4 juin 2018 et 10 septembre 2018 ;
– Constater qu’il a fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– Condamner la société [H] RUBANS à lui verser les sommes suivantes :
* 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour sanctions disciplinaires injustifiées,
* 1.068,82 euros brut au titre du rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire outre 106,88 euros brut au titre des congés payés afférents,
* 4.240,88 euros brut au titre de l’ indemnité compensatrice de préavis (2 mois) outre 424,09 euros brut au titre des congés payés afférents,
* 8.742,03 euros au titre de l’ indemnité de licenciement,
* 28.625,94 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* outre intérêts légaux à compter de la demande ;
– Ordonner la délivrance d’une attestation POLE EMPLOI rectifiée ainsi que d’un bulletin
de salaire en conséquence de l’arrêt ;
– Condamner la société [H] RUBANS à lui verser la somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Dans ses dernières écritures, la société [H] RUBANS conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et demande à la cour, y ajoutant, de condamner Monsieur [Z] [O] à lui verser la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
La société [H] RUBANS expose tout d’abord que Monsieur [Z] [O] a fait l’objet, antérieurement aux sanctions disciplinaires présentement querellées, de plusieurs autres sanctions disciplinaires, à savoir :
– un avertissement le 3 septembre 2012 pour un retard tardif de plusieurs jours de congés ;
– un avertissement le 6 juillet 2018 pour absence d’apprêt du ruban qu’il avait teint ;
– un avertissement le 28 juillet 2005 pour abandon de poste traduisant un départ en vacances prématuré sans information ni autorisation préalable de la hiérarchie.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
– Sur les sanctions disciplinaires antérieures au licenciement –
L’employeur dispose d’un pouvoir disciplinaire, c’est-à-dire du droit de sanctionner les fautes commises par ses salariés à l’occasion de l’exécution de leur contrat de travail.
L’employeur qui se place sur le terrain disciplinaire est tenu par l’analyse ainsi faite, et il ne saurait prétendre par la suite justifier la mesure prise par des motifs non disciplinaires. Le comportement fautif du salarié doit, en principe, se manifester par un acte positif ou une abstention de nature volontaire, l’insuffisance professionnelle ne constituant pas un motif de sanction disciplinaire. La faute ne peut résulter que d’un fait avéré, imputable au salarié et constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail.
Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires (date de convocation à l’entretien préalable ou de prononcé d’une mise à pied conservatoire / date de présentation de la lettre recommandée ou de remise de la lettre simple pour une sanction ne nécessitant pas un entretien préalable) au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.
Si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction disciplinaire au-delà du délai de deux mois, l’employeur peut invoquer une faute prescrite lorsqu’un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d’un comportement identique. Par ailleurs, l’employeur peut prendre en compte un fait fautif antérieur à deux mois si le comportement du salarié a persisté dans ce délai. Toutefois, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction.
L’employeur est, en principe, libre de choisir la sanction qui lui paraît adaptée au comportement fautif du salarié. Ainsi, sauf détournement de pouvoir ou discrimination, il peut, en vertu de son pouvoir d’individualisation des mesures disciplinaires, sanctionner différemment les salariés ayant participé à une même faute ou ne pas sanctionner l’un d’entre eux. La sanction disciplinaire prononcée par l’employeur doit être proportionnée à la faute commise par le salarié.
Un salarié peut contester devant la juridiction prud’homale, dans le délai de prescription de deux ans visé par l’article L. 1471-1 du code du travail, toute mesure disciplinaire prise à son encontre. Le juge prud’homal apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier la sanction disciplinaire contestée. L’employeur doit fournir au juge les éléments retenus pour prendre la sanction disciplinaire. Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de ses allégations. Si le doute subsiste, il profite au salarié. Le juge n’est pas lié par les dispositions du règlement intérieur ni par les dispositions conventionnelles ou contractuelles. Le juge doit vérifier si les faits ne sont pas prescrits et rechercher s’ils présentent un caractère fautif. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l’employeur à l’encontre du salarié n’est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés. En revanche, il ne peut pas annuler une sanction disciplinaire qu’ils estime trop clémente. Le juge ne peut pas modifier une sanction disciplinaire et en prendre une autre. Le juge doit annuler la sanction disciplinaire s’il en constate le caractère disproportionné ou injustifié.
À titre liminaire, la cour relève que la première sanction disciplinaire contestée étant celle du 23 mai 2018 pour une procédure disciplinaire engagée début mai 2018, aucune sanction antérieure à mai 2015 concernant Monsieur [Z] [O] ne peut être invoquée par l’employeur pour justifier des sanctions disciplinaires qui vont être examinées en l’espèce.
– Sur l’avertissement du 23 mai 2018 –
Par courrier daté du 23 mai 2018, signé par le président de la société (Monsieur [Y] [H]), la SAS [H] RUBANS a notifié à Monsieur [Z] [O] un avertissement ainsi libellé :
‘À plusieurs reprises, je vous ai fait part de ma désapprobation concernant votre comportement au sein de la société.
Comme je vous l’ai expliqué lors de notre entretien du vendredi 18 mai 2018, je vous adresse le présent courrier d’avertissement pour les raisons suivantes :
– Les consignes de travail sont notifiées sur un cahier, chaque jour, afin de vous indiquer les priorités dans l’organisation de votre travail. Or, je vous ai demandé à plusieurs reprises de lire ces consignes avant de démarrer votre poste. Vous évoquez un oubli qui malheureusement à tendance à ce répéter. Votre responsable de production m’a fait part d’un nouvel oubli le 16 mai.
Le 15 mai, vous avez omis de teindre une des largeurs de ruban (velours 5 mm), prévue sur votre planning, alors que vous aviez tous les éléments en votre possession.
Ces erreurs d’inattention entraînent des conséquences fâcheuses sur la production et le respect des délais établis.
– L’activité au sein de l’atelier de teinture se définit par un travail d’équipe et demande une souplesse dans l’organisation au quotidien. Vous faites régulièrement preuve de résistance lorsque nous vous demandons de changer de poste, changer de machine ou encore aider vos collègues dans des opérations de conditionnement ou de repliage.
Lorsque je vous demande de « rentrer dans le moule ”, cela signifie que nous attendons de vous le strict respect des consignes définies parla direction, comme le font l’ensemble des salariés de la société.
A titre d’exemple, vous persistez, chaque année, à poser 5 semaines de vacances consécutives, alors que la société n’en accorde que 4 au maximum.
Fort de toutes ces remarques, j’attends de vous un changement de comportement immédiat dans votre travail au quotidien.
Je reste à votre disposition…’
Par courrier daté du 29 mai 2018, Monsieur [Z] [O] a répondu à l’employeur en contestant cette sanction.
L’employeur a notifié un avertissement au salarié le 23 mai 2018 en invoquant les deux griefs suivants :
1/ non-respect de l’instruction donnée à plusieurs reprises consistant à lire les consignes de travail notifiées sur un cahier, chaque jour, afin d’indiquer les priorités dans l’organisation de votre travail, ce qui s’est traduit le 15 ou 16 mai en ce que Monsieur [Z] [O] a omis de teindre une des largeurs de ruban (velours 5 mm), prévue sur son planning ;
2/ résistance abusive lorsqu’il est demandé au salarié de changer de poste, changer de machine ou d’aider ses collègues dans des opérations de conditionnement ou de repliage.
La cour ne peut déterminer si la question des 5 semaines de vacances consécutives prises l’été par Monsieur [Z] [O], alors que la société n’en accorde que 4 au maximum aux autres salariés, entre dans le champ de motivation de la sanction disciplinaire ou vise seulement à expliquer la demande de ‘rentrer dans le moule’.
En tout état de cause, la question des 5 semaines de vacances ne saurait constituer une faute imputable au salarié puisque la société [H] RUBANS reconnaît que si elle regrettait la volonté persistante de Monsieur [Z] [O] de prendre 5 semaines de vacances consécutives l’été pour passer du temps dans son pays d’origine, elle a toujours fini par accepter cette demande en accordant à ce salarié une tolérance exceptionnelle à ce titre.
Monsieur [O] conteste avoir commis une faute et sollicite l’annulation de cette sanction disciplinaire qu’il considère injustifiée.
Concernant l’avertissement du 23 mai 2018, la société [H] RUBANS fait valoir qu’il est établi que le salarié n’a pas respecté les consignes de travail et a fait preuve de réticence à travailler en équipe. Elle conteste que cette sanction s’inscrive dans un contexte de harcèlement moral du salarié, laquelle n’est que la résultante de la nécessité de procéder à un recadrage de l’appelant.
Monsieur [Z] [O] précise avoir expliqué à l’employeur qu’il ne refusait pas de changer de poste ou de machine mais qu’il avait l’impression d’être victime de faits de harcèlement moral de sa part. Il ajoute que la société [H] RUBANS lui reproche de ne pas avoir respecté les consignes mentionnées sur son planning du 15 mai 2018, alors même que les consignes indiquées sont celles relatives à la journée de travail suivante. Il ajoute enfin avoir refusé de travailler sur deux machines simultanément compte tenu de la quantité de travail qu’il devait accomplir sur la première d’entre elle mais également pour des raisons manifestes de sécurité et ce afin de préserver sa santé.
À la lecture des pièces versées aux débats, il n’est en rien justifié par l’employeur de la matérialité des griefs invoqués à l’appui de la sanction disciplinaire d’avertissement notifiée le 23 mai 2018 à Monsieur [Z] [O]. L’employeur ne justifie ni de l’existence des ‘consignes de travail notifiées sur un cahier’ qui auraient été ainsi portées à la connaissance du salarié, ni d’un refus ou même d’une réticence de Monsieur [Z] [O] à changer de poste, changer de machine ou aider ses collègues dans des opérations de conditionnement ou de repliage.
Monsieur [Z] [O] produit un écrit signé ‘[R]’ daté du 16 mai qui contient des consignes de coloris mais ne peut être en relation avec le grief ‘le 15 mai, vous avez omis de teindre une des largeurs de ruban (velours 5 mm), prévue sur votre planning, alors que vous aviez tous les éléments en votre possession’.
La société [H] RUBANS ne procède que par voie d’affirmations concernant l’appelant et de considérations concernant d’autres salariés de l’entreprise sans lien direct avec l’objet du litige.
En conséquence, la sanction disciplinaire d’avertissement notifiée le 23 mai 2018 à Monsieur [Z] [O] sera annulée comme injustifiée.
Le jugement sera réformé de ce chef.
– Sur l’avertissement du 4 juin 2018 –
Par courrier daté du 4 juin 2018, signé par le président de la société (Monsieur [Y] [H]), la SAS [H] RUBANS a notifié à Monsieur [Z] [O] un avertissement ainsi libellé :
‘ Nous avons reçu en date du 21 mai 2018, une plainte de l’un de nos principaux clients, qui plus est, qui passait commande pour la première fois pour un de ces clients dans le secteur du luxe.
Après vérification, nous avons constaté, pour une opération de teinture, avec un bain qui a duré 3 journées complètes, datant du 25 avril 2018, que malgré les consignes clairement écrites, qui vous ont pourtant été transmises sur la fiche de production, vous avez omis de mettre dans le bain, le produit pour imperméabiliser le ruban.
Une telle omission est inadmissible, puisqu’il était clairement précisé sur la fiche, et surligné (en couleur vert fluo), que le bain nécessitait l’adjonction d’un produit imperméabilisant. Cela est d’autant plus inadmissible que sur la durée totale du bain (3 jours), vous avez réitéré plusieurs fois cette erreur, puisqu’à chaque renouvellement du bain journalier que vous avez effectué, vous ne vous êtes pas rendu compte qu’il manquait l’imperméabilisant en question.
Malgré vos remarques et explications orales sur ce nouvel incident, je tiens à vous rappeler que même si vous avez travaillé sur ce bain en alternance de poste avec un autre salarié, vous êtes seul responsable de votre machine et des bains que vous avez personnellement préparés.
Le fait que vous étiez en doublon et en alternance sur le bain, et que votre collègue ait pu lui aussi commettre des erreurs de son côté, n’excusent pas et ne vous exonèrent en rien des vôtres.
Lors de mon dernier courrier daté du 23 mai je vous rappelais de lire ces consignes avant de démarrer votre poste et que ces erreurs d’inattention entraînent des conséquences fâcheuses sur la production, sans parler de notre crédibilité auprès des clients.
Visiblement, vous n’avez pas cru bon de vouloir tenir compte du courrier d’avertissement qui vous a été notifié le 23 mai dernier pour des faits similaires.
S’agissant d’un nouveau client, qui plus est qui intervient dans le secteur du luxe, nous n’avions pas droit à l’erreur. Cet incident va malheureusement véhiculer une mauvaise image de notre société, et de surcroît peut avoir des conséquences graves sur notre partenariat et par conséquence sur le développement de notre chiffre d’affaires.
Par la présente et pour les faits exposés ci-dessus, nous vous notifions donc un nouvel avertissement.
J’ose espérer que ce second courrier d’avertissement, en l’espace de quelques semaines, vous fera prendre conscience du changement radical que vous devez effectuer afin de répondre aux exigences que nous sommes en droit d’attendre de vous.
Si de tels faits se reproduisent, nous serons alors amenés à envisager une nouvelle sanction beaucoup plus grave…’
Dans ce même courrier, l’employeur répondait aux observations faites par Monsieur [Z] [O] dans sa lettre datée du 29 mai 2018.
Par courrier daté du 2 juillet 2018, Monsieur [Z] [O] a répondu à l’employeur en contestant cette sanction.
L’employeur a notifié un avertissement au salarié le 4 juin 2018 en invoquant le grief suivant : avoir omis, pour une opération de teinture datant du 25 avril 2018, malgré les consignes clairement écrites transmises sur la fiche de production, de mettre dans le bain, le produit pour imperméabiliser le ruban.
Monsieur [O] conteste avoir commis une faute et sollicite l’annulation de cette sanction disciplinaire qu’il considère injustifiée.
La société [H] RUBANS indique qu’il est fait grief à l’appelant d’avoir omis de procéder à l’imperméabilisation d’un ruban. Elle précise que son collègue de travail, Monsieur [N], a quant à lui fait l’objet d’un rappel de consignes le 1er juin 2018, une telle différence de traitement s’expliquant en particulier par le passé disciplinaire respectifs de ces deux salariés et plus spécialement de l’absence de tout avertissement ou reproche antérieur à destination de Monsieur [N].
Monsieur [O] explique avoir repris son poste en suite de Monsieur [N], lequel a préparé le bain sans signaler de quelconques problèmes, et qu’après interrogation de ce salarié en suite de l’avertissement dont il a fait l’objet le 4 juin 2018, celui-ci lui a confirmé qu’aucune fiche d’activité qui aurait mentionné la nécessité de procéder à l’imperméabilisation du ruban n’avait été communiquée.
À la lecture des pièces versées aux débats, il n’est en rien justifié par l’employeur de la matérialité des griefs invoqués à l’appui de la sanction disciplinaire d’avertissement notifiée le 4 juin 2018 à Monsieur [Z] [O]. L’employeur ne justifie même pas de l’existence des ‘consignes clairement écrites transmises sur la fiche de production et surligné en couleur vert fluo’ quant au fait que le bain nécessitait l’adjonction d’un produit imperméabilisant.
La société [H] RUBANS ne procède que par voie d’affirmations concernant l’appelant et de considérations concernant d’autres salariés de l’entreprise sans lien direct avec l’objet du litige. Elle justifie uniquement avoir procédé le 1er juin 2018 à un ‘rappel de consignes’ auprès d’un autre salarié, Monsieur [N], ce qui tend à révéler que même pour le sieur [N] les consignes n’étaient pas claires auparavant.
En conséquence, la sanction disciplinaire d’avertissement notifiée le 4 juin 2018 à Monsieur [Z] [O] sera annulée comme injustifiée.
Le jugement sera réformé de ce chef.
– Sur l’avertissement du 10 septembre 2018 –
Par courrier daté du 10 septembre 2018, signé par le président de la société (Monsieur [Y] [H]), la SAS [H] RUBANS a notifié à Monsieur [Z] [O] un avertissement ainsi libellé:
‘ Vous étiez en congés du lundi 30 juillet au lundi 03 septembre au matin, soit cinq semaines ce qui constituait déjà un dérogation non seulement par rapport à la loi qui nous impose l’octroi au maximum de quatre semaines consécutives mais aussi par rapport au principe d’égalité avec les autres salariés qui eux ne bénéficient pas de cet avantage.
Or, vous n’avez réintégré votre poste que le mardi 04 septembre sous le prétexte qu’ayant acheté un billet dit « ouvert ” sans réservation fixe vous n’avez pu embarquer sur le bateau pour être de retour à temps. Ceci ne peut être considéré comme un justificatif dans la mesure où vous auriez dû vous organiser pour rentrer en temps et en heure.
Cette attitude est tout à fait inadmissible d’autant plus que vous aviez déjà reçu un avertissement pour les mêmes raisons dont apparemment vous n’avez pas cru bon de tenir compte.
Lors de notre entretien du 05/09/2018, nous vous avons de nouveau fait remarquer que vous appartenez à une équipe, que vos absences désorganisent gravement le travail de celle-ci et que nous ne pouvons continuer à tolérer ce genre d’attitude, c’est pourquoi nous vous avons adressons cette lettre à valeur d’avertissement avec mise en demeure.
D’autre part, vous avez demandé à ne pas être convoqué en présence de deux personnes de la direction. Vous savez pertinemment que le responsable de production est directement impliqué dans la planification de votre travail et que vos absences intempestives remettent en cause son organisation au quotidien.
A ce titre, nous vous confirmons que les entretiens à venir seront bien en présence soit du responsable de la teinture et/ou du responsable de production.
Quoi qu’il en soit nous n’avons pas d’ordre à recevoir, de votre part, quant à la façon de gérer le personnel de la société [H] Rubans…”
Par courrier daté du 25 septembre 2018, Monsieur [Z] [O] a répondu à l’employeur en contestant cette sanction. Par courrier daté du 22 octobre 2018, l’employeur a répondu aux observations du salarié et maintenu la sanction disciplinaire.
L’employeur a notifié un avertissement au salarié le 10 septembre 2018 en invoquant le grief suivant : Monsieur [Z] [O] était en congés du lundi 30 juillet au lundi 03 septembre au matin, mais il n’a réintégré son poste que le mardi 04 septembre, soit avec un jour de retard.
Monsieur [O] ne conteste pas avoir repris son poste de travail avec une journée de retard mais il sollicite l’annulation de cette sanction disciplinaire qu’il considère disproportionnée.
La société [H] RUBANS précise avoir fait preuve de clémence à l’égard du salarié pour cette journée de retard de prise de poste puisqu’elle n’a procédé à aucune retenue sur salaire et a permis à Monsieur [Z] [O] de récupérer la journée d’absence injustifiée, ce qui, selon elle, ne saurait faire échec à la faute commise par l’appelant.
Monsieur [Z] [O] fait valoir qu’il était d’usage qu’il bénéficie chaque année de cinq semaines de congés payés en continu avec l’accord de l’employeur, à l’exception toutefois de l’année 2018 au cours de laquelle la société [H] RUBANS lui a initialement opposé un refus en sorte qu’il a été contraint d’acheter un billet d’avion dit ‘ouvert’ pour le retour de ses vacances. Il précise que ce n’est qu’au cours du mois de mai 2018 qu’il a obtenu l’autorisation de bénéficier de cinq semaines de congés payés continues, et qu’à raison d’un surbooking, il est rentré avec 24 heures de retard. Il ajoute être venu travailler le samedi 23 septembre afin de récupérer la journée de travail non effectuée et qu’en tout état de cause, la sanction dont il a fait l’objet en suite de cet incident est manifestement disproportionnée. Monsieur [O] sollicite ainsi son annulation.
Il apparaît qu’après un refus notifié en mars 2018, l’employeur a finalement notifié en mai 2018 à Monsieur [O] qu’il pouvait prendre ses congés payés du lundi 30 juillet au lundi 03 septembre au matin. Monsieur [Z] [O] était en mesure de s’assurer un retour en France avant le 3 septembre 2018. En réintégrant son poste de travail avec une journée de travail, l’appelant a nui à l’organisation du travail en équipe dans laquelle il s’intégrait.
La sanction disciplinaire d’avertissement notifiée le 10 septembre 2018 à Monsieur [Z] [O] est régulière, justifiée et proportionnée. Monsieur [Z] [O] sera débouté de sa demande afin d’annuler cette sanction disciplinaire.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
– Sur la demande de dommages-intérêts pour sanctions disciplinaires injustifiées –
Monsieur [Z] [O] invoque le préjudice moral subi en raison de sanctions disciplinaires injustifiées.
Le salarié a effectivement fait l’objet d’avertissements notifiés successivement les 23 mai et 4 juin 2018, pour des griefs de non-respect des consignes et de manque d’esprit d’équipe, qui s’avèrent non justifiés. En outre, l’employeur a utilisé ces sanctions disciplinaires annulées pour faire des reproches de plus en plus appuyés au salarié avec une menace croissante sur l’avenir de l’appelant dans l’entreprise.
La société [H] RUBANS sera condamnée à payer à Monsieur [Z] [O] une somme de 1.000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice moral subi par Monsieur [Z] [O] du fait de deux sanctions disciplinaires injustifiées notifiées par l’employeur.
Le jugement sera réformé de ce chef.
– Sur le licenciement –
Monsieur [O] fait valoir que :
– en suite du décès du président de l’entreprise, Monsieur [G] [H], et de la reprise de l’entreprise par le frère de celui-ci, Monsieur [Y] [H], ce dernier a alors fait procéder à l’installation de caméras de surveillance au sein des ateliers, de sorte qu’il a, avec trois autres collègues de travail, exercé son droit de grève. Il précise qu’à compter du 30 octobre 2017, lesdites caméras de surveillance ont été officiellement désactivées jusqu’à l’avis de la CNIL. Monsieur [O] soutient que le système de vidéosurveillance n’a toutefois pas été désactivé mais simplement modifié ;
– en suite de sa contestation du système de vidéosurveillance, il a été victime de pressions et de sanctions disciplinaires injustifiées de la part de l’employeur, et plus largement de faits de harcèlement moral qu’il a dénoncés par courrier du 29 mai 2018, ainsi qu’à l’occasion de l’entretien préalable à licenciement ;
– le jour des faits litigieux, Monsieur [E], dont la seule déclaration a été prise en compte par l’employeur, est entré dans l’atelier teinture où il a proféré à son encontre diverses insultes et menaces, mais lui a également craché à la figure ;
– s’il reconnaît à cette occasion avoir haussé le ton, il conteste toutefois la teneur raciste des propos qui lui sont à tort prêtés par l’employeur ;
– son licenciement atteste de la volonté de l’employeur de fabriquer des incidents de travail afin de cliver les salariés, et relève que depuis son licenciement, trois salariés ont démissionné et un quatrième s’apprête à le faire. Il fait à cet égard sommation à la société [H] RUBAN de produire le registre du personnel.
Monsieur [O] considère de la sorte que l’employeur échoue à rapporter la preuve de la matérialité du grief de licenciement et en déduit que la rupture de son contrat de travail est dépourvue de cause réelle et sérieuse et réclame le paiement des indemnités de rupture afférentes, outre un rappel de salaire sur mise à pied conservatoire qu’il estime subséquemment injustifiée.
La société [H] RUBANS expose que le 27 novembre 2018, Monsieur [O] a, aux alentours de 6 heures du matin, eu un comportement totalement inacceptable au sein de l’entreprise alors qu’une altercation verbale violente l’opposait à un autre salarié, Monsieur [F] [E]. Elle explique plus spécialement qu’alors que le responsable de production avait le 26 novembre 2018 laissé une note de consignes à Monsieur [F] [E] lui enjoignant de procéder à la pesée des bobines, ce dernier s’est rendu le lendemain matin au sein de l’atelier où est affecté Monsieur [Z] [O] afin de récupérer des bobines vides devant servir de tares et que ce dernier s’est alors emporté avec une extrême violence en insultant son collègue de travail et le menaçant afin d’en découdre physiquement. Elle précise que deux salariées ont été témoins de cet incident ayant donné lieu à deux déclarations d’accident du travail respectivement effectuées par Messieurs [O] et [E], étant précisé que seul l’accident déclaré par ce dernier a été pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels par décision en date du 11 mars 2019. Elle indique à cet égard que la question relative à la licéité du système de vidéosurveillance est présentement hors débats.
La société [H] RUBANS considère que ces agissements du salarié sont constitutifs d’une faute particulièrement grave et ont rendu impossible le maintien de son contrat de travail, en ce compris la période de préavis, étant rappelé qu’elle est tenue à l’égard de ses salariés d’une obligation de sécurité. Elle en déduit que le licenciement notifié à Monsieur [Z] [O] pour faute grave est en l’espèce bien fondé et conclut ainsi au débouté du salarié s’agissant de l’ensemble des demandes qu’il formule au titre de la rupture du contrat de travail.
Le licenciement correspond à une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige sur la cause du licenciement, ce qui interdit à l’employeur d’invoquer de nouveaux ou d’autres motifs ou griefs par rapport à ceux mentionnés dans la lettre de licenciement.
Pour que la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur soit justifiée ou fondée, en tout cas non abusive, la cause du licenciement doit être réelle (faits objectifs, c’est-à-dire précis et matériellement vérifiables, dont l’existence ou matérialité est établie et qui constituent la véritable raison du licenciement), mais également sérieuse, c’est-à-dire que les faits invoqués par l’employeur, ou griefs articulés par celui-ci, doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.
Le licenciement pour motif personnel est celui qui est inhérent à la personne du salarié. Un licenciement pour motif personnel peut être décidé pour un motif disciplinaire, c’est-à-dire en raison d’une faute du salarié, ou en dehors de tout comportement fautif du salarié (motif personnel non disciplinaire). Il ne doit pas être discriminatoire.
Si l’employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu’il considère comme fautif, il doit s’agir d’un comportement volontaire (action ou omission). À défaut, l’employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni avoir déjà été sanctionnée. Les faits reprochés au salarié doivent lui être personnellement imputables. Un salarié ne peut pas être licencié pour des faits imputables à d’autres personnes, même proches.
En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. Selon sa gravité, la faute commise par le salarié emporte des conséquences plus ou moins importantes. Si les faits invoqués, bien qu’établis, ne sont pas fautifs ou constituent une faute légère mais non sérieuse, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. En cas de licenciement fondé sur une faute constituant une cause réelle et sérieuse, le salarié a droit au règlement de l’indemnité compensatrice de congés payés, de l’indemnité de licenciement, du préavis ou de l’indemnité compensatrice de préavis (outre les congés payés afférents).Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Le licenciement pour faute lourde, celle commise par le salarié avec l’intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise, entraîne également pour le salarié la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement, avec possibilité pour l’employeur de réclamer le cas échéant au salarié réparation du préjudice qu’il a subi (dommages-intérêts). Dans tous les cas, l’indemnité compensatrice de congés payés reste due.
La sanction disciplinaire prononcée par l’employeur, y compris une mesure de licenciement, ne pas doit être disproportionnée mais doit être proportionnelle à la gravité de la faute commise par le salarié. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l’employeur à l’encontre du salarié n’est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés.
La Cour de cassation juge qu’en matière de licenciement disciplinaire, si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l’encontre du salarié et les conséquences que l’employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués. En conséquence, si un employeur procède à un licenciement pour faute lourde, il appartient au juge qui écarte cette faute, de rechercher si les faits commis par le salarié constituent quand même une faute grave ou, à défaut, une cause réelle et sérieuse de licenciement. Si un employeur procède à un licenciement pour faute grave, il appartient au juge qui écarte cette faute, de rechercher si les faits commis par le salarié constituent quand même une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Le code du travail ne donne aucune définition de la faute grave. Selon la jurisprudence, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis.
La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d’appréciation ou l’insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La gravité d’une faute n’est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté. La commission d’un fait isolé peut justifier un licenciement disciplinaire, y compris pour faute grave, sans qu’il soit nécessaire qu’il ait donné lieu à avertissement préalable.
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d’une telle mesure n’est pas obligatoire. La faute grave ne saurait être admise lorsque l’employeur a laissé le salarié exécuter son préavis au salarié. En revanche, il importe peu que l’employeur ait versé au salarié des sommes auxquelles il n’aurait pu prétendre en raison de cette faute, notamment l’indemnité compensatrice de préavis ou les salaires correspondant à une mise à pied conservatoire.
En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l’entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.
Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse pas plus particulièrement sur l’employeur (la Cour de cassation juge que la preuve du caractère réel et sérieux du motif de licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties), il incombe à l’employeur, en revanche, d’établir la faute grave ou lourde. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Dans tous les cas, en matière de bien-fondé du licenciement disciplinaire, le doute doit profiter au salarié.
Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires (date de convocation à l’entretien préalable ou de prononcé d’une mise à pied conservatoire / date de présentation de la lettre recommandée ou de remise de la lettre simple pour une sanction ne nécessitant pas un entretien préalable) au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.
Si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction disciplinaire au-delà du délai de deux mois, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s’est poursuivi ou s’est réitéré dans ce délai, l’employeur pouvant ainsi invoquer une faute prescrite lorsqu’un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d’un comportement identique. Toutefois, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction.
En l’espèce, par courrier recommandé daté du 27 novembre 2018, la société [H] RUBANS a convoqué Monsieur [Z] [O] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au jeudi 6 décembre suivant, en lui notifiant sa mise à pied à titre conservatoire.
Par courrier recommandé daté du 13 décembre 2018, la société [H] RUBANS a licencié Monsieur [Z] [O] dans les termes suivants :
‘ Monsieur,
Vous avez été convoqué à un entretien préalable qui a eu lieu le jeudi 6 décembre 2018 au cours duquel vous étiez assisté de Madame [V], conseillère du salarié CGT.
Au cours de cet entretien, je vous ai reproché les fautes suivantes :
Le 27 novembre dernier au matin, vers 6h00, vous avez eu un comportement totalement inacceptable au sein de l’entreprise, à savoir une altercation verbale très violente à l’égard de l’un de nos salariés, Monsieur [F] [E], et ce, devant le personnel de l’entreprise.
Outre les injures gravissimes que vous avez proférées, vous avez également menacé ce salarié afin de le pousser à en découdre physiquement avec vous, ce que fort heureusement vous n’avez pas réussi à faire.
La teneur de vos propos est inadmissible et constitue à elle seule une faute grave, qui ne saurait permettre votre maintien dans I’entreprise, puisque outre vos injures du type « Salope, je vais te le mettre dans le cul grosse salope ”, « Va niquer ta mère ” « Nardin mouck moije t’écrase ”, « Viens si tu es un homme et que tu as des couilles on va dehors ”, vous avez également tenu les propos racistes suivants, « Fils de pute sale race de français ”, ce que nous ne pouvons pas tolérer.
L’équipe présente lors de l’altercation a été profondément choquée et Monsieur [E] a quitté l’entreprise immédiatement, ne se sentant plus en sécurité sur son lieu de travail.
Lors de l’entretien du 6 décembre dernier, je vous ai demandé des explications sur ces événements et à aucun moment vous m’avez indiqué que vous regrettiez vos propos et votre attitude.
Au contraire, vous vous êtes placé en victime en essayant de retourner la situation et en indiquant que c’est vous qui aviez été victime de propos racistes. Les éléments en notre possession suite à notre enquête montrent que la réalité est toute autre.
Nous ne pouvons tolérer un tel comportement. Rien ne vous permet de manquer de respect à vos collègues de travail, et encore moins de le provoquer en espérant qu’il commette l’irréparable.
Malheureusement, il ne s’agit pas là de la première sanction que nous sommes contraints de vous notifier, nous vous avions déjà alerté parle passé sur vos problèmes d’insubordination et sur les non-respects des consignes de travail qui vous sont données.
Votre ancienneté dans l’entreprise ne peut en rien excuser votre comportement, ni vous mettre à l’abri de sanctions.
Eu égard à la gravité des fautes qui vous sont reprochées, la poursuite de l’exécution de vos fonctions au sein de notre société est impossible, y compris pendant la durée limitée d’un préavis.
Pour les motifs exposés ci-dessus, nous vous notifions la rupture de votre contrat de travail pour faute grave. Cette mesure est effective dès ce jour…’
La société [H] RUBANS a clairement notifié à Monsieur [Z] [O] un licenciement disciplinaire pour faute grave en invoquant le grief suivant : le 27 novembre 2018 au matin, au temps et au lieu du travail, Monsieur [O] a eu un comportement totalement inacceptable, à savoir une altercation verbale très violente à l’égard de Monsieur [F] [E], autre salarié de l’entreprise, et ce, devant le personnel. Monsieur [O] a menacé Monsieur [F] [E], a voulu le pousser à en découdre physiquement et l’a gravement insulté en utilisant les termes suivants ‘ Salope, je vais te le mettre dans le cul grosse salope’ ; ‘Va niquer ta mère’ ; ‘Nardin mouck moi je t’écrase’ ; ‘Viens si tu es un homme et que tu as des couilles on va dehors’ ; ‘Fils de pute sale race de français’.
Dans une attestation, Monsieur [F] [E] expose que le 27 novembre 2018 vers 5 heures, il s’est rendu dans l’atelier pliage pour exécuter des consignes écrites (pesage de bobines de ruban) laissées la veille par son responsable de production (document produit par l’intimée). Il a demandé à deux collègues, [P] [M] et [J] [A], si elles n’avaient pas une bobine vide et elles l’ont orienté vers l’atelier teinture. En se rendant dans l’atelier teinture, vers 6 heures, il a croisé Monsieur [Z] [O] qui s’est mis ensuite à l’insulter (‘sale français’ ; ‘rataif’ ; ‘fils de pute’ ; ‘enculé’ etc.) alors qu’il se trouvait au niveau du portail entre les deux ateliers. Choqué, il a regagné l’atelier pliage où Monsieur [Z] [O] l’a suivi et l’a de nouveau insulté et menacé (‘fils de pute’ ; ‘je vais niquer ta mère’ ; viens dehors si t’as des couilles’ ; ‘je vais te saigner’ etc.). Il a tenté en vain de demander à Monsieur [Z] [O] de cesser de l’insulter puis il est retourné dans son atelier et a fini par quitter l’entreprise car il ne se sentait plus en sécurité.
Dans une attestation, Madame [P] [M], plieuse, indique que le 27 novembre 2018 vers 6 heures, elle a assisté à une altercation verbale entre Monsieur [Z] [O] et Monsieur [F] [E]. Elle précise que Monsieur [Z] [O] a tenu les propos suivants : ‘Va niquer ta mère’, ‘Salope’, ‘Si t’as des couilles viens dehors si t’es un homme’, ‘Nadine mouck’ en crachant. Elle indique que Monsieur [F] [E] a répondu : ‘Je suis sur mon travail et je n’ai pas à te répondre’, ‘apprends à parler français’. Le témoin ajoute qu’elle souhaite rester neutre et ne veut prendre aucun parti.
Dans une attestation, Madame [J] [A], plieuse, indique que le 27 novembre 2018 vers 6 heures, elle a assisté à une altercation verbale entre Monsieur [Z] [O] et Monsieur [F] [E]. Elle précise que Monsieur [Z] [O] a proféré les insultes suivantes : ”viens si tu es un homme et que tu as des couilles on va dehors’, ‘Salope, je vais te le mettre dans le cul grosse salope’, ‘Fils de pute, sale race de français’, ‘Nadine mouck, moi je t’écrase’ en crachant. Elle indique que Monsieur [F] [E] a répondu : ‘Je suis sur mon lieu travail, je n’ai pas à te répondre’, ‘apprends à parler français’, ‘mais, mais…’. Le témoin ajoute qu’elle souhaite rester neutre et ne veut prendre aucun parti mais qu’elle a été choquée par la véhémence de ces propos.
Devant le conseil de prud’hommes (notes d’audience), Monsieur [Z] [O] a indiqué qu’avant le 27 novembre 2018 il avait été insulté (sans autre précision) par Monsieur [F] [E] qui ne travaille pas avec lui dans le même atelier. Il a exposé que le 27 novembre 2018 Monsieur [F] [E] a craché ‘sur lui de loin’ et a reconnu qu’il n’a alors pas pu ‘se contrôler’ (sans autre précision) et a insulté Monsieur [F] [E] mais sans insulter la France.
Selon le compte rendu d’entretien préalable, daté du 20 décembre 2018 et signé par le conseiller du salarié ([B] [V]), Monsieur [Z] [O] a reconnu avoir suivi Monsieur [F] [E] le 27 novembre 2018 en insultant ce dernier mais a indiqué avoir été provoqué préalablement par Monsieur [F] [E] qui l’avait insulté et avait craché en l’air.
Dans son attestation, Monsieur [X] [W], salarié teinturier, expose que Monsieur [F] [E] se disputait régulièrement avec de nombreuses personnes au service teinture, qu’il a lui même été bousculé et insulté par Monsieur [F] [E] qui ne voulait pas qu’il discute avec Monsieur [Z] [O] lorsque celui-ci a intégré l’équipe, qu’il a signalé ces faits au dirigeant de l’entreprise, que Monsieur [F] [E] a été affecté par la suite à l’atelier impression. Quelques années plus tard, Monsieur [F] [E] est revenu à l’atelier teinture pour faire face à un surcroît de travail. Monsieur [F] [E] s’est mis à uriner sur ses serviettes de toilette, ce qu’il a signalé au dirigeant de l’entreprise sans que Monsieur [F] [E] soit sanctionné. Le témoin indique n’avoir jamais eu de problème avec Monsieur [Z] [O].
Dans son attestation, Monsieur [C] [L], responsable teinture, indique que Monsieur [F] [E] était en permanence une source de conflits entre salariés depuis de nombreuses années, que Monsieur [Z] [O] lui avait signalé des intrusions régulières de Monsieur [F] [E] dans l’atelier teinture (la dernière le 26 novembre 2018) et avait soutenu que ce dernier le provoquait. Le témoin indique n’avoir jamais eu de problème avec Monsieur [Z] [O].
Dans son attestation, Monsieur [R] [I], responsable production, indique que Monsieur [Z] [O] lui avait signalé des intrusions régulières de Monsieur [F] [E] dans l’atelier teinture (la dernière le 26 novembre 2018) et avait soutenu que ce dernier le narguait. Il ajoute qu’il appréciait le comportement et le travail de Monsieur [Z] [O].
Dans un certificat médical daté du 27 novembre 2018, le médecin traitant de Monsieur [Z] [O] indique que son patient lui a relaté être harcelé par un collègue de travail, qu’il a constaté que Monsieur [Z] [O] était effondré et triste, avec un état psychique très altéré de façon inhabituelle. Dans un certificat médical non daté, un médecin psychiatre a constaté un état de stress aigu chez Monsieur [Z] [O] qui s’est vu prescrire ensuite un traitement ainsi qu’un suivi psychiatrique pour syndrome anxio-dépressif.
Monsieur [F] [E] a fait l’objet d’une déclaration d’accident du travail suite à l’agression verbale de Monsieur [Z] [O] en date du 27 novembre 2018. La caisse a accepté une prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels et le salarié s’est vu reconnaître par la sécurité sociale un taux d’incapacité permanente de 7% à compter du 20 juin 2019.
La caisse a refusé une prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels pour les faits du 27 novembre 2018. dont Monsieur [Z] [O] a indiqué être la victime dans une déclaration d’accident du travail.
Vu les éléments d’appréciation dont elle dispose, la cour considère qu’il est établi que le 27 novembre 2018, au temps et au lieu du travail, Monsieur [Z] [O] a insulté et menacé un collègue de travail, Monsieur [F] [E], en tenant notamment les propos suivants : ‘ Va niquer ta mère’, ‘Salope’, ‘Je vais te le mettre dans le cul grosse salope’,’Si t’as des couilles et si t’es un homme, viens dehors’, ‘Nardinamouk’ en crachant, ‘Fils de pute, sale race de français’.
Par contre, il n’est pas démontré que le 27 novembre 2018 Monsieur [Z] [O] a été préalablement provoqué par Monsieur [F] [E], notamment par insulte et/ou crachat, ni que Monsieur [F] [E] ait adopté ce jour-là en réaction un comportement de même nature et de même intensité que les insultes et menaces proférées par l’appelant.
Il apparaît que Monsieur [F] [E] était un salarié pouvant être source de conflits et que Monsieur [Z] [O] n’appréciait ni le personnage ni les passages de celui-ci dans l’atelier teinture. Toutefois, il n’est pas établi que, même avant le 27 novembre 2018, Monsieur [Z] [O] ait été provoqué, nargué ou harcelé par Monsieur [F] [E].
La question du système de vidéo-surveillance dans l’entreprise, installé puis retiré en 2017, n’apparaît pas en lien avec le licenciement de Monsieur [Z] [O] qui n’a pas saisi le juge prud’homal d’une demande concernant une situation de harcèlement moral et ne démontre pas que l’employeur l’aurait harcelé ou aurait exercé sur lui des pressions ou brimades aux fins de dégrader ses conditions de travail et de le pousser à la faute.
Le comportement violent, particulièrement inadapté et inquiétant, de Monsieur [Z] [O] à l’encontre d’un collègue de travail, Monsieur [F] [E], se manifestant pas plusieurs insultes et menaces proférées de façon totalement inadmissible le 27 novembre 2018, au temps et au lieu du travail, constitue une faute grave justifiant la mise à pied conservatoire ainsi que le licenciement prononcé, une telle attitude rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat de travail, vu notamment l’obligation de sécurité dont l’employeur est tenu à l’égard de tous ses salariés.
La cour juge le licenciement pour faute grave de Monsieur [Z] [O] régulier, justifié et proportionné.
Monsieur [Z] [O] sera en conséquence débouté de toutes ses demandes en rapport avec la mise à pied conservatoire et la rupture du contrat de travail.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
– Sur les dépens et frais irrépétibles –
Monsieur [Z] [O] ayant dû saisir le conseil de prud’hommes puis la cour pour voir annuler deux sanctions disciplinaires le concernant, la société [H] RUBANS sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel.
En équité, en première instance comme en appel, il n’y a pas lieu à condamnation de l’une ou l’autre des parties sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
– Réformant, annule la sanction disciplinaire d’avertissement notifiée le 23 mai 2018 à Monsieur [Z] [O] par la société [H] RUBANS ;
– Réformant, annule la sanction disciplinaire d’avertissement notifiée le 4 juin 2018 à Monsieur [Z] [O] par la société [H] RUBANS ;
– Réformant, condamne la société [H] RUBANS à payer à Monsieur [Z] [O] une somme de 1.000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice moral subi par Monsieur [Z] [O] du fait de deux sanctions disciplinaires injustifiées notifiées par l’employeur ;
– Réformant, condamne la société [H] RUBANS aux dépens de première instance ;
– Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions non contraires ;
Y ajoutant,
– Condamne la société [H] RUBANS aux dépens d’appel ;
– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN