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N° RG 22/01542 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JCLH
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 09 NOVEMBRE 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 28 Avril 2022
APPELANTE :
Société CASINO DE [Localité 3]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Guillaume DES ACRES DE L’AIGLE de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN
INTIME :
Monsieur [J] [L]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Me François GARRAUD de la SCP GARRAUD OGEL HAUSSETETE, avocat au barreau de DIEPPE substituée par Me Anne-Sophie LEBLOND, avocat au barreau de DIEPPE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 14 Septembre 2023 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ALVARADE, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 14 septembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 09 novembre 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 09 Novembre 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 1er juin 2002, M. [J] [L] (le salarié) a été engagé en qualité de maître-chien et d’agent de sécurité par la société du Casino de [Localité 3] (la société) dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel (14 heures hebdomadaires).
Le 1er mai 2013, les parties ont régularisé un avenant aux termes duquel le salarié assumait les tâches suivantes : sécurité à l’entrée du casino, du bar ainsi que la surveillance de l’accès aux salles des machines à sous et des jeux traditionnels et, « en cas de nécessité lié au bon fonctionnement de l’entreprise », il pouvait assumer « d’autres tâches ».
Après avoir été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable par courrier du 6 juillet 2020, le salarié a été licencié pour faute grave le 22 juillet suivant.
Contestant cette décision, M. [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen qui, par jugement du 28 avril 2022, a :
– dit que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
– condamné l’employeur à lui verser les sommes suivantes :
à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire : 673,29 euros
à titre d’indemnité compensatrice de préavis : 2 160,30 euros
au titre des congés payés afférents : 216,03 euros
à titre d’indemnité de licenciement : 5 610,77 euros
à titre de dommages-intérêts : 6 500 euros
article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros,
– condamné l’employeur à rembourser à Pôle emploi les allocation chômage versées au salarié dans la limite d’un mois ;
– condamné l’employeur aux entiers dépens.
Le 9 mai 2022, la société a interjeté appel de cette décision et par conclusions remises le 4 août 2022, demande à la cour de :
à titre principal :
– infirmer le jugement déféré ;
– par conséquent, déclarer le licenciement comme reposant sur une faute grave, et à tout le moins, comme étant pourvu d’une cause réelle et sérieuse ;
– débouter M. [L] de l’ensemble de ses demandes ;
à titre subsidiaire :
– n’accorder au salarié, à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que la somme maximum de 3 240,45 euros ;
en tout état de cause :
– le condamner à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens première instance et d’appel.
Par conclusions remises le 11 juillet 2022, le salarié demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, à l’exception de celle relative au montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
statuant à nouveau,
– condamner la société à lui payer la somme de 15 662,18 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre celle de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter la société de l’ensemble de ses demandes et la condamner aux frais et dépens.
L’ordonnance de clôture a été fixée au 31 août 2023.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens et arguments.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
Conformément aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu’elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et il appartient à l’employeur qui l’invoque d’en rapporter la preuve.
Aux termes de la lettre de congédiement du 22 juillet 2020, il est reproché au salarié deux griefs :
« le 28 juin 2020, alors qu’une cliente était en train de lui acheter un paquet de cigarettes, à 1h26, celle-ci lui a demandé si le montant du paquet de cigarettes était bien de 15 euros », ce à quoi, il a répondu par l’affirmative alors que le prix de vente était de 11 euros et ne lui a pas rendu la monnaie. Le même jour, à 1h30, il a calculé son fond de caisse et il manquait 2 euros. A 1h45, il a lors « glissé 8 euros dans une trousse lui appartenant »,
des faits similaires « constatés et ce, depuis de nombreux mois » et notamment, les 2 et 10 décembre 2018 et le 7 janvier 2019, dates où les feuilles de la caisse cigarettes ont été falsifiées par modification des soldes initiaux « expressément visés en amont par un membre du comité de direction » et de l’argent a été glissé dans sa trousse.
En premier lieu, le salarié relève que les faits reprochés sont datés du 28 juin 2020 et que la prétendue faute « n’a pas rendu immédiatement impossible le maintien du contrat de travail » de sorte que par « ce seul fait », son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Toutefois, la cour constate que la mise en ‘uvre de la procédure disciplinaire est intervenue dans la semaine qui a suivi les faits reprochés, puisque le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement et mis à pied à titre conservatoire dès le 6 juillet, de sorte que la brièveté du délai écoulé entre les deux dates en présence est compatible avec l’immédiateté de l’exclusion du salarié de l’entreprise qui doit accompagner la qualification de faute grave retenue.
Par conséquent, ce moyen doit être écarté.
En deuxième lieu, l’intimé conteste la licéité du constat d’huissier relatant les enregistrements du système de vidéosurveillance car l’employeur ne rapporte ni la preuve de ce qu’il l’a informé de son existence, ni celle de l’information et de la consultation des représentants du personnel, ni, enfin, celle de la modification du règlement intérieur de la société.
L’article 21 de l’arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux dans les casinos, dans sa version applicable au litige, oblige à la mise en place d’un système de vidéoprotection, notamment, à l’entrée du casino.
Il résulte du procès-verbal d’huissier et de l’attestation de M. [P], secrétaire du comité économique et social de la société, que d’une part, l’existence dudit système était clairement signalée au public par une affiche réglementaire située « à proximité immédiate du contrôleur aux entrées », soit à l’endroit où se trouvait le bureau de l’intimé et d’autre part, que le CSE avait été consulté concernant sa mise en place lors d’une réunion du 10 décembre 2010. Surtout, l’intimé renseignait quotidiennement le cahier de contrôle du système afin de certifier l’absence d’incident concernant l’enregistrement effectué par les vidéos.
Dès lors, s’il est exact que l’enregistrement de l’entrée du casino a également permis de capter l’image du salarié, cette utilisation ne présente cependant pas un caractère illicite, dans la mesure où celui-ci ne pouvait ignorer que son image pouvait faire l’objet d’une captation au moyen du dispositif considéré qui n’était ni clandestin ni déloyal mais au contraire, était rendu obligatoire par arrêté ministériel.
Si l’intimé se prévaut également d’une violation des dispositions des articles L. 1311-2 et L. 1321-3 du code du travail relatifs à la mise en place et au contenu du règlement intérieur, la cour relève que ces textes n’obligent pas à ce que ce document stipule l’existence d’un système de vidéoprotection obligatoire.
Enfin, en toute hypothèse, l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Or, en l’occurrence, l’utilisation de l’enregistrement vidéo litigieux était, eu égard aux circonstances, pleinement justifiée et indispensable à l’exercice du droit à la preuve et ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée du salarié, lequel d’ailleurs ne s’en prévaut pas.
Par conséquent, les moyens visant à voir considérer comme illicite le procès-verbal d’huissier seront donc rejetés.
En vertu de l’avenant du 1er mai 2013, le salarié travaillait de 18h ou 19h jusqu’à 2h30.
Il s’infère du procès-verbal de constat d’huissier du 5 août 2020 et des photographies l’accompagnant que dans la nuit du 28 au 29 juin 2020, une cliente s’est présentée à 1h26, pour acheter un paquet de cigarettes Philip Morris en demandant « c’est 15 euros ‘ », ce à quoi un homme posté au bureau de vente a répondu « ouais [puis] j’ai pas de Philip Morris », lui a précisé les marques disponibles et lui a vendu un paquet de Marlboro. Elle lui a alors donné l’argent pour cet achat et celui-ci a mis « les quatre pièces de monnaie sur son bureau » puis « sous l’écran de l’ordinateur ». A 1h45, il a pris « les pièces et recompté sa monnaie, s’est penché ensuite sur la gauche en déposant une chose rouge vers le sol ».
Le salarié fait valoir que ledit procès-verbal ne permet pas de l’identifier et que sa prétendue identification repose sur la parole de M. [E], membre du comité de direction. Pour autant, il ajoute à la ligne suivante de ses conclusions (page 7), qu’il « a agi avec précipitation , la scène s’étant déroulée en 20 secondes », de sorte que ce seul constat démontre le caractère contradictoire et inopérant de son précédent argument. Ceci est d’autant plus exact que lors de son entretien préalable, la vidéo considérée lui a été montrée, comme cela ressort de la lettre de licenciement, et qu’il n’a pas réfuté être le salarié y apparaissant. Il ne l’a pas plus fait dans son courrier du 31 juillet 2020 par lequel il conteste son licenciement.
Par ailleurs, le salarié fait valoir qu’en fin de soirée, il « fait les comptes et retire la différence entre la somme des cigarettes vendues » au prix de 11 euros et le résiduel qui constitue un pourboire qu’il met dans sa trousse, si bien qu’il ne peut lui être reproché aucun vol ajoutant qu’il a « toujours pratiqué de la sorte, au vu et au su de tous, devant les caméras de surveillance en permanence ». Dans le même temps, il indique avoir attendu 20 minutes que la cliente vienne récupérer sa monnaie et qu’à défaut de le faire, il a pensé que les 4 euros étaient un pourboire.
Néanmoins, l’intimé qui ne discute ni le prix de vente du paquet de cigarettes fixé à 11 euros, ni le fait qu’il ait répondu par l’affirmative à la question de la cliente lui demandant s’il était de 15 euros conservant le différentiel, ne peut, dans ces conditions, soutenir l’existence d’un pourboire. En effet, ce dernier se définit comme une libéralité versée en remerciement d’un service ou de la qualité de celui-ci, de sorte qu’il résulte d’un comportement volontaire du client de gratifier d’un pourboire.
Or, en l’espèce, il n’en est rien puisque la somme d’argent conservée par le salarié résulte de son mensonge concernant le prix réel de vente du paquet de cigarettes et sans, qu’à aucun moment, il n’ait envisagé de restituer sa monnaie à ladite cliente.
Dans ces conditions, peu importe que l’intimé produise des attestations de clients indiquant qu’ils lui ont, parfois, accordé un pourboire alors que la matérialité du premier grief est établi.
Concernant la falsification des feuilles de caisse des 2 et 10 décembre 2018 et du 7 janvier 2019, le salarié fait valoir que ces faits, à les supposer établis, sont « prescrits », ce à quoi l’employeur n’oppose aucun moyen se limitant à arguer de leur matérialité.
Alors que les faits sont anciens et distincts de ceux précédemment examinés, la société ne justifie aucunement en avoir eu connaissance dans le délai de deux mois précédent l’engagement de la procédure disciplinaire, soit le 6 juillet 2020, et ce en violation des dispositions de l’article L. 1332-4 du code du travail.
Dans ces conditions, ces griefs ne peuvent être examinés pour justifier le licenciement de M. [L].
Par conséquent, seul le vol au préjudice d’un client est matériellement établi et imputable à l’intimé. Compte tenu de son expérience professionnelle et de la nécessaire probité dont il devait faire preuve en exerçant au sein d’un casino, le fait reproché, de par sa nature, justifie son licenciement pour faute grave et ce, nonobstant son ancienneté.
Le jugement déféré est infirmé en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner M. [L] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de le débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de le condamner à payer à la société la somme de 500 euros sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Rouen du 28 avril 2022,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que le licenciement de M. [J] [L] repose sur une faute grave,
Le déboute de toutes ses demandes,
Le condamne à payer à la société du Casino de [Localité 3] la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.
La greffière La présidente