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Vidéosurveillance : 24 mai 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/01223

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Vidéosurveillance : 24 mai 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/01223

AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 20/01223 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M3V6

Société ABB FRANCE

C/

[Z]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Lyon

du 16 Janvier 2020

RG : 18/01912

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 24 MAI 2023

APPELANTE :

Société ABB FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Alex FERNANDO, avocat au barreau de LYON substitué par Me Amaury CANTAIS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[L] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Sophie FREYCHET de la SELARL CHARTIER-FREYCHET AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Sylvaine CHARTIER, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 14 Mars 2023

Présidée par Anne BRUNNER, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Joëlle DOAT, présidente

– Nathalie ROCCI, conseiller

– Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 24 Mai 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Suivant contrat de travail à durée indéterminée, M. [Z] a été embauché à compter du 15 mars 1978 en qualité de technicien de laboratoire, par la société Compagnie Electro-Mécanique (CEM).

A la suite d’une fusion absorption, le contrat de travail de M. [Z] a été transféré à la société ASEA, nouvellement dénommée ABB France.

En dernier lieu, M. [Z] occupait un poste d’Ingénieur bureau d’études, statut cadre, position 3A coefficient 135.

La convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie était applicable aux relations contractuelles.

Par courrier remis en main propre en date du 5 juillet 2017, M. [Z] s’est vu notifier sa mise à pied conservatoire et été convoqué par son employeur à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, fixé le 13 juillet 2017.

Par courrier en date du 20 juillet 2017, M. [Z] a été licencié pour faute grave.

Par requête en date du 28 juin 2018, M. [Z] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon en lui demandant de constater l’irrégularité de sa convention de forfait en jours et de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de condamner la société ABB France à lui verser diverses sommes à caractère indemnitaire et salarial.

Au dernier état de la procédure, M. [Z] a demandé en outre au conseil de prud’hommes de dire que sa convention de forfait en jours est privée d’effet et de condamner la société à lui verser une indemnité pour travail dissimulé.

Par jugement en date du 16 janvier 2020, le conseil de prud’hommes a :

– dit et jugé que le licenciement de M. [Z] pour faute grave n’est pas fondé,

– dit et jugé que le licenciement de M. [Z] est fondé sur une cause réelle et sérieuse et requalifie son licenciement pour faute simple,

– condamné la société ABB France à verser à M. [Z] les sommes de :

2 031,15 euros de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire,

203,11 euros de congés payés sur la mise à pied,

28 743,30 euros au titre du préavis conventionnel,

2 874,33 euros de congés payés sur le préavis,

86 229,90 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– débouté M. [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamné la société ABB France à verser à M. [Z] la somme de 1 700 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

– débouté les parties de leurs autres demandes

Il n’a pas statué sur les dépens.

La société ABB France a interjeté appel de ce jugement, le 14 février 2020.

Par conclusions notifiées le 7 février 2023, elle demande à la cour :

A titre liminaire :

– de déclarer irrecevables les nouvelles demandes de l’intimé suivantes :

37 635,42 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires,

3 763,53 euros au titre des congés payés afférents.

– de déclarer recevables les conclusions de l’appelant notifiées le 20 décembre 2022, pour la partie consacrée aux heures supplémentaires.

A titre principal :

– d’infirmer partiellement le jugement attaqué en ce qu’il a requalifié le licenciement en cause réelle et sérieuse, de dire que le licenciement de M. [Z] repose sur une faute grave, et de débouter le salarié de l’ensemble des demandes suivantes :

28 743,30 euros à titre d’indemnité de préavis,

2 874,33 euros à titre de rappel de congés payés afférents,

86 229,90 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

2 031,15 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied,

203,11 euros à titre de congés payés afférents,

1 700 euros au titre de l’article 700.

– de confirmer le jugement pour le surplus et débouter le salarié de l’ensemble des demandes suivantes :

143 716,50 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

28 743,30 euros à titre de travail dissimulé,

37 635,42 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires,

3 763,53 euros au titre des congés payés afférents,

3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

En tout état de cause,

– de condamner M. [Z] aux entiers dépens,

– de condamner M. [Z] à titre reconventionnel à lui verser 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 27 janvier 2023, M.[Z] demande à la cour de faire droit à ses demandes à l’encontre de la société ABB France qui sont les suivantes :

Sur la convention de forfait jours :

– de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a jugé que sa convention de forfait jours est privée d’effet,

Sur le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires :

– de juger recevable sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires,

– de juger que les conclusions d’intimé incident de la société ABB sont irrecevables s’agissant de l’argumentation en réponse à sa demande relative aux heures supplémentaires,

– de condamner la société ABB France à lui verser la somme de 37 451,18 euros à titre de rappel de salaire pour la période non prescrite du 20 juillet 2014 au 20 juillet 2017, outre 3 745,12 euros au titre des congés payés afférents,

Sur la demande de travail dissimulé :

– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a jugé que l’intention de la société ABB France de dissimuler le travail n’a pas été prouvée et que cette dernière avait respecté ses obligations contractuelles,

– de juger que la société ABB a procédé à une dissimulation de son travail,

– de condamner la société ABB France à lui verser la somme de 28 743,30 euros nets à titre d’indemnité pour travail dissimulé,

Sur le licenciement pour faute grave :

– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a jugé que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– de juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

– de confirmer le jugement déféré s’agissant des condamnations prononcées au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et des congés payés afférents, de l’indemnité de préavis et des congés payés afférents et de l’indemnité de licenciement et condamner la société ABB France à lui verser les sommes suivantes :

rappel de salaire sur mise à pied conservatoire : 2 031,15 euros,

indemnité de congés payés sur mise à pied à titre conservatoire : 203,11 euros,

indemnité de préavis (6 mois de salaire) : 28 743,30 euros,

indemnité de congés payés sur préavis : 2 874,33 euros,

indemnité conventionnelle de licenciement : 86 229,90 euros,

– d’infirmer le jugement déféré s’agissant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société ABB France à lui verser la somme de 143 716,50 euros nets (30 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– intérêts de droit à compter du jour de la demande,

– de condamner la société ABB FRANCE à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, en sus de celle qui lui a été allouée en première instance qui sera confirmée.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 février 2023.

SUR CE :

Sur la recevabilité de la demande de rappel d’heures supplémentaires

La société ABB France fait valoir que la demande de rappel d’heures supplémentaires pour la période de juillet 2014 à juillet 2017 est nouvelle et donc irrecevable, que cette demande ne constitue pas le complément ou la conséquence de la demande de travail dissimulé au sens de l’article 566 du Code de procédure civile ; qu’il s’agit de deux demandes distinctes reposant sur deux fondements différents.

Elle soutient que ses conclusions notifiées le 20 décembre 2022 sur la partie relative aux heures supplémentaires sont recevables dans la mesure où les conclusions de l’intimé du 3 juillet 2020 ne relèvent pas appel incident, ce qui rend l’article 910 du Code de procédure civile inapplicable.

M. [Z] répond que sa demande de rappel d’heures supplémentaires, constitue, conformément à l’article 566 du Code de procédure civile, l’accessoire de sa demande formulée au titre de la privation d’effet de la convention de forfait jours et qu’elle est par conséquent recevable.

Il ajoute que les conclusions de la société ABB (intimée à son appel incident) sont irrecevables s’agissant de son argumentation au titre des heures supplémentaires, puisqu’elles ont été notifiées le 20 décembre 2022, soit plus de trois mois après que l’appel incident lui a été notifié.

***

Aux termes de l’article 914 du code de procédure civile « les parties soumettent au conseiller de la mise en état, qui est seul compétent depuis sa désignation et jusqu’à la clôture de l’instruction, leurs conclusions, spécialement adressées à ce magistrat, tendant à :

[‘]

‘ déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910 ;

[‘] Les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d’appel la caducité ou l’irrecevabilité après la clôture de l’instruction, à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement. [‘] ».

M. [Z] n’est pas recevable à invoquer devant la cour d’appel l’irrecevabilité des conclusions de la société ABB France en ce qu’elle soulève l’irrecevabilité de ses demandes.

Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Aux termes de l’article 566 du code de procédure civile « les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. ».

M. [Z] n’a pas formulé, devant les premiers juges, de demandes en paiement d’heures supplémentaires. Il a formulé une demande tendant à voir dire que la convention en forfait-jours est privée d’effet. La demande en rappel d’heures supplémentaires est l’accessoire de cette demande et est donc recevable, bien que formulée pour la première fois en cause d’appel.

Sur la validité de la convention de forfait en jours

La société ABB France soutient que des points réguliers d’activité ont été réalisés, notamment sur la charge de travail et qu’il y avait donc un suivi de charge ; qu’un entretien annuel d’évaluation Performance and Developpement Appraisal (PDA) était organisé, et que cet entretien visait également pour les cadres en forfait jours, à évoquer la charge de travail du salarié, l’organisation et l’amplitude horaire ainsi que l’articulation vie personnelle/vie professionnelle et la rémunération, depuis l’accord d’entreprise portant sur le temps de travail conclu en 2012.

Elle fait observer qu’au cours des relations contractuelles, le salarié n’a pas évoqué la moindre difficulté sur l’exécution de son forfait jours, notamment relativement à sa charge de travail,

M. [Z] réplique que la société ABB ne rapporte pas la preuve d’un entretien annuel individuel et spécifique au forfait jours, distinct de l’entretien annuel d’évaluation.

***

L’article L. 3121-46 du code du travail dans sa version applicable à l’espèce prévoit l’organisation, par l’employeur, d’un entretien annuel individuel avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année, ledit entretien portant sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.

L’employeur verse aux débats une attestation de M. [H], manager de M. [Z], lequel affirme qu’il faisait chaque année, concomitamment à l’entretien annuel, un point sur le forfait jour, au cours duquel il échangeait avec le salarié sur l’amplitude journalière, l’organisation et la charge de travail, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération et qu’à la fin de cet entretien, il signait, avec M. [Z] une attestation pour confirmer la tenue de l’entretien.

La société ABB France verse aux débats (en pièce n°33) un document intitulé « entretien annuel individuel des salariés en forfait jours/année » que M. [Z] a signé le 12 mars 2014 et sur lequel il est pré-imprimé « je reconnais avoir eu avec mon responsable hiérarchique mon entretien prévu à l’article L. 3121-46 du code du travail et par l’accord d’entreprise ABB France daté du 13 décembre 2012, relatif à la durée du travail. Cet entretien a permis d’évoquer ma charge de travail, l’organisation de mon travail, l’articulation entre mon activité professionnelle et ma vie personnelle et familiale, ainsi que ma rémunération. ».

Pour les autres années, la société ABB France verse aux débats un mail, en date du 15 décembre 2014, adressé à l’ensemble des salariés concernés, relatif à « l’entretien forfait jours », rappelant que cet entretien doit se tenir et qu’il donne lieu à la signature d’une attestation et que « votre manager prendra prochainement contact avec vous pour fixer de rendez-vous » et deux mails des 7 décembre 2015 et 16 janvier 2017 invitant les manager à procéder aux entretiens annuels sur le forfait-jours.

L’employeur n’établit pas avoir procédé à l’entretien annuel pour M. [Z] pour les années 2014 2015 et 2016 puisqu’il ne verse pas aux débats l’attestation du salarié.

La convention de forfait en jours est privée d’effet, celui-ci est fondé à revendiquer l’application à son égard des dispositions, relatives à la durée légale hebdomadaire du travail, prévues à l’article L. 3121-10 du code du travail dans sa rédaction applicable à l’espèce.

Sur la demande de rappel d’heures supplémentaires

La société ABB France fait valoir que la pièce produite par M. [Z] pour justifier sa demande, à savoir un tableau de ses heures de travail, est tardive et imprécise

M. [Z] répond qu’il a travaillé en moyenne 45 heures par semaine en fonction des missions et urgences qu’il devait traiter, que la société ABB refuse de fournir son relevé de badgeage.

Il ajoute qu’il a établi un tableau de ses heures de travail effectuées pour la période du 20 janvier 2014 au 20 janvier 2017, sur une base de 9 heures de travail par jour.

***

Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

M. [Z] a produit le 27 janvier 2013 un tableau des heures non rémunérées, sur lequel il a porté, à compter du 11 août 2014, ses horaires de travail, soit invariablement 9heures/18H45. Il a déduit une pause déjeuner d’une durée de 45 minutes et calculé une durée quotidienne de 9 heures.

Il a porté sur ce tableau, les périodes de congés, RTT et arrêt maladie.

Ces éléments sont suffisamment précis et permettent à l’employeur d’y répondre, or, la société ABB France ne produit aucun élément de contrôle de la durée du travail.

Au vu des pièces produites, la cour dispose d’éléments suffisants pour dire que M. [Z] a réalisé, entre le 11 août 2014 et le 5 juillet 2017, déduction faite des RTT dont il a bénéficié, 400 heures supplémentaires non rémunérées, dont il convient de fixer le montant à la somme de 15 000 euros, au paiement de laquelle il convient de condamner la société ABB France, outre celle de 1 500 euros pour congés payés afférents.

Sur le travail dissimulé

La société ABB France fait valoir :

– que le salarié n’explique pas en quoi et comment elle aurait dissimulé sciemment des heures, ni par ailleurs la réalité du préjudice allégué,

M. [Z] fait valoir :

– qu’il a été victime de dissimulation d’emploi et que l’employeur a sciemment dissimulé les heures supplémentaires qu’il a effectuées,

***

La dissimulation d’emploi salarié prévue par l’article L. 8221-5 2°du code du travail n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué. Le caractère intentionnel ne peut pas se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

Il ne résulte pas des éléments du dossier que l’employeur aurait entendu se soustraire à ses obligations déclaratives et aurait sciemment omis de rémunérer des heures de travail dont il avait connaissance qu’elles avaient été accomplies.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de M. [Z] de dommages-intérêts pour travail dissimulé.

Sur le licenciement pour faute grave

La société ABB France reproche à M. [Z] d’avoir commandé du matériel frauduleusement, sans autorisation de sa hiérarchie, pour un usage privé, puis de l’avoir ramené, en s’affranchissant de la mise à pied conservatoire, avant l’entretien préalable, dans le but d’organiser un stratagème.

Elle ajoute que M. [Z] a abusé de ses qualités et de son statut pour commettre son projet frauduleux, que son ancienneté constitue une circonstance aggravante ; qu’il avait déjà été sanctionné disciplinairement à plusieurs reprises du fait de son comportement,

M. [Z] répond que ses précédentes sanctions disciplinaires sont particulièrement anciennes et totalement injustifiées.

Il affirme qu’il a n’a pas détourné de matériel, qu’il l’a commandé pour les besoins du service et pour un montant restreint (458,99 euros), n’ayant nécessité aucune autorisation préalable particulière ; enfin, qu’il a respecté les procédures internes en vigueur afin de procéder à la commande du matériel,

Il soutient que les vidéos produites par l’employeur ne sont pas probantes, qu’il est revenu dans l’entreprise pendant sa mise à pied afin de rapporter une valise de déplacement, à la demande de l’un de ses collègues, M. [A] et pour vérifier la température du laboratoire, en raison de la canicule.

Il fait valoir enfin que la sanction disciplinaire n’est pas proportionnée compte tenu son ancienneté et du montant du matériel.

***

La lettre de licenciement fixe les limites du litige.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, pendant la durée du préavis. Il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve.

La lettre est ainsi motivée :

« Nous faisons suite à notre entretien préalable du 13 juillet 2017 au cours duquel vous étiez assisté de M. [I] [O].

Cet entretien avait pour but de recueillir vos explications concernant les faits suivants :

Le 16 juin 2017, votre manager, Monsieur [U] [H], a alerté le service ressources humaines concernant plusieurs commandes de matériel, détaillées ci-dessous, que vous aviez effectuées pour le compte du laboratoire de [Localité 5] 1 et qui n’ont fait l’objet ni d’une autorisation ou information préalable et qui ne présentaient aucune utilité.

Commande du 29 mai 2017 :

– 2 interrupteurs différentiels FH202-40A type AC,

– 1 interrupteur différentiel FH202-40A type A,

– 1 coffret 3 rangées,

– 1 porte de coffret,

– 1 peigne de raccordement.

Commande du 31 mai 2017 :

– 20 couples cache-picots,

– 1 peigne

Commande du 3 juillet 2017 :

– 6 disjoncteurs 32 ampères

– 6 disjoncteurs 20 ampères,

– 12 disjoncteurs 16 ampères,

– 12 disjoncteurs 10 ampères

La totalité de ce matériel représente une valeur de 2 743.09 euros hors taxes (prix catalogue ABB France).

Vous avez personnellement réceptionné ce matériel les 2, 13 et 29 juin 2017 comme l’indiquent les bons de réception du magasin de [Localité 5] 2. Seule, la commande du 3 juillet 2017 n’a pas pu être réceptionnée car cette dernière livraison devait intervenir pendant votre période de mise à pied conservatoire.

Le 13 juin 2017, vous l’avez ensuite chargé vers 16 heures 45 dans votre véhicule personnel garé sur le parking de l’entreprise.

Comme indiqué lors de notre entretien, l’intégralité du matériel commandé était destinée à un usage personnel puisqu’il se composait d’un tableau électrique d’abonné ainsi que de tout le nécessaire pour une installation domestique.

Lors de notre entretien, vous nous avez expliqué que ce matériel devait servir au laboratoire de [Localité 5] 1 pour la mise en sécurité de la ligne d’alimentation des bobines de contacteurs testes dans les armoires d’endurance électrique en protégeant les personnes par la mise en place des disjoncteurs différentiels.

Vos explications ne nous ont pas apparu cohérentes pour les raisons suivantes :

– la ligne d’alimentation des bobines de contacteur est composée de 2 départs protégés uniquement contre le court-circuit par des disjoncteurs 16 ampères. Il faut remplacer ces 2 disjoncteurs par 2 disjoncteurs différentiels. Or, la commande comprend 3 interrupteurs différentiels,

– l’ensemble des protections du local d’endurance est déjà composé de disjoncteurs différentiels,

– le calibre des interrupteurs différentiels commandés est de 40 ampères alors que le calibre 25 ampères apparaît plus adapté,

– s’agissant du coffret commandé, le tableau comprend 3 rangées pouvant contenir 36 modules alors qu’une seule rangée suffit.

– vous nous avez indiqué vouloir utiliser uniquement le châssis du tableau : pourquoi avoir commandé une porte de coffret séparément ‘ Vous n’avez pas su nous expliquer pourquoi vous aviez commandé un coffret plutôt que des rails métalliques qui auraient été plus appropriés,

– le tableau était destiné à être monté à l’intérieur d’une armoire, ce qui n’est pas dans les règles de l’art,

– la commande comprend 36 disjoncteurs : il n’y a pas lieu de les utiliser pour les 2 départs d’alimentation bobines, les deux disjoncteurs différentiels suffisent,

Cette commande de disjoncteurs était plutôt destinée à un usage domestique puisqu’elle comprend les 4 types de disjoncteurs habituellement utilisés : 10 ampères pour l’éclairage, 16 ampères pour les prises électriques, 20 ampères pour les machines à laver le linge et la vaisselle et 32 ampères pour le four.

– vous nous avez indiqué que vous les utiliseriez pour séparer les alimentations bobines, votre manager a alors soulevé que cela était impossible sans faire d’importantes modifications de câblage de l’installation.

Vous nous avez alors précisé vouloir utiliser ces disjoncteurs comme pièces de maintenance des armoires d’endurance : les calibres commandés sont des 32, 20, 16 et 10 ampères alors que ceux utilisés dans les armoires sont 20, 16, 10, 6 et 4.

Les disjoncteurs 32 ampères sont donc inutiles pour cette application, de plus il manque les 4 et 6 ampères, 4 étant le calibre le plus utilisé. »

M. [Z] ne conteste pas avoir passé les commandes de matériels qui lui sont reprochées par la société ABB.

Il ressort de la pièce n°23 de la société ABB qu’il a signé le bon de réception du matériel les 2, 13 et 29 juin 2017.

M. [H], responsable R&D et manager de M. [Z], témoigne avoir constaté le 13 juin 2017, la présence, au magasin du bâtiment CH2, de matériel destiné à [L] [Z], ne correspondant pas au matériel utilisé au sein du laboratoire et avoir cherché, le lendemain, ce matériel, dans le laboratoire et ne pas l’avoir trouvé.

Il ajoute avoir de nouveau, cherché le matériel, le 5 juillet 2017, et n’en avoir pas trouvé trace.

La société ABB France a sollicité un expert afin qu’il donne son avis sur les matériels commandés et dise si la commande était inutile pour le laboratoire et de nature à correspondre à une commande pour un tableau domestique.

L’expert a établi, le 20 avril 2019, un rapport, versé aux débats et dont M. [Z] a pu débattre contradictoirement.

L’expert a décrit les matériels soumis à son expertise qui sont ceux dont M. [Z] a passé commande les 29, 31 mai et 3 juillet 2017.

Il ressort de l’expertise de M. [T], que les matériels commandés par M. [Z] sont impropres à l’usage invoqué, aussi bien dans l’armoire de distribution que dans les armoires d’endurance du laboratoire ; que la solution coffret (et sa porte) est totalement non professionnelle, aussi bien par sa nature que par son placement au sein de l’armoire de distribution. L’expert conclut que l’utilisation de ces matériels à des fins privées, non liées aux besoins du laboratoire, apparaît comme la seule possibilité.

Il est établi que M. [Z] a passé commande de matériel destiné à un usage privé.

« Après vos explications non convaincantes, vous avez voulu nous conduire au laboratoire pour nous montrer que le matériel commandé était encore présent sur le site.

Nous avons été étonnés que celui-ci ait pu réapparaitre. Nous avons donc fait des recherches supplémentaires qui nous ont permis de constater que vous étiez revenu sur le site de [Localité 5] le vendredi 7 juillet 2017 pendant votre mise à pied conservatoire.

Par ailleurs, les caméras de vidéosurveillance vous montrent vous garant devant le laboratoire de [Localité 5] 1 et décharger des cartons.

Le fait que vous ayez ramené le matériel n’atténue en rien la gravité des faits qui vous sont reprochés. De même, vous n’avez pas respecté les procédures internes en n’informant pas notamment votre responsable hiérarchique sur ces commandes de matériel ABB, de leurs dates de livraison et de leur destination.

L’ensemble de ces faits caractérisent une violation grave de vos obligations contractuelles et peut s’apparenter à un abus de confiance.

C’est la raison pour laquelle nous vous notifions votre licenciement pour faute grave. [..] »

La société ABB verse aux débats le relevé de badgeage en date du 7 juillet 2017, sur lequel il apparaît que M. [Z] a accédé au site par la porte n°1 à 18H44 ainsi qu’un extrait de la bande vidéo du parking du site de [Localité 5] 1, où l’on voit le véhicule de M. [Z] se stationner à proximité d’un bâtiment, un individu en sortir et ouvrir le coffre, sans que pour autant il soit possible de voir s’il sort du coffre des cartons.

Néanmoins, M. [Z] était mis à pied à cette date et n’avait donc pas de raisons de se rendre sur son lieu de travail. M. [A], technicien, a établi une attestation le 1er août 2019 ; il dit être certain de n’avoir jamais demandé à M. [Z] de ramener une valise.

M. [Z] verse aux débats une capture d’écran du site [Localité 6] Capitale du 7 juillet 2017, qui annonce que la température devrait atteindre les 37°C.

Il ressort de l’attestation de Mme [P] [D], manager R& D, en date du 23 juillet 2019, que, concernant le local des charges, une vérification de la température est effectuée par 4 thermocouples placés dans la pièce ; que si la température excède 60°C, un automate provoque la coupure des essais ; que ce système de protection a été mis en place en 2005, afin d’éviter tout risque de surchauffe ou d’incendie ; qu’il n’y a pas de nécessité ni de procédure en place qui imposerait de faire un contrôle manuel.

Il s’en déduit que M. [Z] ne s’est pas rendu sur son lieu de travail pour les raisons qu’il avance, or, le 13 juillet 2017, le matériel commandé se trouvait dans le laboratoire, alors qu’il ne s’y trouvait ni le 14 juin 2017 ni le 5 juillet 2017.

Le grief est établi.

Pour minimiser la gravité de son comportement, M. [Z] verse aux débats des captures d’écran d’un site internet « électricité Pro.com », mettant en vente du matériel électrique et notamment des disjoncteurs et des interrupteurs : si les prix sont différents de ceux retenus par la société ABB pour estimer le montant du matériel commandé, les références ne sont pas identiques.

Le comportement du salarié est d’une gravité telle qu’il rend impossible son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

Le jugement sera infirmé et M. [Z] sera débouté de ses demandes de rappel de salaire et congés payés afférents pendant la mise à pied conservatoire, d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d’indemnité conventionnelle de licenciement.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande en dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les autres demandes :

Au regard des dispositions du présent arrêt, M. [Z] est partie perdante en première instance et doit être condamné aux dépens de première instance. Sa demande en paiement d’une indemnité de procédure en première instance sera rejetée.

M. [Z] obtient partiellement gain de cause devant la cour , de sorte que la société ABB France sera condamnée aux dépens d’appel.

Il est équitable de condamner la société ABB France à payer à M. [Z] la somme de1 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

DÉCLARE irrecevable la demande de M. [Z] tendant à voir déclarer irrecevable une partie des dernières conclusions d’appel notifiées par la société ABB France

INFIRME le jugement, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et rejeté la demande d’indemnité pour travail dissimulé

STATUANT à nouveau,

DÉBOUTE M. [Z] de ses demandes en paiement d’un rappel de salaire sur mise à pied et congés payés afférents, d’une indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et d’une indemnité conventionnelle de licenciement ;

DÉCLARE recevable la demande en paiement de rappel d’heures supplémentaires ;

STATUANT par dispositions nouvelles,

CONDAMNE la société ABB France à payer à M. [Z] la somme de 15 000 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires outre 1 500 euros pour congés payés afférents ;

CONDAMNE M. [Z] aux dépens de première instance;

REJETTE la demande de M. [Z] fondée sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile en première instance ;

CONDAMNE la société ABB France aux dépens d’appel ;

CONDAMNE la société ABB France à payer à M. [Z] la somme de 1 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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