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Vidéosurveillance : 20 septembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00036

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Vidéosurveillance : 20 septembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00036

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 20 SEPTEMBRE 2023

N° RG 22/00036

N° Portalis DBV3-V-B7G-U5VK

AFFAIRE :

S.A.S. ARGEDIS

C/

[K] [I]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 décembre 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHARTRES

Section : C

N° RG : F20/00167

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Jérôme LAMBERTI

Me Julien GIBIER

Copie numérique délivrée à :

Pôle emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Société ARGEDIS

N° SIRET : 306 916 099

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Jérôme LAMBERTI de la SELARL BLB ET ASSOCIÉS AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : 456

APPELANTE

****************

Monsieur [K] [I]

né le 19 Mars 1982 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Julien GIBIER de la SELARL GIBIER FESTIVI RIVIERRE GUEPIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000021

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 7 juin 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET,

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [I] a été engagée en qualité d’hôtesse de vente, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 2 juillet 2012, par la société Proseca.

Suite à l’absorption de la société Proseca par la société Argedis le 26 février 2015, le contrat de travail de la salariée a été transféré à la société Argedis.

Cette société est spécialisée dans l’exploitation de stations-service. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale des services de l’automobile.

La salariée percevait une rémunération brute mensuelle de 1 783,26 euros.

Le 16 février 2020, la salariée a été victime d’un accident du travail avec une entorse à la cheville gauche. Ses arrêts de travail ont été prolongés jusqu’au 30 juin 2020.

Convoquée par lettre du 27 février 2020 à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 9 mars 2020, dont la salariée a vainement sollicité le report par lettre du 4 mars 2020, elle a été licenciée par lettre du 12 mars 2020 pour faute grave dans les termes suivants:

‘ « Non-respect des règles d’exécution de votre activité professionnelle

Engagée en qualité d’hôtesse depuis le 2 juillet 2012, votre poste de travail se situe derrière le comptoir de caisse. Pour autant, l’enregistrement des caméras de vidéo protection du 16 février 2020 a montré que, sans aucune raison professionnelle, vous avez multiplié les allers-retours entre le côté réservé à la clientèle et votre poste de travail :

– A 10h36, vous vous trouvez assise du côté clientèle au comptoir, vous restez près d’une demi-heure à cette place, en vous nourrissant ;

– Entre 11h07 et 11h18, vous répétez des allers-retours entre le comptoir et une chaise réservée aux clients ;

– A 13h13, vous apparaissez vous dirigeant vers une banquette réservée à la clientèle ;

– Entre 13h33 et 13h55, vous répétez 8 allers-retours entre le comptoir et la banquette réservée à la clientèle.

Il est possible d’observer à l’aide des enregistrements des caméras de vidéo protection de ce même jour que ce n’est que lorsqu’un client entre dans la boutique, que vous vous levez pour rejoindre votre poste de travail.

Cela signifie alors que vous n’accueillez pas les clients à votre poste de travail mais depuis la banquette réservée à la clientèle, et que vous délaissez votre poste de travail et les tâches qui vous incombent (remise en place de la boutique), la majeure partie du temps.

En outre, il vous arrive de prendre des positions inconvenantes lorsque vous vous trouvez du côté clientèle.

A 13h37, lorsque vous revenez vers la banquette réservée à la clientèle, vous posez votre genou droit sur la banquette avant de vous rasseoir à 13h39. Puis, à 13h55, alors que vous êtes assise sur la banquette, vous prenez une position décontractée en mettant vos bras derrière votre tête.

[ …]

Vous ne respectez pas ces règles lorsque d’une part, vous vous absentez régulièrement de votre poste de travail sans aucune raison professionnelle, et d’autre part, vous adoptez un comportement incorrect et des postures dilettantes.

Tous ces manquements compromettent la qualité de l’accueil des clients au sein de notre relais, ce qui nuit à l’image de notre Société et du groupe Total, auquel elle appartient.

‘ Utilisation de votre téléphone personnel durant vos heures de travail

D’après le visionnage de l’enregistrement des caméras de vidéo protection du 16 février 2020, il apparaît que vous faites l’usage de votre téléphone personnel à plusieurs durant vos heures de travail.

A 13h13, vous vous dirigez du comptoir vers la banquette réservée à la clientèle avec votre téléphone personnel à la main. Et, à 13h21, à 13h49, et à 13h55 vous vous trouvez sur la banquette réservée à la clientèle et vous consultez votre téléphone personnel.

[. . .]

Ce comportement ne peut être toléré car il vous détourne de votre travail et là encore nuit à la qualité d’accueil et à l’image de la Société et du groupe Total.

‘ Non-paiement de vos consommations personnelles et non-respect des règles commerciales

Lors du visionnage de l’enregistrement des caméras de vidéo protection du 16 février 2020, il apparaît que vous avez consommé des produits destinés à la vente dont :

– A 13h13, une boisson (Coca-Cola), d’un montant de 2 euros, et de la nourriture (tartine, beurre, confiture) d’un montant de 1,30 euros;

– A 13h21, une boisson (Coca-Cola), d’un montant de 2 euros

Le constat établi par l’huissier en date du 18 février 2020 rapporte qu’il n’a pas observé de règlement des consommations.

L’huissier a pu constater que vous n’aviez pas procédé au règlement de ces consommations.

[. .. ]

Vous contrevenez donc à l’encontre des règles du Règlement intérieur et aux règles commerciales et vous commettez de la même manière une fraude envers la Société.

‘ Simulation d’un accident de travail

Le 16 février 2020, alors que votre quart de travail a débuté à 7h, nous avons pu observer à l’aide des caméras de vidéo protection que vous avez fait de nombreux allers-retours à l’intérieur de la boutique sans difficulté. Vous avez notamment adopté des positions décontractées.

Par ailleurs, il vous est même arrivé de courir. A 13h49, vous vous êtes levée précipitamment pour vous diriger vers l’arrière cuisine, puis vous êtes revenue en courant reprendre votre place assise.

Or, à 13h57, lorsqu’est survenu l’incident dont vous avez prétendu être victime, vous vous êtes levée en vous penchant vers l’avant, le bras droit en direction du sol, et vous vous êtes alors retrouvée au sol. Alors qu’un client vous est venu en aide, vous avez dit avoir mal à la cheville gauche.

Pour autant, d’après la caméra de vidéo protection située à l’extérieur de la boutique, il est possible de vous voir sortir tout à fait normalement de la boutique à 14h39, pour vous diriger vers votre véhicule.

L’huissier a également constaté que vous ne montriez alors aucun signe de boitement ou de gêne particulière lors de votre déplacement.

Il a rajouté ne pas avoir constaté de difficulté particulière sur l’ensemble des vidéos qu’il a visualisé.

Or, l’obligation de loyauté implique pour salarié de se garder de tout comportement contraire à l’intérêt de l’entreprise. »

Le 28 juillet 2020, Mme [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Chartres aux fins de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

Par jugement du 13 décembre 2021, le conseil de prud’hommes de Chartres (section commerce) a :

en la forme,

– reçu Mme [I] en ses demandes,

– reçu la société Argedis en sa demande reconventionnelle,

au fond,

– dit que le licenciement de Mme [I] est sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

– condamné la société Argedis à verser à Mme [I] les sommes suivantes :

. 14 266,08 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 3 414,95 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

. 3 923,17 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents,

. 1 500 euros à titre de dommages et intérêts,

. 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– ordonné à la société Argedis de remettre à Mme [I] les documents sociaux rectifiés et notamment l’attestation Pôle emploi, le tout sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la notification de la présente décision,

– dit que le Bureau de jugement se réserve le droit de liquider l’astreinte,

– condamné la société Argedis à rembourser à Pôle emploi d’Eure-et-Loir l’équivalent d’un mois d’indemnités chômage perçues ou éventuellement perçues par Mme [I],

– débouté Mme [I] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Argedis de sa demande reconventionnelle,

– condamné la société Argedis aux entiers dépens qui comprendront les frais d’exécution éventuels.

Par déclaration adressée au greffe le 4 janvier 2022, la société Argedis a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 9 mai 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Argedis demande à la cour de :

– la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 décembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Chartres,

statuant à nouveau,

– juger que les images de vidéoprotection sont recevables,

– juger que le licenciement de Mme [I] repose sur une faute grave,

– débouter Mme [I] de sa demande d’indemnité légale de licenciement pour un montant de 3 414,95 euros,

– débouter Mme [I] de sa demande de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents pour un montant de 3 923,17 euros,

– débouter Mme [I] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pour un montant de 14 266,08 euros,

– débouter Mme [I] de sa demande de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts,

– débouter Mme [I] de sa demande de remise des documents sociaux rectifiés et notamment de l’attestation Pôle Emploi sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

– débouter Mme [I] de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– déclarer n’y avoir lieu à sa condamnation à rembourser Pôle emploi,

– condamner Mme [I] à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter Mme [I] de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires,

subsidiairement,

– infirmer le montant de l’indemnité légale de licenciement et le fixer à 2 934,94 euros,

– infirmer le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et le fixer à 5 349,78 euros.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [I] demande à la cour de :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Chartres du 13 décembre 2021 (N° RG 20/00167) en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

– condamner la société Argedis à lui payer la somme de 3 500 euros, en cause d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Argedis aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur le licenciement

Sur la recevabilité de la preuve issue du système de videosurveillance

L’employeur expose que, contrairement à ce qu’a retenu le conseil de prud’hommes, il a procédé à toutes les formalités requises et n’était pas tenu de consulter la CNIL dès lors que le comité d’entreprise était informé de l’existence des caméras de vidéosurveillance, également connue de la salariée. Subsidiairement, il fait valoir que le droit à la preuve de l’employeur justifie que des images de vidéoprotection soient jugées recevables, que la production aux débats du procès-verbal de l’huissier retranscrivant le contenu des images vidéo est indispensable à la défense de l’employeur.

La salariée objecte que lors de l’installation des caméras, la déclaration à la CNIL était encore obligatoire, ce qui n’a pas été fait, que la preuve qui en est issue est déloyale et rend irrecevable la production de sa retranscription par le procès-verbal d’huissier à titre de preuve, que cette production n’est pas indispensable puisque l’employeur produit également des attestations, les procédures de caisse et les relevés de vente, que le dispositif de vidéosurveillance est attentatoire à sa liberté car elle a été surveillée en permanence, ce que proscrit la jurisprudence, que l’atteinte de ce dispositif à sa vie privée n’est pas proportionné au but poursuivi.

***

Selon l’article L. 1222-4 du code du travail, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance.

En application de l’article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD), les salariés concernés doivent être informés, préalablement à la mise en oeuvre d’un traitement de données à caractère personnel, de l’identité du responsable du traitement des données ou de son représentant, de la (ou les) finalité(s) poursuivie(s) par le traitement, des destinataires ou catégorie de destinataires de données, de l’existence d’un droit d’accès aux données les concernant, d’un droit de rectification et d’un droit d’opposition pour motif légitime, ainsi que des modalités d’exercice de ces droits.

Si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, il ne peut être autorisé à utiliser comme mode de preuve les enregistrements d’un système de vidéosurveillance permettant le contrôle de leur activité dont les intéressés n’ont pas été préalablement informés de l’existence.

Enfin, il résulte des dispositions de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 dite Informatique et Libertés, et des articles L.223-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, que les boutiques et commerces recevant des clients sont considérés comme des lieux ouverts au public, et peuvent installer un système de vidéosurveillance après en avoir fait la demande au préfet.

En l’espèce, la salariée a été licenciée pour faute grave au motif de différents manquements dont l’employeur indique dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, avoir pris connaissance en visionnant les bandes de vidéosurveillance des différentes caméras installées dans l’établissement, dont la salariée était informée de l’existence.

Le contrat de travail indique en effet que la salariée est ‘informée de l’existence d’un système de vidéo surveillance et de l’emplacement des caméras, des conditions d’utilisation de ce système et de l’utilisation qui peut en être faite par Argedis pour s’assurer de la sécurité des biens et des personnes sur le site d’affectation.’

Il en résulte, que la salariée n’a pas été informée par cette clause contractuelle de la possibilité pour l’employeur d’utiliser le système de vidéo surveillance à des fins de contrôle de l’activité de la salariée : la seule finalité déclarée par l’employeur dont la salariée a été informée est celle relative à la sécurité des biens et des personnes.

Ensuite, seule est versée aux débats par l’employeur la consultation, le 24 mars 2005, des membres du comité d’entreprise de la société Argedis relative à la demande de l’employeur de ‘renforcement d’installations de matériel de vidéo surveillance dans les stations service’, cette demande étant refusée par les représentants du personnel.

Si le compte-rendu de cette réunion indique que des ‘caméras dômes sont positionnées en plafond des kiosques (…)’ et que ‘la mise en place de ces nouvelles caméras ainsi que le stockage des images a fait l’objet d’une déclaration en Préfecture’, il ne résulte pas l’existence d’une information des représentants du personnel sur l’existence de caméras au sein de l’établissement le ‘Relais Rocade [Localité 5]’, pour lequel l’employeur établit avoir obtenu l’autorisation d’installations de cinq caméras au sein du ‘Relais Rocade [Localité 5]’ par un arrêté préfectoral qui ne date que du 8 septembre 2017.

En conséquence, le procès-verbal d’huissier retranscrivant les enregistrements extraits d’un système de vidéosurveillance irrégulièrement mis en place, ainsi que l’attestation de M.[N], retranscrivant ce qu’il a visionné sur les caméras, constituent des moyens de preuve illicites.

Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (cf. Soc., 10 novembre 2021, pourvoi n° 20-12.263, publié).

Il convient donc d’abord de s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci, puis de rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié, et enfin d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi (cf. Soc., 8 mars 2023, pourvoi n° 21-17.802, publié)

Or, d’abord, la seule volonté de l’employeur de connaître les circonstances de l’accident du travail survenu le 16 février 2020 ne justifiait pas le recours au visionnage des caméras installées dans la seule finalité d’assurer la sécurité des biens et des personnes et non pour contrôler l’activité des salariés.

L’attestation de la collègue de travail de la salariée, selon laquelle celle-ci n’aurait pas réglé ‘une tartine beurre confiture et deux cocas’ n’est pas concomitante des faits mais a été établie postérieurement à la notification du licenciement. Elle n’a donc pas motivé le recours de l’employeur au visionnage de la vidéosurveillance.

Il en résulte qu’il n’existait pas de raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et que le contrôle ainsi opéré par l’employeur n’était pas légitime.

Ensuite, pour justifier du caractère indispensable de la production de la vidéosurveillance, la société Argedis se contente d’affirmer que ‘la production du procès-verbal est indispensable à la défense de la société Argedis’.

Cependant, la preuve des faits reprochés à la salariée pouvait être obtenue en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié, tels que des attestations de collègues de travail ou de clients concomitantes des faits, ou la production des relevés et procédures de caisse, ces derniers étant d’ailleurs produits par l’employeur.

Par ailleurs, il ressort des enregistrements produits que la vidéosurveillance filmait en continu l’ensemble de la boutique, et que les salariées étaient donc sous la surveillance constante de la caméra.

Or, les enregistrements sont issus de ce dispositif de surveillance, attentatoire à la vie personnelle de l’intéressée, disproportionnée au but allégué par l’employeur de sécurité des personnes et des biens, mais aussi au but véritable de l’employeur d’établir le comportement de la salariée et l’existence d’irrégularités dans ses encaissements, ces irrégularités étant susceptibles d’être démontrées par d’autres pièces, notamment comptables, que l’employeur verse d’ailleurs aux débats.

Aussi, il y a lieu de constater que l’utilisation des différentes preuves issues de la videosurveillance a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, et de dire que les pièces n°6 (procès-verbal de constat de la vidéo-surveillance) et 16 (attestation de M. [N], mentionnant ce qu’il a visionné sur les caméras) sont inopposables à la salariée dans le cadre de la procédure prud’homale.

Les pièces n°8,9 et 10 quant à elles ne seront pas écartées, puisqu’il s’agit d’une attestation et des relevés des opérations de caisse du 16 février 2020, qui ne sont pas issus de la vidéosurveillance, et qui constituent une preuve licite.

Sur le bien fondé du licenciement

Il résulte de l’article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.

L’article L.1235-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Enfin, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis ; la charge de la preuve pèse sur l’employeur.

En l’espèce, la lettre de licenciement reproche à la salariée :

– le non-respect des règles d’exécution de son activité professionnelle, en l’occurrence des absences régulières de son poste de travail sans aucune raison professionnelle, et l’adoption d’un comportement incorrect et des postures dilettantes,

– l’utilisation de son téléphone personnel durant ses heures de travail

– le non-paiement de ses consommations personnelles et le non-respect des règles commerciales

– la simulation d’un accident de travail

Comme indiqué précédemment, les preuves issues du système de vidéosurveillance, obtenues de façon illicite, sont inopposables à la salariée et ne peuvent donc démontrer le premier grief, uniquement fondé sur ce mode de preuve.

En dehors des preuves écartées, l’employeur verse aux débats :

– l’attestation d’une collègue de travail, établie le 17 novembre 2020 et indiquant ‘j’ai constaté le 16 février 20 que Mme [I] [K] à consommé une tartine beurre confiture et deux cocas sans les régler. Pas de signe de lésion en quittant le Relais, pause abusive, téléphone portable’,

– la feuille de quart du 16 février 2020 dans laquelle Mme [I] a indiqué le montant des remises en caisse,

– le rapport des ventes par heures pour la date du 16 février 2020.

Au vu de ces pièces, il y a lieu de constater que les relevés des opérations de caisses et des ventes effectuées par la salariée ne démontrent pas le non règlement de ses propres consommations et le non respect des procédures de caisse, la salariée produisant quant à elle le ticket de caisse établi à 14h37 de ses consommations constituées ce jour là, selon ce ticket, d’un croissant, d’un pain au chocolat et d’un coca cherry, lesquels figurent bien sur le rapport des ventes.

Le contenu des consommations prétendument non réglées, l’utilisation de son téléphone pendant les heure de travail et l’absence de lésion sur le lieu du travail ne sauraient se déduire des seules indications figurant, de façon laconique, sur l’attestation précitée, établie par une collègue de travail plus de six mois après les faits, et, de ce fait, dépourvue à double titre de valeur probante.

Il résulte de l’ensemble de ces pièces que les griefs reprochés à Mme [I] ne sont pas suffisamment démontrés, aucune pièce ne justifiant de la réalité de ces fautes.

Dans ces circonstances, il y a lieu de confirmer le jugement qui a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse

L’employeur expose que la salariée a bénéficié d’un congé parental du 23 janvier 2015 au 25 janvier 2017, que son ancienneté n’est pas de sept années et huit mois mais ‘doit donc être amputée d’une année = six ans, sept mois et dix jours’ (sic), que dès lors le montant des dommages-intérêts doit se situer entre trois et sept mois de salaire, et non pas à huit mois tels que retenu par le conseil de prud’hommes, qu’aucune faute n’est démontrée de même qu’aucun préjudice distinct de la rupture n’est allégué ni même établi.

La salariée ne réplique pas sur la question de l’ancienneté et demande la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.

***

Il ressort des pièces produites, non critiquées par la salariée, que celle-ci a bénéficié d’un congé parental du 25 janvier 2016 au 25 janvier 2017, de sorte qu’il convient, par voie d’infirmation, de retenir une ancienneté de six ans et sept mois.

En application des dispositions de l’article L. 1235-3, dans sa rédaction applicable au litige, issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté de la salariée, Mme [I] ayant acquis une ancienneté de six années complètes au moment de la rupture dans la société employant habituellement au moins onze salariés, le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est compris entre 3 mois et 7 mois de salaire.

Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié (1 783,26 euros bruts), de son âge (38 ans), de son ancienneté, et de sa capacité à retrouver un nouvel emploi, il y a lieu de condamner la société Argedis à lui payer, par voie d’infirmation, la somme de 12 482,82 euros bruts à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par voie d’infirmation également, compte tenu de l’ancienneté précédemment retenue, et selon le calcul non critiqué de l’employeur, il convient de fixer l’indemnité légale de licenciement due à la salariée à la somme de 2 934,94 euros bruts.

Par ailleurs, pour solliciter des dommages-intérêts distincts, la salariée fait valoir qu’elle a été licenciée après sept ans d’ancienneté sans avoir eu le moindre blâme ou avertissement, pour des motifs infondés, dénotant une volonté de l’employeur de se débarasser à moindre coût de sa salariée, qui s’est retrouvée sans emploi et est toujours au chômage.

Toutefois, ces éléments ont déjà été indemnisés par les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui réparent précisément la perte injustifiée de l’emploi.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à payer à la salariée la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts.

Le jugement sera enfin confirmé en ce qu’il a ordonné sous astreinte à la société Argedis de remettre à Mme [I] les documents sociaux rectifiés et notamment l’attestation Pôle emploi, et de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite d’un mois de salaire.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Il y a lieu de condamner la société Argedis aux dépens de l’instance d’appel, à payer à la salariée la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de rejeter sa demande fondée sur ce texte.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il condamne la société Argedis à verser à Mme [I] la somme de 14 266,08 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et la somme de 3 414,95 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement, et la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

CONDAMNE la société Argedis à verser à Mme [I] les sommes suivantes :

– 12 482,82 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 2 934,94 euros bruts à titre d’indemnité légale de licenciement,

DEBOUTE Mme [I] de sa demande de dommages-intérêts,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la SAS Argedis à payer à Mme [I] la somme de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et déboute l’employeur de sa demande fondée sur ce texte,

CONDAMNE la SAS Argedis aux dépens de l’instance d’appel.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Mme Aurélie Prache, Président et par Mme Marine Mouret, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 


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