Vidéogrammes / DVD : 26 octobre 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 22/02328

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Vidéogrammes / DVD : 26 octobre 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 22/02328

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/02328 – N° Portalis DBVH-V-B7G-IP3W

AV

TRIBUNAL DE COMMERCE D’AVIGNON

08 novembre 2021

RG:2021/8621

S.A. NOUVELLE LIBRAIRIE CHARLEMAGNE

C/

S.A.S. LACOSTE

Grosses envoyées le 26 octobre 2022 à :

– Me PERICCHI

– Me PUECH

+MP

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale

ARRÊT DU 26 OCTOBRE 2022

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Tribunal de Commerce d’AVIGNON en date du 08 Novembre 2021, N°2021/8621

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,

Madame Claire OUGIER, Conseillère,

Madame Agnès VAREILLES, Conseillère.

GREFFIER :

Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l’affaire a été régulièrement communiqué et qui a conclu le 15 septembre 2022. Absent à l’audience.

DÉBATS :

A l’audience publique du 06 Octobre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 26 Octobre 2022.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

APPELANTE :

S.A. NOUVELLE LIBRAIRIE CHARLEMAGNE, Société Anonyme au capital social de 105.270,50 Euros, immatriculée au RCS de TOULON sous le n° 659 501 837, dont le siège social est sis [Adresse 3], prise en son Président en exercice, Monsieur [N] [C], domicilié en cette qualité en son établissement secondaire sis,

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Gérard DELBOSC de la SCP DELBOSC CLAVET BLANC CURZU-SFEG AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de TOULON

INTIMÉE :

S.A.S. LACOSTE, société par actions simplifiée au capital social de 187.900 €, immatriculée au registre du commerce et des sociétés d’Avignon sous le numéro 444 553 465, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités audit siège,

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Vincent PUECH de la SCP GASSER-PUECH-BARTHOUIL-BAUMHAUER, Postulant, avocat au barreau d’AVIGNON

Représentée par Me CROZ Augustin, substituant Me Marie DUVERNE-HANACHOWICZ de la SELARL MDH AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de LYON

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 26 Octobre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Vu l’appel interjeté le 24 novembre 2021 par la société par actions simplifiée Lacoste à l’encontre de l’ordonnance rendue le 8 novembre 2021 par le tribunal de commerce d’Avignon, dans l’instance n°2021/8681,

Vu l’arrêt rendu le 16 mars 2022 par la cour d’appel de Nîmes qui a notamment ordonné la rétractation de l’ordonnance rendue le 8 novembre 2021 par le tribunal de commerce d’Avignon,

Vu l’assignation en référé-rétractation délivrée le 30 juin 2022 par la société anonyme Nouvelle Librairie Charlemagne à la société Lacoste,

Vu les conclusions écrites du Ministère Public en date du 15 septembre 2022,

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 29 septembre 2022 par la société défenderesse à la rétractation et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 20 septembre 2022 par la société demanderesse à la rétractation, et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu l’audience de plaidoiries du 6 octobre 2022,

La société Lacoste a pour activité la vente de papeterie, fournitures scolaires, fournitures et matériel de bureau, à destination d’entreprises, de collectivités, des écoles et autres professionnels de l’éducation lesquelles sont vendues sous les marques « Majuscule », « Burolike » et « Ioburo ».

Cette société a adhéré dès sa création à une coopérative de commerçants-détaillants dénommée Alkor (la coopérative), qui a pour objet l’organisation de la distribution de produits de papeterie, de fournitures scolaires, de bureau et d’articles de papeterie sous les marques précitées.

Cette coopérative permet à ses adhérents une mise en commun des moyens et leur offre un certain nombre de services ; en contrepartie, ces derniers doivent se conformer aux règles de gestion territoriale définies entre les membres et aux exclusivités attribuées dans le cadre de ce groupement.

Dans ce contexte, le 25 novembre 2010, la société Lacoste a régularisé avec la coopérative un contrat de distribution des produits de la marque « Majuscule » et d’utilisation de cette marque lui permettant de bénéficier d’une exclusivité territoriale sur certains départements français.

D’autres sociétés concurrentes dont la société anonyme Nouvelle Librairie Charlemagne distribuent également des produits de marque « Majuscule » au sein de la même coopérative.

En décembre 2018, la société actionnaire majoritaire de la société Lacoste a acquis les titres composant le capital social d’une autre société adhérente à un groupement concurrent de la coopérative.

La société Lacoste a contesté la décision prise par les adhérents de son exclusion de la coopérative.

Le 12 mars 2019, un protocole d’accord a été conclu organisant le départ de la société Lacoste de la coopérative, à compter du 1er février 2019, avec maintien de l’exclusivité territoriale sur l’activité scolaire jusqu’au 31 décembre 2019.

A la suite de la signature de ce protocole et à compter du mois de juillet 2019, la société concernée a eu à déplorer le départ de plusieurs commerciaux.

Par requête du 16 janvier 2020, et sur la base de soupçons concernant le débauchage de ses anciens salariés, pourtant soumis à des clauses de non concurrence, par des sociétés concurrentes membres de la coopérative et donc d’actes constitutifs de détournement de clientèle sur des territoires dans lesquels elle bénéficiait d’une exclusivité, la société Lacoste a sollicité le tribunal de commerce d’Avignon la désignation d’huissiers de justice afin que ceux-ci puissent procéder à des constats et saisies au siège des sociétés.

Par ordonnance du 12 février 2020, le président du tribunal de commerce d’Avignon a rejeté les demandes de la société requérante aux motifs qu’elle n’établissait pas l’existence d’un motif légitime justifiant la mesure d’instruction sollicitée.

Suite à l’appel interjeté par la société requérante et par arrêt du 24 novembre 2020, la cour d’appel de Nîmes a rejeté la demande de rétraction de cette ordonnance, considérant que si la société requérante justifie d’un motif légitime, néanmoins les chefs de mission de la mesure d’instruction sollicitée n’étaient pas précisément « circonscrits dans le temps ou par filière… ».

Par requête du 11 octobre 2021, la société Lacoste a de nouveau sollicité le tribunal de commerce d’Avignon aux fins de désignation d’huissiers, accompagnés de techniciens spécialisés en informatique, afin de procéder à des constats et saisies au siège social des sociétés concurrentes dont la société Nouvelle Librairie Charlemagne, ainsi qu’au sein de son établissement secondaire où elle exerce une partie de son activité.

Par ordonnance du 8 novembre 2021, le tribunal de commerce d’Avignon a débouté la requérante aux motifs que l’existence d’un motif légitime n’était pas établie.

Le 22 novembre 2021, la requérante a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 16 mars 2022, la cour d’appel de Nîmes a notamment :

-Ordonné la rétractation de l’ordonnance rendue le 8 novembre 2021 par le président du tribunal de commerce d’Avignon

-Commis la Sas Denjean-Pierret Vernage et associés, huissiers de justice à Toulon, [Adresse 2], ou en cas d’empêchement tout huissier territorialement compétent dans le ressort territorial de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans lequel est situé le siège social de la société Nouvelle Librairie Charlemagne

-Autorisé l’huissier de justice, assisté d’un ou plusieurs experts informatiques de son choix, et au besoin de serruriers et/ou de la force publique, à se rendre : dans un premier temps, dans l’établissement secondaire de la société Charlemagne, situé sur [Adresse 6] à [Localité 7] ; puis, dans la foulée, au siège de la société sis [Adresse 3]) ;

-Dit qu’il devrait être laissé à l’huissier de justice et à l’expert libre accès à tout local, bureau, armoire, tiroir, etc., affecté à l’usage de la société et pouvant renfermer les documents, fichiers ou listings ;

-Dit qu’il devrait être laissé à l’huissier de justice et à l’expert, libre accès à l’ensemble des postes informatiques situés au sein du siège de la société, ainsi que dans son établissement secondaire, et affectés à son activité y compris, le cas échéant, les archives et sauvegardes auprès de l’hébergeur de la société, et à tous autres supports de stockages informatiques externes et internes (incluant notamment, sans que les exemples qui suivent aient un caractère exhaustif, disque dur externe, CD, DVD, clés USB) aux fins d’y rechercher les éléments nécessaires au bon accomplissement de la mission ;

-Autorisé l’huissier de justice, assisté de l’expert, à se faire communiquer par la partie défenderesse les codes d’accès, notamment informatiques, nécessaires au bon accomplissement de la mission ;

-Autorisé l’huissier de justice, assisté de l’expert à :

Prendre une copie du registre d’entrée et sortie du personnel de ladite société permettant de fixer la liste des salariés de ces sociétés et, plus particulièrement, de vérifier si Madame [V] [Z], Monsieur [O] [E] [I], Monsieur [T] [J] et Monsieur [T] [M] ‘ ou tout autre ancien salarié de la société appelante figurant dans la pièce n°57 font désormais partie / ou ont fait partie des effectifs de cette société sur la période considérée. A cela s’ajoutera la copie des contrats de travail et avenants des anciens salariés de la société appelante, ainsi que tout document, fichier et correspondance relatifs à leur embauche

Mener les recherches sur tous supports, et notamment papier ou stockage informatique, internes ou externes (incluant notamment, sans que les exemples qui suivent aient un caractère exhaustif, disque dur externe, CD, DVD, clés USB, téléphone portable), y compris les serveurs distants de tous documents, pièces, fichiers, courriels professionnels contenant pour la période du 20 novembre 2018 au 31 décembre 2020 : un ou plusieurs noms et/ou adresses mail et/ou numéros de téléphone d’anciens salariés de la société appelante tels que listés en pièce n°57, et un ou plusieurs noms et/ou adresses mail et/ou numéros de téléphone de clients ou prospect de la Requérante tels que listés en pièce n°58, et/ou l’un des mots clés suivants : « LACOSTE » « DACTYL BURO OFFICE » « LAURENT BERTRAND » « GARANTIE DE SALAIRE » « ODP » « BCE »

Prendre connaissance et, le cas échéant, prendre une copie, sur tout support, du fichier clients de la société Nouvelle Librairie Charlemagne et le comparer avec le fichier clients de la société appelante, tel que présenté en pièce n°58 ; Identifier et dresser une liste des clients de la société appelante qui sont désormais clients de la société Nouvelle Librairie Charlemagne, en précisant depuis quelle date

Collecter une copie des documents comptables et financiers établissant le chiffre d’affaires généré par les anciens salariés de la société appelante, à savoir plus particulièrement Madame [V] [Z], Monsieur [O] [E] [I], Monsieur [T] [J] et Monsieur [T] [M] ‘ ou tout autre ancien salarié de la société lacoste figurant dans la pièce n°57 ‘, depuis leur arrivée chez Nouvelle Librairie Charlemagne, et permettant d’identifier les clients pour lesquels ils sont intervenus, depuis leur arrivée dans cette société

Prendre des photos et/ou copies sur supports papier et/ou informatique, des éléments trouvés en lien avec la mission confiée, au besoin en les emportant temporairement en son étude, à charge pour lui de les restituer à la partie défenderesse sous un délai de 4 jours ouvrés ;

Si nécessaire, à procéder à l’extraction des disques durs internes des ordinateurs concernés, à leur examen à l’aide des outils d’investigation de son choix, puis à la remise en place desdits disques durs, après en avoir pris copie, aux fins de procéder aux dites copies, autoriser l’expert à restaurer les fichiers, dossiers et courriers électroniques effacés,

En cas de difficulté dans la sélection et le tri des éléments recherchés, notamment au regard de leur volume, ou en cas de difficultés rencontrées dans l’accès aux différents supports informatiques de la société,

à procéder à une copie complète, en deux exemplaires des fichiers, des disques durs et autres supports de données qui lui paraîtront nécessaires, en rapport avec la mission confiée, dont une copie placée sous séquestre, entre les mains de l’huissier de justice commis, servira de référentiel et ne sera pas transmise aux requérantes, et, l’autre copie servira au mandataire à procéder, de manière différée, avec l’aide du technicien désigné ou choisi, à l’ensemble des recherches et analyses visées ci-dessus ;

En tout état de cause :

-Dit qu’en cas d’analyse différée, les techniciens devront établir une note technique, à l’attention exclusivement des huissiers de justice, établissant la traçabilité des opérations et contenant la copie de toutes les pièces résultant du tri, puis détruire la deuxième copie des fichiers, des disques durs et autres supports de données ainsi que l’intégralité de ses fichiers de travail après réalisation de sa mission ;

-Dit que les huissiers de justice dresseront l’inventaire des pièces obtenues, en ce compris celles résultant du tri auquel ils auront procédé, avec les experts, en cas d’analyse différée, et en remettront la copie à la partie auprès de laquelle ils les auront obtenues ;

-Autorisé les huissiers de justice à consigner toutes paroles ou déclarations prononcées au cours de la réalisation de leur mission, par toute personne se trouvant dans les lieux visités ;

-Dit que la pièce n°58, attachée aux présentes conclusions d’appel, sera remise aux huissiers de justice et aux experts pour l’accomplissement de leur mission uniquement ;

-Dit que les huissiers de justice désignés procéderont à la dénonciation des pièces produites à l’appui des présentes conclusions d’appel, à l’exception de la pièce n°58 qui demeurera confidentielle au titre du secret des affaires, en même temps qu’ils procéderont à la signification de l’arrêt à intervenir

-Dit que toutes les pièces obtenues seraient conservées en séquestre par les huissiers instrumentaires jusqu’à nouvelle décision statuant sur leur communication ou leur exploitation,

-Dit qu’à défaut de saisine des huissiers de justice, dans un délai de deux mois à compter de l’arrêt rendu, leur désignation sera caduque et privée d’effets

-Condamné la société requérante aux dépens.

Cet arrêt a été signifié le 26 avril 2022 à la société Nouvelle Librairie Charlemagne.

La mesure d’instruction autorisée a été exécutée les 26 avril et 2 mai 2022 et les documents, saisis dans l’établissement secondaire de cette dernière à [Localité 7] (83), placés sous séquestre.

Par exploit d’huissier du 30 juin 2022, la société Nouvelle Librairie Charlemagne a assigné la société Lacoste en référé-rétractation.

Dans ses conclusions écrites du 15 septembre 2022, le ministère public s’en est rapporté à l’appréciation de la cour.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 septembre 2022, la société Nouvelle Librairie Charlemagne demande à la cour, au visa des articles 496 et 497 du code de procédure civile,14, 15 et 16 du code de procédure civile, R. 153-1 du code de commerce, de :

Déclarant sa demande recevable et bien fondée,

-la juger recevable en son action,

-ordonner la réintégration du principe du contradictoire,

-rétracter l’arrêt rendu le 16 mars 2022 par la cour d’appel de Nîmes, à la requête de la société défenderesse,

-ordonner à la SCP d’huissiers de justice instrumentaires de restituer l’ensemble des éléments appartenant à la société demanderesse à la rétractation, actuellement en sa possession,

-ordonner à la SCP d’huissiers de justice instrumentaires de veiller à ce qu’aucune copie de ces éléments ne soit conservée par la société défenderesse,

En tout état de cause :

-débouter la société défenderesse de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

-la condamner au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-la condamner aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société demanderesse à la rétractation fait valoir :

-le juge saisi d’une requête doit rechercher, de manière concrète, si les circonstances de l’espèce justifient qu’il soit dérogé au principe de la contradiction

-que la procédure de rétractation a pour objet de soumettre à la vérification d’un débat contradictoire les mesures antérieurement ordonnées à l’initiative d’une seule des parties, en l’absence de son adversaire,

-qu’en l’espèce, les mesures d’instruction sollicitées et ordonnées ne reposent sur aucun motif légitime

-qu’en effet, les soupçons de détournement de clientèle avancés par société défenderesse ne sont pas fondés

-qu’un seul salarié de la société demanderesse à la rétractation a été identifié comme étant un ancien salarié de la société défenderesse tel qu’en atteste le registre du personnel remis à l’huissier de justice le 26 avril 2022

-que ce salarié a quitté le poste de commercial qu’il occupait au sein de la société défenderesse et a ensuite candidaté, de façon spontanée, auprès de la société demanderesse à la rétractation

-que cette dernière n’a jamais opéré un quelconque démarchage

-que ce salarié n’était lié à son ancien employeur par aucune clause de non-concurrence

-qu’il était donc parfaitement en droit de prospecter les clients qu’il connaissait déjà

-que la clientèle dispose de la liberté totale de commercer avec les autres adhérents de la coopérative et d’acheter les produits sur les secteurs rendus disponibles par le départ de la société défenderesse

-que le tribunal de commerce d’Avignon a justement soulevé, dans son ordonnance du 8 novembre 2021, le fait que la société défenderesse ne pouvait reprocher aux adhérents distribuant les produits sous la marque Majuscule, de démarcher ses clients pour vendre des produits dont elle n’avait plus la commercialisation, à compter du 1er janvier 2020

-que la société défenderesse a augmenté son chiffre d’affaires sur la période concernée

-que la coopérative se doit de conserver strictement confidentielles les données clients qui lui sont confiées par ses adhérents

-que de ce fait, aucun fichier ‘clients’ de la société défenderesse n’a été adressé par la coopérative ou par quiconque à la société demanderesse à la rétractation

-que la société demanderesse à la rétractation a toujours respecté scrupuleusement les secteurs d’exclusivité attribués par la coopérative à ses adhérents

-qu’elle n’a jamais divulgué une quelconque fausse information au sujet de la société défenderesse

-qu’aucune circonstance ne vient justifier que les mesures sollicitées par la société défenderesse n’aient pas été prises contradictoirement

-que les mesures ordonnées ont porté une atteinte disproportionnée aux droits de la société demanderesse à la rétractation, tenant au secret des affaires et des correspondances ainsi qu’à la liberté du commerce

-que le fait que l’huissier ait pris la copie de l’intégralité du fichier ‘clients’ de cette société, sous prétexte que le travail était long à réaliser, lui est préjudiciable

-que mettre ce fichier entre les mains d’un concurrent direct fragiliserait considérablement la société demanderesse à la rétractation puisque le fichier comporte 19 000 comptes incluant les coordonnées complètes des clients

-que les dispositions de l’article R. 153-1 du code de commerce, invoquées par la défenderesse, ne trouvent pas ici à s’appliquer, la société demanderesse à la rétractation ne sollicitant pas la levée du séquestre ordonné par l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 16 mars 2022.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 septembre 2022, la société Lacoste demande à la cour, au visa des articles 145 du code de procédure civile, R. 153-1 et R. 153-6 du code de commerce, de :

-écarter des débats la pièce n° 8 produit par la société demanderesse à la rétractation, au soutien de ses écritures,

-la débouter de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre reconventionnel,

-ordonner la levée du séquestre des pièces obtenues par l’huissier mandaté en exécution de l’arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 16 mars 2022

-ordonner la communication à la société défenderesse des pièces obtenues en exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 16 mars 2022

-condamner la société demanderesse à la rétractation au paiement d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens .

La société Lacoste réplique :

-que la partie qui sollicite l’autorisation de pratiquer des mesures d’instruction est seulement tenue de caractériser la potentialité d’un litige et la probabilité des manoeuvres déloyales, sans que la preuve de leur caractère certain ne puisse être exigée,

-qu’il est exclu que les pièces appréhendées, lors de l’exécution de la mesure, puissent être utilisées pour justifier ou non du motif légitime,

-que le registre du personnel de la société demanderesse à la rétractation, produit par cette dernière, qui a été remis à l’huissier de justice le 26 avril 2022 doit donc être écarté des débats,

-qu’au demeurant, aucune déduction ne peut être faite, à ce stade, du résultat des opérations de l’huissier qui n’a pu identifier qu’un seul ancien salarié de la société requérante,

-que cette société a démontré, de façon incontestable, le débauchage de quatre de ses commerciaux par la société demanderesse à la rétractation,

-que même si ces salariés n’étaient pas tenus à une clause de non-concurrence, leur embauche simultanée par un concurrent direct, après la conclusion du protocole d’accord transactionnel du 12 mars 2019, constitue un acte de concurrence déloyale,

-que la société requérante a fourni plusieurs indices objectifs démontrant le démarchage de plusieurs clients par la société demanderesse à la rétractation et le fait qu’il leur a été indiqué que la société requérante aurait été reprise ou rachetée par la société demanderesse à la rétractation ,

-qu’elle est convaincue que la société demanderesse à la rétractation avec la complicité de la coopérative et, plus particulièrement, de sa filiale Majuscule Direct, a détourné et conservé l’intégralité de son fichier client

-que la société demanderesse à la rétractation a violé l’exclusivité territoriale initialement consentie à la société requérante Lacoste jusqu’au 31 décembre 2019 et poursuivi ses agissements anti-concurrentiels par la suite

-que la perte de chiffre d’affaires de 19% de la société requérante qui en est résultée n’est pas contestable

-que le motif légitime à établir des preuves est donc parfaitement caractérisé,

-que la société demanderesse à la rétractation pourrait faire disparaître les données et échanges qui ont pu intervenir avec les salariés et les clients de la société requérante,

-que les preuves à recueillir, constituées essentiellement de fichiers numériques, sont fragiles,

-que les sociétés membres de la coopérative agissent, de manière officieuse, dans un secteur très concurrentiel,

-que ces circonstances nécessitent de passer outre une procédure contradictoire,

-que la société demanderesse à la rétractation n’a subi aucun préjudice du fait de la procédure, les documents appréhendés étant encore maintenus sous séquestre au sein de l’étude d’huissiers de justice jusqu’à la décision de la cour d’appel sur ce point

-que le secret des affaires n’est pas absolu

-que les chefs de mission des huissiers de justice ont été circonscrits aux agissements de concurrence déloyale reprochés à chacune des sociétés

-qu’ils ont été circonscrits dans le temps

-que la circonscription par filière (scolaire ou bureau) n’a pas été possible en pratique et que surtout, l’action que la société requérante envisage de diligenter n’est pas limitée à la seule violation de l’exclusivité territoriale lui ayant été consentie par le protocole d’accord du 12 mars 2019 mais est beaucoup plus large

-que l’huissier de justice ne va transmettre à la société requérante que la liste comparative entre les fichiers clients des deux sociétés et non pas le fichier clients de la société demanderesse à la rétractation, dans son intégralité

-que le fichier clients de la société demanderesse à la rétractation n’a pas été recueilli par l’huissier de justice qui n’a pu récupérer qu’une copie-écran d’une fenêtre du logiciel de gestion de ce fichier

-que les mesures sont justes et proportionnées

-que l’huissier de justice n’ a que très partiellement réalisé sa mission

-qu’aucun des éléments appréhendés ne va au-delà des chefs de missions autorisés par l’arrêt du 16 mars 2022

-qu’il n’existe donc aucune raison de s’opposer à la levée du séquestre et à la communication à la société requérante des documents appréhendés.

MOTIFS

1) Sur la demande en rétractation

Aux termes de l’article 496 alinéa 2 du code de procédure civile, s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance.

Selon ces dispositions tel qu’interprétées par la Cour de cassation (Civ., 1re, 13 juillet 2005, n°05-10.519, publié), le référé afin de rétractation ne constitue pas une voie de recours. L’instance en rétractation a pour seul objet de soumettre à l’examen d’un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l’initiative d’une partie en l’absence de son adversaire. L’objet de l’instance est donc de statuer sur les mérites de la requête. Le juge saisi d’une demande de rétractation d’une décision ayant ordonné une mesure, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, doit s’assurer de l’existence d’un motif légitime à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

Il appartient au requérant de justifier de la recevabilité et du bien-fondé de sa requête et non au demandeur à la rétractation de démontrer que ces conditions ne sont pas réunies (Civ., 2è, 21 octobre 1987, n°86-14.978, publié).

Le juge de la rétractation doit apprécier la nécessité de recourir à une procédure non contradictoire au jour où le juge des requêtes a statué.

En revanche, si les circonstances nouvelles apparues à la faveur de l’exécution de la mesure ordonnée ne sauraient justifier à posteriori la mesure prise, il résulte du principe dégagé, de manière constante, par la Cour de cassation que le juge de la rétractation doit apprécier l’existence d’un motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête initiale et de ceux produits ultérieurement devant lui (notamment Civ., 2è, 17 mars 2016, n°15-13.343).

Il n’y a donc pas lieu d’écarter des débats la pièce n°8 produite par le demandeur à la rétractation qui est la liste de son personnel de 2019 au 31 décembre 2020.

Sur le motif légitime

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

A l’appui de sa requête, la société LACOSTE a invoqué le départ de plusieurs commerciaux expérimentés qui, pour certains, ont rejoint des sociétés concurrentes, à compter du mois de juillet 2019, donc postérieurement à la signature du protocole d’accord du 12 mars 2019 fixant les modalités de son départ de la coopérative.

Monsieur [X] [D], qui était attaché commercial de la société requérante jusqu’au 6 septembre 2019, a mentionné sur son profil Linkedin, sa qualité d’employé en tant que commercial au sein de la société Charlemagne Professionnel, ce qui est confirmé par la liste du personnel communiquée par cette dernière.

Aucun autre nom de salariés démissionnaires de la société requérante n’est pas référencé sur cette liste de personnel, recueillie le 26 avril 2022 par l’huissier de justice instrumentaire.

Toutefois, il résulte des captures d’écran versées au débat par la requérante que Madame [V] [Z], démissionnaire au 1er juillet 2019, Monsieur [O] [E] [I], également démissionnaire au 1er juillet 2019, et Monsieur [T] [M], démissionnaire au 20 juillet 2020, ont indiqué, sur leur profil Linkedin ou leur curriculum vitae, être, pour la première, commerciale, pour le deuxième, responsable commercial sud-ouest, et pour le troisième, attaché commercial au sein de la société Charlemagne Professionnel. Il existe donc des raisons sérieuses de penser que ces commerciaux ont pu apporter à la société concurrente, immédiatement après avoir quitté la société requérante, outre leur savoir faire et leur expérience, leur connaissance de la clientèle de cette dernière, le cas échéant, par le biais de contrats d’agents commerciaux non salariés.

Le débauchage de salariés par une entreprise en vue de désorganiser l’activité de son concurrent ou de détourner sa clientèle est susceptible de révéler l’existence de manoeuvres caractérisant la concurrence déloyale quand bien même les dits salariés n’auraient pas été liés par une clause de non concurrence à leur employeur d’origine.

Il importe donc peu que les trois salariés, annonçant sur internet travailler désormais pour le compte de la société Charlemagne Professionnel, ne soient pas tenus de respecter un clause de non concurrence.

La société requérante a également communiqué des messages électroniques des 4 et 10 octobre 2019 de l’un de ses chefs de vente et de l’un de ses clients qui relatent des déclarations mensongères des commerciaux de la société concurrente, en vue de faire croire à la clientèle que les deux sociétés feraient désormais partie du même groupe.

De plus, il existe des liens très étroits entre la coopérative et la société demanderesse à la rétractation qui avaient jusqu’à une période récente le même dirigeant. Or, il est vraisemblable que la coopérative, par le biais de sa filiale qui gérait la plate forme de commandes en ligne, ait pu avoir accès au fichier client de la société se plaignant de concurrence déloyale.

Par ailleurs, si le chiffre d’affaires de cette dernière société a augmenté entre 2019 et 2020, il résulte du tableau qu’elle produit que cette hausse est consécutive à l’absorption d’une autre société avec un effet rétroactif au 1er janvier 2020 et qu’en réalité, les ventes réalisées par les seuls commerciaux de la société requérante sont en recul de l’ordre de 19% au cours du dernier exercice.

Les indices de détournement possible de clientèle, fournis lors de la présentation de la requête, n’ont donc pas disparu; ils sont suffisamment sérieux pour caractériser la potentialité d’une action au fond en concurrence déloyale, non manifestement vouée à l’échec.

Le motif légitime de recourir à une mesure d’instruction, qui a été retenu par l’arrêt du 16 mars 2022 ayant statué sur les mérites de la requête, est toujours actuel et certain.

Sur la dérogation au principe du contradictoire

La cour ne peut que reprendre les motifs de sa décision du 16 mars 2022 auxquels la société demanderesse à la rétractation n’apporte pas de critique sérieuse.

Il est, en effet, établi que, de par leur nature même, les supports concernés par la mesure d’instruction présentent une volatilité certaine, étant pour l’essentiel des courriels et fichiers informations qui peuvent être facilement détruits et qu’il est indispensable que l’effet de surprise soit ménagé afin d’éviter toute suppression des éléments de preuve qui compromettrait le succès de l’opération.

La société requérante justifie ainsi qu’il était nécessaire, au jour où la cour a statué et ordonné la mesure d’instruction, de recourir à une procédure non contradictoire.

Sur la légalité de la mesure

La Cour de cassation a rappelé récemment (Civ., 2è, 24 mars 2022, n°20-21.925) que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi; qu’il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l’exercice du droit de la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

En l’occurrence, la mesure d’investigation ordonnée n’a pas une portée générale mais a été circonscrite dans le temps, à la seule période du 20 novembre 2018 au 31 décembre 2020 au cours de laquelle les agissements frauduleux sont susceptibles d’avoir été commis, à la suite du rachat par l’actionnaire majoritaire de la société requérante d’une société adhérente à un groupement concurrent de la coopérative. Les constats et saisies ont été également circonscrits dans leur objet, l’utilisation de mots clés permettant de limiter la recherche et la collecte aux seuls documents en lien avec les faits allégués de concurrence déloyale.

La mesure d’investigation ordonnée n’a donc pas permis à la société requérante d’avoir accès à des informations générales se rapportant à l’intégralité de l’activité de production et de distribution de la société demanderesse à la rétractation.

S’agissant du fichier clients, il a été donné mission à l’huissier de justice de dresser une liste des clients de la requérante qui sont désormais clients de sa concurrente, en précisant depuis quelle date. Il s’en suit que la requérante n’a pas été autorisée à se faire communiquer l’intégralité du fichier clients de sa concurrente mais seulement les noms et coordonnées des clients qui sont communs aux deux sociétés et qui sont donc susceptibles d’avoir été détournés, à la suite des agissements frauduleux dénoncés.

La mesure d’investigation autorisée, qui ne tend pas à porter à la connaissance de la requérante le fichier clients de sa concurrente, ne porte donc pas une atteinte disproportionnée aux droits de la demanderesse à la rétractation.

En tout état de cause, le juge saisi d’une demande de rétractation n’a pas le pouvoir de statuer sur les litiges portant sur les modalités d’exécution de la mesure d’instruction. La cour ne saurait donc rétracter sa décision aux motifs que l’huissier de justice aurait prétendument excédé sa mission en copiant et en emportant à son étude l’intégralité du fichier clients de la demanderesse à la rétractation aux fins de procéder à son analyse et à sa comparaison avec le fichier clients de la requérante.

La société requérante a justifié de la recevabilité et du bien-fondé de sa requête en mesure d’instruction qui est légalement admissible et ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits de la partie adverse ; cette dernière sera déboutée de sa demande en rétractation de l’arrêt du 16 mars 2022 et de sa demande subséquente en restitution des éléments saisis.

2) Sur la demande de levée du séquestre

L’article R. 153-1 du code de commerce prévoit que si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance, en application de l’article 497 du code de procédure civile, dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire est levée et les pièces sont transmises au requérant.

Le juge saisi en référé d’une demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10.

Il s’agit, dans ce cas, pour le juge qui fait droit à une demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance prescrivant une mesure d’instruction de tirer les conséquences de la perte de fondement de cette mesure en ordonnant la mainlevée du séquestre.

Tel n’est pas le cas en l’espèce.

L’instance en rétractation ayant pour seul objet de soumettre à un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l’initiative d’une partie, en l’absence de son adversaire, la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet (Civ., 2è, 27 septembre 2018, n°17-20.127, publié).

La société défenderesse à la rétractation sera, par conséquent, déclarée irrecevable en sa demande reconventionnelle tendant à voir ordonner la levée du séquestre des pièces obtenues par l’huissier de justice qu’elle a mandaté et, par conséquent, la communication des dites pièces.

3) Sur les frais du procès

La société demanderesse à la rétractation qui succombe sera condamnée aux dépens.

L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur de la société défenderesse et de lui allouer une indemnité de 3 000 euros, à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Déboute la société anonyme Nouvelle Librairie Charlemagne de sa demande de rétractation de l’arrêt du 16 mars 2022 et de sa demande subséquente en restitution des éléments saisis

Déclare la société par actions simplifiée Lacoste irrecevable en sa demande reconventionnelle tendant à voir ordonner la levée du séquestre des pièces obtenues par l’huissier de justice et, par conséquent, la communication des dites pièces

Condamne la société anonyme Nouvelle Librairie Charlemagne aux entiers dépens

Condamne la société anonyme Nouvelle Librairie Charlemagne à payer à la société par actions simplifiée Lacoste une indemnité de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Arrêt signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre et par M. Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE

 


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