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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 12 (anciennement pôle 2 – chambre 4)
ARRET DU 24 FEVRIER 2022
(n° , 4 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/17198 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCW4N
Décision déférée à la Cour : Décision du 05 Novembre 2020 -Commission d’indemnisation des victimes de dommages résultant d’une infraction de [Localité 10] – RG n° 20/00090
APPELANTE
Madame [F] [E]
Demeurant [Adresse 3]
[Adresse 7], Royaume-Uni
née le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 6] (Albanie)
représentée par Me Christelle COSLIN du cabinet HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, avocat au barreau de PARIS, toque J 033,
Avocat plaidant Me Gauthier VANNIEUWENHUYSE, avocat au barreau de PARIS
INTIME
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D’AUTRES INFRACTIONS
[Adresse 2]
[Localité 4]
N° SIRET : 377 78 9 0 60
représenté par Me Laure FLORENT de l’AARPI FLORENT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0549
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Janvier 2022, en chambre du conseil, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Catherine COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente chargée du rapport et Mme Sylvie LEROY, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente
Mme Sylvie LEROY, Conseillère
Mme Sophie BARDIAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Eva ROSE-HANO
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Catherine COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente et par Eva ROSE-HANO, Greffière présente lors du prononcé.
Mme [F] [E] a saisi la commission d’indemnisation des victimes d’infraction de [Localité 10] d’une demande d’indemnisation du préjudice résultant de la traite des êtres humains dont elle soutient avoir été victime en France entre novembre 2016 et fin janvier 2017.
Par jugement en date du 5 novembre 2020, la CIVI a rejeté la demande et a laissé les dépens à la charge du Trésor Public. Pour statuer ainsi, la CIVI a retenu que Mme [F] [E] avait été indemnisée pour ces faits, en Angleterre, par la Criminal Injuries Compensation Authority.
Mme [F] [E] a relevé appel de cette décision.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 12 novembre 2021, elle demande à la cour :
– d’infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
– de constater qu’elle a subi un préjudice distinct sur le territoire français consécutif aux actes de traite des êtres humains dont elle a été la victime entre novembre 2016 et fin janvier 2017,
– de constater qu’elle n’a perçu aucune indemnisation en réparation de ce préjudice,
– en conséquence de dire qu’elle est fondée à percevoir de la part de la CIVI une indemnisation d’un montant de 80.000 € à raison de l’infraction de la traite des êtres humains dont elle a été victime, sur le territoire français, entre le début du mois de novembre 2016 et la fin du mois de janvier 2017.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 21 juin 2021, le Fonds de Garantie des victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions, le FGTI, sollicite de la cour :
– qu’elle juge l’appel de Mme [F] [E] mal fondé,
– qu’elle l’en déboute,
– qu’elle juge que la matérialité d’une infraction pénale dont Mme [F] [E] aurait été victime sur le territoire français n’est pas établie,
– qu’elle juge que Mme [F] [E] a déjà bénéficié d’une indemnisation de 16.500 livres sterling dans le cadre de la procédure diligentée en Grande-Bretagne auprès de la Criminal Injuries Compensation Authority (CICA),
– qu’elle confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,
– qu’elle déboute Mme [F] [E] de toutes ses demandes fins et conclusions,
– qu’elle laisse les dépens de première instance et d’appel à la charge de l’État et fasse application de l’article 699 du code de procédure civile au bénéfice de Maître Laure Florent.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 décembre 2021.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :
L’article 706-3 du code de procédure pénale dispose que :
Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes :
1° Ces atteintes n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 ni de l’article L 126-1 du code des assurances ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation et n’ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux susceptibles d’occasionner des dégâts ;
2° Ces faits :
– soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ;
– soit sont prévus et réprimés par les articles les articles 222-22 à 222-30, 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-5, 225-5 à 225-10, 225-14-1 et 225-14-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal ;
3° La personne lésée est de nationalité française ou les faits ont été commis sur le territoire national.
Il s’ensuit que pour ouvrir droit à indemnisation sur le fondement de ce texte, la requérante qui est de nationalité albanaise, doit nécessairement avoir été victime, en France, de faits constituant l’élément matériel d’une infraction pénalement répréhensible.
Mme [F] [E] expose qu’elle a fui l’Albanie avec son mari et leurs deux enfants en raison des menaces dont ils faisaient l’objet, son mari ayant refusé de témoigner auprès de la justice albanaise en vue de disculper une organisation criminelle dans une affaire d’assassinat. Ils sont arrivés en France, via Francfort, en 2013. Ils ont été hébergés dans un centre d’asile à [Localité 8] mais leur demande d’asile a été rejetée en juin 2014. Ils ont trouvé un logement près de [Localité 8] qu’ils ont occupé pendant plus de 2 ans, en échange de travaux manuels et de tâches ménagères. En mai 2016, son mari a fait l’objet d’une mesure d’expulsion et a été reconduit en Albanie. Elle a dû quitter [Localité 8] et s’est installée à [Localité 5].
Elle soutient :
– que début novembre 2016, un compatriote prénommé [N] et une femme se prétendant sa soeur, prénommée [R], lui ont proposé un emploi de serveuse à [Localité 9], une aide au déménagement et un hébergement provisoire,
– qu’ayant accepté la proposition, elle a quitté [Localité 5] début novembre 2016 avec ses deux enfants, dans un camion conduit par [N],
– qu’ils ont roulé deux heures sans qu’elle puisse identifier les noms de villes ou villages en raison de l’obscurité, en direction d’une région montagneuse et isolée qu’elle affirme être celle des Vosges,
– que sous prétexte de rendre visite à des amis, [N] s’est arrêté devant une maison entourée d’arbres,
– qu’à l’intérieur, un homme nommé [K] lui a pris son portable et ses papiers,
– que ses enfants ont été emmenés à l’étage et qu’elle même a été violée et battue par [K] et [N] sous la menace d’une arme,
– qu’elle a été ensuite contrainte de se prostituer tous les jours, l’après midi et le soir, à raison de 5 ou 6 clients par jour,
– que les clients parlaient le français, que les chaînes de télévision et DVD regardés par ses enfants étaient en langue française tout comme les emballages de nourriture et de produits d’hygiène,
– qu’à la fin du mois de janvier 2017, elle a été transférée avec ses enfants, sous la menace d’une arme, dans un camion au Royaume-Uni,
– qu’elle a été à nouveau contrainte de se prostituer dans ce pays, mais qu’au bout de 3 semaines, le 20 février 2017, elle a réussi à s’échapper avec ses enfants, à prendre contact avec la police et à porter plainte,
– que le 26 mars 2019, le Home Office a reconnu qu’elle avait été victime du trafic d’êtres humains,
– que le 27 février 2020, l’autorité compétente pour indemniser les victimes d’infractions pénales, la Criminal Injuries Compensation Authority, lui a alloué une indemnisation de 16.500 £ au titre des agressions sexuelles subies pendant 3 semaines sur le territoire britannique.
Elle considère que le caractère matériel de l’infraction ne fait aucun doute.
Cependant, le FGTI fait valoir à juste titre que la matérialité de faits présentant le caractère matériel d’une infraction commise à son préjudice sur le territoire français n’est pas démontrée.
En effet, les seules déclarations de Mme [F] [E] (pièce n° 2 ) sont insuffisantes à établir qu’elle a été victime sur le territoire français de l’infraction de traite des êtres humains. La cour relève en ce qui concerne l’infraction que Mme [F] [E] n’ayant pas porté plainte, aucune enquête n’a pu être réalisée qui aurait pu étayer ses affirmations, qu’il n’est communiqué aucun document médical contributif, que si l’appelante affirme aujourd’hui que l’enfant qui est né au Royaume-Uni le 30 septembre 2017, a été conçu en France, elle a indiqué dans sa demande d’indemnisation adressée à la CICA (pièce 8) : ‘La date d’accouchement de ma grossesse était le 8 octobre 2017, ce qui suggère que je suis tombée enceinte à la suite d’une agression sexuelle au Royaume-Uni.’
En ce qui concerne l’endroit où aurait été commise l’infraction, il doit être observé que si la ville de [Localité 5] ne se trouve pas très loin des Vosges, elle n’est pas non plus éloignée de la Suisse, pays dans lequel le français est parlé.
Au regard de ces observations et en l’absence de production d’un élément de preuve quel qu’il soit, Mme [F] [E] qui ne procède que par affirmation, ne démontre pas, ne serait-ce que par un faisceau d’indices, qu’elle a été victime en France d’une infraction pénalement répréhensible.
Le jugement qui a rejeté la demande est confirmé, sauf à préciser qu’elle est rejetée car irrecevable.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement rendu le 5 novembre 2020 par la commission d’indemnisation des victimes d’infraction du tribunal judiciaire de Paris,
Y ajoutant,
Dit la demande de Mme [F] [E] irrecevable,
Laisse les dépens d’appel à la charge de l’État,
Accorde à Maître Laure Florent le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE