Vente en ligne d’objets nazi : une activité à risque
Vente en ligne d’objets nazi : une activité à risque
Ce point juridique est utile ?
conseil juridique IP World

Vendre en ligne des objets nazi ne constitue pas l’infraction pénale d’exhibition publique d’objets de crimes contre l’humanité au sens de l’article R. 645-1 du code pénal. Toutefois, lesdites ventes peuvent être qualifiées d’apologie de crimes contre l’humanité.

La notion d’exhibition publique

L’exhibition publique suppose de produire de façon ostentatoire à la vue d’autrui l’un des objets énumérés par l’article R. 645-1 du code pénal, reproduisant, par cette action, les agissements des membres des organisations responsables de crimes contre l’humanité.

Selon une première interprétation, ces termes désignent exclusivement le fait de produire physiquement, à la vue d’autrui, de façon ostentatoire, un des objets précités.

Une seconde interprétation conduit à inclure aussi dans le champ de la répression la présentation ou la diffusion au public d’images ou de représentations desdits objets, sans distinguer selon le moyen utilisé.

En premier lieu, les objets visés par ce texte n’ont été envisagés que dans leur matérialité, la norme ne mentionnant pas l’exhibition d’une image en tant que telle, au contraire d’autres textes du code pénal, notamment les articles 222-33-3, 226-2-1 et 227-23, qui incriminent spécifiquement la fixation ou l’enregistrement d’images ainsi que leur diffusion.

En second lieu, s’agissant d’une norme d’incrimination édictée par le pouvoir réglementaire, il est possible de se référer à la circulaire prise pour son application par le ministre de la justice.

Il résulte de celle-ci que le pouvoir réglementaire a souhaité incriminer « non seulement celui qui porte en public un uniforme ou arbore un insigne nazi mais aussi celui qui, par exemple, accroche à la façade d’un bâtiment un emblème nazi » (CRIM 88-06 F1/25-03-88).

Il en résulte que l’exhibition en public, au sens de l’article R. 645-1 du code pénal, suppose de produire de façon ostentatoire à la vue d’autrui l’un des objets énumérés par ce texte, reproduisant, par cette action, les agissements des membres des organisations responsables de crimes contre l’humanité.

Dès lors, le fait de fixer et de diffuser l’image de ces seuls objets, par quelque moyen de communication que ce soit, ne caractérise pas la contravention susvisée.

Infraction d’apologie de crimes contre l’humanité

Pour autant, la diffusion sur un moyen de communication au public par voie électronique des objets visés à l’article R. 645-1, fût-ce en vue de leur commercialisation, qui n’est pas en elle-même incriminée, est susceptible de caractériser, dans certains cas, l’infraction d’apologie de crimes contre l’humanité, prévue à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881.

En l’espèce, pour déclarer M. [U] coupable d’exhibition en public d’insignes nazis, l’arrêt attaqué énonce notamment que ce dernier a proposé à la vente aux particuliers, sur son site internet, des objets avant appartenu au IIIème Reich, lesquels faisaient partie d’une rubrique afférente à la Seconde Guerre mondiale et présentaient ces insignes, tels qu’une croix gammée ou un aigle surmontant une croix gammée, chaque objet mis en vente, photographié, étant accompagné d’une notice descriptive détaillée.

Les juges ajoutent que le prévenu, collectionneur aguerri, n’ignore pas que la vente en ligne, qui a pour seul but de faciliter la transaction en multipliant les connexions d’internautes, constitue en réalité une exhibition de ces insignes nazis, au sens étymologique du terme, autrement dit, une exposition à la vue de tous, préalable nécessaire à toute vente, fût-elle dématérialisée par le biais d’internet. Le fait que ce dernier ait flouté les emblèmes litigieux, sur les photographies des objets présentés, démontrait qu’il avait pleinement conscience du caractère infractionnel de ses agissements.

Ils en déduisent que proposer à la vente en ligne de tels objets, ainsi accessibles à tout internaute, constitue, de la même façon que leur exposition dans la vitrine d’un magasin ou lors d’une vente aux enchères, une exhibition au sens des dispositions légales applicables, une telle diffusion s’analysant comme la publicité préalable nécessaire à la vente, peu important que l’internaute n’ait pas été démarché par le propriétaire du site.

En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu l’article R. 645-1 du code pénal et les principes ci-dessus rappelés.

Le contexte législatif

Selon les articles 111-4 et R. 645-1 du code pénal, la loi pénale est d’interprétation stricte. Ce principe prohibe que le juge applique, par voie d’analogie ou par induction, la loi pénale à un comportement qu’elle ne vise pas mais qui présente des similitudes avec celui qu’elle décrit (Crim., 1er juin 1977, pourvoi n° 76-91.999, Bull. crim. 1977, n° 198).

En revanche, il ne fait pas interdiction, lorsqu’il existe une incertitude sur la portée d’un texte pénal, que le juge s’attache à la rechercher en considérant les raisons qui ont présidé à son adoption.

Par ailleurs, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait, sauf pour les besoins d’un film, d’un spectacle ou d’une exposition comportant une évocation historique, de porter ou d’exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant les uniformes, les insignes ou les emblèmes qui ont été portés ou exhibés soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, soit par une personne reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité prévus par les articles 211-1 à 212-3 du code pénal ou mentionnés par la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964.


N° G 22-85.540 FS-B

N° 00769


RB5
5 SEPTEMBRE 2023


CASSATION SANS RENVOI


M. BONNAL président,






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 SEPTEMBRE 2023



M. [J] [U] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 13 juillet 2022, qui, pour exhibition en public d’uniformes, insignes ou emblèmes rappelant ceux d’organisations ou de personnes responsables de crimes contre l’humanité, l’a condamné à 1 500 euros d’amende avec sursis, une confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de Me Bardoul, avocat de M. [J] [U], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 23 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Maziau, Seys, Dary, Mmes Thomas, Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, MM. Violeau, Michon, conseillers référendaires, M. Aubert, avocat général référendaire, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Exposé du litige

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Une enquête préliminaire, ouverte à la suite d’un signalement du [1], a établi que M. [J] [U] gérait un site internet consacré à la vente en ligne d’articles militaires historiques, proposant une centaine d’objets comportant un emblème nazi, seule une partie des images de ces objets ayant été floutée.

3. M. [U] a été relaxé du chef de la contravention susvisée par jugement du 14 septembre 2021.

4. Le ministère public, puis la partie civile, ont relevé appel de cette décision.

Moyens

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. [U] coupable des faits reprochés, l’a condamné à la peine de 1 500 euros d’amende intégralement assortie du sursis, a ordonné la confiscation des scellés, et l’a condamné à payer au [1] la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, alors :

« 1°/ que la loi pénale est d’interprétation stricte ; que le seul fait de commercialiser des objets militaires comportant un insigne nazi sur un site internet en vue de leur vente en ligne en exposant une photographie desdits objets accompagnée d’une notice, est impropre, ou à tout le moins insuffisant, à caractériser une exhibition en public desdits insignes au sens de l’article R. 645-1 du code pénal ; qu’en retenant pour déclarer coupable M. [U] que la vente entre particuliers, sur un site accessible à tous, des objets militaires ayant appartenu au IlIème Reich, et clairement identifiés comme tels comme étant porteurs d’une insigne nazie, revient par définition à exhiber ces objets, que dès lors que le site internet de M. [U] propose librement à la vente ces objets, il en fait nécessairement la publicité par le moyen des photos et des notices descriptives cherchant à mettre en valeur les objets présentés, que la vente en ligne, qui a pour seul but de faciliter la transaction en multipliant les connexions d’internautes, constitue en réalité une exhibition de ces insignes nazis, que proposer la vente en ligne de ces objets nazis, à laquelle tout internaute peut accéder, constitue, de la même façon que ces objets seraient exposés dans la vitrine d’un magasin, ou lors d’une vente aux enchères, une exhibition, la cour d’appel a violé l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, les articles 111-4 et R. 645-1 du code pénal et 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Motivation

Réponse de la Cour

Vu les articles 111-4 et R. 645-1 du code pénal :

6. Selon le premier de ces textes, la loi pénale est d’interprétation stricte. Ce principe prohibe que le juge applique, par voie d’analogie ou par induction, la loi pénale à un comportement qu’elle ne vise pas mais qui présente des similitudes avec celui qu’elle décrit (Crim., 1er juin 1977, pourvoi n° 76-91.999, Bull. crim. 1977, n° 198). En revanche, il ne fait pas interdiction, lorsqu’il existe une incertitude sur la portée d’un texte pénal, que le juge s’attache à la rechercher en considérant les raisons qui ont présidé à son adoption.

7. Selon le second, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait, sauf pour les besoins d’un film, d’un spectacle ou d’une exposition comportant une évocation historique, de porter ou d’exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant les uniformes, les insignes ou les emblèmes qui ont été portés ou exhibés soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, soit par une personne reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité prévus par les articles 211-1 à 212-3 du code pénal ou mentionnés par la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964.

8. Le moyen pose la question de l’interprétation des termes « exhiber en public » énoncés à l’article précité.

9. Selon une première interprétation, ces termes désignent exclusivement le fait de produire physiquement, à la vue d’autrui, de façon ostentatoire, un des objets précités.

10. Une seconde interprétation conduit à inclure aussi dans le champ de la répression la présentation ou la diffusion au public d’images ou de représentations desdits objets, sans distinguer selon le moyen utilisé.

11. En premier lieu, les objets visés par ce texte n’ont été envisagés que dans leur matérialité, la norme ne mentionnant pas l’exhibition d’une image en tant que telle, au contraire d’autres textes du code pénal, notamment les articles 222-33-3, 226-2-1 et 227-23, qui incriminent spécifiquement la fixation ou l’enregistrement d’images ainsi que leur diffusion.

12. En second lieu, s’agissant d’une norme d’incrimination édictée par le pouvoir réglementaire, il est possible de se référer à la circulaire prise pour son application par le ministre de la justice.


13. Il résulte de celle-ci que le pouvoir réglementaire a souhaité incriminer « non seulement celui qui porte en public un uniforme ou arbore un insigne nazi mais aussi celui qui, par exemple, accroche à la façade d’un bâtiment un emblème nazi » (CRIM 88-06 F1/25-03-88).

14. Il en résulte que l’exhibition en public, au sens de l’article R. 645-1 du code pénal, suppose de produire de façon ostentatoire à la vue d’autrui l’un des objets énumérés par ce texte, reproduisant, par cette action, les agissements des membres des organisations responsables de crimes contre l’humanité.

15. Dès lors, le fait de fixer et de diffuser l’image de ces seuls objets, par quelque moyen de communication que ce soit, ne caractérise pas la contravention susvisée.

16. Pour autant, la diffusion sur un moyen de communication au public par voie électronique des objets visés à l’article R. 645-1, fût-ce en vue de leur commercialisation, qui n’est pas en elle-même incriminée, est susceptible de caractériser, dans certains cas, l’infraction d’apologie de crimes contre l’humanité, prévue à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881.

17. En l’espèce, pour déclarer M. [U] coupable d’exhibition en public d’insignes nazis, l’arrêt attaqué énonce notamment que ce dernier a proposé à la vente aux particuliers, sur son site internet, des objets avant appartenu au IIIème Reich, lesquels faisaient partie d’une rubrique afférente à la Seconde Guerre mondiale et présentaient ces insignes, tels qu’une croix gammée ou un aigle surmontant une croix gammée, chaque objet mis en vente, photographié, étant accompagné d’une notice descriptive détaillée.

18. Les juges ajoutent que le prévenu, collectionneur aguerri, n’ignore pas que la vente en ligne, qui a pour seul but de faciliter la transaction en multipliant les connexions d’internautes, constitue en réalité une exhibition de ces insignes nazis, au sens étymologique du terme, autrement dit, une exposition à la vue de tous, préalable nécessaire à toute vente, fût-elle dématérialisée par le biais d’internet. Le fait que ce dernier ait flouté les emblèmes litigieux, sur les photographies des objets présentés, démontrait qu’il avait pleinement conscience du caractère infractionnel de ses agissements.

19. Ils en déduisent que proposer à la vente en ligne de tels objets, ainsi accessibles à tout internaute, constitue, de la même façon que leur exposition dans la vitrine d’un magasin ou lors d’une vente aux enchères, une exhibition au sens des dispositions légales applicables, une telle diffusion s’analysant comme la publicité préalable nécessaire à la vente, peu important que l’internaute n’ait pas été démarché par le propriétaire du site.

20. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés.

21. La cassation est par conséquent encourue, sans qu’il y ait lieu d’examiner l’autre grief.

Portée et conséquences de la cassation

22. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d’appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire.

Dispositif

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Rouen, en date du 13 juillet 2022 ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Rouen, et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille vingt-trois.


Chat Icon