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Selon l’article 1984 du code civil, ‘Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. Le contrat ne se forme que par l’acceptation du mandataire’.
En matière de vente d’œuvres d’art, la théorie du mandant d’intérêt commun nécessite la démonstration d’un mandat et d’un intérêt commun au mandant et au mandataire à la réalisation de l’objet du mandat.
La rémunération perçue par le mandataire ne suffit pas, à elle seule, à caractériser le mandant d’intérêt commun, de même le fait que le mandataire soit un professionnel. L’intérêt commun du mandant et du mandataire se caractérise par son objet, à savoir celui de contribuer à l’essor d’une chose commune ou de l’entreprise par création et développement de la clientèle.
En l’occurrence, le document que la société Artvision qualifie de mandat d’intérêt commun consiste en une déclaration sur l’honneur rédigée et signée du représentant de la seule société, le partenaire de la société (la société Millon & associés) n’apparaissant ni comme rédacteur, ni comme signataire de ce document, et mentionnait que l’oeuvre Prakriti ‘est bien la propriété pleine et entière de Artvision. Je déclare avoir reçu ce jour de la SVV Millon et Associés un chèque de 60000 euros (…) au titre de l’avance de vente à venir. Les honoraires convenus pour la SCC Millon seront de la moitié de la différence au delà de 60 000 euros au marteau, les droits de suite restant à la charge de Artvision, Millon récupérera en priorité et en intégralité ses 60 000 euros. A l’issue de cette vente et en cas d’échec, Artvision s’engage à laisser le tableau chez Millon le temps nécessaire au remboursement de la somme avancée ou de la revente du tableau à cette même hauteur’.
Il ressort clairement de cette déclaration sur l’honneur du gérant de la société Artvision un mandat donné à la société Millon aux fins de vente l’oeuvre ‘Prakriti’ appartenant à la seule société Artvision, et que la somme de 60.000 euros est versée par la société Millon & associés à titre d’avance sur la vente à venir, et non pas pour financer l’acquisition de l’oeuvre en vue de sa revente. Le mandat d’intérêt commun était donc exclu.
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
ARRÊT DU 01 DÉCEMBRE 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/00979 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7C57
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Décembre 2018 -Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2017025267
APPELANTE
SARL ARTVISION, représentée par son gérant Monsieur Y Z
N° SIRET : 385 314 786
[…]
[…]
Représentée par Me Françoise DAVIDEAU de la SELASU DAVIDEAU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0002 substituée par Me Gaëlle ELBAZ, avocat au barreau de PARIS, toque : D1054
INTIMÉE
SAS MILLON ET ASSOCIES, prise en la personne de tous représentants légaux, domiciliés audit siège en cette qualité
N° SIRET : 442 936 092
[…]
[…]
Représentée par Me Benoît HENRY de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148
Ayant pour avocat plaidant Me Guillaume HENRY de l’AARPI SZLEPER HENRY Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : R017
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Octobre 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente et Mme Estelle MOREAU, Conseillère, chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre
Mme Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND
ARRÊT :
— Contradictoire
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
* * * * *
La société Artvision, qui exerce une activité de marchand d’art, a confié à la société Millon & associés, maison de vente aux enchères publiques dans le monde du marché de l’art, deux mandats de vente d’une oeuvre de l’artiste SAYED RAZA intitulée Prakriti soit :
— un premier mandat du 12 septembre 2011, au titre duquel la société Millon & associés après avoir versé à la société Artvision une somme de 60 000 euros, n’a pas procédé à la vente de l’oeuvre comme convenu au motif d’un doute quant à l’authenticité de l’oeuvre,
— un second mandat de vente signé le 4 juin 2012, en prévision de la vente le 27 juin 2012, qui ne s’est cependant pas réalisée et à l’issue de laquelle la société Millon & associés a, le 10 juillet 2012, mis en demeure la société Artvision de lui rembourser la somme de 60.000 euros qu’elle lui avait versée à titre d’avance, laquelle a contesté, par courrier du 17 juillet 2012, qu’il s’agissait d’une avance et l’a invitée à vendre l’oeuvre pour récupérer le montant versé pour son acquisition.
Par acte du 10 octobre 2012, la société Millon & associés a assigné la société Artvision en référé devant le président du tribunal de grande instance de Paris pour obtenir le remboursement des 60.000 euros versés. Ce dernier a fait droit aux demandes de la société Millon & associés, sans que le remboursement par la société Artvision ne soit effectif.
C’est dans ces circonstances que par acte du 27 février 2017, la société Artvision a assigné la société Millon & associés devant le tribunal de commerce de Paris pour voir dire que ladite société n’avait pas correctement exécuté les mandats d’intérêt commun, qu’elle n’avait en conséquence pas à rembourser la somme de 60 000 euros et condamner, notamment, la société Millon & associé
à procéder à la vente aux enchères publiques de l’oeuvre et à réparer son préjudice de perte de chance occasionnée par la mauvaise exécution du mandat de vente.
Par jugement du 11 décembre 2018, le tribunal de commerce de Paris a :
— débouté la société Artvision de l’ensemble de ses demandes,
— dit que la société Artvision est tenue de rembourser la somme de 60.000 euros à la société Millon &
associés au titre de l’avance accordée le 12 septembre 2011, avec intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2012,
— débouté la société Millon & associés de sa demande de condamnation de la société Artvision à lui payer la somme de 20.000 euros pour procédure abusive,
— déboute la société Millon & associés de sa demande de condamnation de la société Artvision à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de réparation du préjudice subi,
— condamné la société Artvision à verser à la société Millon & associés la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné la société Artvision aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 77,84 euros dont 12,76 euros de TVA.
Par déclaration du 14 janvier 2019, la société Artvision a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 11 septembre 2019, la société Artvision demande à la cour de :
— confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 décembre 2018 en ce qu’il a débouté la société Millon & associés de sa demande tendant à la voir condamner à lui payer la somme de 20.000 euros pour procédure abusive,
— infirmer le jugement déféré pour le surplus,
Et statuant à nouveau:
— la dire et juger recevable et bien fondée en ses demandes,
— dire et juger que les mandats de vente conclus les 12 septembre 2011 et 4 juin 2012 entre elle et la société Millon & associés pour la vente de l’oeuvre Prakriti de l’artiste SAYED RAZA sont des mandats d’intérêt commun,
— dire et juger que la société Millon & associés a mal exécuté les mandats de vente relatifs à la vente de l’oeuvre Prakriti de l’artiste SAYED RAZA,
— débouter la société Millon & associés de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
En conséquence :
— dire et juger qu’elle n’a pas à rembourser la somme de 60.000 euros versée par la société Millon & associés pour l’acquisition de l’oeuvre Prakriti,
— condamner la société Millon & associés à procéder à la vente aux enchères publiques de l’oeuvre Prakriti de l’artiste SAYED RAZA, après publicité conforme, dans les 6 mois de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard,
— condamner la société Millon & associés à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts et de la perte de chance occasionnés par la mauvaise exécution des mandats de vente,
— condamner la société Millon & associés à lui verser à la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— assortir les condamnations à intervenir du taux d’intérêt légal à compter du prononcé de l’arrêt,
— condamner la société Millon & associés aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 20 novembre 2019, la société Millon & associés demande à la cour de :
— la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident,
— déclarer irrecevable et mal fondée la société Artvision en son appel,
— confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 décembre 2018 en ce qu’il :
• a débouté la société Artvision de l’ensemble de ses demandes,
• a condamné la société Artvision à lui rembourser la somme de 60.000 euros au titre de l’avance accordée le 12 septembre 2011, avec intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2012,
• a condamné la société Artvision à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait considérer que le contrat d’avance et de mandat de vente du 12 septembre 2011 et le mandat de vente du 4 juin 2012 sont des mandats d’intérêt commun :
— dire et juger qu’elle a parfaitement exécuté ses obligations, qu’elle pouvait révoquer unilatéralement les prétendus mandats d’intérêt commun suivant les conditions stipulées aux contrats des 12 septembre 2011 et 4 juin 2012 ; et qu’en toute hypothèse, la révocation d’un mandat d’intérêt commun, même irrégulière, n’est jamais privée d’effet,
En conséquence,
— débouter la société Artvision de sa demande d’exécution forcée de la vente aux enchères de l’oeuvre Prakriti ainsi que de sa demande en dommages et intérêts à hauteur de 10.000 euros,
— condamner la société Artvision à lui payer la somme de 60.000 euros au titre du remboursement de l’avance, outre les intérêts à compter du 10 octobre 2012,
— infirmer le jugement en ce qu’il :
• l’a déboutée de sa demande de condamnation de la société Artvision à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de la réparation du préjudice subi,
• l’a déboutée de sa demande de condamnation de la société Artvision à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de la procédure abusive,
Et statuant à nouveau
— condamner la société Artvision à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de la réparation du préjudice subi,
— condamner la société Artvision à lui payer à la somme de 20.000 euros pour procédure abusive,
En toute hypothèse,
— condamner la société Artvision à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code
de procédure civile,
— condamner la société Artvision aux entiers dépens.
SUR CE,
Sur la recevabilité de l’appel de la société Artvision
Si la société Millon & associés conclut dans le dispositif de ses écritures à l’irrecevabilité de l’appel de la société Artvision, elle ne développe aucun moyen au soutien de cette prétention qui doit en conséquence être rejetée.
Sur la qualification de la relation contractuelle
Le tribunal retient que le contrat d’avance et de mandat de vente accordé par la société Artvision à la société Millon & associés le 12 septembre 2011 n’est pas un mandat d’intérêt commun et que la société Artvision est mal fondée à soutenir que l’avance de 60.000 euros était un financement de l’acquisition de l’oeuvre et qu’il existait une volonté commune d’acquérir ensemble le tableau alors que celui-ci est mentionné comme étant la propriété pleine et entière de la société Artvision.
La société Artvision soutient que les mandats de vente des 12 septembre 2011 et 4 juillet 2012 sont des mandats d’intérêt commun, en ce que :
— elle a confié à la société Millon & associés le soin de vendre en son nom mais pour leur compte l’oeuvre Prakriti de l’artiste,
— la société Millon & associés, informée qu’elle n’était pas encore propriétaire de l’oeuvre et ne pouvant légalement acheter, directement ou indirectement, une oeuvre pour son compte et dans le cadre de son activité, a contourné cette difficulté, dans l’acte de mandat de vente du 12 septembre 2011, en qualifiant la somme donnée pour l’acquisition en une ‘avance’ sur la vente qu’elle lui a consentie, alors que cette prétendue avance a permis à la société Artvision d’acquérir l’oeuvre en vue de la future enchère publique organisée par la société Millon & associés, à l’origine prévue le 28 novembre 2011,
— elle a d’ailleurs payé par chèque le propriétaire de l’oeuvre le 22 septembre 2011 grâce aux sommes versées par la société Millon & associés le 14 septembre 2011,
— en stipulant que ‘les honoraires convenus par la société Millon seront de la moitié de la différence au-delà de 60.000 € (prix d’acquisition) au marteau (prix de vente)’, le mandat de vente du 12 septembre 2011 prévoit bien un partage de la plus-value entre les parties,
— le partage de bénéfices à parts égales est une rémunération exceptionnelle et très inhabituelle quant aux usages et la société Artvision, professionnelle du marché de l’art, ne l’aurait jamais accepté si la société Millon & associés n’avait pas fourni les fonds pour acquérir préalablement l’oeuvre,
— la double rémunération de la société Millon & associés telle que ressortant des deux mandats, soit le partage du prix de vente d’au-delà de 60.000 euros à hauteur de 50 % en qualité de co-vendeur de l’oeuvre outre des frais de vente de 5% H.T sur le montant total de l’adjudication en rémunération de son travail d’opérateur de ventes volontaires, ne peut se justifier que par l’acquisition de l’oeuvre en commun, par ladite société et par l’intermédiaire de la société Artvision,
— le moment du paiement du propriétaire de l’oeuvre et ce partage de la plus-value suffisent à démontrer que l’oeuvre était bien la chose commune des parties,
— le second mandat de vente du 4 juin 2012, qui ne mentionne pas ce partage de plus-value mais n’opère aucune novation du premier mandat de vente, ne saurait remettre en cause cette commune intention des parties d’acquérir ensemble le bien en vue de se partager le fruit de la plus-value occasionnée lors de la revente aux enchères publiques de l’oeuvre,
— la société Millon & associés n’aurait jamais continué à travailler sur la vente de l’oeuvre si elle ne se savait pas liée par un mandat d’intérêt commun à la société Artvision.
La société Million et associés prétend qu’aucun mandat d’intérêt commun n’a été conclu avec la société Artvision, la thèse selon laquelle l’avance de 60.000 euros accordée par elle aurait permis de financer indirectement l’oeuvre ‘Prakriti’ en vue de sa revente et du partage avec la société Artvision de la plus-value résultant de la vente en parts égales, étant contraire à la loi et à la réalité des faits, et aucune volonté commune des parties d’acquérir ensemble le tableau, de développer une clientèle commune et de se partager le produit de la vente n’étant établie.
Selon l’article 1984 du code civil, ‘Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. Le contrat ne se forme que par l’acceptation du mandataire’.
La théorie du mandant d’intérêt commun nécessite la démonstration d’un mandat et d’un intérêt commun au mandant et au mandataire à la réalisation de l’objet du mandat. La rémunération perçue par le mandataire ne suffit pas, à elle seule, à caractériser le mandant d’intérêt commun, de même le fait que le mandataire soit un professionnel. L’intérêt commun du mandant et du mandataire se caractérise par son objet, à savoir celui de contribuer à l’essor d’une chose commune ou de l’entreprise par création et développement de la clientèle.
Le document du 12 septembre 2011 que la société Artvision qualifie de mandat d’intérêt commun consiste en une déclaration sur l’honneur rédigée et signée du représentant de la seule société Artvision, la société Millon & associés n’apparaissant ni comme rédacteur, ni comme signataire de ce document, et mentionne que l’oeuvre Prakriti ‘est bien la propriété pleine et entière de Artvision. Je déclare avoir reçu ce jour de la SVV Millon et Associés un chèque de 60000 euros (…) au titre de l’avance de vente à venir le 28 novembre 2011. Les honoraires convenus pour la SCC Millon seront de la moitié de la différence au delà de 60 000 euros au marteau, les droits de suite restant à la charge de Artvision, Millon récupérera en priorité et en intégralité ses 60 000 euros. A l’issue de cette vente et en cas d’échec, Artvision s’engage à laisser le tableau chez Millon le temps nécessaire au remboursement de la somme avancée ou de la revente du tableau à cette même hauteur’.
Il ressort clairement de cette déclaration sur l’honneur du gérant de la société Artvision un mandat donné à la société Millon aux fins de vente l’oeuvre ‘Prakriti’ appartenant à la seule société Artvision, et que la somme de 60.000 euros est versée par la société Millon & associés à titre d’avance sur la vente à venir le 28 novembre 2011, et non pas pour financer l’acquisition de l’oeuvre en vue de sa revente.
Il est justifié par la lettre de dépôt versée aux débats que cette oeuvre a été remise par la société Artvision dans les locaux de la société Millon & associés dès le 12 septembre 2011. Ce n’est que le 14 septembre 2011 que la société Millon & associés a viré la somme de 60.000 euros sur le compte bancaire de la société Artvision.
Cette chronologie des faits est corroborée par la lettre recommandée avec accusé de réception de la société Millon & associés à la société Artvision du 30 septembre 2011 lui indiquant ‘Vous nous avez déposé en vue de vente le 12 septembre 2011 une oeuvre supposée de D. Vous nous avez demandé de vous accorder une avance de 60 000 euros et dans le souci de conserver cette vente, nous avons accepté. Celle-ci vous a été faite par virement BNP Paribas le 14 septembre 2011″, et nullement remise en cause à l’époque par la société Artvision.
Outre le fait qu’en application des dispositions de l’article L.321-5 II du code de commerce, les opérateurs de vente volontaires de meubles aux enchères publiques ne sont pas habilités à acheter ou à vendre directement ou indirectement pour leur propre compte des biens meubles proposés dans le cadre de leur activité, la qualité de propriétaire de l’oeuvre de la société Artvision est confirmée par le reçu du prix de vente de l’oeuvre dressé par le vendeur le 13 septembre 2011 au seul bénéfice de ladite société, à laquelle le vendeur précise expressément lui avoir vendu l’oeuvre. Le fait que le chèque de paiement de l’oeuvre ait été débité sur le compte de la société Artvision le 22 septembre 2011, postérieurement au virement bancaire de la société Millon & associés, ne remet pas en cause la teneur du reçu du vendeur du 13 septembre 2011 et la qualité de propriétaire de l’oeuvre de la société Artvision.
Le courrier du 17 juillet 2012 que la société Artvision a tardivement adressé à la société Millon & associés pour s’opposer à sa demande de restitution de l’avance est dépourvu de caractère probatoire et ne suffit aucunement à établir qu’elle a acquis l’oeuvre dans un intérêt commun à elle et la société Millon & associés.
La rémunération du mandataire, qui est expressément qualifiée ‘d’honoraires’ dans le document du 12 septembre 2011 établi par le gérant de la société Artvision, et non pas de partage de bénéfices de la vente à venir, et dont le montant peut se justifier par l’importante avance versée par la société Millon & associés dès la conclusion du mandat, n’établit pas que l’oeuvre a été acquise dans l’intérêt commun des parties, ni ne caractérise un quelconque intérêt commun des parties et, en tout état de cause ne saurait suffire, à elle seule, à caractériser établir l’existence d’un mandant d’intérêt commun.
Le nouveau mandat du 4 juin 2012 signé par les deux parties confirme que la société Artvision est propriétaire de l’oeuvre, que la vente aux enchères du 27 juin 2012 devra être réalisée ‘pour son compte’, et qu’elle devra la récupérer en cas d’échec de la vente à charge pour elle de restituer l’avance consentie.
L’oeuvre n’étant pas une chose commune, mais la seule propriété de la société Artvision, et ayant été confiée à la vente pour le compte de ladite société, la société Millon & associés n’avait pas un intérêt commun à la vendre, ni à développer une clientèle qui lui serait commune avec celle de la société Artvision.
La société Artvision échoue ainsi à établir l’existence d’un mandat d’intérêt commun.
Les mandats conclus entre les parties les 12 septembre 2011 et 4 juin 2012 constituent dès lors de simples mandats de vente.
Sur les responsabilités
Le tribunal a jugé que :
— la société Millon & associés a respecté ses obligations contractuelles,
— la société Artvision est tenue de rembourser la somme de 60.000 euros à la société Millon & associés au titre de l’avance accordée le 12 septembre 2011, avec intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2012,
— la société Millon & associés ne démontre pas un préjudice distinct de celui du retard du paiement, compensé par l’octroi d’intérêts de retard.
La société Artvision soutient que :
— dès lors qu’elle a justifié de l’authenticité de l’oeuvre en communiquant à la société Millon &
associés une attestation de M. X indiquant avoir acquis l’oeuvre Prakriti datée de 1998 directement auprès du peintre lui-même dans son atelier, les raisons du retrait de la vente aux enchères du 28 novembre 2011 ne sont pas justifiées,
— la société Millon & associés a manqué à son obligation de procéder à une publicité conforme de l’oeuvre pour permettre sa vente lors des enchères publiques organisées le 27 juin 2012,
— la société Millon & associés ne pouvait mettre unilatéralement fin au mandat d’intérêt commun en lui demandant de lui restituer la somme de 60.000 euros versée pour l’acquisition de l’oeuvre, et ladite demande n’est pas justifiée, le mandat devant être exécuté,
— la société Millon & associés avait l’obligation de reproposer à la vente le tableau, le mandat d’intérêt commun ne pouvant être interrompu unilatéralement et stipulant qu” à l’issue de la vente et en cas d’échec, Artvision s’engage à laisser le tableau chez Millon le temps nécessaire au remboursement de la somme avancée ou de la revente du tableau à cette même hauteur’,
— la société Millon & associés n’ayant pas exécuté les mandats doit être condamnée à leur exécution forcée, outre au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et de la perte de chance de réaliser une plus-value occasionnés pour mauvaise exécution des mandats.
La société Millon & associés réplique que :
— elle a correctement exécuté les mandats de vente du 12 septembre 2011 et du 4 juin 2012, en particulier ses obligations légales et contractuelles de préparation et de publicité de la vente aux enchères publiques de l’oeuvre ‘Prakriti’ le 27 juin 2012 et que la société Artvision ne démontre pas en quoi les prétendues omissions du catalogue seraient à l’origine de l’absence d’adjudication de l’oeuvre,
— la demande d’exécution forcée des mandats de vente et la demande indemnitaire de l’appelante sont infondées,
— subsidiairement, elle pouvait révoquer unilatéralement le mandat selon les conditions stipulées au contrat, après l’échec de la vente du 27 juin 2012,
— à titre infiniment subsidiaire, même à considérer qu’elle ne pouvait pas révoquer unilatéralement le mandat de vente, une telle révocation ne saurait être privée d’effet,
— en toute hypothèse, il lui est impossible de remettre en vente l’oeuvre en raison des doutes sérieux sur son authenticité, le certificat communiqué par l’appelante étant incomplet,
— la somme de 60 000 euros doit donc lui être restituée.
— la société Artvision n’a subi aucun préjudice,
— elle a pour sa part subi un préjudice de 10 000 euros compte tenu de la résistance de l’appelante à lui rembourser la somme de 60 000 euros durant six ans et des pertes financières en raison des frais de justice engagés.
Le commissaire-priseur, qui affirme sans réserve l’authenticité de l’oeuvre d’art qu’il est chargé de vendre, sans avoir pris les précautions nécessaires, étant susceptible d’engager sa responsabilité envers l’acquéreur, aucune faute ne peut être retenue à l’encontre de la société Millon & associés pour avoir voulu s’assurer de l’authenticité de l’oeuvre avant sa mise en vente. Ayant à ce titre présenté une photographie de l’oeuvre à la fille du peintre D qui a émis en doute sur son authenticité, elle a à juste titre refusé de présenter l’oeuvre à la vente par courriel du 10 octobre 2011,
et accepté de remettre l’oeuvre en vente aux enchères le 27 juin 2012 , selon mandat de vente du 4 juin 2012, après avoir reçu communication, par la société Artvision le 28 octobre 2011, de l’attestation de M. A X indiquant avoir acquis l’oeuvre directement auprès de l’artiste et avoir elle-même acquis la conviction que cette attestation était suffisante pour pouvoir présenter l’oeuvre à la vente.
La vente s’est déroulée dans les conditions usuelles de publicité, avec la photographie de l’oeuvre, et sous la mention ‘SAYED RAZA (1922-1998) Acrylique sur toile, signée et datée en bas à droite, contresignée, datée et tirée aux dos 100 x 100 cm Provenance : Atelier de l’artiste Collection particulière, Paris’. Il ne saurait être fait grief à la société Millon & associés de ne pas avoir mentionné le titre et la date de création de l’oeuvre, alors qu’elle était toujours en attente de la réponse de la fondation D interrogée depuis le 12 octobre 2011 et que ce n’est qu’en février 2018 que la société Artvision a produit un prétendu certificat d’authenticité du peintre lui-même daté du 7 septembre 2012, ne contenant pas la photographie de l’oeuvre dont il garantit l’authenticité et dont la société Millon & associés discute pertinemment du caractère probatoire, ce d’autant plus que la Fondation D a déclaré le 14 février 2014 que l’oeuvre litigieuse n’était pas une peinture authentique de l’artiste. La publicité de la vente de l’oeuvre dans le catalogue de vente y afférent sous le titre ‘Impressionnisme – Ecole de Paris – Post War’ satisfait à la condition de publicité de la vente, et il ne s’infère aucune faute d’exécution du mandat de la seule erreur matérielle de date mentionnant le décès de l’artiste en 1998 alors qu’il était encore en vie, ni de surcroît aucun lien de causalité et aucun préjudice, la société Artvision n’établissant pas que la vente n’aurait pas abouti en raison de cette erreur matérielle.
Les mandats de vente sont révocables ad nutum et la société Millon & associés n’a commis aucune faute en sollicitant, par courrier du 10 juillet 2012, compte tenu de l’absence de vente du tableau et du terme du mandat 15 jours après la mise en vente, la restitution de l’avance de 60.000 euros, ledit mandat précisant ‘Dans le cas d’une avance sur vente et en cas d’échec de la vente, les oeuvres confiées à Millon & associés le resteront en vue d’après-vente, pendant un délai de 15 jours, délai à l’issue duquel elles seront rendues à leur propriétaire en échange de l’avance consentie’.
C’est donc par une exacte appréciation que les premiers juges ont débouté la société Artvision de l’ensemble de ses demandes et l’ont condamnée à payer à la société Millon & associés la somme de 60.000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2012.
La société Millon & associés qui allègue avoir en outre subi des pertes financières du fait de l’absence de remboursement de la somme de 60.000 euros, ne démontre aucun préjudice distinct de celui causé par le retard du paiement et déjà réparé par le bénéfice des intérêts au taux légal, ni les frais d’exécution forcée de l’ordonnance du 21 février 2013, ni les frais de stockage de l’oeuvre dont elle se prévaut n’étant justifiés par les pièces produites aux débats.
Le jugement est donc confirmé.
Sur l’abus de procédure
La seule tardiveté de l’assignation délivrée par la société Artvision ne suffisant pas à caractériser un abus du droit d’ester en justice, le tribunal a également débouté avec pertinence la société Millon & associés de sa demande indemnitaire de ce chef.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile sont confirmées.
La société Artvision échouant en ses prétentions sera condamnée aux dépens d’appel et à payer à la société Millon & associés une indemnité de procédure que l’équité commande de fixer à la somme de 5.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Dit l’appel recevable,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Artvision à payer à la société Millon & associés la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Artvision aux dépens.
LA GREFFIÈRE
LA PRÉSIDENTE