Validité des signatures électroniques dans les contrats de prêt : enjeux et exigences légales

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Validité des signatures électroniques dans les contrats de prêt : enjeux et exigences légales
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La SA Santander Consumer Banque a assigné M. [P] [O] devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand pour obtenir le remboursement d’un crédit de 4 413,60 euros lié à l’achat d’un véhicule. Le tribunal a rendu un jugement de défaut le 18 octobre 2022, déboutant la SA Santander de ses demandes en raison de l’absence de preuve de la signature électronique de M. [O] sur l’acte contractuel, conformément aux articles 1366 et 1367 du code civil. La SA Santander a interjeté appel de ce jugement le 2 décembre 2022, soutenant qu’elle pouvait prouver que M. [O] avait signé électroniquement le 21 septembre 2018, en présentant un fichier de preuve de DocuSign et une attestation de conformité de la CDC Arkhineo. Elle a également invoqué la fiabilité de son procédé de signature électronique, certifié selon les normes européennes. M. [O] n’a pas répondu aux notifications de l’appel et n’a pas été représenté devant la cour. L’ordonnance de clôture a été prononcée le 23 mai 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

18 septembre 2024
Cour d’appel de Riom
RG n°
22/02240
COUR D’APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°

DU : 18 Septembre 2024

N° RG 22/02240 – N° Portalis DBVU-V-B7G-F5KY

FK

Arrêt rendu le dix huit Septembre deux mille vingt quatre

décision dont appel : Jugement au fond, origine Juge des contentieux de la protection de CLERMONT-FERRAND, décision attaquée en date du 18 Octobre 2022, enregistrée sous le n° 22/00370

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire

En présence de : Mme Cecile CHEBANCE, Greffier placé, lors de l’appel des causes et et Mme Christine VIAL, Greffier, lors du prononcé

ENTRE :

La société SANTANDER CONSUMER FINANCE S.A. venant aux droits de la Société SANTANDER CONSUMER BANQUE SA, prise en son établissement secondaire et exerçant sous la marque SANTANDER CONSUMER BANQUE

SA immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 915 062 012

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentants : Maître Anne-Laure GAY, avocat au barreau de CLERMONT- FERRAND (postulant) et Maître Fabien DUCOS-ADER de la SELARL DUCOS-ADER / OLHAGARAY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX (plaidant)

APPELANTE

ET :

M. [P], [D], [Y] [O]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Non représenté, assigné selon proçès-verbal de l’article 659 du code de procédure civile

INTIMÉ

DEBATS : A l’audience publique du 05 Juin 2024 Monsieur KHEITMI a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 18 Septembre 2024.

ARRET :

Prononcé publiquement le 18 Septembre 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL,Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige :

Suivant un acte d’huissier du 21 juin 2022, la SA Santander Consumer Banque (la SA Santander) a fait assigner M. [P] [O] devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, pour obtenir paiement d’une somme principale de 4 413,60 euros en remboursement d’un crédit affecté à l’achat d’un véhicule.

Le tribunal, statuant par jugement de défaut du 18 octobre 2022, sur le moyen soulevé d’office de la validité de la signature électronique attribuée à M. [O], a débouté la SA Santander de toutes ses demandes et l’a condamnée aux dépens, au motif que cette société ne rapportait pas la preuve, conformément aux articles 1366 et 1367 du code civil, que M. [O] avait apposé sur l’acte contractuel sa signature sous la forme électronique.

Par déclaration reçue au greffe le 02 décembre 2022, la SA Santander a interjeté appel de ce jugement.

La SA Santander demande à la cour de réformer le jugement, et de condamner M. [O] à lui payer la somme principale de 4 413,60 euros, outre les intérêts au taux contractuel, avec capitalisation.

La SA Santander déclare qu’elle rapporte la preuve, au moyen notamment d’un fichier de preuve établi par la société DocuSign et d’une attestation de conformité de la CDC Arkhineo, que M. [O] a bien donné sa signature électronique le 21 septembre 2018, pour approuver l’offre préalable de crédit que la SA Santander lui avait présentée.

Elle rappelle l’article 1er du décret du 28 septembre 2017, pris pour l’application de l’article 1367 du code civil, et relatif à la fiabilité des procédés de signature électronique ; elle fait valoir que la fiabilité du procédé qu’elle emploie est présumée, dès lors qu’il a fait l’objet d’une certification par un prestataire de services de certification électronique répondant aux exigences des articles 26 et 29 du Règlement européen n° 910/2014 du 23 juillet 2014.

M. [O], à qui la SA Santander a fait signifier le 16 janvier 2023 son acte d’appel, puis le 7 février et le 13 avril 2023 ses conclusions d’appel (à son dernier domicile connu), ne s’est pas fait représenter devant la cour.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 23 mai 2024.

Il est renvoyé, pour l’exposé complet des demandes et observations de la SA Santander, à ses dernières conclusions déposées le 21 mars 2023.

Motifs de la décision :

En application de l’article 1174 du code civil, lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un contrat, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1366 et 1367 et, lorsqu’un acte authentique est requis, au deuxième alinéa de l’article 1369. Lorsqu’est exigée une mention écrite de la main même de celui qui s’oblige, ce dernier peut l’apposer sous forme électronique si les conditions de cette apposition sont de nature à garantir qu’elle ne peut être effectuée que par lui-même.

L’article 1366 précité dispose que l’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane, et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité.

Enfin, l’article 1367 prévoit que la signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique identifie son auteur. Elle manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte. Quand elle est apposée par un officier public, elle confère l’authenticité à l’acte.

Lorsqu’elle est électronique, la signature consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l’identité du signataire assurée et l’intégrité de l’acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat.

Le décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017, pris pour l’application de l’article 1316-4 ancien du code civil, dispose en son article 2 que la fiabilité d’un procédé de signature électronique est présumée jusqu’à preuve contraire lorsque ce procédé met en ‘uvre une signature électronique qualifiée. Est une signature électronique qualifiée une signature électronique avancée, conforme à l’article 26 du règlement susvisé, et créée à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié répondant aux exigences de l’article 29 règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014, qui repose sur un certificat qualifié de signature électronique répondant aux exigences de l’article 28 de ce règlement.

L’article 28 du règlement (UE) n° 910/2014 dispose que les certificats qualifiés de signature électronique répondent aux exigences fixées à l’annexe I ; selon cette annexe, les certificats qualifiés de signature électronique contiennent, au moins sous une forme adaptée au traitement automatisé, une mention indiquant que le certificat a été délivré comme certificat qualifié de signature électronique ; ils contiennent en outre des données de validation de la signature électronique qui correspondent aux données de création de la signature électronique, et des précisions sur le début et la fin de la période de validité du certificat.

La SA SANTANDER produit un acte contractuel intitulé « Offre de contrat de crédit affecté », établi au nom de M. [P] [O], et portant sur un prêt amortissable de 4 550 euros destiné à l’acquisition d’une motocyclette Aprilia RS4, et remboursable en 72 échéances mensuelles, avec intérêts au taux nominal fixe de 8,33 % ; cet acte contractuel mentionne que l’emprunteur a approuvé l’offre préalable en apposant sa signature électronique le 21 septembre 2018.

La société appelante, pour prouver le consentement donné par M. [O], présente d’abord deux « Enveloppes de preuve » établies le 26 septembre 2018 au nom de la société Docu Sign, et indiquant entre autres que M. [O] a donné son consentement sous la forme de deux signatures électroniques établies le 21 septembre 2018 à 15 h. 00, puis le 25 septembre 2018 à 14 h 04 (pièce n° 13). La société appelante produit encore une « Attestation de conformité détaillée », selon laquelle l’archive constituée de l’enveloppe de preuve « est bien conservée par ses soins au sein de son système d’archivage électronique à vocation probatoire ».

Cependant ces « Enveloppes de preuve »   ne précisent pas qu’elles sont établies à titre de certificat électronique qualifié, comme l’exige l’annexe I du règlement (UE) n° 910/2014 ; elles ne contiennent pas non plus de mention sur le début et la fin de leur validité, ou sur les données de validation de la signature électronique. Enfin, et comme l’a relevé le tribunal, la SA SANTANDER ne présente pas de certificat de conformité des dispositifs de création de signature électronique avec les exigences fixées à l’annexe II, comme l’exige l’article 30 du règlement. Ces « Enveloppes de preuve » ne peuvent donc être considérées comme des certificats qualifiés de signature électronique, au sens des textes en vigueur, ainsi que l’a justement énoncé le premier juge.

La SA SANTANDER produit en outre, et pour la première fois en cause d’appel, deux « Fichiers de preuve Protect&Sign » établis à la date des 9 et 12 janvier 2023, et une « Attestation de conformité » rédigée par la SAS LSTI le 14 janvier 2022 (pièces n°21 et 22); les fichiers de preuve ainsi présentés contiennent certes des informations omises dans ceux produits en première instance, notamment sur la procédure de validation de la signature électronique attribuée à M. [O], pour la souscription du contrat de prêt et du contrat d’assurance, le 21 septembre 2018, puis pour une demande de versement des fonds le 25 septembre 2018 ; cependant l’attestation de conformité de la SAS LSTI, qui n’est d’ailleurs pas signée, vise non pas la société DocuSign auteur des fichiers de preuve présentés (ayant siège à [Adresse 4] : pièce n°13), mais une entité dénommée « Quicksign, [Adresse 1] France », dont il est certifié qu’elle « assure des fonctions techniques d’autorité d’enregistrement conformes aux normes », dans le domaine des « signatures électroniques et infrastructures » ; la société appelante ne formule d’ailleurs aucune explication sur cette discordance, entre la société auteur des fichiers de preuve, et celle désignée dans l’attestation de conformité.

La société appelante n’établit donc pas que les nouveaux fichiers de preuve qu’elle présente devant la cour aient été créés au moyen d’un dispositif ayant fait l’objet d’une certification conforme, ainsi que l’exige l’article 30 du règlement (UE) n° 910/2014.

Dès lors la SA SANTANDER ne prouve pas l’existence d’une signature électronique valablement donnée par M. [O], et les autres éléments de preuve qu’elle produit ‘ notamment la copie de documents personnels de M. [O], remise lors de la constitution du dossier de demande de prêt ‘ ne saurait pallier l’absence de signature de l’acte contractuel, qui doit être obligatoirement apposée sur un acte de prêt à la consommation, soumis à des règles formelles d’ordre public.

C’est à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes de la SA SANTANDER. Le jugement sera confirmé.

PAR CES MOTIFS :

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt de défaut et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;

Confirme le jugement déféré ;

Condamne la SA SANTANDER aux dépens d’appel ;

Rejette le surplus des demandes.

Le greffier, La présidente,


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