Lors d’un contrôle de l’URSSAF le 4 octobre 2018 sur un chantier de rénovation, quatre personnes ont été trouvées en situation de travail sans déclaration préalable. Une lettre d’observations a été envoyée à la SCI [5] le 7 janvier 2019, entraînant un redressement forfaitaire en cotisations pour travail dissimulé. La SCI a contesté la mise en demeure de 30 164 € auprès de la commission de recours amiable de l’URSSAF PACA, qui a implicitement rejeté sa demande. Le 25 octobre 2019, la SCI a saisi le tribunal judiciaire de Marseille d’un recours contentieux. L’URSSAF a demandé le rejet du recours et la confirmation de la mise en demeure, tandis que la SCI a demandé l’annulation de celle-ci, arguant du bénévolat des travailleurs et de l’absence de preuve du délit de travail dissimulé. Le tribunal a déclaré le recours de la SCI recevable mais mal fondé, l’a déboutée de ses demandes, et a condamné la SCI à payer les sommes dues à l’URSSAF, ainsi qu’à couvrir les dépens de l’instance. L’exécution provisoire du jugement a été ordonnée.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
POLE SOCIAL
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]
JUGEMENT N°24/03806 du 26 Septembre 2024
Numéro de recours: N° RG 19/06192 – N° Portalis DBW3-W-B7D-W4QB
AFFAIRE :
DEMANDERESSE
S.C.I. [5]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Corinne PELLEGRIN, avocat au barreau des HAUTES-ALPES, substituée par Me Axel PITTAVINO, avocat au barreau des HAUTES-ALPES
c/ DEFENDEUR
Organisme URSSAF PACA
[Adresse 9]
[Localité 3]
représenté par madame [X] [B], inspectrice juridique munie d’un pouvoir régulier
DÉBATS : À l’audience publique du 06 Mai 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :
Président : DEPARIS Eric, Vice-Président
Assesseurs : PESCE-CASTELLA Catherine
MILLEPIED Michèle
L’agent du greffe lors des débats : DALAYRAC Didier,
À l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Septembre 2024
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
Lors d’un contrôle de l’application de la législation sociale dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé, effectué le 4 octobre 2018 sur le chantier de rénovation d’un local, propriété de la SCI [5], sis à l’angle de la [Adresse 7] et de la [Adresse 6], l’inspecteur de l’URSSAF constatait quatre personnes en situation de travail, celles-ci n’ayant pas fait l’objet d’aucune déclaration préalable à l’embauche.
Une lettre d’observations du 7 janvier 2019 a été adressée au représentant légal de la SCI [5] pour la période du mois d’octobre 2018, comportant un redressement forfaitaire en cotisations et majorations pour travail dissimulé.
La SCI [5] a saisi la commission de recours amiable de l’URSSAF PACA à l’encontre de la mise en demeure du 31 mai 2019 d’un montant total de 30 164 € délivrée dans les suites de ce redressement
Par courrier recommandé avec avis de réception expédié le 25 octobre 2019, la SCI [5], représentée par son conseil, a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille d’un recours contentieux contre la décision implicite de rejet de la commission.
L’affaire a été retenue à l’audience du 6 mai 2024.
L’URSSAF PACA, représentée par une inspectrice juridique, sollicite du tribunal le rejet du recours de la SCI [5], la confirmation de la mise en demeure, et la condamnation de la SCI [5] à lui payer la somme de 30 164 €, dont 20 746 € de cotisation, 8 298 de majorations de redressement et 1 120 €de majorations de retard, outre 1 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La SCI [5], représentée par son conseil, sollicite pour sa part l’annulation de la mise en demeure pour nullité de la lettre d’observations, au fond l’infirmation du redressement au motif du pur bénévolat spontané de quatre amis de la femme du gérant de la SCI et subsidiairement de l’absence de caractérisation du délit de travail dissimulé et notamment de son élément intentionnel, ainsi que de l’absence de justification du caractère forfaitaire du redressement, outre 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
En application de l’article 455 du Code de procédure civile, il convient de se reporter aux observations et conclusions déposées par les parties, reprenant l’exposé complet de leurs moyens et prétentions.
L’affaire a été mise en délibéré au 26 septembre 2024.
Sur la signature de la lettre d’observations par l’inspecteur du recouvrement et la nullité de la lettre d’observations :
La SCI [5], se fondant sur la combinaison des dispositions de l’article R.133-8-1 du code de la sécurité sociale, des dispositions du code du travail sur le travail dissimulé et une jurisprudence relative à la solidarité financière, invoque la nullité de la procédure de redressement engagée par l’URSSAF PACA au motif que la lettre d’observations du 7 janvier 2019 n’est pas signée par le directeur de l’organisme de recouvrement mais par un inspecteur du recouvrement.
L’URSSAF PACA indique pour sa part que les règles relatives à solidarité financière ne sont pas applicables au présent litige.
L’article R.243-59 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n°2017-1409 du 25 septembre 2017, dispose notamment :
III.-A l’issue du contrôle ou lorsqu’un constat d’infraction de travail dissimulé a été transmis en application des dispositions de l’article L.8271-6-4 du code du travail afin qu’il soit procédé à un redressement des cotisations et contributions dues, les agents chargés du contrôle mentionnés à l’article L.243-7 communiquent au représentant légal de la personne morale contrôlée ou au travailleur indépendant une lettre d’observations datée et signée par eux mentionnant l’objet du contrôle réalisé par eux ou par d’autres agents mentionnés à l’article L.8271-1-2 du code du travail, le ou les documents consultés, la période vérifiée, le cas échéant, la date de fin de contrôle et les observations faites au cours de celui-ci. (…) »
En conséquence, en application du principe « Ubi lex non distinguit… », de l’absence de solidarité financière en question et conformément aux dispositions claires de l’article R.243-59 III du code de la sécurité sociale rappelées ci-dessus, dans sa version applicable au litige, l’inspecteur du recouvrement communique au représentant légal de la personne morale une lettre d’observations datée et signée par lui lorsqu’un constat d’infraction de travail dissimulé lui a été transmis en application des dispositions de l’article L.8271-6-4 du code du travail.
Le grief soutenu par la SCI [5] n’est donc pas fondé, et sa demande de nullité à ce titre doit être rejetée.
Sur le bien-fondé du redressement opéré :
En application de l’article L.8221-5 du Code du travail, « est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L.1221-10 relatif à la déclaration préalable à l’embauche, soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales ».
En l’espèce, aucune déclaration préalable à l’embauche ni aucun bulletin de salaire n’ont été réalisés.
Dans le cadre de son recours, la SCI [5] a invoqué une situation d’entraide à titre bénévole et l’absence de lien de subordination.
Un bénévole est une personne qui apporte un concours spontané et désintéressé à une structure associative sans but lucratif, et n’est pas compatible avec une société commerciale.
Il est ainsi acquis que le bénévolat ne saurait être utilisé pour participer à la réalisation d’un profit recherché par une structure à but lucratif relevant du secteur marchand.
L’activité de la SCI [5] étant de nature commerciale, et s’agissant d’un local dont elle est propriétaire, l’argument opposé d’une entraide ou d’un bénévolat ne peut en toute hypothèse être accueilli, sur la base de cette seule affirmation alors qu’il n’est pas contesté que Monsieur [R] [U], gérant, ainsi qu’il ressort de la lettre d’observation, a reconnu que les quatre personnes en questions, qui étaient déjà intervenues au sein de la société plusieurs jours avant le contrôle, étaient logées dans un appartement [Adresse 8] appartenant à la SCI, et devaient se voir payer par le susnommé, en sus de leur nourriture, le voyage en car pour retourner en Ukraine à la fin des travaux.
Par ailleurs, Monsieur [U] a également admis avoir demandé à la Préfecture si les quatre personnes pouvaient bénéficier d’un contrat de travail mais les avoir quand même fait travailler sans autorisation.
Enfin, ces quatre personnes sont présentées par la requérante comme fortes de leurs connaissances en matière de rénovation, ce qui laisse apparaitre au final un travail en équipe, tous éléments cumulés contraires à la notion de bénévolat.
Or, il est acquis qu’une déclaration préalable à l’embauche doit, par définition, être réalisée avant la prise de fonction du travailleur, et qu’une régularisation faite a posteriori, comme en l’espèce, outre qu’elle contredit de fait l’affirmation du bénévolat, ne saurait avoir pour effet de faire disparaître l’infraction et de couvrir la situation de travail dissimulé relevée.
S’agissant de l’élément intentionnel, il convient de rappeler et de souligner que si le redressement opéré par l’URSSAF procède du constat d’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié ou minoration de déclaration sociale, celui-ci a pour objectif exclusif le recouvrement des cotisations sociales et contributions afférentes à cet emploi, sans qu’il soit nécessaire d’établir l’intention frauduleuse de l’employeur, et ce en vertu de l’autonomie du droit de la sécurité sociale par rapport au droit pénal, consacrée ultimement par les dispositions de l’article L.243-7-5.
De ce fait, l’argumentation soutenue par la SCI [5], propre aux règles de fond et de procédure pénales applicables devant les juridictions correctionnelles, est sans incidence sur l’action en recouvrement des cotisations et contributions née du redressement intéressant le présent litige. L’intention frauduleuse est un élément constitutif du délit de travail dissimulé et non une condition de validité du redressement opéré dans ce cadre.
Par conséquent, le travail dissimulé pour dissimulation d’emploi est caractérisé dès lors que la SCI [5] n’a pas accompli la déclaration préalable à l’embauche obligatoire en application des dispositions susvisées. Le présent redressement est donc fondé en son principe.
Sur le quantum du redressement
En présence d’un emploi dissimulé, le redressement forfaitaire de l’employeur est strictement encadrée par les dispositions de l’article L 242-1-2 du code de la sécurité sociale, lesquelles fixent forfaitairement la taxation à appliquer à six fois la rémunération mensuelle minimale définie à l’article L. 141-11 du même code en vigueur au moment du constat du délit de travail dissimulé sans qu’il ne soit nécessaire de constater l’impossibilité d’établir le chiffre exact des rémunérations servant de base au calcul des cotisations dues.
Le redressement forfaitaire ne s’applique qu’au calcul des cotisations et contributions de sécurité sociale.
En l’espèce, en l’absence d’élément probant relatif à la durée d’emploi et au montant des rémunérations, l’inspecteur de l’URSSAF a appliqué un redressement forfaitaire.
Pour faire obstacle à l’application de l’évaluation forfaitaire de la rémunération servant de base au calcul du redressement, l’employeur doit apporter la preuve non seulement de la durée réelle d’emploi du travailleur dissimulé, mais encore du montant exact de la rémunération versée à ce dernier pendant cette période, tous éléments qui doivent apparaitre pour être vérifiés et discutés lors du contrôle, ou au pire avant la clôture de la phase contradictoire préalable à la lettre d’observation.
En l’espèce, l’employeur ne rapporte pas ces preuves, y compris à l’audience.
L’évaluation forfaitaire apparaît justifiée en l’absence de contrat de travail existant le jour du contrôle permettant d’établir le nombre exact d’heures de travail fixé contractuellement entre l’employeur et le salarié ou de tout élément probant permettant d’établir l’emploi de ces personnes dans l’entreprise.
Par ailleurs, le calcul des cotisations dues a été détaillé par l’URSSAF dans sa lettre d’observations du 7 janvier 2019.
Compte tenu de ce qui précède, le redressement est justifié dans son principe comme dans son montant.
Il convient en conséquence de débouter la SCI [5] de son recours, de faire droit à la demande de l’URSSAF PACA et de condamner reconventionnellement la première au paiement de la mise en demeure afférente aux chefs de redressement pour un montant total de 30 164 €.
En application de l’article 696 du Code de procédure civile, la partie qui succombe à l’instance en supporte les dépens.
Faisant également application de l’article 700 du Code de procédure civile, l’équité commande de condamner la SCI [5] au paiement de la somme de 1 000 € en contribution aux frais non compris dans les dépens exposés par l’URSSAF pour l’application de la loi.
Compte tenu de la nature et de l’ancienneté du litige, il convient d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision.
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort,
DÉCLARE recevable, mais mal fondé, le recours de la SCI [5] formé le 25 octobre 2019 à l’encontre de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable de l’URSSAF PACA relative au redressement portant sur un travail dissimulé suite au contrôle du 4 octobre 2018 et à la mise en demeure du 31 mai 2019 ;
DÉBOUTE la SCI [5] de ses demandes et prétentions ;
CONDAMNE la SCI [5] à payer à l’URSSAF PACA la somme de 30 164 €, dont 20 746 € de cotisation, 8 298 de majorations de redressement et 1 120 €de majorations de retard, au titre dudit redressement ;
CONDAMNE la SCI [5] à payer à l’URSSAF PACA la somme de 1 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 de Code de procédure civile;
CONDAMNE la SCI [5] aux dépens de l’instance en application de l’article 696 du Code de procédure civile ;
ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement ;
DIT que tout appel de la présente décision doit être formé dans le délai d’un mois à compter de la réception de sa notification.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT