Validité des interceptions téléphoniques : exigences de motivation et corroboration des éléments de preuve

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Validité des interceptions téléphoniques : exigences de motivation et corroboration des éléments de preuve

Contexte de l’enquête

Le 18 juillet 2022, un service de gendarmerie reçoit un renseignement anonyme concernant M. [Z] [W], suspecté de se fournir en cocaïne. Les lignes téléphoniques de M. [W] et de son fournisseur sont spécifiées dans ce renseignement.

Ouverture de l’enquête

Suite à ce renseignement, le procureur de la République ordonne l’ouverture d’une enquête préliminaire et demande l’autorisation d’intercepter les deux lignes téléphoniques. Le 21 juillet 2022, le juge des libertés et de la détention accorde cette demande.

Découvertes lors des écoutes

Les écoutes téléphoniques révèlent des éléments suggérant l’existence d’un trafic de stupéfiants impliquant M. [K] [D]. En conséquence, une information judiciaire est ouverte, et M. [D] est mis en examen le 24 avril 2023.

Requête en annulation

Le 7 septembre 2023, M. [D] dépose une requête en annulation de l’ordonnance du 21 juillet 2022, ainsi que de l’ensemble de la procédure qui en découle. Il conteste la légalité des interceptions téléphoniques.

Arguments de M. [D]

M. [D] soutient que l’ordonnance autorisant les interceptions repose uniquement sur un renseignement anonyme, sans éléments corroborants suffisants. Il affirme que le juge des libertés et de la détention n’a pas justifié la nécessité de cette mesure.

Réponse de la Cour

La chambre de l’instruction rejette le moyen de nullité, indiquant que le juge des libertés et de la détention a pris en compte des éléments supplémentaires, tels que des vérifications sur les titulaires des lignes et leur implication dans des infractions liées aux stupéfiants.

Conclusion de la chambre de l’instruction

La chambre conclut que l’ordonnance critiquée est fondée sur des éléments corroborants et que le juge des libertés et de la détention n’a pas simplement repris le renseignement anonyme. Le moyen de M. [D] est donc écarté, et l’arrêt est jugé régulier en la forme.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

22 octobre 2024
Cour de cassation
Pourvoi n°
24-81.305
N° W 24-81.305 F-D

N° 01268

SL2
22 OCTOBRE 2024

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 OCTOBRE 2024

M. [K] [D] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble, en date du 30 janvier 2024, qui, dans l’information suivie contre lui des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, blanchiment et association de malfaiteurs, en récidive, a prononcé sur sa demande d’annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 29 avril 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l’examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [K] [D], et les conclusions de Mme Caby, avocat général, après débats en l’audience publique du 24 septembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 18 juillet 2022, un service de gendarmerie a été destinataire d’un renseignement anonyme selon lequel un dénommé M. [Z] [W], dont la ligne téléphonique était précisée, se fournirait régulièrement en cocaïne auprès d’une personne dont la ligne téléphonique était également spécifiée.

3. Sur la base de ce renseignement, le procureur de la République a ordonné l’ouverture d’une enquête préliminaire et a sollicité du juge des libertés et de la détention qu’il autorise l’interception des deux lignes téléphoniques précitées.

4. Par ordonnance du 21 juillet 2022, ce magistrat a fait droit à cette demande.

5. Les écoutes téléphoniques réalisées ont fait soupçonner l’existence d’un trafic de stupéfiants auquel M. [K] [D] se livrerait.

6. Une information a été ouverte et, le 24 avril 2023, M. [D] a été mis en examen des chefs susvisés.

7. Le 7 septembre 2023, il a saisi la chambre de l’instruction d’une requête en annulation de l’ordonnance du 21 juillet 2022, ainsi que de l’intégralité de la procédure subséquente.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté la requête en annulation de M. [D] relative à l’autorisation d’interception de correspondances téléphoniques visées en cote D 339 et D 340 et des actes subséquents, alors :

« 1°/ qu’en application des articles 706-95 et 100-1 du code de procédure pénale, la mesure d’interception téléphonique mise en œuvre dans le cadre d’une enquête préliminaire ou de flagrance pour la répression de la délinquance ou de la criminalité organisée doit faire l’objet d’une décision du juge des libertés et de la détention motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant la nécessité de l’opération ; qu’un renseignement anonyme ne peut justifier cette mesure qu’autant qu’il est corroboré par d’autres éléments de la procédure qu’il incombe au juge de mentionner expressément dans sa décision d’autorisation ; qu’en l’espèce l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant les écoutes téléphoniques se réfère exclusivement à un renseignement anonyme « mettant en cause [Z] [W] et fournissant deux numéros de téléphone susceptibles d’être utilisés dans le cadre du trafic, celui de [Z] [W] et celui de son fournisseur, numéro attribué à [Z] [N] » ; que pour rejeter la nullité de la décision d’autorisation du juge des libertés et de la détention l’arrêt attaqué énumère les éléments de la procédure dont il résulterait que le renseignement anonyme avait acquis une force probante pour affirmer que le juge des libertés et de la détention, qui ne « se borne pas à reprendre le renseignement anonyme », l’avait adapté et circonstancié au regard des vérifications opérées et avait opéré un contrôle réel et effectif de la nécessité des interceptions, mesure proportionné à l’objectif poursuivi (arrêt, p. 16 §6 – p. 17) ; qu’en substituant ses propres motifs à la motivation défaillante de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, l’arrêt attaqué a violé les articles susvisés ainsi que l’article préliminaire du code de procédure pénale et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme ;

2°/ que de surcroît, en se déterminant ainsi quand le procès-verbal de renseignement n°02720/00558/2022 faisant état des vérifications énoncées par l’arrêt n’est pas visé par l’ordonnance critiquée, prise uniquement au visa du procès-verbal n°02720/757/2002, ce qui ne permet pas d’affirmer que ces vérifications aient été seulement à la disposition du juge des libertés et de la détention au jour où il a statué, la chambre de l’instruction a de nouveau violé les textes visés au moyen. »

Réponse de la Cour

9. Pour écarter le moyen de nullité de l’ordonnance du 21 juillet 2022 tiré de ce que le juge des libertés et de la détention avait autorisé les interceptions litigieuses sur le fondement du seul renseignement anonyme, l’arrêt attaqué énonce que des réquisitions ont été délivrées pour vérifier le nom des titulaires des lignes, qu’il est apparu que l’une d’entre elles était gérée par un opérateur connu des services d’enquête pour son attractivité auprès des trafiquants, la souscription pouvant se faire sans identification, et enfin que la consultation du fichier du traitement des antécédents judiciaires (TAJ) a mis en évidence que M. [W] ainsi que le titulaire de la seconde ligne, M. [Z] [N], étaient connus pour des faits d’infraction à la législation sur les stupéfiants.

10. Les juges en déduisent que le juge des libertés et de la détention ne s’est pas borné à reprendre le renseignement anonyme mais a pris sa décision au regard de l’ensemble de ces éléments.

11. Ils ajoutent que l’ordonnance critiquée explique en quoi les deux lignes téléphoniques attribuées à MM. [W] et [N] sont concernées par cette mesure, ces deux téléphones étant susceptibles d’être utilisés dans le cadre d’un trafic de stupéfiants.

12. En prononçant ainsi, la chambre de l’instruction, qui n’a pas substitué son appréciation à celle du juge des libertés et de la détention, n’a pas méconnu les textes visés au moyen.

13. En effet, il résulte des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que la requête du procureur de la République aux fins d’interceptions de correspondances téléphoniques (D338), en date du 21 juillet 2022, au visa de laquelle l’ordonnance du juge des libertés et de la détention a été prise, mentionne précisément les éléments corroborant le renseignement anonyme, à savoir l’identification de M. [N] et les vérifications précitées opérées auprès du TAJ, éléments visés dans le procès-verbal de renseignement judiciaire (D9) dressé le 18 juillet 2021 sur le fondement duquel l’enquête préliminaire a été ordonnée.

14. Ainsi, le moyen doit être écarté.

15. Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme.


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