La société Sofinco a accordé un prêt de 17 500 francs à M. et Mme [W] en avril 1998, remboursable en 48 mensualités. En octobre 1999, un tribunal a ordonné aux époux de payer une somme de 15 099,37 francs, avec intérêts, ce qui a conduit à des saisies sur leurs comptes bancaires. En 2010, Sofinco a fusionné avec CA consumer finance. En 2014 et 2015, des saisies supplémentaires ont été effectuées par CA consumer finance. En janvier 2017, CA consumer finance a cédé ses créances à Eos Crédirec, qui a ensuite notifié les époux de cette cession. En octobre 2018, Eos Crédirec a signifié un commandement de payer, et les époux ont fait opposition à l’ordonnance d’injonction de payer. M. [W] est décédé en 2019. En juin 2020, le tribunal a déclaré l’opposition irrecevable et a condamné Mme [W] à payer des frais. En 2022, Eos France, successeur d’Eos Crédirec, a engagé une procédure de saisie-vente contre Mme [W]. En janvier 2024, le juge de l’exécution a annulé cette saisie et condamné Eos France aux dépens. Eos France a interjeté appel, demandant la confirmation de sa créance. Mme [W] a également demandé la rectification d’une erreur matérielle dans le jugement. La cour a confirmé le jugement tout en corrigeant l’erreur et a condamné Eos France à verser des frais à Mme [W].
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 3
ARRÊT DU 17/10/2024
N° de MINUTE : 24/729
N° RG 24/00414 – N° Portalis DBVT-V-B7I-VKPO
Jugement (N° 22/01724) rendu le 11 Janvier 2024 par le Juge de l’exécution d’Avesnes sur Helpe
APPELANTE
SASU EOS France anciennement dénommée EOS Crédirec, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Francis Deffrennes, avocat au barreau de Lille, avocat constitué assisté de Me Eric Bohbot, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
INTIMÉE
Madame [O] [W]
née le [Date naissance 2] 1952 – de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Philippe Le Fur, avocat au barreau d’Avesnes sur Helpe, avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 19 septembre 2024 tenue par Sylvie Collière magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Ismérie Capiez
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Sylvie Collière, président de chambre
Catherine Convain, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Catherine Ménegaire, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Sylvie Collière, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 27 août 2024
Par offre acceptée le 3 avril 1998 portant la référence 35012159216, la société Sofinco a consenti à M. [D] [W] et Mme [O] [K] épouse [W] un prêt d’un montant de 17 500 francs, soit 2 667,86 euros, remboursable en 48 mensualités au taux effectif global de 12,5 % l’an.
Par ordonnance du 4 octobre 1999, le président du tribunal d’instance de Maubeuge a enjoint aux époux [W] de payer la somme en principal de 15 099,37 francs (2 301,88 euros), avec intérêts au taux de 8 % à compter du 5 août 1999, ainsi que la somme de 253,26 francs (38,61 euros) au titre des frais accessoires.
Cette ordonnance a été signifiée aux époux [W] le 15 novembre 1999 puis revêtue de la formule exécutoire le 28 mars 2000.
L’ordonnance assortie de la formule exécutoire a été signifiée aux époux [W] le 19 avril 2000 en même temps qu’un commandement de payer aux fins de saisie-vente.
Selon procès-verbal du 25 mai 2000, la société Sofinco a, en vertu de l’ordonnance du 4 octobre 1999, fait pratiquer une saisie-attribution sur les comptes bancaires des époux [W] ouverts dans les livres de la Banque populaire du Nord. cette mesure a été dénoncé aux époux [W] le 29 mai 2000. Par acte du 30 mai 2002, l’acquiescement des débiteurs a été signifié au tiers saisi.
En 2010, les sociétés Sofinco et Finaref ont fait l’objet d’une fusion avec la société CA consumer finance, la dénomination sociale étant devenue CA consumer finance.
Selon procès-verbal du 9 décembre 2014, la société CA consumer finance a, en vertu de l’ordonnance du 4 octobre 1999, fait pratiquer une saisie-attribution sur les comptes bancaires de M. [W] ouverts dans les livres de la Banque populaire du Nord. Cette mesure a été dénoncée à M. [W] le 12 décembre 2014. Par acte du 12 janvier 2015, l’acquiescement du débiteur a été signifié au tiers saisi.
Selon procès-verbal du 7 mai 2015, la société CA consumer finance a, en vertu de la même ordonnance, fait pratiquer une saisie-attribution sur les comptes bancaires de M. [W] ouverts dans les livres de la Banque populaire du Nord. Cette saisie a été dénoncée à M. [W] le 12 mai 2015. Par acte du 15 juin 2015 un certificat de non-contestation a été signifié au tiers-saisi.
Par acte du 31 janvier 2017, la société CA consumer finance a cédé à la société Eos Crédirec un ensemble de créances.
Par lettre du 28 mars 2017, les sociétés CA consumer finance et Eos Crédirec ont notifié à M. [W] la cession de créances du 31 janvier 2017.
Par actes du 10 septembre 2018, la société Eos Crédirec a fait signifier aux époux [W] la cession de créance du 31 janvier 2017, l’ordonnance du 4 octobre 1999 et un commandement de payer la somme de 3 204,06 euros aux fins de saisie-vente.
Par acte du 15 octobre 2018, les époux [W] ont fait opposition à l’ordonnance d’injonction de payer du 4 octobre 1999.
Le 1er janvier 2019, la société Eos Crédirec a changé de dénomination sociale au profit de Eos France.
[D] [W] est décédé le [Date décès 1] 2019 en cours d’instance.
Par jugement du 12 juin 2020, le tribunal de proximité de Maubeuge a déclaré l’opposition irrecevable, constaté que l’ordonnance d’injonction de payer du 4 octobre 1999 produisait tous les effets d’un jugement contradictoire et condamné Mme [W] à payer à la société Eos France la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par acte du 5 janvier 2022, la société Eos France a fait signifier à Mme [W] le jugement du 12 juin 2020.
Par acte du 11 juillet 2022, la société EOS France a, en vertu de l’ordonnance d’injonction de payer du 4 octobre 1999 et du jugement du 12 juin 2020, fait signifier à Mme [W] un commandement de payer aux fins de saisie-vente.
Le 27 septembre 2022, la société EOS France a fait dresser à l’encontre de Mme [W] un procès-verbal de saisie-vente de biens meubles.
Par acte du 27 octobre 2022, Mme [W] a fait assigner la société Eos France devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Avesnes-sur-Helpe aux fins de contester la procédure de saisie-vente.
Par jugement contradictoire du 11 janvier 2024, le juge de l’exécution a :
– annulé le commandement de payer aux fins de saisie-vente du 11 juillet ‘2002″ et le procès-verbal de saisie-vente avec inventaire des biens du 27 septembre 2022 délivrés par la société Eos France à Mme [W] ;
– condamné la société Eos France aux dépens ;
– condamné la société Eos France à payer à Mme [W] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code procédure civile ;
– rappelé que l’exécution provisoire est de droit.
Par déclaration adressée par la voie électronique le 29 janvier 2024, la société Eos France a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
Aux termes de ses dernières conclusions du 29 juillet 2024, elle demande à la cour, au visa de l’article 1324 du code civil, d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
– déclarer qu’elle vient aux droits de la société CA consumer finance et est désormais créancière de Mme [W] ;
– déclarer qu’elle détient un titre exécutoire valide, définitif et non prescrit à l’égard de Mme [W] ;
En conséquence,
– constater la validité de la mesure d’exécution pratiquée ;
– débouter Mme [W] de l’intégralité de ses demandes ;
– condamner Mme [W] à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Mme [W] aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions du 2 août 2024, Mme [W] demande à la cour de :
– rectifier l’erreur matérielle contenue dans le jugement déféré en ce qu’il est indiqué dans le dispositif du jugement que le commandement de payer aux fins de saisie-vente est du 11 juillet 2002 au lieu de 2022, et ce conformément aux dispositions de l’article 462 du code de procédure civile ;
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Avesnes-sur-Helpe le 11 janvier 2024 ;
– débouter la société Eos France de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
y ajoutant,
– condamner la société EOS France à lui payer la somme de 2 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la même aux entiers dépens.
Sur la qualité de créancier de la société Eos France :
Selon l’article L. 221-1 alinéa 1er du code des procédures civiles d’exécution, tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, après signification d’un commandement, faire procéder à la saisie et à la vente des biens meubles corporels appartenant à son débiteur, qu’ils soient ou non détenus par ce dernier
Il incombe à l’organisme qui se prévaut d’une cession de créance à son profit d’en apporter la preuve.
La société Eos France verse aux débats :
– l’acte de cession de créances du 31 janvier 2017 aux termes de laquelle la société CA Consumer Finance a cédé à la société Eos Crédirec un lot de 78 383 créances, désignées et individualisées dans un fichier gravé sur CD-Rom intitulé ‘CACF-EOS Détails Créances Lot 2 Janvier 2017’ ;
– une feuille qui y est jointe et mentionne :
‘Id ligne Lot Identifiant créance Nom débiteur Prénom Date de naissance
59 469 2 35012159216 [W] [D] 21/12/1950 ‘
– une attestation de créance du 21 juillet 2023 par laquelle la société CA Consumer Finance confirme que, dans le cadre de la cession de créances du 31 janvier 2017, elle a cédé la créance à l’égard de M. [D] [W] et de Mme [O] [W] née [K] résultant du contrat de crédit n°35012159216 souscrit le 3 avril 1998 au profit de M. [D] [W] et de Mme [O] [W] née [K] pour lequel une ordonnance d’injonction de payer n°1581/99 a été rendue le 4 octobre 1999 par le tribunal d’instance de Maubeuge.
Le numéro de la ligne (59 469) sur la feuille jointe à l’acte de cession et le fait que la ligne en question se trouve au tiers de la page, ce qui démontre que les lignes antérieures et postérieures à la ligne 59 469 se rapportaient à d’autres créances, établissent que cette feuille est bien un extrait papier du fichier gravé sur CD-rom, ce qui est corroboré par l’attestation de créance du 21 juillet 2023 et rend inutile la production du CD-rom contenant la liste intégrale des créances cédées.
Par ailleurs la créance, correspondant au contrat de prêt n°35012159216 que Mme [W] a signé avec son mari, et qui a donné lieu à sa condamnation aux côtés de ce dernier par l’ordonnance d’injonction de payer du 4 octobre 1999, est bien identifiée sur la feuille annexée à l’acte de cession grâce au rappel de sa référence.
Il en résulte que la créance à l’égard des époux [W] en vertu du contrat de prêt n°35012159216 et ayant donné lieu à leur condamnation par l’ordonnance d’injonction de payer du 4 octobre 1999 a bien été cédée par la société CA consumer finance à la société Eos Crédirec dans tous ces éléments à l’égard de chacun des débiteurs, peu important l’absence de mention de Mme [W] sur l’extrait de l’annexe de l’acte de cession.
Contrairement à ce qui a été retenu par le jugement déféré, la société EOS France rapporte donc la preuve de sa qualité de créancier à l’égard de Mme [W].
Sur la prescription :
La loi n°2008-561 du 17 juin 2008 a substitué à la prescription trentenaire la prescription décennale en insérant dans la loi n°91-650 du 9 juillet 1991 un article 3-1 dont il résulte que l’exécution des décisions judiciaires ayant force exécutoire ne peut être poursuivie que pendant dix ans (article désormais codifié à l’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution).
Les dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 et notamment l’article 26-II de cette loi précisent que les dispositions qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
La loi du 17 juin 2008 est entrée en vigueur le 19 juin 2008.
En application de l’article 2244 du code civil, la prescription est interrompue par la délivrance d’un acte d’exécution forcée.
Le commandement aux fins de saisie-vente qui, sans être un acte d’exécution forcée, engage la mesure d’exécution forcée, interrompt la prescription de la créance qu’elle tend à recouvrer
En application de l’article 2245 alinéa 1er du même code, l’interpellation faite à l’un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou un acte d’exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres.
En l’espèce, le titre exécutoire fondant les mesures d’exécution est l’ordonnance d’injonction de payer du 4 octobre 1999, le jugement du 12 juin 2020 n’ayant fait que déclarer l’opposition formée à l’encontre de cette ordonnance irrecevable.
La prescription en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 a couru pour dix ans à compter du 19 juin 2008.
En outre, l’ordonnance d’injonction de payer n’a pas prononcé de condamnation solidaire à l’égard des époux [K] et la société Eos France ne peut se prévaloir de la solidarité prévue par l’article 220 du code civil. En effet, les emprunts conclus du consentement des deux époux n’engagent solidairement ceux-ci que s’ils ont pour objet l’entretien du ménage et l’éducation des enfants et en l’espèce, il n’est pas établi que le prêt n°35012159216 ait eu pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, l’offre acceptée le 3 avril 1998 mentionnant seulement que ce prêt a pour objet le remboursement anticipé d’un crédit n°52004425653 dont l’objet est inconnu.
Les saisies-attributions pratiquées par la société CA Consumer les 9 décembre 2014 et 7 mai 2015 n’ont visé que M. [W] et n’ont été dénoncées les 12 décembre 2014 et 12 mai 2014 qu’à ce dernier de sorte qu’en l’absence de solidarité, la société Eos France ne peut invoquer les dispositions susvisées de l’article 2245 alinéa 1er du code civil pour soutenir que la prescription a été interrompue à l’égard de Mme [W], peu important que les actes de dénonciation des saisies-attributions à M. [W] aient été délivrés à domicile, à Mme [O] [W], épouse du débiteur.
Il en résulte que la prescription de la créance était acquise, et ce depuis le 19 juin 2018, quand le commandement aux fins de saisie-vente du 10 septembre 2018 a été délivré à Mme [W] et, à plus forte raison, quand le commandement aux fins de saisie-vente du 11 juillet 2022 lui a été délivré et quand le procès-verbal de saisie-vente du 27 septembre 2022 a été dressé.
Il convient donc par substitution de motifs de confirmer le jugement déféré qui a annulé le commandement de payer aux fins de saisie-vente du 11 juillet 2022 et le procès-verbal de saisie-vente avec inventaire des biens du 27 septembre 2022, sauf à rectifier l’erreur matérielle contenue dans le dispositif de cette décision sur l’année du commandement (2022 et non 2002).
Sur les frais du procès :
La solution donnée au litige conduit à confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Partie perdante en appel, la société Eos France sera condamnée ainsi qu’à régler à Mme [W] une somme complémentaire de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’appel.
Confirme le jugement déféré, sauf à rectifier l’erreur matérielle qu’il contient, la date du commandement aux fins de saisie-vente étant du 11 juillet 2022 et non du 11 juillet 2002 ;
Y ajoutant,
Condamne la société Eos France à régler à Mme [O] [K] veuve [W] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Condamne la société Eos France aux dépens d’appel.
Le greffier
Ismérie CAPIEZ
Le président
Sylvie COLLIERE