Contexte de l’affaireLa société Orpea, désormais connue sous le nom d’Emeis, est engagée dans la gestion de centres d’hébergement pour personnes dépendantes, opérant à travers dix établissements. Désignation syndicaleLe 5 avril 2024, le syndicat CFE-CGC Santé social a désigné M. [V] [T] comme représentant de section syndicale au sein de l’établissement « Supports ». Demande d’annulationLe 18 avril 2024, la société Orpea a introduit une demande d’annulation de cette désignation auprès du tribunal. Audience et parties impliquéesLes parties, incluant la société Emeis, le syndicat CFE-CGC Santé social et M. [T], ont été convoquées à l’audience du 25 septembre 2024. Arguments de la société EmeisLa société Emeis a soutenu que la désignation de M. [T] était irrégulière, arguant qu’il manquait d’indépendance vis-à-vis de l’employeur, qu’aucune section syndicale n’existait dans l’établissement, et que la désignation était frauduleuse, visant à éviter un licenciement potentiel. Réponse du syndicat et de M. [T]Le syndicat CFE-CGC Santé social et M. [T] ont contesté ces arguments, affirmant l’existence d’une section syndicale et l’indépendance de M. [T], tout en demandant une indemnisation de 2 000 euros pour les frais de justice. Examen de la légalité de la désignationLe tribunal a examiné la légalité de la désignation en se basant sur le code du travail, concluant qu’il existait bien une section syndicale au sein de l’établissement et que M. [T] ne détenait pas de pouvoir de l’employeur, ce qui permettait sa désignation. Sur la fraude alléguéeConcernant l’allégation de fraude, le tribunal a noté qu’aucune Procédure de licenciement n’était envisagée pour M. [T] au moment de sa désignation, écartant ainsi l’argument de la fraude. Décision du tribunalLe tribunal a débouté la société Emeis de toutes ses demandes, lui imposant de verser 1 500 euros au syndicat CFE-CGC Santé social et à M. [T] pour les frais de justice, tout en rejetant les demandes supplémentaires du syndicat et de M. [T]. ConclusionLe jugement a été signé par le Vice-président et le Greffier présents lors du prononcé. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE NANTERRE
Pôle social
JUGEMENT
rendu le 15 novembre 2024
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Contentieux des Elections
professionnelles
N° RG 24/00054 – N°��Portalis DB3R-W-B7I-ZN4Q
N° MINUTE :
24/00096
Copie conforme délivrée
le :
à :
Maître Cyril GAILLARD
Maître Fanny SEVIRAN
EMEIS anciennement ORPEA
Monsieur [V] [T]
CFE-CGC SANTE SOCIAL
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Maître Fanny SEVIRAN ([V] [T], CFE-CGC SANTE SOCIAL)
DEMANDERESSE
S.A. EMEIS anciennement ORPEA, dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Maître Cyril GAILLARD avocat au barreau de PARIS – T12
DÉFENDEURS
Monsieur [V] [T], demeurant [Adresse 3]
comparant assisté de Maître Fanny SEVIRAN avocat au barreau de PARIS – P0075
Syndicat CFE-CGC SANTE SOCIAL, sis [Adresse 2]
ayant pour représentant légal Monsieur [D] [X] représenté par Madame [R] [Z] munie d’un mandat, assistée de Maître Fanny SEVIRAN avocat au barreau de PARIS – P0075
DATE DES DÉBATS
Audience publique du 25 octobre 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Vincent SIZAIRE, Vice-président, assisté de Pascale GALY, Greffier,
présents lors des débats et du prononcé.
JUGEMENT
Jugement contradictoire, prononcé publiquement et en dernier ressort, par mise à disposition le 15 novembre 2024
La société Orpea, renommée Emeis, a pour activité la prestation de services et la gestion de centre d’hébergement pour les personnes dépendantes. Elle exerce son activité au sein de dix établissements distincts.
Le 5 avril 2024, le syndicat CFE-CGC Santé social a notifié à la direction de la société la désignation de M. [V] [T] en qualité de représentant de section syndicale au sein de l’établissement « Supports ».
Par requête enregistrée le 18 avril 2024, la société Orpea a saisi la présente juridiction d’une demande d’annulation de cette désignation.
La requérante, le syndicat CFE-CGC Santé social et M [T] ont été régulièrement convoqués à l’audience du 25 septembre 2024.
Dans le dernier état de ses écritures et de ses observations, la société Emeis, venant aux droits de la société Orpea, demande au tribunal :
– L’annulation de la désignation de M [V] [T] en qualité de représentant de section syndicale ;
– La condamnation solidaire des défendeurs à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de Procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Décision du 15 novembre 2024
Pôle social – Elections Professionnelles – N° RG 24/00054 – N° Portalis DB3R-W-B7I-ZN4Q
Elle soutient que la désignation de M [T] est irrégulière, en ce qu’il ne présente pas d’indépendance suffisante par rapport à l’employeur, qu’il n’existe pas de section syndicale au sein de l’établissement concerné et que la désignation présente un caractère frauduleux en ce qu’elle vise à faire échec à un éventuel licenciement.
Dans le dernier état de leurs écritures et de leurs observations, le syndicat CFE-CGC Santé social et M. [T] concluent au rejet de la demande et sollicitent la condamnation de la demanderesse à leur verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de Procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Ils soutiennent qu’il existe bien une section syndicale au sein de l’établissement Orpéa Support, que M [T] présente une indépendance suffisante par rapport à l’employeur et que sa désignation ne présente aucun caractère frauduleux.
Sur la demande d’annulation
En vertu de l’article L. 2142-1-1 du code du travail, « chaque syndicat qui constitue […] une section syndicale au sein de l’entreprise ou de l’établissement d’au moins cinquante salariés peut, s’il n’est pas représentatif dans l’entreprise ou l’établissement, désigner un représentant de la section pour le représenter au sein de l’entreprise ou de l’établissement ».
En ce qui concerne l’existence d’une section syndicale
Il résulte des dispositions de l’article L. 2142-1 du code du travail que toute organisation syndicale satisfaisant aux conditions générales de représentativité peut constituer une section syndicale dans une entreprise ou un établissement dès lors qu’elle justifie d’au moins deux adhérents.
En l’espèce, les fiches extraites du registre de ses adhérents produites par le syndicat défendeur démontrent qu’à la date de la désignation litigieuse, il existait au moins trois personnes à jour de leurs cotisations parmi les salariés de l’établissement « Supports » de la société Orpéa. En l’absence de tout élément de nature à remettre en cause la fiabilité des informations contenues dans ces fichiers, il ne saurait être exigé du syndicat défendeur qu’il produise en outre d’autres documents attestant du paiement des cotisations.
Le moyen tiré de l’absence de section syndicale doit dès lors être écarté.
En ce qui concerne l’indépendance de M [T]
Il résulte des dispositions des articles L. 2142-1-1 et L. 2143-1 du code du travail que la personne exerçant tout ou partie des pouvoirs de l’employeur ou le représentant habituellement au sein des institutions représentatives du personnel ne peut être désigné représentant de section syndicale.
En l’espèce, il est constant que M [T] ne dispose d’aucune délégation de pouvoir de l’employeur. Si la société demanderesse produit deux procès-verbaux de réunions de comités sociaux et économiques au cours desquelles M [T] est intervenu en sa qualité de directeur santé et sécurité, il ressort de ces mêmes pièces que son intervention s’est limitée à l’information des élus sur les questions relevant de sa compétence, la direction de l’entreprise étant par ailleurs représentée par des personnes distinctes.
Par ailleurs, la seule qualité de cadre d’un salarié ne saurait interdire de le désigner comme représentant du personnel, a fortiori par une organisation syndicale se donnant pour mission de défendre spécifiquement les intérêts de cette catégorie de travailleurs.
Contrairement à ce que soutient la demanderesse, le contrat de travail de M [T] ne lui confère pas la qualité de dirigeant de l’entreprise mais précise au contraire qu’il exerce ses missions sous l’autorité du « directeur général du groupe ou de tout autre personne qui pourrait lui être substituée ». Aucune pièce du dossier ne permet ainsi de considérer qu’il exerce, à l’égard des autres salariés, des fonctions propres à l’employeur et notamment l’exercice du pouvoir de recrutement ou du pouvoir disciplinaire.
Le moyen tiré du manque d’indépendance à l’égard de l’employeur doit dès lors être écarté.
En ce qui concerne la fraude
Il résulte des dispositions des articles L. 2142-1-1 et L. 2143-1 du code du travail qu’est irrégulière la désignation d’un salarié en qualité de représentant de section syndicale faite dans le seul but de lui assurer le statut protecteur réservé aux représentants du personnel. C’est à l’employeur qu’il incombe de démontrer l’existence d’une telle fraude, laquelle ne saurait être déduite de la seule antériorité ou concomitance d’une Procédure disciplinaire.
En l’espèce, il est constant qu’aucune Procédure de licenciement de M [T] n’était envisagée à la date de sa désignation, ce que la demanderesse reconnaît elle-même dans ses écritures. La seule circonstance que ce dernier ait été en conflit avec le directeur des opérations en juin 2022, soit près de deux ans avant la désignation litigieuse, ne saurait établir qu’il redoutait qu’une telle Procédure soit engagée à son encontre.
Le moyen tiré de la fraude doit dès lors être écarté.
Sur les frais de l’instance
Il y a lieu, en application des dispositions de l’article 700 du code de Procédure civile, de mettre à la charge de la société Emeis la somme de 1 500 € au titre des frais exposés par les défendeurs à l’occasion du présent litige.
Ces derniers n’étant pas les parties perdantes, la demande présentée à leur endroit au titre des frais de l’instance ne peut qu’être rejetée.
Le tribunal saisi d’une contestation en matière de désignation de représentant syndical statuant, conformément à l’article L. 2314-32 du code du travail, sans frais de Procédure, les demandes de condamnation aux dépens ne peuvent qu’être rejetées.
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, publiquement et en dernier ressort :
Déboute la société Emeis de l’ensemble de ses demandes.
Met à la charge de la société Emeis la somme de 1 500 euros à payer au syndicat CFE-CGC Santé social et à M [V] [T] en application de l’article 700 du code de Procédure civile.
Déboute le syndicat CFE-CGC Santé social et M [V] [T] du surplus de leurs demandes.
Et le présent jugement est signé par Vincent SIZAIRE, Vice-président et par Pascale GALY, Greffier, présents lors du prononcé.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT