Usage sérieux de marque : 8 décembre 2011 Cour d’appel de Lyon RG n° 10/03176

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Usage sérieux de marque : 8 décembre 2011 Cour d’appel de Lyon RG n° 10/03176
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R.G : 10/03176

Décision du tribunal de grande instance de Villefranche-sur-Saône

Au fond du 11 février 2010

RG : 08/00250

COUR D’APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 08 Décembre 2011

APPELANTE :

SARL CDI-B

[Adresse 1]

[Adresse 5]

[Localité 4]

représentée par la SCP LAFFLY – WICKY, avoués à la Cour

assistée de la SELARL CABINET RATHEAUX SELARL, avocats au barreau de LYON

INTIMEE :

SA LA REDOUTE

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Maître Christian MOREL, avoué à la Cour

assistée de la SELARL André BERTRAND & Associés, avocats au barreau de PARIS

Date de clôture de l’instruction : 30 Septembre 2011

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Octobre 2011

Date de mise à disposition : 08 Décembre 2011

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Michel GAGET, président

– François MARTIN, conseiller

– Philippe SEMERIVA, conseiller

assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier

A l’audience, Philippe SEMERIVA a fait le rapport, conformément à l’article 785 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Michel GAGET, président, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

La société CDI-B, propriétaire d’une marque utilisant le signe pierrade, a agi en contrefaçon à l’encontre de la société La Redoute en lui reprochant d’utiliser ce mot sur son site internet comme terme de recherche présélectionné.

Le jugement entrepris a écarté la demande reconventionnelle en dégénérescence de marque, mais rejeté l’action de la société CDI-B, au motif que la contrefaçon n’est pas prouvée et l’a condamnée au paiement d’une indemnité de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, la société CDI-B expose que, selon constat d’huissier, lorsque l’internaute présente au moteur de recherche équipant le site de la société La Redoute une requête constituée du mot pierrade, il se voit proposer un appareil de cuisson sur pierre, de sorte que le signe est utilisé pour désigner un produit identique à l’un de ceux figurant dans l’enregistrement de marque.

Elle conteste la thèse retenue par le tribunal, en faisant valoir :

– que le mot pierrade apparaît dans l’adresse http,

– que seule la frappe de ce mot (et non pierradi ou autre) déclenche l’identification d’un résultat positif, présélectionné,

– que la saisie d’un terme inexact est corrigée, non en ‘pierre’ ou autre terme, mais bien en ‘pierrade’, ce qui démontre que ce mot faisait partie du dictionnaire personnalisé de la société La Redoute et que sa suppression ultérieure établit tout à la fois la réalité de l’usage contrefaisant et la faculté pour cette société d’influer sur le fonctionnement du moteur de recherche.

La société CDI-B estime que la demande en dégénérescence de marque est irrecevable en ce qu’elle porte sur les produits des classes 21 et 42 , qui ne sont pas opposés à la société La Redoute, et mal fondée au regard de l’usage fait de cette marque.

Elle demande d’infirmer le jugement, de lui allouer des dommages-intérêts à hauteur de 200 000 euros, de prononcer diverses interdictions sous astreinte, d’ordonner des mesures de publication et de condamner la société La Redoute à lui payer une indemnité de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.

* *

La société La Redoute conteste la pré-sélection du terme pierrade en exposant que son système se borne à une indexation simplifiée, sans utilisation de mots-clefs.

Elle soutient :

– que la présence du mot litigieux dans l’adresse http ne correspond qu’à la reprise de celui saisi par l’internaute, que les constatations portant sur la correction du mot pierade en pierrade sont techniquement impossibles et que le constat dressé à ce propos doit être annulé,

– que les corrections, ou leur absence, ne résultent que des limites du système en fonction de la distance de Levensthein entre le terme saisi et celui figurant au dictionnaire, qui ne connaît pas le mot pierrade,

– que la disparition du résultat auparavant constaté à partir de la recherche par le mot pierrade ne résulte que de la nouvelle appellation du produit proposé à la vente,

– que la suggestion de plusieurs résultats en réponse à une requête sur ce mot achève de démontrer qu’il n’est pas pré-sélectionné.

Elle ajoute que la dégénérescence de la marque a été relevée par plusieurs décisions de justice et que les initiatives du titulaire pour éviter son dépérissement sont

insignifiantes.

La société La Redoute demande l’infirmation partielle du jugement, en ce qu’il a refusé de prononcer cette dégénérescence ; elle réclame paiement d’une somme de 40 000 euros pour appel abusif, la publication de l’arrêt et l’octroi d’une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

* *

MOTIFS DE LA DÉCISION

La marque n° 1 348 820 est :

P I E R R A D E

Les écarts entre les lettres peuvent être négligés pour l’appréciation des contours de protection du signe, car ils n’influent en rien sur son apparence visuelle, sa lecture ou sa prononciation ni sur son aspect évocateur d’un produit ou d’un service recourant à la mise en oeuvre d’une pierre.

Il en va de même de la police de caractères, trop courante pour imprimer au signe un aspect visuel particulier et reconnaissable.

Il s’agit d’une marque composée en réalité de son seul élément verbal, les autres caractéristiques de l’enregistrement étant négligeables.

Elle a été enregistrée en 1986 afin de désigner : ‘appareils d’éclairage, de chauffage, de production de vapeur, de cuisson, de séchage, de ventilation ; ustensiles et récipients pour le ménage ou la cuisine ; hôtellerie et restauration ; classe de produits ou services 11, 21, 42’.

‘ : S’agissant de la recevabilité de l’action en dégénérescence, l’argumentation de la société CDI-B est contradictoire car, tout en soutenant ‘qu’elle n’oppose la marque qu’en ce qui concerne les produits de la classe 11, parmi lesquels les appareils de cuisson’, elle demande en définitive ‘d’interdire à la société La Redoute de reproduire la marque en l’associant à l’un des produits ou services visés à l’enregistrement’.

La demande est donc recevable, dans sa propre thèse, pour l’ensemble des ces produits et services.

En toute hypothèse, le périmètre de recevabilité de l’action en dégénérescence n’est pas dicté par la limitation éventuellement opérée par le demandeur quant à ceux des produits ou services sur lesquels il fonde son action en contrefaçon, notamment au regard de leur position, purement indicative, dans la classification administrative.

Il suffit que le demandeur justifie d’une entrave, réelle ou potentielle, à son activité, peu important cette limitation.

En l’espèce, l’ensemble des produits ou services considérés sont en lien plus ou moins direct avec des usages culinaires ou de restauration.

Dans ces conditions, la société La Redoute établit que la monopolisation du signe constitue une entrave certaine à son activité dans ces domaines et d’ailleurs, cette activité concernant un très vaste champ de produits et services, elle justifie également d’une entrave potentielle au regard du développement naturel de l’une ou l’autre d’entre elles (dans le domaine des appareils de chauffage ou de l’hôtellerie, par exemple).

Son action en dégénérescence ne se heurte à aucune fin de non-recevoir.

‘ : Sur le fond de cette action, il s’agit d’abord d’examiner si la marque est devenue la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service.

Les produits et services couverts dans l’enregistrement ont un rapport avec l’art culinaire et la demande porte plus précisément sur les appareils de cuisson destinés au grand public.

La fonction essentielle de la marque étant de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service marqué en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance, il en résulte que, dans l’hypothèse de l’espèce où des intermédiaires, telle la société La Redoute, interviennent dans la distribution au consommateur final des produits ou services concernés, les milieux intéressés dont le point de vue doit être pris en compte pour apprécier si le mot pierrade est devenu usuel sont composés, certes, du consommateur final, ici le grand public, mais aussi, compte tenu des caractéristiques concrètes du marché en cause, de l’ensemble des professionnels qui interviennent dans la commercialisation.

Du point de vue du grand public, la démonstration est amplement faite que ce mot est quotidiennement, massivement et couramment utilisé pour désigner un appareil de cuisson caractérisé par le recours à une pierre chauffée.

De nombreuses recettes de cuisine, des annonces de revente sur internet et même une entrée de dictionnaire en font usage, et il n’est aucune trace que le public ait conscience d’employer ainsi un mot protégé en tant que marque.

Mais cela ne suffit pas à en conclure que la marque est devenue usuelle ; ces circonstances manifestent seulement que les produits et services considérés ont eu un grand succès, qu’ils présentaient une originalité et qu’il n’existait pas de mot pour les nommer auparavant, de sorte que le public les identifie par le vocable sous lequel ils ont été initialement offerts à la vente.

Mais il ne s’en déduit pas que les autres opérateurs économiques du secteur sont dans la même situation ni qu’ils s’en trouveraient autorisés à profiter des investissements à l’origine de ce succès pour concurrencer le premier intervenant en recourant à ce signe pour désigner des produits et services identiques ou similaires.

Le principe de dégénérescence suppose en effet de mettre en balance les intérêts en présence : ceux du titulaire de marque à sauvegarder la fonction essentielle de celle-ci et ceux de ces autres opérateurs à disposer de signes susceptibles de désigner leurs produits et services, ce qui peut inclure les signes devenus, non pas même nécessaires, mais usuels dans le secteur.

Or, il n’est pas même prétendu que, du point de vue des professionnels du secteur de la fabrication et de la commercialisation des appareils de cuisson et autres produits et services désignés dans l’enregistrement, le signe serait devenu usuel.

Aucun élément, tel que factures référençant ainsi des produits non marqués, éléments de communications, programmes promotionnels, références pour des produits ou services associés ne permet de constater que ces professionnels traiteraient le terme comme tel et il est établi qu’une fraction significative des milieux intéressés identifie grâce à la marque le produit comme provenant d’une entreprise déterminée.

Dès lors, la première condition de la dégénérescence, si même elle est remplie à l’égard du grand public, ne l’est nullement au regard de l’ensemble des professionnels du secteur et, à leur égard, la marque demeure propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.

Cette condition n’est pas remplie.

A supposer même le contraire, il conviendrait encore que le signe soit devenu usuel par le fait de l’activité ou l’inactivité du titulaire de marque.

Relativement au grand public, ces comportements doivent être appréciés en fonction de la diffusion du signe.

En l’espèce, cette dernière est si généralisée, massive et reçue, qu’elle était quasiment impossible à prévenir et à arrêter.

La propriété d’une marque ne saurait pourtant être subordonnée à des efforts tels qu’ils impliqueraient des interventions constantes et intrusives dans les activités, non seulement marchandes, mais même privées, du grand public.

Les reproches fondés sur le fait que la société CDI-B ne pourchasserait pas suffisamment les revues ou blogs faisant usage du signe ne sont donc pas décisifs, dès lors que le titulaire ne se borne pas à maintenir sa présence sur le marché, voire même à se livrer à un simple usage sérieux de la marque, mais utilise le signe et le défend à l’égard des intervenants sur le marché avec une intensité propre au maintien d’un pouvoir distinctif suffisant.

En effet, les motifs des premiers juges ont déjà souligné l’impact du site internet de la société CDI-B, dont l’existence et l’activité sont établies et dont il n’est pas prétendu qu’il serait référencé en mauvaise place en réponse à une requête constituée par le mot pierrade.

Ils ont encore retenu que la marque était utilisée lors de manifestations sportives.

Par ailleurs, la société exploitante dispose d’une part appréciable du marché des appareils de cuisson et les pièces produites montrent qu’elle l’emploie, en tant que marque expressément mentionnée comme telle, pour offrir à la vente tous ses appareils utilisant le principe de cuisson sur pierre.

Il résulte enfin des nombreuses décisions de justice rappelées au dossier que la société CDI-B s’oppose avec une constance suffisante à l’emploi de sa marque par les professionnels du secteur.

En conséquence, si même on admettait que la marque constituée du mot pierrade est devenue la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service, ce ne serait pas du fait de son titulaire et, faute que cette seconde exigence soit remplie, il n’y aurait pas plus lieu de constater sa dégénérescence.

Les principes ainsi mis en oeuvre paraissent assez sûrs au regard des solutions d’ores et déjà dégagées par la Cour de Justice de l’Union européenne (notamment, 4 mai 1999, C-108/97, Windsurf Chiemsee ; 4 octobre 2001, C-517/99, Merz & Krell ; 29 avril 2004, C-517/99, Björnekulla ; 27 avril 2006, C-145/05, Levi’s) pour écarter le recours à une question préjudicielle.

‘ : L’action en contrefaçon a cependant été rejetée par des motifs pertinents qui sont ici adoptés.

Il y convient d’ajouter, tout d’abord, que l’utilisation à titre de méta-tag d’un signe imitant une marque pour désigner des produits ou services désignés dans l’enregistrement, afin d’orienter les recherches de l’internaute vers un site marchand, constitue un usage de ce signe dans la vie des affaires.

Il est indifférent qu’il ne soit pas visible par l’internaute.

Cette circonstance est même de nature à amplifier le risque de confusion puisque, lorsque ce méta-tag est utilisé en tant que mot-clef – tel étant le reproche adressé à la société La Redoute – l’internaute ignore les modalités techniques de traitement de sa requête et se trouve conduit, sans le savoir, à des sites qui ne sont pas autorisés par le titulaire de la marque visée dans sa requête.

Il s’agit d’un usage que ce titulaire est en droit de faire interdire.

Mais en l’espèce, cet usage en tant que mot-clef n’est pas établi, et la preuve contraire résulte même des propres éléments fournis par la société CDI-B.

Comme l’a indiqué le tribunal, l’argument tiré de l’adresse URL est vain et il résulte des pièces soumises aux débats que la recherche à partir du mot pierrade, loin de diriger exclusivement vers l’appareil ainsi désigné par le grand public, propose des résultats sans aucun rapport avec ce dernier.

Il en va de même d’une requête s’écartant un peu de ce mot, tel pierradi, qui ne génère pas de correction automatique, ni même, de proposition en faveur du mot pierrade.

Il s’en déduit que le mot pierrade n’est pas répertorié en tant que tel dans le moteur de recherche de la société La Redoute, mais que le fonctionnement de l’algorithme ne prend en compte qu’un mot courant, tel que pierre ; le reproche qui lui est adressé manque en fait.

Le jugement entrepris doit être confirmé.

Il n’en résulte pas que l’appel est abusif et rien ne permet de le qualifier de tel.

Les demandes de la société La Redoute concernant notamment la publication de l’arrêt ne sont pas justifiées par un intérêt suffisant, dès lors notamment que l’action en dégénérescence n’est pas reçue.

Aucune circonstance ne conduit cependant à écarter l’application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

– Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

– Y ajoutant,

– Déboute la société La Redoute de ses demandes reconventionnelles,

– Condamne la société CDI-B à payer une somme de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamne la société CDI-B aux dépens d’appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Morel, avoué.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

Joëlle POITOUXMichel GAGET

 


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