Usage sérieux de marque : 4 novembre 2020 Cour de cassation Pourvoi n° 16-28.281

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Usage sérieux de marque : 4 novembre 2020 Cour de cassation Pourvoi n° 16-28.281
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COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 4 novembre 2020

Cassation

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 681 FS-P+B

Pourvoi n° W 16-28.281

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 NOVEMBRE 2020

M. O… B…, domicilié […] , a formé le pourvoi n° W 16-28.281 contre l’arrêt rendu le 13 septembre 2016 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Cooper International Spirits, dont le siège est […],

2°/ à la société Etablissements Gabriel Boudier, société anonyme, dont le siège est […] ,

3°/ à la société St Dalfour, société par actions simplifiée, dont le siège est […] ,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Darbois, conseiller, les observations de la SCP Ortscheidt, avocat de M. B…, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat des sociétés Cooper International Spirits, Etablissements Gabriel Boudier et St Dalfour, et l’avis de Mme Beaudonnet, avocat général, après débats en l’audience publique du 29 septembre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Darbois, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Champalaune, Daubigney, Michel-Amsellem, M. Ponsot, Mme Boisselet, M. Mollard, conseillers, Mmes Le Bras, de Cabarrus, Lion, Lefeuvre, Bessaud, M. Boutié, Mmes Tostain, Bellino, conseillers référendaires, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 13 septembre 2016), M. B… était titulaire de la marque française semi-figurative « Saint Germain » n° 3 395 502, déposée le 5 décembre 2005 pour désigner, en classes 30, 32 et 33, notamment les boissons alcooliques (à l’exception des bières), cidres, digestifs, vins et spiritueux, extraits ou essences alcooliques.

2. Ayant appris que la société Cooper International Spirits distribuait une liqueur de sureau sous la dénomination « St-Germain », fabriquée par la société St Dalfour et un sous-traitant de cette dernière, la société Etablissements Gabriel Boudier, M. B… a, le 8 juin 2012, assigné ces trois
sociétés en contrefaçon de marque.

3. Ayant été déchu de ses droits sur la marque « Saint Germain » pour les produits précités à compter du 13 mai 2011, par un arrêt, devenu irrévocable, rendu dans une autre instance le 11 février 2014, M. B… a maintenu ses demandes pour la période non couverte par la prescription et antérieure à la déchéance, soit entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011.

4. Par un arrêt du 26 septembre 2018, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation des articles 5, paragraphe 1, sous b), 10 et 12 de la directive n° 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. B… fait grief à l’arrêt du rejet de ses demandes, alors « qu’au cours de la période de cinq ans qui suit l’enregistrement d’une marque, le titulaire de la marque peut interdire aux tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire à sa marque et susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, sans devoir démontrer un usage sérieux de ladite marque pour ces produits ou ces services ; qu’en retenant que M. B… ne pouvait se prévaloir ni d’une atteinte à la fonction de garantie d’origine de la marque « Saint Germain », ni d’une atteinte portée au monopole d’exploitation conféré par sa marque, ni même d’une atteinte à la fonction d’investissement de la marque, motifs pris qu’il avait échoué à démontrer que sa marque avait été réellement exploitée, cependant qu’il pouvait interdire aux tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire à sa marque et susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, sans devoir démontrer un usage sérieux de la marque « Saint Germain » et, partant, sans démontrer qu’elle était effectivement exploitée, la cour d’appel a violé les articles L. 713-3 et L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 713-3, b) et L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, tels qu’interprétés à la lumière des articles 5, paragraphe 1, sous b), 10 et 12 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques :

6. Le premier de ces textes interdit, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.

7. Le second de ces textes sanctionne par la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la déchéance ne pouvant prendre effet avant l’expiration de ce délai.

8. Répondant à la question préjudicielle précitée, la CJUE, par un arrêt du 26 mars 2020 (Cooper International Spirits e. a., C-622/18), a dit pour droit que « l’article 5, paragraphe 1, sous b), l’article 10, paragraphe 1, premier alinéa, et l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, lus conjointement avec le considérant 6 de celle-ci, doivent être interprétés en ce sens qu’ils laissent aux États membres la faculté de permettre que le titulaire d’une marque déchu de ses droits à l’expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque. »

9. A cet égard, la CJUE a précisé qu’il convenait d’apprécier, au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque, l’étendue du droit exclusif conféré au titulaire, en se référant aux éléments résultant de l’enregistrement de la marque et non pas par rapport à l’usage que le titulaire a pu faire de cette marque pendant cette période (arrêt précité, points 38 et 39).

10. Par conséquent, la déchéance d’une marque, prononcée en application de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, ne produisant effet qu’à l’expiration d’une période ininterrompue de cinq ans sans usage sérieux, son titulaire est en droit de se prévaloir de l’atteinte portée à ses droits sur la marque qu’ont pu lui causer les actes de contrefaçon intervenus avant sa déchéance.

11. Pour rejeter les demandes formées par M. B…, l’arrêt retient que celui-ci ne justifie d’aucune exploitation de la marque depuis son dépôt et en déduit que, faute pour la marque d’avoir été mise en contact avec le consommateur, son titulaire ne peut arguer ni d’une atteinte à sa fonction de garantie d’origine, ni d’une atteinte portée au monopole d’exploitation conférée par ladite marque, ni encore d’une atteinte à sa fonction d’investissement.

12. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

13. M. B… fait le même grief à l’arrêt, alors « que le juge ne peut dénaturer le contenu des documents qui lui sont soumis ; qu’en retenant que « les pièces produites par M. B… pour justifier que la liqueur de sureau supportant le signe « St-Germain » a été commercialisée sont, à l’exception d’une seule, postérieures au 13 mai 2011 », cependant que M. B… produisait un nombre très important de pièces, en l’occurrence des bons de commande, bons de livraison et de factures datés de mai 2009 à mai 2011, chaque document portant la mention « St-Germain » et étant relatif à la vente de bouteilles d’alcool sous ce nom en France, démontrant ainsi sans équivoque que la société SAEGB avait fabriqué et vendu en France les liqueurs issues de sa fabrication à la société Cooper International Spirits, et à compter de 2009 à la société française St Dalfour et que la société St Dalfour avait fabriqué et vendu en France les produits « St-Germain » à la société Cooper International Spirits en France, la cour d’appel a dénaturé le contenu clair et précis des pièces produites par M. B… en méconnaissance de l’obligation, pour le juge, de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis. »

 


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