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Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 26 OCTOBRE 2011
(n° 251, 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 09/23375.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Octobre 2009 – Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 4ème Section – RG n° 09/01493.
APPELANTE :
S.A.S DIPTYQUE
prise en la personne de son représentant légal,
ayant son siège social [Adresse 2],
représenté par la SCP MOREAU, avoués à la Cour,
assisté de Maître Damien REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque D 451.
INTIMÉE :
Société en commandite simple JAS HENNESSY & Co
prise en la personne de son représentant légal,
ayant son siège social [Adresse 1],
représentée par Maître Dominique OLIVIER, avoué à la Cour,
assistée de Maître Xavier BUFFET DELMAS D’AUTANE plaidant pour le Cabinet HOGAN LOVELLE (LLP), avocat au barreau de PARIS, toque J 033.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Septembre 2011, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Monsieur PIMOULLE, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Didier PIMOULLE, président,
Madame Brigitte CHOKRON, conseiller,
Madame Anne-Marie GABER, conseiller.
Greffier, lors des débats : Monsieur TL NGUYEN.
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Didier PIMOULLE, président et par Monsieur NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
LA COUR,
Vu l’appel relevé par la s.a.s. Diptyque du jugement du tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre, 4ème section, n° de RG : 09/1493), rendu le 29 octobre 2009 ;
Vu les dernières conclusions de l’appelante (7 décembre 2010) ;
Vu les dernières conclusions (24 novembre 2010) de la société en commandite simple Jas Hennessy & Co , intimée et incidemment appelante ;
Vu l’ordonnance de clôture prononcée le 7 juin 2011 ;
* *
SUR QUOI,
Considérant que la société Diptyque (fabrication de bougies parfumées et d’eaux de toilette), titulaire de la marque française verbale « Diptyque » déposée le 27 novembre 1981 enregistrée sous le n° 1 680 475 pour les produits des classes 3, 14, 18, 21, 24 et 25 et régulièrement renouvelée et de la marque communautaire verbale « Diptyque » déposée le 11 février 2005 sous le n° 00 4 292 652 pour les produits et services des classes 3, 4 et 35, ayant appris que la société Jas Hennessy & Co (ci-après : Hennessy) avait déposé, le 28 mars 2008, la dénomination « Diptyque » à titre de marque enregistrée sous le n° 08 3 565 540 pour désigner des boissons alcooliques en classe 33, a assigné cette société pour atteinte à sa marque renommée en application de l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle, atteinte à ses marques antérieures en application de l’article L 711-4 du code de la propriété intellectuelle et de l’article L 3323-3 du code de la santé publique ainsi qu’en nullité de la marque n° 08 3 565 540, réclamant en outre des mesures d’interdiction et des dommages-intérêts ;
Que le tribunal, par le jugement dont appel, a débouté la société Diptyque de toutes ses demandes et prononcé la déchéance partielle de sa marque française n° 1 680 475 ;
Considérant que la société Diptyque conteste la recevabilité de la société Hennessy, faute d’intérêt, à agir en déchéance de sa marque française n° 1 680 475, conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il a rejeté la demande d’annulation de sa marque communautaire n° 00 4 292 652 et reprend sa propre demande d’annulation de la marque n° 08 3 565 540 de la société Hennessy en faisant valoir la renommée de la sienne et le risque de restriction d’usage de celle-ci engendré par les dispositions du code de la santé publique qui interdisent toute publicité qui rappelle une boisson alcoolique ;
Que la société Hennessy conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu’il a rejeté sa demande de déchéance de la marque française n° 1 680 475 pour les « huiles essentielles » et sa demande de nullité partielle de la marque communautaire n° 00 4 292 652 ;
1. Sur l’intérêt de la société Hennessy à agir en déchéance de la marque française n° 1 680 475 :
Considérant que la société Diptyque soutient que la société Hennessy, qui exerce son activité dans un domaine étranger à celui des produits pour lesquels elle demande la déchéance et qui ne la demande pas pour certains produits exploités après le 1er janvier 1990, n’a pas d’intérêt à agir puisque, en toute hypothèse, une déchéance partielle de la marque française n° 1 680 475 n’aurait aucune incidence sur l’issue de l’action principale et que, pour être recevable, une demande reconventionnelle de déchéance doit être susceptible de permettre à celui qui la forme d’échapper à une condamnation ou sanction ;
Mais considérant que la société Diptyque invoque à l’appui de ses demandes contre la société Hennessy les droits qu’elle tire de sa marque française n° 1 680 475 ; que la société Hennessy a donc un intérêt à contester, même partiellement dans leur étendue, la validité des droits tirés de cette marque qui lui sont opposés ;
2. Sur la déchéance de la marque française n° 1 680 475 :
Considérant que le jugement entrepris n’est contesté qu’en ce qu’il a exclu la déchéance de la marque française n° 1 680 475 pour les « huiles essentielles » ;
Considérant en effet que la société Diptyque ne prétend pas qu’elle aurait fait, pendant une période ininterrompue de cinq ans à compter du 16 janvier 2004 un usage sérieux de sa marque pour aucun des autres produits à raison desquels la déchéance a été prononcée ;
Que la société Hennessy maintient pour sa part que les pièces produites par l’appelante ne démontrent pas un tel usage pour les « huiles essentielles » ;
Mais considérant que le tribunal a exactement apprécié la portée des pièces n° 25 et 27 produites par la société Diptyque, qui démontrent la commercialisation, en 2004, d’un vaporisateur à l’essence de rose, d’un coffret d’essence à diffuser et d’un vaporisateur d’ambiance ; que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ;
3. Sur la nullité de la marque communautaire n° 00 4 292 652 :
Considérant que la société Hennessy persiste à soutenir que la marque communautaire n° 00 4 292 652 a été déposée de mauvaise foi le 11 février 2005 par la société Diptyque à seule fin de contourner la déchéance de sa marque française pour certains produits ;
Mais considérant que la société Diptyque fait pertinemment valoir que le dépôt d’une marque communautaire visant des produits identiques à ceux désignés par une marque nationale antérieure, quand même cette marque n’aurait pas été exploitée pour certains de ces produits, ne caractérise pas en soi une fraude ;
Que le tribunal a retenu en outre à juste titre que la marque communautaire est un titre ayant une portée différente de celle de la marque française, à laquelle elle n’a pas vocation à se substituer ; que le jugement sera donc encore confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de nullité de la marque communautaire n° 00 4 292 652 ;
4. Sur les demandes de la société Diptyque fondées sur la renommée de ses marques :
Considérant que la société Diptyque reprend sa demande tendant à l’annulation, par application de l’article 714-3 du code de la propriété intellectuelle, de la marque n° 08 3 565 540 de la société Hennessy dont l’enregistrement serait, selon elle, non conforme aux dispositions de l’article L.711-4, a, du code de la propriété intellectuelle dans la mesure où l’utilisation de la marque contestée pour des produits non similaires à ceux couverts par ses propres marques porterait atteinte à ses propres marques française et communautaire antérieures qu’elle prétend renommées au sens des dispositions des articles L.713-5 du code de la propriété intellectuelle et 9, § 1, c, du Règlement CE 40/94 ;
Considérant, au sens de ces textes, qu’est renommée une marque connue d’une partie significative du public concerné par les produits et services qu’elle désigne ;
Considérant que la marque française vise les produits et services suivants : « Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser; savons, parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques… (Classe 3) Métaux précieux et leurs alliages et objets dans ces matières ou en plaqué (excepté coutellerie, fourchettes et cuillers) ; joaillerie, bijouterie en vrai et en faux … (classe 14) Cuir et imitation du cuir, articles en ces matières … (classe 18) Petits ustensiles et récipients portatifs pour le ménage et la cuisine, peignes et éponges (classe 21) Tissus, couvertures de lit et de table, linge de table et de maison, tissus d’ameublement (classe 24) Vêtements, chapeaux, casquettes, cravates, bottes, souliers et pantoufles » (classe 25) ;
Que la marque communautaire est déposée pour désigner les produits et services suivants : « Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver, . . . parfumerie, eaux de parfum, eaux de toilette, … produits cosmétiques, parfums d’ambiance, encens, extraits de plantes aromatiques (classe 3) Matières éclairantes, huiles pour lampes, bougies, bougies parfumées ; kits pour fabriquer des bougies, mèches (classe 4) Services de vente, au détail … services de conseils et d’assistance commerciale,. Services defranchise» (classe 35) ;
Considérant que la société Diptyque ne conteste pas que les produits concernés par ses deux marques sont, comme le relève pertinemment la société Henessy, des produits de consommation courante, qui concernent le grand public constitué de l’ensemble des consommateurs moyens normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés ;
Considérant que l’appelante, loin de démontrer que ses marques française et communautaire seraient connues d’une partie significative du public ainsi défini, explique tout au contraire que la distribution de ses produits est très sélective, que ses investissements publicitaires sont faibles et que la marque « Diptyque » n’est pas destinée à l’ensemble des consommateurs français ;
Que, si elle affirme être le leader en France de la vente de bougies parfumées, elle s’abstient cependant d’en apporter la démonstration ;
Considérant, en réalité, que la société Diptyque prétend prouver la renommer de sa marque en alléguant son ancienneté et en faisant état de son succès auprès d’une clientèle de prestige, illustré par les commentaires élogieux dont elle fait l’objet dans certains magazines de mode ou de décoration ; que ces éléments, au regard de la définition de la renommée telle que précédemment exposée, sont inopérants ;
Considérant qu’il en résulte que le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes de la société Diptyque fondées sur la renommée de ses marques ;
5. Sur les demandes de la société Diptyque fondées sur les dispositions du code de la santé publique :
Considérant que la société Diptyque reprend également sa demande tendant à l’annulation de la marque de la société Hennessy dont l’existence, dans la mesure où elle est déposée pour désigner des boissons alcooliques, lui interdit toute publicité ou propagande pour ses propres produits couverts par le même signe puisque celle-ci tomberait nécessairement dans le champ des prohibitions imposées par la législation anti-alcoolique, spécialement l’article L.3323-2 du code de la santé publique ;
Considérant que l’article L 3323-3 du code de la santé publique dispose :
« Est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou publicité en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article autre qu’une boisson alcoolique qui, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une dénomination, d’une marque, d’un emblème publicitaire ou d’un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique.
Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables à la propagande ou la publicité en faveur d’un produit autre qu’une boisson alcoolique qui a été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement ou financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise une boisson alcoolique. » ;
Considérant que la société Diptyque indique, sans être contredite, qu’elle a mis sur le marché depuis le 1er janvier 1990, en juin 2008, une trilogie d’eaux de cologne (L’Eau de l’Eau, l’Eau de Néroli et l’Eau des Hespèrides), en septembre 2008, un gel pour la douche, un lait et une crème pour le corps dérivés de trois parfums et un vaporisateur de voyage, en décembre 2008, une collection de bougies Basile Miel de callune, Pin Sylvestre et Ambre, en janvier 2009, une bougie Roses Rose et plus récemment une ligne de soins pour le corps composée d’un lait, d’une crème, d’un baume pour les mains, d’une huile et d’une gelée lactée ; qu’elle ajoute qu’elle est susceptible, dans l’avenir, de développer d’autres produits sous la marque « Diptyque » et fait valoir que, pour tous ces produits, récents ou à venir, elle peut être appelée à faire de la publicité ou de la propagande mettant en évidence le terme Diptyque qui est la marque générique servant à les désigner ;
Qu’il en résulte que l’argument de la société Hennessy suivant lequel la publicité pour ces nouveaux produits échapperait nécessairement à la prohibition puisqu’elle commercialisait des articles de même nature avant le 1er janvier 1990 est inopérant puisque la promotion pour les nouvelles productions suppose évidemment une nouvelle publicité ou propagande ;
Que, de même, c’est à tort que la société Hennessy soutient que le bien fondé de la demande de la société Diptyque supposerait la preuve d’une publicité ou propagande actuelle qui rappellerait son propre produit puisque, par hypothèse, la société Diptyque agit aussi pour préserver sa liberté d’usage publicitaire de sa marque pour l’avenir ;
Considérant enfin que la société Hennessy n’est pas fondée à soutenir qu’une publicité pour des bougies ou parfums ne pourrait jamais être regardée comme « rappelant » une boisson alcoolique, au sens des dispositions susvisées du code de la santé publique, une telle affirmation générale et abstraite étant dépourvue de pertinence dès lors que l’application de ces dispositions relève nécessairement d’une appréciation concrète et d’un examen singulier d’une publicité ou propagande en particulier ;
Considérant, en réalité, que le dépôt de la marque « Diptyque » par la société Hennessy est de nature à paralyser l’usage que la société Diptyque fait de sa marque dès lors qu’elle ne peut plus exercer pleinement son droit de propriété sur le signe Diptyque ; qu’il en résulte une perte d’efficacité de la marque antérieure constitutive d’une atteinte aux droits de marque dont jouissait la société Diptyque avant le dépôt de la marque litigieuse, laquelle sera en conséquence annulée par application de l’article 711-4 du code de la propriété intellectuelle ;
6. Sur les mesures réparatrices :
Considérant que la société Diptyque demande à la cour d’interdire sous astreinte à la société Hennessy de faire usage de la marque « Diptyque » pour désigner un cognac, tant par application des dispositions de l’article L 713-5 du Code de la propriété Intellectuelle qu’en application de l’article L 711-4 du même Code et de l’article L 3323-3 du Code de la Santé Publique ;
Considérant qu’il y a lieu d’accueillir cette demande puisque, ainsi qu’il ressort des motifs qui précèdent, ce n’est pas seulement le dépôt de la marque « Diptyque » par la société Hennessy qui porte atteinte aux droits de marque que la société Diptyque détient sur le même signe, mais encore la commercialisation d’une boisson alcoolique sous ce nom dès lors qu’elle crée par elle-même un obstacle à la libre utilisation de la marque antérieure dans la communication publicitaire ;
Considérant que la société Diptyque soutient que les atteintes portées à ses marques lui auraient causé un préjudice dont elle demande réparation à hauteur de 30.000 euros ;
Mais considérant qu’elle n’apporte aucun élément de preuve ni méthode de calcul à l’appui de ses demandes ; qu’il y a lieu d’observer qu’elle ne fait état d’aucune publicité ou propagande dont elle se serait privée en raison du risque encouru au regard des dispositions de l’article L 3323-3 du code de la santé publique ;
Considérant que son préjudice ne consiste en réalité en rien d’autre qu’en la restriction potentielle d’usage apportée à son propre droit de marque, lequel est entièrement réparé par l’annulation de la marque contestée et l’interdiction faite à la société Hennessy de commercialiser sous cette marque une boisson alcoolique ; qu’il en résulte que sa demande de dommages-intérêts sera rejetée ;
* *
PAR CES MOTIFS :
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté la société Diptyque de ses demandes fondées sur les dispositions de l’article L.3323-3 du code de la santé publique, statué sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile,
Le RÉFORMANT et STATUANT à nouveau de ces chefs,
DÉCLARE nulle la marque « Diptyque » n° 08 3 565 540 déposée par la société Jas Hennessy & Co,
DIT que l’arrêt, une fois devenu définitif, sera transmis par le greffier à l’Institut [3] aux fins d’inscription au Registre National des Marques,
INTERDIT à la société Jas Hennessy & Co de commercialiser des boissons alcooliques sous la dénomination « Diptyque », sous astreinte 500 € par infraction constatée à compter de la signification de l’arrêt,
CONDAMNE la société Jas Hennessy & Co aux dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile et à payer à la société Diptyque 25.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,