Usage sérieux de marque : 25 octobre 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/05929

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Usage sérieux de marque : 25 octobre 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/05929
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 25 OCTOBRE 2022

RP

N° de rôle : N° RG 21/05929 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MMNI

S.A.S. EQ FRANCE

c/

S.A.S.U. HOURA

Nature de la décision : AU FOND

JONCTION AVEC DOSSIER RG 21/05900

Notifié aux parties par LRAR le :

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : décision rendue le 30 septembre 2021 par le Directeur Général de l’Institut National de la Propriété Industrielle de [Localité 4] (OPP20-4821) suivant recours en date du 29 octobre 2021 (RG 21/05900) et recours en date du 02 novembre 2021 (RG 21/05929)

DEMANDERESSE :

S.A.S. EQ FRANCE, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Bayonne sous le numéro SIREN 752 321 778, représentée par son Président, la Société MEEMU HOLDING, domicilié à son siège social sis [Adresse 3]

représentée par Maître Floriane VERDIER, avocat au barreau de BORDEAUX

DEFENDERESSE :

S.A.S.U. HOURA, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Meaux sous le numéro SIREN 324 919 323, représentée par son Président, Monsieur [E] [X], domicilié à son siège social sis [Adresse 2]

non représentée, assignée à personne morale

EN PRESENCE DE :

INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE, pris en la personne de son Directeur Général domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

régulièrement convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception

représenté par Madame [I] [W], juriste, munie d’un pouvoir spécial

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 20 septembre 2022 en audience publique, devant la cour composée de :

Roland POTEE, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

Ministère Public :

L’affaire a été communiquée au Ministère Public qui a fait connaître son avis le 1er septembre 2022.

ARRÊT :

– réputé contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

La société EQ France a déposé, le 1er octobre 2020, la demande d’enregistrement n°20 4 687 521, portant sur la dénomination HURAA, destinée à distinguer les services suivants : ‘Savons ; parfums ; eaux de toilette, eaux de parfum huiles essentielles ; cosmétiques ; lotions pour les cheveux , dentifrices ; produits de démaquillage ; rouge à lèvres ; masques de beauté ; produits de rasage’.

Le 22 décembre 2020, la société Houra a formé opposition à l’enregistrement de cette marque sur le fondement du risque de confusion avec sa marque antérieure complexe HOURA.FR TOUT VA BIEN, IL Y A HOURA ! déposée le 18 juin 2014 et enregistrée sous le n°4 098 833 et portant sur les services : ‘regroupement pour le compte de tiers (à l’exception de leur transport), permettant au consommateur de les voir et de les acheter commodément, et services de vente au détail ou en gros, de vente par correspondance, de vente au détail ou en gros par internet ou par tous moyens électroniques de commande à distance des produits suivants : savons, parfums, eaux de toilette, cosmétiques, shampoings, dentifrices, produits de maquillage et de démaquillage, produits de rasage’.

Au cours de la phase d’instruction, des observations écrites ont été échangées. A cette occasion, la société déposante a invité la société opposante à démontrer l’usage sérieux de la marque antérieure invoquée.

Par décision du 30 septembre 2021, l’INPI a reconnu l’opposition justifiée et rejeté la demande d’enregistrement.

Par déclaration enregistrée au greffe le 29 octobre 2021, la société EQ France a formé un recours contre la décision rendue par l’INPI.

Par conclusions déposées le 27 janvier 2022, elle demande à la cour de :

– annuler la décision rendue par le directeur général de l’INPI le 30 septembre 2021,

– juger que la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure HOURA n°4098833 n’est pas démontrée, et constater la déchéance de cette marque,

Par voie de conséquence,

– rejeter totalement l’opposition n°OPP 20-4821/CEF formée par la société HOURA, fondée sur la marque antérieure n°4098833 à l’encontre de la demande d’enregistrement n°20 4 687 621 déposée par la Société EQ France, car non justifiée,

– admettre l’enregistrement de la marque HURAA n°20 4 687 621 déposée le 1er octobre 2020 par la société EQ France,

– condamner la société HOURA au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du cCode de procédure civile.

La société SASU Houra n’a pas déposé de mémoire en réponse. La déclaration de recours et les conclusions de la société appelante lui ont été régulièrement signifiées.

Par courrier transmis au greffe le 10 juin 2022, le directeur général de l’INPI a présenté ses observations, dans lesquelles, il rappelle que le présent recours en annulation est dépourvu d’effet dévolutif et considère que la société requérante n’ayant pas, au cours de la procédure d’opposition, contesté la pertinence des pièces versées par la société opposante pour démontrer l’usage de la marque antérieure, les moyens par lesquels elle critique devant la cour les preuves d’usage produites ne sont pas recevables. En tout état de cause sur ce point, l’Institut estime que les pièces versées par la société opposante permettaient d’établir la preuve de l’usage de la marque antérieure. Sur l’appréciation du risque de confusion, l’INPI estime que les produits et services doivent être considérés comme similaires, que les signes présentent des différences principalement liées à la présentation de la marque antérieure mais qu’intellectuellement, le terme HURAA évoque davantage pour le consommateur moyen l’exclamation ‘houra’ qu’une île des Maldives ne bénéficiant pas d’une notoriété particulière et qu’il existe ainsi un risque de confusion par effet de déclinaison.

Le 1er septembre 2022, le ministère public a rendu un avis conforme à la décision du directeur de l’INPI.

L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 20 septembre 2022.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 6 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la preuve de l’usage de la marque antérieure

L’article L712-5-1 du code de la propriété intellectuelle dispose :

L’opposition fondée sur une marque antérieure enregistrée depuis plus de cinq ans est rejetée lorsque l’opposant, sur requête du titulaire de la demande d’enregistrement, ne peut établir:

1° que la marque antérieure a fait l’objet, pour les produits ou services sur lesquels est fondée l’opposition, d’un usage sérieux au cours des cinq années précédant la date de dépôt ou la date de priorité de la demande d’enregistrement contestée, dans les conditions prévues à l’article L714-5 ou, s’il s’agit d’une marque de l’Union européenne, à l’article 18 du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 ;

2° ou qu’il existait de justes motifs pour son non-usage.

Aux fins de l’examen de l’opposition, la marque antérieure n’est réputée enregistrée que pour ceux des produits ou services pour lesquels un usage sérieux a été prouvé ou de justes motifs de non-usage établis.

La société EQ France considère que la société Houra n’a pas produit d’éléments suffisant à établir l’usage sérieux de la marque antérieure en l’absence de communication de chiffre d’affaires, d’éléments comptables ou de volume de ventes, alors que les captures d’écran produites n’ont pas de date certaine antérieure à l’opposition et que les factures communiquées ne concernent qu’un seul client professionnel, ce qui ne démontre pas la réalité de ventes significatives sur le territoire français.

L’INPI relève à juste titre que le moyen tendant à contester l’usage de la marque antérieure n’est pas recevable devant la cour statuant dans le cadre du présent recours qui, selon les dispositions de l’article R411-19 du code de la propriété intellectuelle, est un recours en annulation dépourvu d’effet dévolutif d’où il suit que les pouvoirs de la cour sont limités au rejet du recours ou à l’annulation de la décision et que la cour ne peut statuer sur les moyens ou les pièces qui n’auraient pas été préalablement soumis à l’INPI.

La société EQ France qui n’a pas contesté, lors de la phase d’instruction de l’opposition, les preuves d’usage sérieux qu’elle avait demandées à la société Houra, n’est donc pas recevable à élever cette contestation devant la cour, pas plus d’ailleurs qu’elle ne peut lui demander de constater la déchéance de la marque antérieure ni d’admettre l’enregistrement de sa marque.

Au demeurant, les nombreuses captures d’écran datées des années 2015, 2016 et 2017 qui avaient été produites par la société Houra, relatives à la vente au détail de cosmétiques, de produits de beauté et d’hygiène de diverses marques, complétées par les factures de vente de ces produits sur les mêmes années, suffisent à démontrer un usage sérieux de la marque pendant la période considérée, même si le volume des affaires attesté apparaît assez faible.

C’est donc à juste titre que l’INPI a considéré acquise la preuve d’un usage sérieux de la marque antérieure, pour les services invoqués à l’appui de l’opposition et concernant:’Le regroupement pour le compte de tiers (à l’exception de leur transport), permettant au consommateur de les voir et de les acheter commodément, et services de vente au détail , vente par correspondance, de vente au détail par internet ou par tous moyens électroniques de commande à distance des produits suivants : savons, parfums, eaux de toilette, cosmétiques, shampoings, dentifrices, produits de maquillage et de démaquillage, produits de rasage’ en excluant toutefois ( malgré un erreur de plume indiquant le contraire dans le dernier paragraphe de la page 3 de la décision) la preuve de l’usage de cette marque pour les services de vente en gros, de vente en gros par internet ou par tous moyens électroniques de commande à distance des produits concernés.

Sur le risque de confusion

La société EQ France fait grief au directeur de l’INPI d’avoir retenu l’existence d’un risque de confusion avec sa marque déposée le 1er octobre 2020 alors que, malgré une certaine proximité des produits concernés, la dissimilarité des signes écarte tout risque de confusion.

Sur la similarité des produits et services en cause

La requérante fait valoir que si les produits du dépôt contesté sont similaires aux services de la marque antérieure, l’activité de l’opposante consiste néanmoins en la vente ‘pour le compte de tiers ‘ de sorte que, dans l’esprit du consommateur moyen la marque antérieure ne sera pas directement liée au produit vendu à la différence de la marque du tiers qui figure nécessairement sur le produit vendu.

La société EQ France note à ce sujet que les seules factures produites par la société Houra ne concernent qu’un client professionnel nécessairement attentif, le groupe CORA.

Or, pour apprécier la similitude entre les produits, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre ces produits et services, tels que désignés dans l’enregistrement de la marque et non au regard de l’usage réel ou supposé qui peut en être fait. Ces facteurs incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation, ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire.

La société EQ France a déposé la demande d’enregistrement litigieuse de la dénomination HURAA, destinée à distinguer les services suivants: Savons; parfums; eaux de toilette, eaux de parfum huiles essentielles; cosmétiques; lotions pour les cheveux,dentifrices; produits de démaquillage; rouge à lèvres; masques de beauté; produits de rasage

La preuve d’un usage sérieux de la marque antérieure HOURA.FR TOUT VA BIEN, IL Y A HOURA ! a été rapportée, ainsi qu’il vient d’être rappelé plus haut pour les services suivants: ‘regroupement pour le compte de tiers (à l’exception de leur transport), permettant au consommateur de les voir et de les acheter commodément, et services de vente au détail, de vente par correspondance, de vente au détail par internet ou par tous moyens électroniques de commande à distance des produits suivants: savons, parfums, eaux de toilette, cosmétiques, shampoings, dentifrices, produits de maquillage et de démaquillage, produits de rasage’.

C’est donc à juste raison que l’INPI fait valoir que les produits précités de la demande d’enregistrement contestée et les services de la marque antérieure apparaissent unis par un lien de complémentarité étroit et obligatoire dès lors que les seconds ont pour objets exclusifs les premiers, ce qui a pour effet de les rendre similaires.

Sur la comparaison des signes

En application des dispositions de l’article L.713-3 du code de la propriété intellectuelle, est interdite, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.

En se référant à la méthode globale de comparaison des signes dans laquelle l’appréciation du risque de confusion doit être fondée sur l’impression d’ensemble produite par les signes en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants, la société EQ France fait valoir que lorsqu’il s’agit de comparer des signes comportant un élément similaire, la jurisprudence considère que la reprise d’un élément du signe antérieur n’est pas suffisante en elle-même pour caractériser le risque de confusion et que tel est le cas en l’espèce.

La requérante soutient en effet que les signes en conflit se distinguent tant visuellement que phonétiquement et intellectuellement et que ces distinctions sont suffisamment importantes pour écarter tout risque de confusion dans l’esprit du consommateur.

Au plan visuel, elle estime, eu égard à la composition de la marque antérieure et à l’association d’un élément figuratif attirant l’attention du consommateur, qu’il existe de fortes différences avec la marque contestée.

S’agissant de la comparaison phonétique, elle soutient qu’il n’existe pas non plus de risque de confusion, dès lors que la prononciation des marques verbales sera différente aux yeux du public et ne conduira pas celui ci à croire que la marque contestée n’est qu’une variante de la marque antérieure.

Enfin, sur le plan conceptuel, la société AQ France fait valoir que la marque antérieure renvoie à l’interjection ‘ HOURA’, cri de joie et/ou d’acclamation qui ne peut être confondue avec la marque contestée HURAA qui renvoie à une île de l’archipel des Maldives

Le signe critiqué ne constituant pas la reproduction identique de la marque antérieure, il convient, pour ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des marques en cause, de se fonder sur l’impression d’ensemble produite par les marques, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants afin de rechercher s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du consommateur moyen, étant précisé que ce risque comprend le risque d’association où le consommateur percevant le cas échéant qu’il est en présence de deux marques différentes, leur attribue tout de même une origine commerciale commune, considérant qu’elle ne sont que des déclinaisons.

1.Sur les éléments distinctifs et dominants

Il est manifeste au premier coup d’oeil porté sur le signe antérieur:

que le mot Houra se distingue nettement de l’ensemble et domine complètement la marque complexe puisque ce mot est mis en évidence par sa police en gras de grande taille et sa place sur la ligne supérieure, éclipsant les autres signes, notamment les mots de la ligne inférieure, écrits en caractère plus petits et qui seront perçus comme un slogan accessoire.

Il n’est pas non plus contestable que ce mot est parfaitement distinctif pour les services couverts par la marque puisqu’il est sans lien identifiable avec ceux ci.

L’INPI doit ainsi être approuvé lorsqu’il estime que par son caractère prépondérant, c’est l’élément verbal Houra qui permettra au consommateur de nommer la marque.

2.Sur l’impression d’ensemble

Dans la mesure où le terme Houra est l’élément distinctif et dominant de la marque antérieure, il apparaît clairement une forte ressemblance avec le signe Huraa, d’abord sur un plan visuel puisque les deux termes de longueur identique ne se distinguent que par la voyelle ‘O’ et un ‘U’ redoublé et que l’attaque ‘H’ et la séquence finale, ‘RA’ ou ‘RAA’ sont quasi identiques.

Ensuite au plan phonétique, la prononciation de deux mots est très proche voire identique, le ‘HU’ de HURAA se prononçant facilement ‘HOU’ pour le public français.

Sur le plan intellectuel, la société EQ ne peut prétendre que le consommateur d’attention moyenne associera sa marque à une île des Maldives quasiment inconnue plutôt qu’à l’exclamation de joie très couramment employée en France.

3. Sur le risque global de confusion

Les deux marques en conflit étant des marques commerciales de même nature, visant des produits ou services similaires et présentant une impression d’ensemble commune, au regard de leurs éléments distinctifs et dominants, elles sont susceptibles d’être perçues comme des déclinaisons de produits ou services ayant la même origine commerciale;

C’est donc à bon droit que l’INPI a conclu à l’imitation de la marque antérieure par la marque déposée par la société EQ France et a reconnu l’opposition justifiée.

Le recours formé par la société EQ France à l’encontre de la décision du directeur de l’INPI devra par conséquent être rejeté.

PAR CES MOTIFS

La cour,

– Rejette le recours formé par la société EQ France contre la décision du directeur de l’INPI du 30 septembre 2021 ;

– Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec demande d’avis de réception par le greffe de la cour aux parties à l’instance et au directeur général de l’INPI.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,

 


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