Usage sérieux de marque : 10 mai 2012 Cour d’appel de Lyon RG n° 09/04564

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Usage sérieux de marque : 10 mai 2012 Cour d’appel de Lyon RG n° 09/04564
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R.G : 09/04564

Décision du tribunal de grande instance de Lyon

Au fond du 30 avril 2009

Troisième Chambre

RG : 05/02756

COUR D’APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 10 Mai 2012

APPELANTES :

Société COSCENTRA SALES BV, société de droit néerlandais

[Adresse 10]

[Localité 5] (PAYS-BAS)

représentée par Maître Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON

assistée de la SELARL ANDRE BERTRAND & ASSOCIES SOCIETE D’AVOCATS, avocats au barreau de PARIS

SA BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL (BPI)

[Adresse 1]

[Localité 8]

représentée par la SCP LAFFLY – WICKY, avocats au barreau de LYON

assistée de la SCP BESSIS & ASSOCIÉS, avocats au barreau de PARIS

INTIMEES :

SA BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL (BPI)

[Adresse 1]

[Localité 8]

représentée par la SCP LAFFLY – WICKY, avocats au barreau de LYON

assistée de la SCP BESSIS & ASSOCIÉS, avocats au barreau de PARIS

SARL BS TRADING

[Adresse 9]

[Localité 7]

non assignée,

non comparante,

SARL JET DIFFUSION

[Adresse 4]

[Localité 6]

représentée par Maître Charles-Henri BARRIQUAND, avocat au barreau de LYON

assistée de la SCP V.PIQUET GAUTHIER-F. GUTTON-S. ROUME, avocats au barreau de LYON

SARL MASK

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par la SCP BAUFUME – SOURBE, avocats au barreau de LYON

assistée de Maître Florent GIRAULT, avocat au barreau de GRENOBLE

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Date de clôture de l’instruction : 13 Septembre 2011

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 26 Janvier 2012

Date de mise à disposition : 05 avril 2012, prorogée au 26 avril 2012 puis au 03 mai et au 10 mai 2012, les avocats dûment avisés conformément à l’article 450 dernier alinéa du code de procédure civile

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Michel GAGET, président

– François MARTIN, conseiller

– Philippe SEMERIVA, conseiller

assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier

A l’audience, Philippe SEMERIVA a fait le rapport, conformément à l’article 785 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Michel GAGET, président, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

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EXPOSÉ DU LITIGE

La société Beauté Prestige International (PBI) commercialise les parfums ‘Classique’ et ‘Le Mâle’ de Jean-Paul Gaultier.

Alertée le 24 janvier 2005 par les autorités douanières de leur intention de procéder à une saisie, elle a fait pratiquer une saisie-contrefaçon, puis a agi en contrefaçon des droits d’auteur, de marques et de modèles, ainsi qu’en concurrence déloyale à l’encontre :

– de la société Coscentra Sales, pour avoir fabriqué les produits ‘Inmate for Men’ et ‘Inmate for Women’ argués de contrefaçon,

– des sociétés Jet Diffusion, Mask et BS Trading, pour les avoir détenus et offerts à la vente en France.

*

La société Coscentra est appelante principale du jugement accueillant l’essentiel de ces demandes, en ces termes :

– Déclare recevable l’action en contrefaçon de droits d’auteur présentée par la société BPI,

– Dit que les sociétés Coscentra et Jet Diffusion se sont rendues coupables de contrefaçon des droits d’auteur dont est titulaire la société BPI sur le flacon ‘Le Mâle’ de Jean-Paul Gaultier, ainsi que sur sa fragrance,

– Dit que les sociétés Coscentra et Jet diffusion se sont rendues coupables de contrefaçon de marques figuratives françaises dont est titulaire la société BPI, déposés auprès de l’Institut national de la propriété industrielle sous les n° 95564538 le 22 mars 1995 et 95587225 le 7 septembre 1995,

– Dit que les sociétés Coscentra et Jet Diffusion se sont rendues coupables de contrefaçon du modèle dont est titulaire la société BPI et déposé à l’INPI le 25 avril 1994 sous le n° 942417,

– Dit que les sociétés Coscentra, Jet Diffusion, Mask et BS Trading se sont rendues coupables des faits de contrefaçon des droits d’auteur dont la société BPI est titulaire sur le flacon ‘Classique’,

– Dit que ces sociétés se sont rendues également coupables de contrefaçon de la marque figurative française déposée à l’INPI sous le n° 92440690 le 5 novembre 1992, renouvelée,

– Dit que ces sociétés se sont également rendues coupables de concurrence déloyale,

– Fait interdiction aux défenderesses sous astreinte définitive de 1 000 euros par infraction constatée, de détenir, d’offrir en vente et/ou de vendre des produits contrefaisant les marques, droits d’auteur et modèles dont la société BPI est titulaire,

– Ordonne la confiscation de l’intégralité des produits contrefaisant les flacons et parfums ‘Le Mâle’ et ‘Classique’ de Jean-Paul Gaultier et leur remise à la société BPI aux fins de destruction,

– Condamne les société Coscentra et Jet Diffusion in solidum à payer à la société BPI la somme de 11 048 euros au titre de la contrefaçon et celle de 15 000 euros au titre de la concurencedé déloyale,

– Condamne les sociétés Mark et BS Trading in solidum à payer à la société BPI la somme de 3 024 euros au titre de la contrefaçon et celle de 5 000 euros au titre de la concurrence déloyale,

– Ordonne la publication par extrait dans trois journaux et magazines du choix de la demanderesse, sans que le coût de chaque insertion excède la somme de 3 000 euros HT,

– Déboute la société Coscentra de sa demande tendant à la déchéance pour défaut d’exploitation des droits dont est titulaire la société PBI sur les marques n° 95587225, 92440946 et 95564538,

– Déboute la société Mask de sa demande tendant à être relevée et garantie par la société Coscentra,

– Déboute la société Coscentra de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

– Condamne les sociétés Coscentra, Jet Diffusion, Mask et BS Trading in solidum à payer à la société BPI la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Ordonne l’exécution provisoire,

– Condamne les sociétés Coscentra, Jet Diffusion, Mask et BS Trading in solidum aux dépens.

*

La société Coscentra conclut d’abord à la nullité de l’ensemble de la procédure, dans la mesure où la société BPI ne justifie pas de la régulière mise sous surveillance douanière de ses marques au jour de la procédure de saisie, de sorte que la saisie-contrefaçon a été diligentée en-dehors de tout cadre légal.

La société BPI objecte que cette demande est nouvelle et irrecevable en cause d’appel et qu’en toute hypothèse, elle justifie de cette mise sous surveillance.

Sur le fond, la société Coscentra soutient :

– que la déchéance des droits attachés à la marque n° 95564538 est encourue pour défaut d’exploitation,

– que, s’agissant de l’action en contrefaçon de marque, il n’existe aucun risque de confusion et qu’en réalité la société BPI poursuit la protection d’un genre constitué d’un buste formant flacon,

– que le modèle sur lequel se fonde également la société BPI est nul, faute de caractère propre, en raison d’antériorités pertinentes et de son manque d’originalité, et qu’en tout état de cause, les produits en présence ont une physionomie distincte,

– que la société BPI a, s’agissant du flacon féminin, contrefait les droits antérieurs de la société Schiaparelli,

– que les premiers juges ont retenu à tort que la fragrance d’un parfum est susceptible de protection,

– qu’au contraire, ils ont exactement écarté le grief de concurrence déloyale fondé sur la similitude des emballages, en réalité très différents,

– qu’en fixant le prix à un niveau moindre que celui de la société BPI, elle ne commet pas de faute,

– que la société BPI ne justifie d’aucun préjudice,

– que la société Mask n’a pas de recours en garantie contre elle.

Elle demande de réformer le jugement en ses chefs qui lui sont défavorables et de condamner la société BPI à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive outre celle de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et d’ordonner la publication de l’arrêt.

*

La société BPI demande de confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a rejeté la demande formée au titre de la concurrence déloyale constituée par la copie de l’emballage des produit et d’y ajouter une condamnation de la société Coscentra au paiement d’une indemnité de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la Cour.

Elle conclut en effet, en l’état de ses productions, au rejet des moyens tendant à l’annulation de la procédure et considère que les sociétés Coscentra et Jet Diffusion se sont rendues coupables de contrefaçon des droits d’auteur dont elle est titulaire sur le flacon et la fragrance ‘Le Mâle’, ainsi que de contrefaçon des marques figuratives françaises n°95564538 et 5587225, du modèle déposé n° 942417, des droits d’auteur dont elle est titulaire sur le flacon ‘Classique’ et de contrefaçon de la marque figurative française n°92440690.

Elle demande en conséquence:

– d’interdire à peine d’astreinte la détention et l’offre à la vente des produits contrefaisants et d’ordonner la confiscation des produits saisis ainsi que des mesures de publication,

– de condamner les sociétés Coscentra et Jet Diffusion à lui payer la somme de 11 048 euros au titre des contrefaçons, subsidiairement de prononcer cette condamnation pour concurrence déloyale, et en tout état de cause, de condamner de ce second chef au paiement de 15 000 euros au titre des faits distincts,

– de condamner les sociétés Mask et BS Trading au paiement de la somme de 3 024 en réparation des actes de contrefaçon des droits d’auteur sur le flacon ‘Classique’, sauf prononcer cette condamnation sur le fondement de la concurrence déloyale et de mettre leur charge une somme de 5 000 euros à titre de réparation des faits distincts.

*

La société Mask s’en remet à justice sur les mérites de l’appel et demande paiement d’une indemnité de 1 500 euros.

*

La société BS Trading a fait l’objet d’une liquidation judiciaire dans le cours de l’instance d’appel ; la société BPI a indiqué qu’elle n’entendait pas appeler le mandataire liquidateur en cause

*

La société Jet Diffusion fait valoir que le jugement entrepris lui a été signifié, qu’elle l’a exécuté – sauf à la société BPI à s’expliquer sur la différence entre le montant payé et celui qu’elle affirme avoir reçu, que ce jugement est devenu définitif et qu’en conséquence, toute demande à son encontre est irrecevable et soutient que l’ayant exécuté ; elle demande paiement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La société BPI réplique que son appel provoqué est recevable et qu’elle est fondée à voir dire que le coût des publications ordonnées par le tribunal est à la charge des défenderesses in solidum.

* *

MOTIFS DE LA DÉCISION

– Régularité de la procédure :

Le grief pris de la méconnaissance des conditions légales de retenue douanière ou de saisie ex officio tend à faire écarter des débats tout ou partie des pièces fondant les demandes de la société BPI et à voir annuler la procédure ayant conduit à la condamnation de la société Coscentra.

Il a ainsi pour objet de faire échec aux prétentions adverses, il s’agit donc d’un moyen de défense.

En conséquence, les règles commandant la recevabilité de certaines demandes nouvelles en cause d’appel ne lui sont pas applicables et aucune autre exigence procédurale ne s’oppose par ailleurs à ce que ce moyen soit valablement formulé pour la première fois devant la cour d’appel ; il est recevable.

Mais il n’est pas fondé ; la société BPI a en effet produit en pièces 90 à 96 du bordereau annexé à ses dernières conclusions les documents propres à justifier des demandes de mise sous surveillance pour les années 2004 et 2005 et qui n’appellent pas de réserves d’office quant à leur valeur probante ; d’ailleurs, la société Coscentra, qui soulignait seulement qu’il était impératif que ces bordereaux soient communiqués, faute de quoi la Cour devrait considérer que les retenues et saisies sont nulles, n’a présenté aucune critique de ces documents après leur communication.

En conséquence, les démarches requises sont prouvées et le moyen tirant les conséquences de leur absence manque en fait.

ACTIONS CONCERNANT LE PRODUIT ‘LE MÂLE’ :

– Action reconventionnelle en déchéance de la marque française enregistrée le 24 mars 1995 sous le n° 95564538, renouvelée :

Il s’agit d’une marque tri-dimensionnelle formée d’un flacon en forme de buste, fortement musclé et sans bras, en verre transparent bleu foncé, surmonté d’un bouchon vaporisateur cylindrique en métal auquel une poire est reliée par un tuyau.

Les produits et services couverts sont : préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices ; cuir et imitations du cuir; articles de maroquinerie en cuir et imitation du cuir (à l’exception des étuis adaptés aux produits qu’ils sont destinés à contenir, des gants et des ceintures) ; sacs à main, de voyage ; peaux d’animaux ; malles et valises ; parapluies, parasols et cannes ; fouets et sellerie ; vêtements, chaussures, chapellerie.

La société Coscentra rappelle d’abord les motifs d’un jugement de relaxe rendu dans une action en contrefaçon de cette marque ; toutefois, le dispositif de ce jugement ne prononce pas la déchéance des droits du propriétaire de la marque et sa motivation précise même qu’une telle décision n’appartient pas au tribunal correctionnel ; aucun jugement n’étant en conséquence rendu en ce sens, avec l’effet absolu qui pourrait s’y attacher, la référence qu’y fait la société Coscentra est inopérante.

Cependant, la société BPI n’est pas plus fondée à soutenir :

– d’une part, que toutes les preuves d’usage d’une autre marque, très proche, valent pour l’usage de celle-ci ; peu important leur degré de similitude, l’enregistrement de deux ou plusieurs signes en tant que marques exclut que l’usage de l’une soit assimilé à l’usage de l’autre, car la permanence des droits attachés à chacune d’elles impose que l’exigence d’activité qui lui est propre soit remplie ; en conséquence, l’usage d’une marque enregistrée ne saurait être assimilé à l’usage d’une autre marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif dans les termes de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle,

– d’autre part, qu’un jugement de l’Office d’harmonisation du marché intérieur a rejeté en termes explicites la thèse de la société Coscentra ; en effet, cette décision rendue par une chambre de recours de l’Office en matière d’enregistrement de marque n’est pas un jugement et ne lie pas le juge national ; si elle peut être prise en considération, elle n’a pas un caractère décisif ; en toute hypothèse, cette décision relève que la société BPI n’avait pas, dans ce cadre, à ‘justifier un usage de ses marques, puisque le demandeur n’a formulé aucune requête à cet égard pendant le délai pertinent’.

Pour prouver l’usage sérieux de la marque en cause, la société BPI produit des documents, publicités et attestations portant sur la ligne ‘Le Mâle’, qui sont inopérants en ce qu’ils décrivent l’usage de marques différentes de celle qui fait l’objet du débat.

Par ailleurs, le procès-verbal de constat dressé le 1er décembre 2009 montre que le produit conditionné dans l’emballage enregistré sous la marque n° 95564538 était, à cette date, offert au public sur le site internet de son titulaire ; mais ce constat est postérieur à l’introduction de l’action en déchéance par les conclusions prises par la société Coscentra le 14 mai 2008 ; il en résulte que cette preuve d’exploitation, pour les seuls parfums, d’ailleurs, est dépourvue de portée.

Il ne ressort ainsi d’aucune des pièces produites que la société BPI aurait jamais fait, depuis l’origine, un usage sérieux de la marque, pour aucun des produits ou services désignés dans l’enregistrement.

En conséquence :

– la déchéance doit être prononcée pour l’ensemble de ces produits et services,

– elle prend effet à l’expiration du délai de cinq ans pendant lequel le propriétaire n’a pas fait un usage sérieux de la marque, qui court à compter de la publication de l’enregistrement au Bulletin officiel de la propriété industrielle, intervenue le 28 avril 1995.

La déchéance totale est ainsi acquise au 28 avril 2000.

– Action en contrefaçon de modèle :

La société BPI fonde sa demande sur ‘un modèle n° 942417’ et défend ‘la totale originalité et la nouveauté des flacons, tant en ce qui concerne la version masculine que féminine’.

En réalité, le dépôt enregistré sous cette référence porte sur deux modèles, pour l’un ‘flacon en forme de tronc masculin, de couleur bleutée’, pour l’autre, ‘flacon en forme de tronc masculin’ ; il existe donc deux fondements possibles à l’action, tous deux portant sur un flacon en forme de tronc masculin.

La société Coscentra objecte que ce modèle est nul par application de l’article L. 511-2 du code de la propriété intellectuelle, dans la rédaction que lui donne aujourd’hui l’ordonnance du 25 juillet 2001.

Mais son dépôt ayant été effectué le 25 avril 1994, la validité du droit qui lui est attaché doit s’apprécier au regard de la loi applicable à cette date, et donc par référence aux règles codifiées par la loi du 1er juillet 1992 dans l’ancien article L. 511-3.

De ce point de vue, ces deux formes ne sont pas antériorisées, mais elles ne se différencient pas des formes antérieures par une configuration distincte et reconnaissable leur conférant une physionomie propre et nouvelle.

En effet, si les flacons de parfum cités à l’appui de la demande d’annulation ne peuvent être retenues, en l’état de l’imprécision de leur datation (‘1994/1995′) au regard de la date de dépôt, les formes en question ne se différencient pas du patrimoine des modèles connus des dessins et modèles : il s’agit de bustes similaires à ceux de l’art connu, notamment la sculpture et qui ne présentent aucune particularité propre à les différencier de ceux qui les ont précédés.

Dans ces conditions, en l’absence d’antériorité de toutes pièces, l’exigence de nouveauté est remplie, mais tel n’est pas le cas de l’exigence portant sur la différenciation avec les productions de l’art antérieur.

Le seul élément pertinent à ce propos consiste en la couleur bleue, peu usitée en matière de buste et qui pourrait caractériser l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

Mais cette couleur ne parvient pas à elle seule à conférer une physionomie propre à celui du modèle qui l’arbore, dans la mesure où, en 1994, l’état de la technique et de la mode avaient déjà généré de nombreux objets de couleur vive et décalée par rapport aux habitudes antérieures.

Ces deux modèles ne répondent pas aux exigences de la loi applicable et, même à considérer la loi nouvelle, ils ne sauraient produire sur un observateur ou un utilisateur averti une impression globale différente de celle que produisent sur lui les dessins ou modèles divulgués avant leur dépôt.

La demande d’annulation est justifiée et l’action en contrefaçon privée de fondement.

– Action en contrefaçon de droit d’auteur :

La société Coscentra se borne à affirmer que le flacon ‘Le Mâle’ est particulièrement original, ainsi que le démontrent notamment les nombreux prix obtenus pas ce parfum.

Cette affirmation ne fait pas la démonstration requise de cette originalité.

Le jugement entrepris a, lui, retenu que ce flacon portait l’empreinte de la personnalité de son auteur ,du fait de la forme du buste, stylisé et épuré, à la musculature et aux attributs sexuels très marqués, en verre transparent de couleur bleue.

Mais, d’une part, la demande de la société BPI ne désigne pas quelle variante du flacon qu’elle commercialise serait susceptible de protection, alors que chacune de ces variantes présente des particularités notables ; la demande n’a pas d’objet défini.

D’autre part, à supposer que l’on retienne les caractères communs cités par le tribunal, ces derniers, qu’ils soient pris en eux-mêmes ou en leur combinaison, ne distinguent pas ce flacon des bustes connus, notamment antiques, dont il constituent au contraire des caractéristiques habituelles et l’usage du verre transparent bleuté n’est pas une marque d’originalité suffisante pour reconnaître l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

Le flacon présenté n’est pas couvert par un droit d’auteur.

– Action en contrefaçon de marque :

Compte tenu de la déchéance des droits attachés à la marque n° 95564538, l’action de la société BPI ne peut rester fondée, en ce qui concerne le flacon ‘Inmate for Men’, que sur la marque française renouvelée n° 95587225, tri-dimensionnelle, déposée en couleurs et constituée d’un ‘flacon vu de 3/4, évoquant un corps masculin de couleur bleu translucide, dont la partie au dessus de la taille est assortie de bandes blanches ; élément supérieur argent’ :

Cette marque est notamment enregistrée pour désigner des ‘produits de beauté, savons, parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux’.

Le flacon de parfum ‘Inmate for Men’ se présente sous la forme d’un buste masculin de couleur aluminium, nu, musclé, dépourvu de bras et posé sur un trépied.

L’étude d’éventuelles similitudes phonétiques est hors de propos dans la présente instance, les deux signes étant exclusivement composés de formes.

Du point de vue visuel, on retrouve dans le flacon litigieux certaines des caractéristiques majeures de la marque : développement imposant de la musculature, si même ce flacon exagère encore ce caractère, césure des bras au-delà de l’articulation avec le buste, arrêt de la césure au-dessous la fesse, sauf l’échancrure que présente l’emballage litigieux ; en revanche, les couleurs, la marinière, ni les organes sexuels stylisés ne sont repris.

Du point de vue conceptuel, les deux formes s’emploient à illustrer la masculinité, de sorte que l’absence d’organes sexuels dans le flacon ‘Inmate’ devient négligeable, le renvoi à cet imaginaire étant effectué de façon suffisamment explicite par la puissance du torse et par la présence du support remplaçant précisément ces attributs.

L’impression d’ensemble produite par chacune de ces deux formes, en tenant compte des éléments distinctifs et dominants, est donc assez proche pour retenir qu’il existe un certain degré d’imitation de la marque par le signe litigieux.

Ce degré de similitude reste cependant faible au regard, d’une part, des contraintes induites par le choix commun – licite – d’utiliser la forme d’un buste masculin et à l’absence de reprise du vêtement et des couleurs qui, loin d’être négligeables sont, eux aussi, des éléments participant à la distinctivité du signe.

Pour autant, ce faible degré de similitude est ici compensé par deux considérations décisives :

– l’identité des produits : un parfum dans les deux cas,

– la notoriété de la marque à l’époque des faits considérés, dont la société BPI justifie par les attestations retraçant des dépenses publicitaires comprises entre 1 964 000 et 3 578 000 euros, selon les années et un chiffre d’affaires d’environ 20 millions d’euros, ainsi que par la production des nombreux articles de presse et de publicité consacrés à la ligne ‘Le Mâle’ qui établissent la connaissance de cette marque par le public concerné, en l’occurrence le grand public.

Ces deux facteurs sont tels que le degré de similitude atteint un seuil déclenchant l’existence d’un risque de confusion.

En effet, le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails ; en l’espèce, l’impression d’ensemble est assez similaire pour qu’il puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise, en tout cas d’entreprises économiquement liées, dans la mesure où compte tenu de tous les facteurs pertinents d’examen, il est confronté à des produits identiques à ceux qu’il a l’habitude de voir revêtus d’une marque notoire et qui lui sont présentés sous un signe engendrant, au plan visuel et plus encore conceptuel, un effet imitant celui que produit cette marque en recourant aux mêmes moyens.

Le consommateur concerné étant ici d’attention moyenne, dès lors que les produits concernés correspondent à un certain luxe sans pour autant requérir une attention extrême et, à supposer même que la différence entre les circuits de distribution respectifs constitue un facteur pertinent d’examen de la contrefaçon, il en résulte, non point que ces différences seraient de nature à dissiper le risque de confusion, mais qu’elle tendent à confirmer qu’il s’agit là d’une déclinaison financièrement plus accessible d’un produit de luxe bien connu.

L’appréciation globale du risque de confusion dans l’esprit du consommateur ne conservant qu’une image imparfaite de la marque première conduit en conséquence à retenir, au vu des critères cumulatifs pertinents que sont la connaissance de la marque sur le marché, l’association qui peut en être faite avec le signe utilisé et le degré de similitude entre la marque et le signe ainsi qu’entre les produits ou les services désignés, que le produit ‘Inmate for Men’ constitue une contrefaçon de la marque n° 95587225.

– Action relative à l’imitation de la fragrance du parfum ‘Le Mâle’:

La fragrance d’un parfum ne constitue pas la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des oeuvres de l’esprit, parce qu’elle procède de la mise en oeuvre d’un savoir-faire dans une combinaison chimique dont il n’est pas possible d’objectiver l’effet olfactif pour en faire, en lui-même une oeuvre.

Pour autant, si son imitation est permise, faute de tout droit privatif, cette dernière ne doit pas être fautive.

Or, en l’espèce, il ressort de l’analyse chromatographique que les composantes du jus du parfum ‘Le Mâle’ sont toutes présentes dans le jus du parfum ‘Inmate for men’, hors la vanilline, dont l’absence compte tenu de la complexité du jus doit être considérée comme peu perceptible pour le consommateur.

Il est ainsi établi que le jus du parfum ‘Inmate for men’, présenté sous une marque contrefaisante, est quasiment impossible à distinguer, du moins de prime abord, de celui du produit authentiquement marqué.

La société BPI est fondée à soutenir, à titre subsidiaire, que ces faits sont fautifs, en ce qu’ils créent en eux-mêmes un risque de confusion ; ils constituent des faits de concurrence déloyale, qui sont distincts des actes de contrefaçon puisqu’ils ne portent pas atteinte à un droit privatif, et causent préjudice à la société exploitant le jus indûment et volontairement copié.

Il convient d’infirmer le jugement en ce qu’il reçoit l’action en contrefaçon de fragrance et de prononcer condamnation pour concurrence déloyale résultant de cette copie du jus.

ACTIONS CONCERNANT LE PRODUIT ‘CLASSIQUE’ :

– Action en contrefaçon de droit d’auteur :

Le tribunal a retenu par des motifs qui sont ici adoptés, que le flacon féminin présentait une originalité révélatrice de l’empreinte de la personnalité de son auteur.

A la différence, en effet, du flacon masculin, il présente une exagération particulière des formes, notamment au regard de l’antériorité ‘Shocking’ de Schiaparelli qui, peu important qu’elle évoque un buste de couturière ou celui de Mae West, évoque la haute couture et non la sensualité du corps, exacerbée au contraire dans le modèle ‘Classique’, notamment par le recours à une guêpière.

Il existe ici une originalité particulière et la protection de cette oeuvre par le droit d’auteur est acquise.

Le flacon ‘Inmate for women’ en reproduit les caractéristiques essentielles (buste sans bras, formes opulentes) et les différences notamment liées au matériau, à la présence du biseau et du socle ne remettent pas en question la profonde similitudes résultant de l’examen d’ensemble des deux produits.

La contrefaçon de droit d’auteur est caractérisée.

– Action en contrefaçon de marque :

Cette action est fondée sur la marque figurative française n° 92440690, renouvelée : ‘flacon évoquant un corps féminin nu, vu de côté et de 3/4 ; couleurs : bouchon argent, flacon en partie transparent ou translucide, légèrement teinté rose’.

La marque est enregistrée afin de désigner notamment des ‘produits de beauté, savons, parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux’.

Là encore, le tribunal s’est prononcé par des motifs qu’il convient d’adopter pour confirmer la condamnation pour contrefaçon, sauf à ajouter :

– que conceptuellement, les deux produits renvoient exactement au même imaginaire de volupté sensuelle,

– que la notoriété de la marque est largement établi, à l’apoque des faits incriminé, par les nombreuses publications et insertions publicitaires produites aux débats,

– que les similitudes des signes est très forte et que l’identité des produits achève de créer un risque de confusion en fonction des critères d’appréciation déjà rappelés à l’occasion de la marque ‘Le Mâle’.

Le jugement retenant la contrefaçon de droit d’auteur et de marque doit être confirmé.

– AUTRES ACTIONS EN CONCURRENCE DELOYALE :

La vente de produits à prix plus bas que ceux du concurrent imités est de nature à diminuer la valeur attractive de la marque et ressortit à sa contrefaçon, déjà retenue ; elle ne constitue pas un fait distinct de ceux fondant la condamnation prononcée à ce propos.

Le fait, par ailleurs, d’offrir à la vente, comme le fait la société BPI un flacon de parfum, pour l’un destinée au hommes, pour l’autre aux femmes, ne caractérise pas en soi, au vu des usages de la parfumerie, la reprise d’un effet de gamme propre à caractériser une faute indépendante de la contrefaçon des droits constitués sur chacun de ces deux produits.

Enfin, étant précisé que la société BPI cite dans ses conclusions la marque française renouvelée n° 92440946, décrite comme ‘vue ouverte du socle du flacon muni d’attaches et vue fermée’, mais n’en demande pas protection par voie d’action en contrefaçon, il n’est pas établi, quant à son action en concurrence déloyale, que l’emballage dans lequel sont présentés les produits contrefaisants est métallique ; sa forme est ovale, alors que celle de l’emballage des produits authentiques est ronde ; les différences sont suffisamment sensibles et l’imitation n’est pas caractérisée, moins encore son caractère fautif.

PREJUDICE

Dans les limites qui viennent d’être retenues, la société Coscentra, qui fabrique et commercialise les produits incriminés, a engagé sa responsabilité civile, pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale.

L’appel provoqué à l’encontre de la société Jet Diffusion est recevable ; en effet, outre que la signification du jugement, le 3 juin 2009, n’emporte pas acquiescement de la société BPI, cette dernière a relevé appel provoqué sur l’appel principal, recevable, formé par la société Coscentra le 17 juillet 2009.

Un tel recours pouvant être formé en tout état de cause, la société Jet Diffusion n’est pas fondée à soutenir que le jugement est définitif à son égard, peu important à ce propos qu’elle en ait ou non intégralement réglé les causes.

Les demandes indemnitaires présentées par la société BPI, tant au plan des contrefaçons que des actes de concurrence déloyale, ont été appréciées et reçues par le tribunal dans des proportions adéquates.

S’agissant des actes de contrefaçon, les articles L. 331-1-3 et L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle ne sont pas applicables au litige, eu égard à la date des faits poursuivis, mais la directive du 29 avril 2004 était, elle, en vigueur et il en résulte qu’au regard des conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, des bénéfices réalisés par le contrefacteur et du préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l’atteinte, l’évaluation doit être confirmée.

S’agissant des actes de concurrence déloyale, les demandes sont également justifiées, particulièrement au regard du préjudice causé par la copie du jus du parfum ‘Le Mâle’.

En conséquence, quoique le jugement entrepris ne soit pas confirmé en toutes ses dispositions, les condamnations pécuniaires sont justifiées.

Le désaccord entre les sociétés BPI et Jet Diffusion sur le montant des sommes payées ne concerne pas l’instance d’appel, notamment au plan de la recevabilité du recoures ; d’ailleurs, le montant des condamnations est modifié par le présent arrêt.

Les mesures d’interdiction, de confiscation et de publication réclamées par la société BPI doivent être confirmées pour réparation complète de son préjudice ; les frais induits sont à la charge de l’ensemble des parties condamnées in solidum et régulièrement appelées à l’instance d’appel.

Dans la mesure où nulle demande n’est formée à l’encontre de la société BS Trading, aucune instance n’est en cours en ce qui la concerne ; il n’est pas nécessaire d’appeler en cause son mandataire liquidateur.

Les circonstances ne justifient pas que les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile soient écartés ; il n’y a pas lieu cependant, en équité, de faire application de ce texte contre la société Mask.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

– Déclare recevable l’appel de la société Beauté Prestige International à l’encontre de la société Jet Diffusion,

– Rejette l’exception de nullité de la procédure,

– Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf celles retenant la contrefaçon de droit d’auteur sur le flacon ‘Le Mâle’ et sur le fragrance de ce parfum, rejetant la demande en déchéance de la marque n° 95564538 et prononçant condamnation pour contrefaçon de celle-ci et du modèle déposé sous le n° 942417,

– Statuant à nouveau de ces chefs,

– Rejette les actions en contrefaçon de droits d’auteur sur la forme du flacon ‘Le Mâle’ et sur la fragrance de ce parfum,

– Prononce la déchéance, à compter du 28 avril 2000, des droits attachés à la marque française n° 95564538 pour l’ensemble des produits et services visés dans son enregistrement,

– Prononce la nullité du dépôt du modèle n° 942417,

– Dit qu’une copie du présent arrêt sera transmis à M. le directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle pour mention de ces décisions aux registres des marques et des dessins et modèles,

– Dit que les sociétés Coscentra Sales BV, Mask et Jet Diffusion se sont rendues coupables d’actes de concurrence déloyale par copie de la formule du parfum ‘Le Mâle’,

– Ordonne la publication du présent arrêt, selon les modalités fixées par le jugement entrepris ; condamne la société Coscentra Sales BV, la société Mask et la société Jet Diffusion in solidum au paiement des frais de ces publications,

– Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Coscentra Sales BV à payer à la société Beauté Prestige International une somme de 12 000 euros et la société Jet Diffusion à payer à la société Beauté Prestige International la somme de 2 000 euros au titre de l’instance d’appel,

– Condamne la société Coscentra Sales BV, la société Mask et la société Jet Diffusion in solidum aux dépens d’appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

Joëlle POITOUXMichel GAGET

 


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