Une exposition peut être une oeuvre originale
Une exposition peut être une oeuvre originale
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Sont des oeuvres de l’esprit protégeables, les expositions, à la condition qu’elles soient originales.

Des panneaux d’expositions qui comportent des textes originaux, une sélection de documents issus de recherches historiques, des photographies sélectionnées et disposées spécifiquement, et mis en page selon des choix arbitraires et créatifs et selon une cohérence d’ensemble, révèlent bien d’un apport intellectuel et la personnalité de l’auteur.

Selon l’article L 111-2 du code de la propriété intellectuelle, l’oeuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l’auteur.

L’oeuvre est protégeable à la condition qu’elle soit originale, à savoir qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur ou de son apport intellectuel.

Il appartient à celui qui se prévaut d’un droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue, l’originalité d’une oeuvre devant être appréciée dans son ensemble, au regard des différents éléments qui la composent.

Résumé de l’affaire

M. [L] a été engagé en tant que responsable de la médiathèque de la [9] de [Localité 5] en 2011, puis en tant que responsable de la base documentaire du CNMA en 2014. Après avoir été licencié en 2018, il a accusé le CNMA de continuer à exploiter des expositions qu’il avait conçues, et a intenté une action en contrefaçon de droits d’auteur. Le tribunal judiciaire de Lyon l’a débouté de ses demandes en juin 2022, le condamnant à payer 2 000 euros au CNMA. M. [L] a fait appel de cette décision, demandant à la cour de reconnaître ses droits d’auteur sur les expositions et de condamner le CNMA à lui verser des dommages et intérêts. Le CNMA, de son côté, demande à la cour de confirmer le jugement de première instance et de condamner M. [L] à lui verser 4 000 euros.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

2 juillet 2024
Cour d’appel de Lyon
RG n°
22/05460
N° RG 22/05460 – N° Portalis DBVX-V-B7G-OOJK

Décision du

Tribunal Judiciaire de Lyon

Au fond

du 28 juin 2022

RG : 19/03495

ch n°3 cab 03 C

[L]

C/

Association [7]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

1ère chambre civile B

ARRET DU 02 Juillet 2024

APPELANT :

M. [X] [L]

né le 06 Mai 1969 à [Localité 11] (69)

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475

ayant pour avocat plaidant Me Nicolas BRESSAND, avocat au barreau de LYON, toque : 1824

INTIMEE :

Association Le CENTRE NATIONAL DE LA MEMOIRE ARMENIENNE

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Marion HENNEQUIN de la SELARL ONELAW, avocat au barreau de LYON, toque : 627

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 04 Mai 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 18 Mars 2024

Date de mise à disposition : 25 Juin 2024 prorogée au 02 Juillet 2024, les avocats dûment avisés conformément à l’article 450 dernier alinéa du code de procédure civile

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Olivier GOURSAUD, président

– Stéphanie LEMOINE, conseiller

– Bénédicte LECHARNY, conseiller

assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat à durée déterminée du 9 mai 2011, M. [L] a été engagé en qualité de responsable de la médiathèque de la [9] de [Localité 5]. Le 9 novembre 2011, il a été employé dans les mêmes fonctions au titre d’un contrat à durée indéterminée.

Par contrat à durée indéterminée du 1er janvier 2014, M. [L] a été engagé en qualité de responsable de la base documentaire du centre national de la mémoire arménienne (le CNMA). La relation contractuelle a pris fin du fait d’un licenciement intervenu le 18 décembre 2018.

Estimant que le CNMA continuait d’exploiter les oeuvres « Le génocide arménien », « Passeur de Mémoires », « L’odyssée de [G] [K] » et « Mémoires croisées de l’esclavage et de la colonisation », constituées d’expositions conçues par ses soins, M. [L] a fait réaliser un procès-verbal de constat dressé par un huissier de justice le 12 février 2019.

Puis, par acte d’huissier de justice du 25 avril 2019, M. [L] a assigné le CNMA en contrefaçon de droits d’auteur.

Par jugement du 28 juin 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a débouté M. [L] de ses demandes et l’a condamné à payer au CNMA la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile .

Par déclaration du 26 juillet 2022, M. [L] a relevé appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 13 mars 2023, M. [L] demande à la cour de:

‘ infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lyon le 28 juin 2022 en ce qu’il a débouté M. [L] de l’ensemble de ses demandes, en ce qu’il l’a condamné à payer au [7] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens,

Et, statuant à nouveau, :

‘ juger que les expositions « Passeur de memoires », « Mémoires croisées de

l’esclavage et de la colonisation », « Le génocide des arméniens » et « L’odyssée de

[G] [K] » sont des oeuvres originales protégées par le droit d’auteur,

‘ juger que M. [L] est titulaire des droits d’auteur sur les expositions

« Passeur de memoires », « Mémoires croisées de l’esclavage et de la colonisation », « Le génocide des arméniens » et « L’odyssée de [G] [K] »,

‘ ordonner au CNMA de cesser toute exploitation des oeuvres de M. [L],

‘ juger que le CNMA a commis des actes de contrefaçon de droits d’auteur,

‘ condamner le CNMA à lui verser la somme de 40.000 euros en réparation de ses préjudices économiques,

‘ condamner le CNMA à verser à M. [L] la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral,

‘ ordonner au CNMA de publier le dispositif de la décision à intervenir dans une publication « épinglée » sur sa page facebook accessible à l’adresse url https://www.facebook.com/cnma.decines/ pendant une durée de 2 mois et sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la date de signification de la décision à intervenir,

‘ condamner le CNMA à lui verser la somme de 8.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ condamner le CNMA à supporter les entiers dépens.

En tout etat de cause,

‘ débouter le CNMA de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 17 janvier 2023, le CNMA demande à la cour de:

– confirmer le jugement rendu en première instance, par le tribunal judiciaire de Lyon le 28 juin 2022, dans toutes ses dispositions,

En conséquence,

– rejeter l’intégralité des demandes de M. [L] ,

Y ajoutant,

– condamner M. [L] à verser au CNMA la somme de 4.000 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner le même aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions précitées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 4 mai 2023.

MOTIFS

1. Sur la protection des expositions par le droit d’auteur

M. [L] soutient qu’il est le créateur de plusieurs expositions originales susceptibles de bénéficier de la protection par le droit d’auteur. Il fait notamment valoir que:

– il a créé l’exposition « Passeur de mémoires » en 2005-2006, qui est une présentation de sept génocides contre l’humanité,

– il s’agit de la seule exposition qui possède une telle présentation,

– les 49 panneaux de l’exposition ont été mis en page selon des choix arbitraires et créatifs de l’auteur et selon une cohérence d’ensemble, ayant trait

‘ au choix et à la structuration des thématiques ;

‘ à la rédaction de textes spécifiques ;

‘ à la sélection de documents d’archives ;

‘ à la disposition de l’ensemble de ces éléments à des fins esthétiques et didactiques;

‘ à la mise en place du discours et à l’organisation du récit et de la narration ;

‘ aux couleurs, tailles, polices, et disposition des éléments et textes;

‘ au choix des supports d’exposition.

– il a créé l’exposition « Mémoires croisées de l’esclavage et de la colonisation » en 2008-2009, qui est le fruit :

‘ d’un choix de thématique arbitraire opéré par l’auteur ;

‘ de choix créatifs et arbitraires dans la sélection des documents issus des recherches de l’auteur ;

‘ de la rédaction d’un texte original de près de 17 000 mots, subdivisé en paragraphes et réparti de manière raisonnée par l’auteur ;

‘ de choix relatifs à l’enchaînement des idées et à l’organisation du discours ;

‘ d’opérations de sélection, tris et mises en place créatives et arbitraires de centaines de documents (photos, dessins, peintures, affiches, couverture de livre, unes de journaux, cartes..) ;

‘ d’une mise en page originale et de choix esthétiques relatifs aux éléments, à leurs formes, à leurs placements, à leurs couleurs, à leurs tailles et à leurs polices.

– l’oeuvre est le fruit d’un ensemble de choix créatifs de l’auteur résultant d’un travail spécifique, qui porte l’empreinte de sa personnalité.

Le même raisonnement est tenu pour deux autres expositions intitulées « Le génocide des arméniens » et « L’odyssée de [G] [K] ».

Le CNMA soutient que les expositions ne sont pas des oeuvres originales. Il fait notamment valoir que:

– par original, il ne faut pas entendre nouveau mais une oeuvre propre à elle-même, témoignant d’une recherche créative où l’on retrouve la personnalité de l’auteur,

– alors que M. [L] demande la protection par le droit d’auteur sur quatre oeuvres, l’exposition « Le génocide des Arméniens » fait partie de celle intitulée « Passeurs de mémoires », de sorte que l’analyse porte sur trois créations prétendues,

– M. [L] ne prouve pas ses allégations.

Réponse de la cour

Selon l’article L 111-2 du code de la propriété intellectuelle, l’oeuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l’auteur.

L’oeuvre est protégeable à la condition qu’elle soit originale, à savoir qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur ou de son apport intellectuel.

Il appartient à celui qui se prévaut d’un droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue, l’originalité d’une oeuvre devant être appréciée dans son ensemble, au regard des différents éléments qui la composent.

M. [L] soutient qu’il a créé quatre expositions, « Passeur de mémoires », « Mémoires croisées de l’esclavage et de la colonisation », « Le génocide des Arméniens » et « L’odyssée de [G] [K] » originales relevant de la législation sur les droits d’auteur.

Sont des oeuvres de l’esprit protégeables, les expositions, à la condition qu’elles soient originales.

En premier lieu, s’agissant de l’exposition « Passeur de mémoires », il résulte des pièces produites que l’exposition est composée de 7 séries de panneaux consacrés aux génocides des Arméniens, des Juifs d’Europe, des Tutsi du Rwanda, à la famine d’Ukraine, au génocide du Cambodge, aux persécutions raciales des Tziganes et à l’éthnocide du Tibet.

Chacun des panneaux contient des textes spécifiques d’illustration et des photographies sélectionnées et organisées, avec un panneau d’introduction et un panneau final de conclusion intitulé « pensées… » composé de 13 citations sélectionnées évoquant le génocide.

M. [L] explique que l’exposition est organisée en trois parties correspondant aux génocides avérés, les crimes contre l’humanité à caractère génocidaire et les crimes contre l’humanité afin d’inviter le public à une réflexion sur les difficultés de qualification juridico-historique de chacun des crimes et à leur reconnaissance.

En deuxième lieu, s’agissant de l’exposition « Mémoires croisées de l’esclavage et de la colonisation », il résulte des pièces produites qu’elle comporte 51 panneaux traitant de l’esclavage et de la colonisation.

Comme pour la précédente exposition, chacun des panneaux contient des textes originaux spécifiques d’illustration et des photographies sélectionnées et organisées. Sont également insérés des documents iconographiques et des archives historiques, politiques et culturelles.

M. [L] explique que l’exposition est organisée en quatre parties distinguées par des couleurs différentes évoquant la chaleur et l’exotisme dont le sujet est connoté.

En troisième lieu, s’agissant de l’exposition « Le génocide des Arméniens », il est constant entre les parties qu’elle a été réalisée à partir de l’exposition « Passeur de mémoires ».

Il résulte des pièces produites que les panneaux d’exposition consacrés au génocide des Arméniens ont été retravaillés puisque les couleurs de fond ont été modifiées et qu’a été inséré un nouveau texte original introductif, certaines légendes ayant, en outre, été reprises.

En quatrième lieu, s’agissant de l’exposition « L’odyssée de [G] [K] », consacrée au témoignage d’une survivante du génocide arménien, il résulte des pièces produites qu’elle est composée de textes originaux, d’images et de cartes sélectionnés exposés sur 10 panneaux, comprenant un fond de couleurs brique et ocre et des textes de couleur blanche.

M. [L] explique que l’exposition replace l’histoire individuelle de [G] [K] dans l’histoire du génocide des Arméniens et la Première guerre mondiale dans l’empire Ottoman et qu’une frise chronologique située en partie inférieure du panneau permet de contextualiser les événements importants qui sont retracés.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les panneaux de chacune des expositions, comportent des textes originaux, une sélection de documents issus de recherches historiques, des photographies sélectionnées et disposées spécifiquement, et qu’ils ont été mis en page selon des choix arbitraires et créatifs et selon une cohérence d’ensemble, révélant l’apport intellectuel et la personnalité de l’auteur.

En conséquence, il y a lieu de retenir que ces quatre expositions, du fait de leur caractère original, sont des oeuvres relevant de la législation sur les droits d’auteur.

Le jugement est donc infirmé.

2. Sur la titularité des droits d’auteur

M. [L] soutient qu’il est l’auteur des oeuvres et leur titulaire. Il fait notamment valoir que:

– l’exposition « Passeur de mémoires » a été créée entre 2005 et 2006, soit préalablement au 1er janvier 2014, date à laquelle il a pris ses fonctions au CNMA, et à la création du CNMA (2012),

– il en va de même de l’exposition « Mémoires croisées de l’esclavage et de la colonisation », créée entre 2008 et 2009,

– l’exposition « le génocide des arméniens » est un actualisation et un enrichissement de la partie de l’exposition « passeur de mémoires » consacrée au génocide des arméniens,

– l’exposition « l’Odyssée de [G] [K] », conçue en 2017-2018, a été créée par par lui-même après la lecture du livre « Ma grand-mère d’Arménie » de Mme [W], avec laquelle il a échangé pour concevoir l’exposition,

– le CNMA ne démontre pas avoir été à l’origine et à l’initiative des projets d’exposition, l’ensemble des attestations et échanges de mails versés au débat démontrant l’ inverse,

– dès lors que le salarié jouit d’une autonomie et d’une liberté de création, sans subir les directives de son employeur, l’oeuvre ne peut pas être « collective » et appartient au salarié,

– outre qu’il est à l’initiative des expositions, il n’a reçu aucune consigne, instruction ou directive de son employeur dans le cadre de leur création,

– la cession implicite des droits d’auteur dont se prévaut le CNMA est impossible, l’article L 131-3 du code de la propriété intellectuelle exigeant un écrit.

Le CNMA fait valoir que M. [L] ne rapporte pas la preuve de sa qualité d’auteur, le fait qu’il soit concepteur de l’exposition étant insuffisant. Il fait notamment valoir que:

– la pièce intitulée « visuels de l’expositions Passeur de mémoires » ne permet pas de certifier la date à laquelle le document a été créé, ni que M. [L] est le créateur et l’inventeur des oeuvres, le logo du CNMA étant d’ailleurs apposé sur chacune des pages, alors que le nom de M. [L] n’apparaît pas,

– s’agissant de l’exposition « L’odyssée de [G] [K] » qui a été conçue en 2018, il ressort du visuel de l’exposition, qu’elle a été créée alors que M. [L] était salarié du CNMA, et qu’elle a été réalisée en exécution de son contrat de travail et des prescriptions du CNMA, qui est l’unique créateur et concepteur de l’exposition,

– si dans son discours, M. [H] fait état d’une exposition intitulée « Passeur de mémoires », il n’est pas établi qu’il s’agit de la même et qu’elle appartient à M. [L],

– au titre de son contrat de travail, M. [L] devait participer et organiser des ateliers pédagogiques et des expositions sous l’autorité du CNMA, de sorte qu’il entrait dans sa mission de concevoir et organiser, sous le contrôle de sa direction, des expositions présentées par le CNMA,

– les productions du salarié ne sont protégeables que s’il dispose de toute la latitude nécessaire pour s’exprimer librement,

– les travaux réalisés au nom du CNMA ont pu ouvrir droit à l’obtention de subventions, ce qui démontre que ces oeuvres étaient réalisées en son nom et pour son compte,

– les expositions ont toutes été réalisées avec la collaboration étroite de la bibliothécaire du CNMA également salariée,

– le CNMA a décidé le thème des expositions ainsi que leur axe, la programmation culturelle étant établie et votée en assemblée générale,

– les propositions des salariés devaient être validées par la direction du CNMA,

– même si l’existence des droits d’auteur de M. [L] est reconnue, il ont été implicitement cédés au CNMA.

Réponse de la cour

Selon l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’oeuvre est divulguée.

En premier lieu, s’agissant de l’exposition « Passeurs de mémoires », il est mentionné sur les supports d’impression, qu’elle a été créée en 2006.

Cette date est confirmée par Mme [P], trésorière du collectif Renaissance, qui indique avoir relu les travaux et atteste, en outre, que M. [L] en est le créateur. Elle précise encore que ces expositions ont été présentées au public dans les facultés de [Localité 6], de [Localité 10], à la faculté catholique de [Localité 8] et à l’Espace rectangle.

Cette date est encore confirmée par un discours prononcé par le ministre de la culture [T] [H] le 12 septembre 2006, qui fait état de cette exposition à l’occasion du lancement de l’année de l’Arménie.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il est établi que M. [L] a créé cette oeuvre dans le courant de l’année 2006, soit avant qu’il n’ait pris ses fonctions au sein du CNMA, qui l’a embauché le 1er janvier 2014.

En deuxième lieu, s’agissant de l’exposition « Mémoires croisées de l’esclavage et de la colonisation », Mme [P] atteste également que M. [L] en est l’auteur et qu’elle a été créée en 2008-2009.

Par ailleurs, il est établi par une annonce diffusée sur le site « LYFtv.com » que cette exposition a été présentée à l’Institut des droits de l’Homme à [Localité 8] le 11 mai 2009.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il est établi que M. [L] a créé cette oeuvre dans le courant de l’année 2008, soit avant qu’il n’ait pris ses fonctions au sein du CNMA, qui l’a embauché le 1er janvier 2014, la circonstance que ce dernier ait présenté la même exposition en 2018 au sein de la mairie du [Localité 2] étant sans incidence à cet égard.

En troisième lieu, s’agissant des expositions « Le génocide des arméniens » et « L’odyssée de [G] [K] », M. [L] indique qu’elles ont été créées respectivement en 2015 et 2018, soit postérieurement à son embauche par le CNMA.

Si selon le contrat de travail qu’il a conclu avec le CNMA à effet au 1er janvier 2014, les fonctions de M. [L] concernaient directement la création et l’animation d’expositions et ateliers pédagogiques, il résulte de l’article L 111-1, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle que, sauf exceptions, l’existence d’un contrat de travail n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu à l’auteur d’une oeuvre de l’esprit.

Parmi ces exceptions, figurent, d’une part, l’oeuvre collective, qui n’est pas invoquée par le CNMA et, d’autre part, une stipulation du contrat de travail organisant les conditions et les modalités de la cession des oeuvres créées par le salarié en exécution de son contrat de travail, précisant l’étendue de la cession, la durée de la cession, le territoire géographique de la cession et la destination de la cession.

Le contrat de travail de M. [L] ne prévoyant pas la cession de ses oeuvres, le CNMA est mal fondé à se prévaloir d’une cession, qui ne peut être implicite, en application de l’article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle.

Par ailleurs, s’agissant de l’exposition « Le génocide des arméniens », il a été précédemment vu qu’elle consiste en un enrichissement et une actualisation de la précédente exposition « Passeur de mémoires », dont il a été vu qu’elle avait été créée par M. [L].

De plus, il est mentionné sur le panneau introductif de l’exposition que M. [L] en est le concepteur.

Il est dès lors établi que M. [L] est l’auteur de cette oeuvre, la circonstance que le logo du CNMA figure en bas des panneaux étant insuffisante à établir qu’ il est titulaire des droits d’auteur sur l’exposition.

Enfin, s’agissant de l’exposition « L’odyssée de [G] [K] », il résulte de l’échange de courriers entre M. [L] et Mme [W], qui a écrit le livre ayant inspiré l’exposition, et de l’attestation de cette dernière, qui indique qu’il en est le créateur, ainsi que de celle de Mme [B], qui certifie, en sa qualité de salariée d’une société d’imprimerie, qu’il a procédé à la conception graphique de l’exposition, que M. [L] est le concepteur et créateur de cette oeuvre, ce qui est, en outre, mentionné dans le magazine Geo et sur son site internet.

De plus, la bibliothécaire du CNMA, Mme [N], atteste également que M. [L] est le créateur de cette exposition, qui a vu le jour grâce à « sa seule initiative », de sorte que le CNMA n’est pas fondé à alléguer, sans apporter la moindre offre de preuve sur les instructions qu’il aurait données à M. [L], qu’il se serait borné à exécuter les prescriptions de son employeur.

Il est précisé à cet égard que le compte-rendu d’assemblée générale du 22 octobre 2016 produit par le CNMA, auquel est annexé la programmation du centre, ne permet pas d’établir les initiatives du centre ou les instructions qui auraient été données à M.[L].

Au regard de l’ensemble de ces éléments, M. [L] est le titulaire des droits d’auteur sur les quatre expositions précitées.

3. Sur les demandes d’indemnisation

M. [L] sollicite la condamnation du CNMA à lui payer les sommes de 40 000 euros en réparation de son préjudice économique et celle de 20 000 euros au titre de son préjudice moral. Il fait notamment valoir que:

– en 2019, après qu’il ait été licencié, le CNMA a exploité ses oeuvres sans son autorisation et sans qu’aucune rétribution ne lui soit versée,

– certaines de ses expositions ont été maintenues dans les locaux du CNMA ou en ligne sur son site internet,

– cette diffusion s’est poursuivie plusieurs mois jusqu’en juillet et septembre 2019,

– grâce à ses oeuvres, le CNMA a bénéficié de subventions de l’Etat et des collectivités,

– il n’aurait jamais accepté la poursuite de l’exploitation de ses oeuvres.

Le CNMA soutient que M. [L] ne justifie ni des actes de contrefaçon ni du montant de son préjudice. Il fait notamment valoir que:

– il ne tire aucune recette des expositions qu’il présente,

– il entrait dans les missions de M. [L] de recevoir des subventions afin de financer une partie de l’activité de l’association.

Réponse de la cour

Selon l’article L 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l’atteinte.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte.

M. [L] a été licencié le 18 décembre 2018.

Or, il ressort:

– d’une capture d’écran du site internet du CNMA que l’exposition « L’odyssée de [G] [K] » a été maintenue postérieurement, au moins jusqu’en février 2019,

– de photographies et d’une attestation émanant de M. [S] précisant que l’exposition « Le génocide des arméniens » était présentée dans les locaux du CNMA fin avril 2019,

– du site internet du CNMA que les expositions « Le génocide des Arméniens », « Mémoires croisées de l’esclavage et de la colonisation » et « Passeur de mémoires » y étaient diffusées en 2019.

Il est dès lors établi que le CNMA, qui ne justifie ni même n’allègue avoir eu l’autorisation de diffuser ces expositions, a porté atteinte aux droits d’auteur de M. [L].

Ce dernier, qui se borne à faire état des subventions perçues grâce à ces expositions par le CNMA, ne justifie pas du montant des redevances qu’il aurait perçu si son autorisation avait été sollicitée.

Néanmoins, quatre expositions ayant été exploitées sans son autorisation durant quelques mois, il y a lieu d’évaluer son préjudice économique à la somme de 10 000 euros.

Par ailleurs, M. [L] qui a vu que ses oeuvres continuaient à être exposées et diffusées par le Centre alors qu’il avait été licencié, a subi un préjudice moral qu’il convient d’indemniser à hauteur de 2 000 euros.

En revanche, il n’y a pas lieu d’ordonner au CNMA de cesser toute exploitation des oeuvres de M. [L] alors qu’il n’est pas établi qu’il les exploite toujours.

4. Sur les autres demandes

En application de l’article L 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle, il convient de faire droit à la demande de M. [L] d’ordonner la publication du dispositif du présent arrêt dans une publication « épinglée » sur la page Facebook du CNMA, accessible à l’adresse URL https://www.facebook.com/cnma.decines/.

Cette condamnation est assortie d’une astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard pendant un délai de 6 mois, qui commencera à courir dans un délai de 2 mois à compter de la signification du présent arrêt.

Le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l’indemnité de procédure.

La cour estime que l’équité commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [L] et condamne le CNMA à lui payer la somme de 3.000 euros à ce titre.

Les dépens de première instance et d’appel sont à la charge du CNMA.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions;

statuant de nouveau et y ajoutant,

Condamne le [7] à payer à M. [X] [L], la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique,

Condamne le Centre national de la mémoire arménienne à payer à M. [X] [L], la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

Ordonne au [7] de publier le dispositif du présent arrêt dans une publication « épinglée » sur sa page Facebook, accessible à l’adresse URL https://www.facebook.com/cnma.decines/,

Assortit cette condamnation d’une astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard pendant un délai de 6 mois,

Dit que cette astreinte commencera à courir dans un délai de 2 mois à compter de la signification du présent arrêt,

Condamne le [7] à payer à M. [X] [L], la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne le Centre national de la mémoire arménienne aux dépens de première instance et d’appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.

La greffière, Le Président,


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