En matière de droits d’auteur, seule la preuve de l’exploitation de l’oeuvre doit être rapportée. Il n’existe pas de minimum légal permettant de considérer que l’oeuvre est exploitée.
En la cause, les factures versées au débat rapportent la preuve que le modèle de pierre tombale litigieux est exploité ce d’autant plus qu’il est commercialisé dans de nombreux départements. Aux termes de l’article L113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui sous le nom de qui l’oeuvre a été divulguée. Cet article institue une présomption de titularité au profit de l’auteur. Une personne morale ne peut pas avoir la qualité d’auteur (1er Civ., 15 janvier 2015, n°13-23.566). En revanche, la personne morale qui exploite une oeuvre est, en l’absence de revendication de la part de la personne auteur, réputée titulaire des droits patrimoniaux. En l’espèce, la société Ouest Funéraire est présumée être titulaire des droits d’auteur pour le monument funéraire référencé I 3070. Elle dispose du droit d’agir en contrefaçon contre la société Etablissement Psaute et fils. Elle a donc qualité à agir et son action est recevable. |
Résumé de l’affaire : La société Ouest Funéraire, spécialisée dans les articles funéraires, a acquis une branche d’activité de la société Rebellion Granit en 2015. Elle revendique des droits d’auteur sur un monument funéraire, modèle I 3070. En juillet 2021, Ouest Funéraire constate que la société Etablissement Psaute et Fils commercialise un modèle similaire et lui envoie une mise en demeure. Après des échanges infructueux, Ouest Funéraire assigne Psaute et Fils en justice en juin 2022. Psaute et Fils conteste l’assignation, demandant sa nullité. Le 29 septembre 2023, le tribunal déclare l’action de Ouest Funéraire irrecevable, faute de preuve de titularité des droits d’auteur, et condamne Ouest Funéraire à payer des frais à Psaute et Fils. Ouest Funéraire interjette appel. En janvier 2024, Psaute et Fils demande la confirmation de l’ordonnance initiale. La cour d’appel, le 11 mars 2024, infirme l’ordonnance du tribunal de Lille, déclare l’action de Ouest Funéraire recevable et condamne Psaute et Fils à payer des frais à Ouest Funéraire.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 10/10/2024
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N° de MINUTE :
N° RG 23/04549 – N° Portalis DBVT-V-B7H-VEM7
Ordonnance (N° 22/04016)
rendue le 29 septembre 2023 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANTE
La SAS Ouest Funéraire
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Bertrand Ermeneux, avocat au barreau de Rennes et de Me Jérémie Vessier, avocat au barreau de Rennes, avocats plaidants
INTIMÉE
La SARL Etablissements Psaute et Fils
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Alicia Galet, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 16 avril 2024, tenue par Véronique Galliot magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Anaïs Millescamps
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Catherine Courteille, présidente de chambre
Samuel Vitse, président de chambre
Véronique Galliot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2024 après prorogation du délibéré en date du 05 septembre 2024 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Catherine Courteille, présidente et Anaïs Millescamps, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 11 mars 2024
EXPOSE DU LITIGE
La société Ouest Funéraire a pour activités la commission, l’agence commerciale, le courtage, la représentation de tous matériaux et notamment de la pierre, du granit et tous articles funéraires et plus généralement tout ce qui concerne la pierre ; le négoce et la fabrication sous quelque forme que ce soit des mêmes articles.
Par une cession partielle d’entreprise du 8 octobre 2015, la société Ouest Funéraire a fait l’acquisition de la branche d’activité funéraire de la société Rebellion Granit à la suite d’une procédure de redressement judiciaire du 17 avril 2017.
La société Etablissement Psaute et Fils a pour activités la fabrication, façonnage et vente de monuments funéraires, pompes funèbres, organisation d’obsèques, prestation inhumation, exhumations et crémation.
La société Ouest Funéraire revendique la titularité et la protection au titre des droits d’auteur sur un monument funéraire, référencé I 3070.
Le 12 juillet 2021, s’étant aperçu que la société Etablissement Psaute et Fils produisait et commercialisait un modèle quasi identique à leur modèle I 3070, la société Ouest Funéraire l’ a mis en demeure de cesser cette production.
Le 11 janvier 2022, un constat d’huissier a été dressé par Me [M] à la demande de la société Ouest Funéraire.
Après plusieurs échanges, par courriers officiels entre leurs conseils respectifs, aucune solution amiable n’a été trouvée.
Par exploit d’huissier du 17 juin 2022, la société Ouest Funéraire a fait assigner la société Etablissement Psaute et Fils devant le tribunal judiciaire de Lille.
La société Etablissement Psaute et Fils a saisi le juge de la mise en état par conclusions d’incident du 30 septembre 2022 aux de voir prononcer la nullité de l’assignation et juger irrecevable l’action engagée par la société Ouest Funéraire.
Par une ordonnance du 29 septembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lille a :
Dit que l’exception de nullité de l’assignation s’analyse en une fin de non-recevoir ;
Déclaré irrecevable l’action de la SAS Ouest Funéraire en contrefaçon de droit d’auteur, faute de justifier de sa titularité des droits d’auteur sur le monument funéraire I3070 revendiqué ;
Dit que le présent incident met fin à l’instance ;
Condamné la SAS Ouest funéraire à payer à la SARL Etablissement Psaute et Fils, la somme de 2 500 euros pour frais irrépétibles ;
Débouté la SAS Ouest Funéraire de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par une déclaration enregistrée au greffe le 12 octobre 2023, la société Ouest Funéraire a interjeté appel de l’ensemble de cette ordonnance.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe de la cour d’appel le 19 janvier 2024, la société Ouest Funéraire, au visa des articles L111-1, L111-2, L112-1, L113-1, L113-2, L113-5, L122-3, L122-4, L331-1-3, L332-1, L335-2 et L335-3 du code de la propriété intellectuelle et l’article 789 du code de procédure civile, demande à la cour de :
Infirmer l’ordonnance d’incident du 29 septembre 2023 en ce qu’elle a :
Déclaré irrecevable l’action de la SAS Ouest Funéraire en contrefaçon de droit d’auteur, faute de justifier de sa titularité des droits d’auteur sur le monument funéraire I3070 revendiqué ;
Dit que le présent incident met fin à l’instance ;
Condamné la SAS Ouest funéraire à payer à la SARL Etablissement Psaute et Fils, la somme de 2 500 euros pour frais irrépétibles ;
Débouté la SAS Ouest Funéraire de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau,
Rejeter la fin de non-recevoir présentée par la société Etablissement Psaute et Fils ;
Constater et juger que la société Ouest Funéraire est titulaire des droits d’auteur sur le modèle de monument funéraire I 3070
Déclarer recevable l’action de la SAS Ouest Funéraire en contrefaçon des droits d’auteur ;
Débouter la société Etablissement Psaute et Fils à verser à la société Ouest Funéraire la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société Etablissement Psaute et Fils aux entiers dépens qui comprendront les frais de constat.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 5 janvier 2024, la société Etablissement Psaute et Fils, au visa des articles L111-1 et L111-3 du code de propriété intellectuelle, des articles 9, 117 et 122 du code de procédure civile et l’article 1353 du code civil, demande à la cour de :
Juger la société Etablissement Psaute et Fils recevable et bien fondée en toute ses demandes, fins et conclusions ;
Confirmer l’ordonnance d’incident rendue le 29 septembre 2023 par le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Lille en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Juger irrecevable l’action engagée par la société Ouest Funéraire pour défaut de qualité à agir ;
Débouter la société Ouest Funéraire de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner la société Ouest Funéraire à verser à la société Etablissement Psaute et Fils la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
Condamner la société Ouest Funéraire aux entiers dépens de la présente instance.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées et rappelées ci-dessus.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 11 mars 2024.
Sur la recevabilité de L’action de la Société Ouest Funéraire
La société Ouest Funéraire conteste la décision du juge de la mise en état en ce qu’il a considéré qu’elle ne justifiait pas être titulaire des droits d’auteur sur le monument funéraire référencé I 3070. Elle fait valoir, au visa des articles L111-1 et L113-1 du code de la propriété intellectuelle, qu’elle est présumée être titulaire des droits d’auteur puisqu’elle a divulgué et exploité sous son nom et pour son compte l’oeuvre litigieuse ; que ce modèle apparaît dans son catalogue et qu’elle produit une cinquantaine de factures relatives à ce modèle. Elle soutient que le modèle est bien exploité par la société Ouest Funéraire suite à la reprise des actifs de la société Rebellion Granits.
Elle ajoute que le tribunal judiciaire de Rennes s’est prononcé sur la même question et a considéré que la société Ouest Funéraire bénéficiait d’une présomption de titularité des droits d’auteur sur d’autres monuments litigieux.
La société Etablissement Psaute et Fils fait valoir, au visa de l’article 122 du code de procédure civile, que la société Ouest Funéraire n’a pas la qualité à agir pour obtenir un avantage sur les produits proposés par la société Rebellion Granits. Elle affirme que « Rebellion Granits » n’est pas le nom commercial de la société Ouest Funéraire ; que cette société a été liquidée pour insuffisance d’actif et radiée le 12 février 2020 ce qui l’a empêchée de revendiquer ses droits d’auteur. Elle ajoute que la société Rebellion Granits a fait l’objet d’une cession partielle au profit de la société Lotimmo mais que la société Ouest Funéraire ne justifie pas venir aux droits de cette société. Elles estiment que les factures communiquées par la société Ouest Funéraire ne peuvent pas justifier de l’exploitation du monument funéraire litigieux. Et elle soutient que la charge de la preuve pèse sur la société Ouest Funéraire et non sur elle.
Aux termes de l’article L113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui sous le nom de qui l’oeuvre a été divulguée. Cet article institue une présomption de titularité au profit de l’auteur.
Une personne morale ne peut pas avoir la qualité d’auteur (1er Civ., 15 janvier 2015, n°13-23.566).
En revanche, la personne morale qui exploite une oeuvre est, en l’absence de revendication de la part de la personne auteur, réputée titulaire des droits patrimoniaux.
En l’espèce, la société Ouest Funéraire revendique la titularité des droits d’auteur sur un modèle de pierre tombale référencé I 3070.
– Sur la commercialisation de l’oeuvre
La société Ouest Funéraire justifie commercialiser le monument funéraire, référencé I 3070, par plus d’une cinquantaine de factures de 2015 à 2023 ; toutes portant la référence du modèle litigieux. Contrairement à ce qui est soutenu par la société Etablissement Psaute et fils, même si certaines factures portent la mention « modifié », il s’agit toujours du même modèle référencé I 3070. Les modifications effectuées concernent seulement un détail du modèle comme la couleur. En effet, le monument funéraire est présenté comme étant en « granit Kuppam Green/ Noir Supreme » mais il est possible de modifier cette couleur puisque certaines factures mentionnent la référence du modèle mais cette fois-ci « en noir suprême et Viscont White ». En tout état de cause, il ne s’agit pas de changement majeur qui conduirait à considérer qu’il s’agit d’un modèle différent.
La société Etablissement Psaute et fils reproche également le nombre limité de factures produites sur 8 ans ainsi que la justification de la société Ouest Funéraire. Cependant, seule la preuve de l’exploitation doit être rapportée. Il n’existe pas de minimum légal permettant de considérer que l’oeuvre est exploitée. Au contraire, les factures versées au débat rapportent la preuve que le modèle litigieux est exploité et d’autant plus qu’il est commercialisé dans de nombreux départements.
– Sur la commercialisation de l’oeuvre sous son nom
La société Etablissement Psaute et Fils s’oppose à la titularité des droits d’auteur de la société Ouest Funéraires estimant que les catalogues et toutes les factures sont émis au nom de « Rebellion Granits » et qu’il ne s’agit pas du nom commercial de la société Ouest Funéraire. Pourtant, dans l’acte de cession partielle d’entreprise du 8 octobre 2015, il est indiqué que le nom commercial « Rebellion Granits » est compris dans les éléments incorporels cédés à la société Ouest Funéraire. Il est précisé que cette cession du nom commercial est consentie à titre non exclusif puisque la société Rebellion Granits n’avait pas vocation à disparaître suite à cette cession. De plus, les personnes morales n’ont aucune obligation légale de déclarer leur nom commercial ; il importe peu que le nom « Rebellion Granits » n’apparaisse pas sur le K-Bis de la société Ouest Funéraire. En tout état de cause, les noms « Rebellion Granits » et « Ouest Funéraire » apparaissent sur les factures de sorte qu’il n’existe aucun doute sur le fait qu’il s’agit de la même société.
Concernant la société Lotimo, celle-ci a formulé une offre de reprise partielle de la société Rebellion Granits pour la branche d’activité funéraire avec faculté de substitution au profit d’une société à constituer et détenue à 100 % par elle, comme indiqué dans l’acte de cession partielle du 8 octobre 2015 et dans le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 17 avril 2015. La société Lotimo a suivi ce qu’elle avait indiqué en créant la société Ouest Funéraire le 24 avril 2015 et détenue par elle. La société Ouest Funéraire justifie venir aux droits de la société Lotimo.
– Sur l’absence de revendication de l’auteur
La société Etablissement Psaute et Fils prétend que l’auteur de l’oeuvre étant connu, il n’est pas possible pour la société Ouest Funéraire de revendiquer la titularité des droits d’auteur. Cependant, l’acte de cession partielle d’entreprise conclu avec la société Rebellion Granits indique que la société Ouest Funéraire reprend l’ensemble de l’activité funéraire ainsi que les catalogues et modèles. De fait, l’absence de revendication des droits d’auteur par la société Rebellion Granits n’est pas due à sa procédure de liquidation judiciaire mais bien au fait qu’elle a concédé cette branche d’activité à la société Ouest Funéraire. D’ailleurs, la société Rebellion Granits a été liquidée en 2020 alors que la société Ouest Funéraire exploite ce modèle de monument funéraire depuis 2015.
Il ressort de tous ces éléments que la société Ouest Funéraire est présumée être titulaire des droits d’auteur pour le monument funéraire référencé I 3070. Elle dispose du droit d’agir en contrefaçon contre la société Etablissement Psaute et fils. Elle a donc qualité à agir et son action est recevable.
L’ordonnance du juge de la mise en état sera infirmée de ce chef.
Sur les demandes accessoires
L’ordonnance sera infirmée de ce chef.
Succombant, la société Etablissement Psaute et fils sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer à la société Ouest Funéraire la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles, engagés en première instance et en appel
La Cour,
INFIRME l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lille du 29 septembre 2023 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant et statuant à nouveau,
DÉBOUTE la société Etablissement Psaute et Fils de sa demande de juger irrecevable l’action engagée par la société Ouest Funéraire pour défaut de qualité à agir ;
DÉCLARE recevable l’action de la société Ouest Funéraire en contrefaçon des droits d’auteur ;
DÉBOUTE la société Etablissement Psaute et Fils de leur demande de condamnation au titre des frais irrépétibles engagés en appel,
CONDAMNE la société Etablissement Psaute et Fils aux entiers dépens engagés en première instance et en appel ;
CONDAMNE la société Etablissement Psaute et Fils à payer à la société Ouest Funéraire la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance et en appel.
Le greffier
Anaïs Millescamps
La présidente
Catherine Courteille