Troubles du voisinage : 9 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/03625

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Troubles du voisinage : 9 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/03625
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République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 09/03/2023

****

N° de MINUTE : 23/88

N° RG 21/03625 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TW6W

Jugement (N° 20/01074) rendu le 11 Mai 2021 par le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer

APPELANTE

SA Orange agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Catherine Camus-demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Michel Gentilhomme, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant, substitué par Me Guranna, avocat au barreau de Pontoise

INTIMÉS

Monsieur [F] [Y]

né le [Date naissance 3] 1955 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 9]

Madame [Z] [Y]

née le [Date naissance 4] 1957 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 9]

Représentés par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistés de Me Lou Deldique, avocat au barreau de Lille avocat plaidant, substitué par Me Sicoli, avocat au barreau de Lyon

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

———————

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l’audience publique du 15 décembre 2022 après rapport oral de l’affaire par Yasmina Belkaid

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 09 mars 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 décembre 2022

****

Exposé du litige

M. et Mme [Y] sont propriétaires depuis 1989 d’une maison d’habitation édifiée sur un terrain cadastré section AD [Cadastre 5] et située [Adresse 2] et à proximité de laquelle se trouve, depuis le 17 décembre 2018, un pylône d’une antenne-relais.

Après une tentative amiable d’indemnisation de leurs préjudices auprès de la société Orange, ils ont saisi le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer aux fins d’obtenir la réparation de leur préjudice résultant des conséquences de l’implantation de cette antenne-relais à proximité de leur domicile, à savoir une nuisance visuelle, un trouble d’anxiété tenant à leurs inquiétudes quant aux effets des ondes sur la santé humaine et une perte de valeur vénale de leur habitation.

Par un jugement rendu le 11 mai 2021, le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer a’:

1- déclaré M. [F] [Y] et Mme [Z] [Y] recevables en l’ensemble de leurs demandes ;

2- condamné la société Orange à verser à M. [F] [Y] et Mme [Z] [Y] la somme de 5 000 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice visuel ;

3- débouté M. [F] [Y] et Mme [Z] [Y] de leurs demandes d’indemnisation du préjudice de jouissance et du préjudice moral et d’anxiété

4 – avant dire droit sur la demande de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice financier ordonné une mesure d’expertise judiciaire et désigné Monsieur [U] [R],

5 – réservé les dépens et toute autre demande,

Par déclaration du 2 juillet 2021, la société Orange a interjeté appel de ce jugement en limitant ses contestations aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 2 et 4 ci-dessus.

L’expert judiciaire a déposé son rapport le 30 mai 2022, retenant une dépréciation de la valeur de l’immeuble des époux [Y] de 23 500 euros.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 8 décembre 2022, la société Orange demande à la cour de’:

– infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer du 11 mai 2021 en ce qu’il a :

‘Déclaré M. et Mme [Y] recevables en l’ensemble de leurs demandes;

‘Condamné la société ORANGE à verser à M. [F] [Y] et Mme [Z] [Y] la somme de 5 000 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice visuel;

‘Avant dire droit sur la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier, ordonné une mesure d’expertise judiciaire, designé pour y procéder Monsieur [U] [R], expert près la Cour d’appel de Douai, avec mission notamment de se rendre sur les lieux [Adresse 2], décrire l’état et la situation du bien concerné et en évaluer la valeur, donner son avis sur l’existence d’une perte de valeur du bien résultant de la proximité de l’antenne-relais litigieuse notamment en procédant à la comparaison des prix de ventes immobilières survenues dans le secteur con cerné avant et après l’édification de l’antenne ou en raisonnant par comparaison dans des secteurs et situations similaires, le cas échéant déterminer le montant de la dépréciation.

Statuant à nouveau

– Déclarer irrecevable l’action engagée par M. et Mme [Y] contre la société Orange

Si par extraordinaire la Cour jugeait recevables les époux [Y] à agir contre la société Orange,

– Débouter M. et Mme [Y] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

– Condamner conjointement et solidairement M. et Mme [Y] à verser à la société Orange la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner M. et Mme [Y] aux entiers dépens d’instance et d’appel y compris les frais d’expertise.

Au soutien de ses prétentions, la société Orange fait valoir que les intimés ne sont pas recevables à agir uniquement à leur encontre (1), qu’ils ne justifient pas d’un intérêt juridiquement protégé (2), que la condamnation au titre d’un préjudice visuel est injustifiée (3) et que la désignation d’un expert pour évaluer la perte de valeur de leur bien immobilier est injustifiée (4).

1) Elle reproche au tribunal d’avoir déclaré recevables les demandes dirigées à son encontre par les époux [Y] alors que’:

a. le pylône d’antenne relais accueille également les installations de la société Free Mobile de sorte que cette antenne, qui constitue un ouvrage unique occupé par deux opérateurs téléphoniques, n’est pas divisible

b. le préjudice visuel imputable à la seule société Orange, réparé par les premiers juges, ne pouvait être identifié dans le cadre d’une mutualisation des antennes. Il en est de même s’agissant des autres préjudices dont les époux [Y] demandent la réparation

c. le contentieux ne porte pas sur la légalité de l’autorisation délivrée par le maire de la commune à la société Orange ni même sur les travaux de construction du pylône réalisés par cette dernière

2) Elle considère que les époux [Y], dont l’action indemnitaire repose sur les troubles anormaux de voisinage, ne justifient pas d’un intérêt légitimement protégé dans la mesure où ils ont réalisé, sans autorisation, des travaux d’aménagement de leur grenier pour le transformer en pièces d’habitation alors que le permis de construire a été délivré pour une maison de plain-pied

3) Elle reproche au jugement critiqué de ne pas avoir pris en compte, dans le cadre de l’appréciation du trouble anormal de voisinage, les droits respectifs des parties et en particulier l’objectif d’intérêt public poursuivi par le déploiement des réseaux de téléphonie mobile sur le territoire de la commune et considère par ailleurs que le tribunal a retenu à tort une atteinte à la vue alors que’:

a. Le pylône n’entraine aucune perte de vue ou d’ensoleillement

b. Il est implanté dans une zone urbaine marqué par de nombreuses constructions et équipements publics et non dans un espace naturel et boisé comme le soutiennent les intimés

c. Il se présente sous la forme d’un monotube peint en vert et est implanté en bordure du canal, le long d’un chemin de halage, derrière un rideau d’arbres dans un espace marqué par des pylônes électriques, le plus loin des habitations de sorte que le grief tiré du défaut d’intégration dans le paysage urbain est inexact

d. Le préjudice visuel est inexistant puisque le pylone n’est pas visible depuis la propriété des époux [Y] et ne saurait être établi après la campagne prochaine d’abattage d’arbres qui ne lui est pas imputable.

4) Elle critique le jugement querellé en ce qu’il a ordonné une mesure d’expertise aux fins d’évaluer la perte de valeur vénale du bien immobilier alors que’:

a. Ce préjudice est hypothétique

b. La preuve d’un lien de causalité entre la diminution du prix de vente et la présence de l’antenne-relais n’est pas rapportée ajoutant à cet égard que le tribunal ne pouvait sans se contredire tout à la fois rejeter le préjudice d’anxiété invoqué par les époux [Y] et désigner un expert aux fins d’établir un lien de causalité entre la présence du pylône et la dépréciation de la valeur du bien lequel est indirect comme étant lié à la crainte d’un prétendu risque sanitaire pour les riverains.

Par ailleurs, la société Orange s’oppose aux demandes indemnitaires formées par les époux [Y] en faisant valoir que’:

– Les époux [Y] qui demandent la réparation de préjudices liés à la présence et au fonctionnement d’une installation de téléphonie mobile ayant fait l’objet d’une autorisation d’urbanisme et alors que leurs propres constructions n’ont pas fait l’objet d’autorisations administratives ne justifient d’aucun intérêt juridiquement protégé

– Les époux [Y] ne justifient d’aucun trouble anormal de voisinage

– Ils ne caractérisent et ne justifient pas du préjudice de jouissance allégué

– Le préjudice d’anxiété, constitué des craintes quant aux effets des ondes sur la santé humaine qui n’est ainsi pas avéré, n’est pas de nature à caractériser un trouble anormal de voisinage

– La demande d’indemnisation du préjudice résultant de la perte de valeur vénale du bien immobilier doit être rejetée dans la mesure où elle repose sur le rapport d’expertise judiciaire, dont elle critique la méthodologie qui n’est pas selon elle conforme à la mission qui lui a été confiée, qui n’a pas tenu compte, pour l’évaluation de la valeur du bien, des constructions non autorisées et a procédé non par comparaison mais en pratiquant des abattements. Elle ajoute que l’expert a également méconnu le principe du contradictoire en ne communiquant pas les actes de vente comparatifs et en procédant à leur examen hors la présence des parties.

– En toute hypothèse, au vu des chiffres proposés par l’expert et repris par les intimés, il ne peut être conclu à une anormalité du trouble

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 18 novembre 2022, M. et Mme [Y] demandent à la cour de’:

A titre liminaire’:

– Les déclarer recevables en leurs demandes,

– Déclarer la société Orange mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions, et l’en débouter ;

A titre principal’:

– Confirmer le jugement du Tribunal Judiciaire de Boulogne-sur-Mer en date du 11 mai 2021 ;

Ajoutant au jugement,

– Condamner au vu du rapport d’expertise judiciaire du 30 mai 2022, la société Orange à leur verser une somme de 23 500 € au titre du préjudice financier qui résulte de la dépréciation de la valeur vénale de leur résidence ;

A titre subsidiaire, en cas d’infirmation du jugement du Tribunal Judiciaire de Boulogne-sur-Mer en date du 11 mai 2021

– déclarer l’existence d’un trouble anormal de voisinage ;

– condamner la société Orange à leur payer la somme de 38’500 à titre de dommages et intérêts :

‘5.000 € au titre de leur préjudice visuel

‘5.000 € au titre de leur préjudice de jouissance

‘5.000 € au titre de leur préjudice moral/d’angoisse

’23 500 € au titre de leur préjudice financier qui résulte de la dépréciation de la valeur vénale de la résidence

– Condamner la société Orange à verser aux exposants la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

En toute hypothèse’:

– Condamner la société Orange à verser aux exposants la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– Débouter la société Orange de l’intégralité de ses demandes ;

– condamner la société Orange aux entiers dépens.

1) Les époux [Y] estiment que leur action à l’encontre de la société Orange est recevable dès lors que celle-ci est constructrice et utilisatrice du pylône litigieux. Ils précisent en effet que la société Orange a bénéficié d’un arrêté non-opposition à déclaration préalable qu’elle a sollicitée, qu’elle a démarré et suivi le chantier de construction et exploite désormais l’ouvrage sur lequel sont apposées des plaques avec la mention de la société Orange. Ils ajoutent que l’appelante ne démontre au demeurant pas que la société Free est également utilisatrice dudit pylône alors en outre qu’il lui était loisible de l’attraire dans la cause.

2) Ils considèrent que leur intérêt à agir est justifié par la légalité de leurs constructions. A cet égard, ils précisent qu’il n’entrait pas dans la mission de l’expert de déterminer la conformité des constructions, comme le lui a demandé la société Orange. En toute hypothèse, ils affirment qu’aucune surface supplémentaire de plancher n’a été irrégulièrement créée et que les fenêtres de toit étaient déjà présentes. Enfin, le bénéfice du droit à l’oubli prévu par l’article L. 421-9 du code de l’urbanisme ne permet de caractériser une reconnaissance implicite de l’illégalité des constructions comme le fait valoir la société Orange.

3) Ils soutiennent que le trouble anormal de voisinage est caractérisé dans la mesure où comme l’a retenu le tribunal, l’antenne est située à environ 150 mètres de la maison, qu’elle culmine à une hauteur de 45 mètres et est nettement visible du jardin, qu’elle est implantée dans le paysage boisé et naturel faisant face à l’habitation et qu’elle ne comporte aucun élément de camouflage permettant une meilleure intégration dans cet environnement. Ils ajoutent que l’expert judiciaire confirme cette situation.

Ils réfutent l’argument de la société Orange selon lequel leur résidence est située en zone urbaine alors qu’elle est située dans un secteur privilégié de la commune au sein d’un parc boisé dénommé parc de l’Octogone s’étendant sur 3 hectares, site, au demeurant, protégé par le PLU, sur lequel se trouve un ancien château abritant une médiathèque.

Ils contestent la description du pylône faite par la société Orange qui n’est pas vert mais gris et est visible depuis leur habitation en précisant qu’une campagne d’abattage d’arbres en cours rendra l’installation encore plus visible.

Ils considèrent par ailleurs que l’intérêt public attaché à la réalisation de l’antenne litigieuse n’est pas suffisant pour remettre en cause l’anormalité du trouble visuel qu’ils subissent.

Ils estiment en toute hypothèse que l’intérêt public dont se prévaut la société Orange n’est pas établi puisque la commune de [Localité 9] comportait d’ores et déjà 3 antennes dont l’une est située à 1,3 km de leur domicile et alors que la commune compte 5’401 habitants de sorte que la preuve de l’amélioration par l’implantation de l’antenne litigieuse de la couverture du territoire par le réseau de téléphonie mobile n’est pas rapportée.

4) Ils considèrent que leur préjudice financier n’est pas hypothétique de sorte que la mesure d’expertise est justifiée et que ce préjudice résulte directement de la présence de l’antenne litigieuse comme l’a confirmé l’agence immobilière 3A qui évalue la valeur du bien en fonction de la présence ou non de ladite antenne compte tenu des craintes de la population pour la santé humaine inhérente à ce type d’installation.

Ils précisent que ce préjudice financier, qui est lié à la perte de valeur vénale d’un bien immobilier et à la diminution de l’intérêt qu’il présente ne se confond pas avec le préjudice d’anxiété qui est lié à l’impact sanitaire des ondes émises par l’antenne.

Ils concluent que l’expert a, à juste titre et en considération de ces éléments, pratiqué un abattement total de 8 % au titre de la dépréciation de la valeur de l’immeuble soit 27’300 euros.

Enfin, ils estiment que les critiques formulées par la société Orange sur le déroulement et la méthodologie de l’expertise sont dénuées de fondement.

Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2022.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la demande

Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Sur la recevabilité de l’action engagée à l’encontre de la seule société Orange

En premier lieu, la société Orange considère que l’action intentée par les intimés, en ce qu’elle est uniquement dirigée à son encontre alors que le pylone litigieux accueille également les antennes et équipements de la société Free, est irrecevable.

Il est constant que la société Orange a, seule, déposé, une déclaration préalable portant sur des travaux de construction sur un terrain situé [Adresse 8], d’un relais de radiotéléphonie comprenant un mat monotube et radôme d’une hauteur de 41 mètres, des armoires électriques en tôle d’acier sur une terrasse de plain-pied en béton et un enclos en treillis soudé plastifié étant précisé que les coûts des branchements aux réseaux d’électricité et de télécommunication seront à sa charge.

Il est par ailleurs acquis que la société Orange a obtenu l’ensemble des autorisations administratives nécessaires à cette implantation et qu’elle exploite cet ouvrage.

Il est exact que l’action intentée par les époux [Y] ne tend pas à contester ces décisions administratives, comme le souligne la société Orange, mais à les indemniser du préjudice subi du fait de l’implantation et du fonctionnement de l’antenne relais sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage.

Mais aucun élément du dossier ne tend à démontrer que les époux [Y] avaient connaissance de ce que la société Free Mobile occupe également les installations de téléphonie mobile, cette information ne résultant ni de la demande d’autorisation d’urbanisme ayant fait l’objet d’un affichage à la mairie de [Localité 9] ni des mentions existantes sur le site où seule la société Orange est mentionnée de sorte qu’il appartenait, le cas échéant, à celle-ci d’attraire la société Free Mobile dans la cause.

Au surplus, il apparait que la société Orange est locataire du terrain appartenant à la commune sur lequel est implanté le pylône litigieux et il n’est pas démontré que la mutualisation des infrastructures exclut le partage des fréquences.

Dès lors, l’action exercée par les époux [Y] à l’encontre de la seule société Orange est parfaitement recevable.

Par suite, le jugement critiqué sera confirmé de ce chef.

Sur l’intérêt juridiquement protégé

En deuxième lieu, l’existence du droit ou du préjudice invoqué par le demandeur n’est pas une condition de recevabilité de son action’mais de son succès.

Dès lors,’le prétendu défaut de justification d’un intérêt juridiquement protégé invoqué par la société Orange en raison des constructions illicites réalisées par les époux [Y] ne constitue pas un moyen d’irrecevabilité de la demande d’indemnisation mais relève de l’appréciation du bien-fondé ou mal-fondé de celle-ci.

D’ailleurs, la société Orange réitère ce moyen dans le cadre de la discussion au fond relative à la demande d’indemnisation du préjudice financier résultant de la dépréciation de la valeur vénale de la résidence des époux [Y].

En leur qualité de propriétaires d’une maison d’habitation édifiée sur des parcelles voisines de celles ayant fait l’objet d’une convention d’occupation du domaine public pour l’implantation d’un pylône et d’antennes de téléphonie mobile, les appelants justifient d’un intérêt à agir de sorte que leur action est recevable.

Le jugement critiqué sera confirmé de ce chef.

Sur le trouble anormal du voisinage

Le droit pour un propriétaire de jouir de son bien de la manière la plus absolue consacré par l’article 544 du code civil, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer aucun dommage aux tiers dépassant les inconvénients normaux de’voisinage.

Le trouble anormal de’voisinage’peut être caractérisé en l’absence de toute infraction aux règlements et doit être apprécié en fonction de l’environnement dans lequel il se produit, ainsi qu’en fonction de son intensité et de sa durée.

A cet égard, le respect des normes, la licéité de l’activité exercée, son utilité pour la collectivité ne suffisent pas à écarter l’existence d’un trouble anormal du voisinage dès lors que celui-ci serait objectivement caractérisé.

La cour rappelle que le juge judiciaire n’est compétent que pour connaître de l’indemnisation des dommages causés par l’implantation ou le fonctionnement d’un pylône servant d’antenne de radiotéléphonie mobile. En revanche, il ne lui appartient pas d’apprécier tant la conformité de l’installation à l’autorisation d’urbanisme que l’opportunité de la décision autorisant l’implantation d’un tel pylône.

Les époux [Y] soutiennent que le trouble anormal de voisinage’résultant de l’installation par la société Orange du pylône est caractérisé non seulement par les conséquences pour la santé des ondes électromagnétiques et, compte tenu des controverses scientifiques et avis divergents sur cette question, au minimum par l’inquiétude communément répandue dans le public qui découle de cette incertitude sanitaire, mais encore par le préjudice visuel causé par le pylône édifié dans un cadre rural protégé qui par ailleurs affecte la valeur vénale des propriétés voisines dont la leur.

Sur le préjudice de vue

Il est constant que le pylône litigieux est implanté au sein du parc de l’Octogone de la commune de [Localité 9], qui comporte, en 2019, 5’430 habitants, à environ 120 mètres de la maison d’habitation des époux [Y] édifiée, avant la construction de ce pylône, sur la parcelle cadastrée section AD n°[Cadastre 5] et à 76,62 mètres de la limite cadastrale.

Il résulte des pièces du dossier que le pylône litigieux se présente sous la forme d’un monotube de couleur gris clair, selon la déclaration préalable de travaux, d’une hauteur de 45 mètres.

Il est établi que la maison d’habitation des époux [Y] est située, non pas au sein d’un parc comme ceux-ci le prétendent, mais au sein d’un lotissement dit de la résidence de l’Octogone situé en bordure du parc de l’Octogone ainsi que cela résulte de leur titre de propriété.

S’il résulte du plan local d’urbanisme de la commune de [Localité 9] que le parc de l’Octogone se trouve en zone ULD décrite comme un espace dédié aux loisirs et à l’habitat et dont les espaces verts sont à protégés, il ne s’agit pas pour autant d’un espace naturel puisque les constructions sont permises.

M. [R], expert désigné par le premier juge aux fins d’évaluer la valeur vénale du bien immobilier des époux [Y], précise, aux termes de son rapport du 30 mai 2022, que, d’une part, la maison est située dans un secteur composé de maisons de standing et dans une voie sans issue et d’autre part, le pylone est visible à l’arrière de la maison et notamment depuis la terrasse, ces constatations étant confirmées par les photographies prises depuis leur domicile par les époux [Y].

Les époux [Y] bénéficient ainsi depuis leur jardin et les pièces arrières de leur maison d’une vue sur un environnement naturel et boisé.

Il est certain que la présence du pylône litigieux, de par sa hauteur et son lieu d’implantation, crée un impact visuel, l’expert [R] évoquant une contrainte, un désagrément pour les occupants de la maison.

Toutefois, dans la mesure où le pylône est, d’une part, constitué d’un mât dissimulant les antennes et non d’un treillis métallique comme ceux présents au [Adresse 10] et [Adresse 12] et, d’autre part, implanté dans un espace boisé permettant d’en masquer la partie inférieure, il ne constitue pas un obstacle à la vue. En outre, compte tenu de la distance à laquelle il est situé, il ne crée aucune perte d’ensoleillement.

Le seul préjudice esthétique, qui n’est pas contestable, résultant de l’implantation du pylône de grande hauteur dans un secteur boisé n’est pas de nature à caractériser un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.

Par ailleurs, la circonstance que la commune de [Localité 9] envisage une campagne d’abattage d’arbres susceptible, selon les appelants, d’aggraver leur préjudice de vue, est indifférente dès lors que cette décision n’est pas imputable à la société Orange.

Par suite, les époux [Y] seront déboutés de leur demande indemnitaire en réparation de leur préjudice visuel.

Le jugement querellé sera infirmé de ce chef.

Sur le préjudice de jouissance

La cour relève que, pas plus que devant le premier juge, les époux [Y] ne caractérisent et ne justifient d’un préjudice de jouissance qui résulterait de la présence du pylône litigieux.

Dès lors, ils seront déboutés de leur demande à ce titre.

Le jugement critiqué sera confirmé de ce chef.

Sur le préjudice moral et d’angoisse

Les époux [Y] invoquent un préjudice d’anxiété résultant de leurs inquiétudes quant aux effets des ondes émises par les antennes de téléphonie mobile sur la santé humaine. Ils se prévalent notamment d’un rapport de 2021 du centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) et des avis de professionnels de l’immobilier.

Toutefois, ils n’établissent aucune situation médicale particulière en lien avec la présence du pylône litigieux.

En toute hypothèse, la crainte du risque sanitaire ne suffit pas à prouver la réalité du danger qui pourrait être crée par les ondes électromagnétiques émises par les antennes situées au sommet du pylône.

Au demeurant, il n’est nullement établi une non-conformité de l’installation aux dispositions réglementaires en matière d’utilisation des fréquences radioélectriques auxquelles elle est soumise dont la cour rappelle que le respect de ces dispositions est assuré par l’Agence Nationale des Fréquences (l’ANFR), qui détient un pouvoir de police spéciale en vertu duquel elle est seule compétente pour apprécier si une installation est conforme aux dispositions relatives à l’exposition du public aux ondes issues du décret n° 2002-775 du 3 mai 2002 selon lequel la valeur limite d’exposition des personnes, exprimée en volts par mètre, est de 41 V/m pour les antennes GSM 900 et 61 V/m pour les antennes UMTS 2100.

En l’espèce, l’ANFR a autorisé l’exploitation de l’antenne relais jugée conforme.

En outre, il résulte de l’extrait de la délibération du conseil municipal de [Localité 9] du 25 mars 2019, produit par les époux [Y], que la commune a validé une demande de mesure d’exposition aux champs électromagnétiques auprès de l’ANFR qui sera réalisée lorsque les antennes seront mises en place.

Ainsi, en l’absence de telles mesures, l’existence d’un risque avéré pour la’santé’des personnes exposées aux ondes radioélectriques n’est pas démontrée par les époux [Y] qui seront donc déboutés de leur demande indemnitaire au titre du préjudice moral et d’angoisse.

Le jugement querellé sera confirmé sur ce point.

Sur le préjudice financier résultant de la dépréciation de la valeur vénale du bien immobilier

Ainsi qu’il a été dit, le risque sanitaire lié aux ondes radioélectriques émises par l’antenne relais invoqué par les époux [Y] présente un caractère hypothétique car, s’il ne peut être exclu par la communauté scientifique, il ne présente aucun caractère certain malgré les recherches approfondies qui ont été menées.

La moins-value immobilière alléguée par les intimés qui affecterait leur propriété du’seul fait du voisinage de l’installation de téléphonie mobile à 120 mètres environ de chez eux constitue donc un préjudice hypothétique exclusif d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage ouvrant droit à réparation d’une dépréciation financière du bien immobilier situé à proximité de la source d’émission.

Dès lors, les époux [Y] seront déboutés de leur demande indemnitaire en réparation du préjudice financier.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur dépens et les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile

M. et Mme [Y], succombants, seront condamnés à payer les dépens de première instance qui ont été réservés.

L’issue du présent arrêt conduit à condamner les époux [Y] à payer les dépens de l’instance d’appel.

Aucune considération tirée de l’équité justifie l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une ou l’autre des parties tant en première instance qu’en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement rendu le 11 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer en ce qu’il a’:

– déclaré M. [F] [Y] et Mme [Z] [Y] recevables en l’ensemble de leurs demandes

– débouté M. [F] [Y] et Mme [Z] [Y] de leur demande d’indemnisation au titre du préjudice de jouissance et du préjudice moral et d’anxiété

Infirme le jugement en ce qu’il a’:

– condamné la société Orange à verser à M. [F] [Y] et Mme [Z] [Y] la somme de 5’000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice visuel

– réservé la demande au titre du préjudice financier

Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant’:

Déboute M. [F] [Y] et Mme [Z] [Y] de leur demande d’indemnisation du préjudice financier résultant de la dépréciation de la valeur de leur bien immobilier’;

Condamne M. [F] [Y] et Mme [Z] [Y] à payer les dépens de première instance et d’appel’;

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon

 


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