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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 2
ARRET DU 08 MARS 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/04714 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7N47
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Février 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 16/09230
APPELANTES
Madame [B] [S] épouse [M]
née le [Date naissance 1] 1941 à [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Alexandre VARAUT, avocat au barreau de PARIS, toque : R019
Madame [F] [S]
née le [Date naissance 2] 1944 à [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Alexandre VARAUT, avocat au barreau de PARIS, toque : R019
INTIMEE
SNC L.HÔTEL
immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 451 324 867
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Ayant pour avocat plaidant Me Renaud SEMERDJIAN de l’AARPI SZPINER TOBY AYELA SEMERDJIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : R049 substitué par Me Margaux TOLLERON, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Muriel PAGE, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M. Jean-Loup CARRIERE, Président de Chambre
Madame Muriel PAGE, Conseillère
Madame Nathalie BRET, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Dominique CARMENT
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par M. Jean-Loup CARRIERE, Président de Chambre, et par Madame Dominique CARMENT, Greffière présente lors du prononcé.
* * * * * * * * * * * * *
FAITS & PROCÉDURE
La société L.Hôtel a entrepris des travaux de restructuration de l’immeuble, situé au [Adresse 4] à [Localité 6], abritant l’hôtel Lutetia dont elle est propriétaire.
[B] [S] et [F] [S] sont occupantes d’un appartement dans un immeuble, situé au [Adresse 3] [Localité 6], dont l’un des murs est mitoyen de 1’hôtel Lutetia.
Avant le début des travaux, la société L.Hôtel a saisi en référé préventif le président du tribunal de grande instance de Paris qui, par ordonnance du 21 août 2014, a désigné [C] [W] en qualité d’expert judiciaire aux fins de constat de l’état des existants.
Mmes [S] ont obtenu, sur requête aux fins d’instruction in-futurum, la désignation de [G] [A] en qualité d’expert. Celui-ci a produit deux rapports.
Par acte d’huissier en date du 7 juin 2016, les soeurs [S] ont fait assigner la société L.Hôtel devant le présent tribunal pour la voir condamner à leur verser des dommages et intérêts pour trouble anormal de voisinage.
Par jugement du 12 février 2019 le tribunal de grande instance de Paris a :
– rejeté la demande de nullité des rapports d’expertise comme étant non fondée,
– rejeté la demande d’expertise médicale comme non justifiée,
– condamné la SAS L.Hôtel à payer à [B] [S] la somme de 3.500 € à titre de dommages et intérêts,
– condamné la SAS L.Hôtel à payer à [F] [S] la somme de 3.500 € à titre de dommages et intérêts,
– condamné la SAS L.Hôtel aux dépens,
– condamné la SAS L.Hôtel à payer à [B] [S] la somme 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SAS L.Hôtel à payer à [B] [S] la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire.
Mmes [B] et [F] [S] ont relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 28 février 2019.
La procédure devant la Cour a été clôturée le 16 novembre 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu les conclusions en date du 3 mai 2019 par lesquelles Mmes [B] et [F] [S], appelantes, invitent la cour, au visa des articles R 1334-31 et R 1334-36 du code de la santé publique applicable jusqu’au 7 août 2017 et de l’article R 1136-10 depuis cette date, à :
– constater le trouble anormal du voisinage,
– condamner la SAS L.Hôtel à payer à Mme [B] [S] la somme de 97.500 € de dommages et intérêts et à Mme [F] [S] celle de 87.500 € de dommages et intérêts,
– condamner la SAS L.Hôtel aux dépens et à leur payer à chacune la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SAS L.Hôtel à exécuter la présente décision sous astreinte à 500 € par jours de retard suivant le mois de la signification de la décision et ceci jusqu’à la complète
exécution des condamnations prononcées par le tribunal ;
Vu les conclusions en date du 26 juillet 2019 par lesquelles la SNC L.Hôtel, demande à la cour, au visa des articles 9 et 16 du code de procédure civile, de l’article 1315 (ancien) du code civil et R 1334-36 du code de la santé publique, de :
– infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 12 février 2019 en ce qu’il a :
rejeté la demande de nullité des rapports d’expertise comme étant non fondée,
rejeté la demande d’expertise médicale comme non justifiée,
condamné la société L.Hôtel à payer à [B] [S] et [F] [S] chacune la somme de 3.500 € à titre de dommages et intérêts,
condamné la société L.Hôtel à leur payer chacune 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné la société L.Hôtel aux dépens.
in limine litis,
– prononcer la nullité des rapports d’expertise établis par M. [G] [A], acousticien, en date des 17 mai 2016 et 1er février 2017,
– écarter lesdits rapports des débats ;
à titre principal,
– déclarer les soeurs [S] mal fondées en l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions, et les en débouter intégralement,
– constater que les soeurs [S] n’apportent pas la moindre preuve au soutien de leurs prétentions,
– constater l’absence de quelque trouble anormal de voisinage que ce soit,
– constater l’absence de quelque préjudice que ce soit,
– juger qu’elle ne saurait être tenue responsable envers les soeurs [S] à quelque titre que ce soit,
à titre subsidiaire,
– faire diligenter une mesure d’expertise médicale avant-dire droit, avec la mission habituelle en la matière, en ce compris :
déterminer la matérialité, l’origine, et la/les cause(s) du préjudice allégué par les soeurs [S],
se prononcer sur la matérialité et l’évaluation dudit préjudice.
en tout état de cause,
– condamner les soeurs [S] à lui verser la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner les soeurs [S] aux entiers dépens conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
SUR CE,
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel ;
En application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions ;
Sur la nullité des rapports d’expertise
La société L. Hôtel maintient devant la cour que les rapports d’expertise établis par M. [G] [A], acousticien, en date des 17 mai 2016 et 1er février 2017 sont nuls au motif qu’ils ont été établis de façon non contradictoire ;
Aux termes de l’article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement ;
En application de cet article, le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, dès lors que cette pièce ne constitue pas le fondement exclusif de l’appréciation des faits par le juge ;
En l’espèce, il résulte des pièces produites aux débats, que l’expertise a été ordonnée sur requête au visa de l’article 145 du code de procédure civile qui permet d’ordonner des mesures d’instruction in futurum ;
S’il est exact que les opérations d’expertise de M. [A] se sont déroulées en dehors de tout contradictoire sans que la partie adverse, la société L.Hôtel, ne soit appelée, il n’est pas contesté que les deux rapports ont été versés aux débats dès la première instance et qu’ils ont été soumis à la libre discussion contradictoire des parties ;
En conséquence, les deux rapports de M. [A] sont bien opposables à la société L.Hôtel en ce qu’ils constituent des pièces adverses soumises à la contradiction ;
La demande de nullité des rapports d’expertise de M. [A] sera rejetée ;
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef ;
Sur le trouble anormal de voisinage :
A l’appui de leur appel, Mmes [B] et [F] [S] font valoir que le tribunal a insuffisamment pris en compte leur préjudice résultant des nuisances sonores qu’elles ont subies au cours du chantier de rénovation de l’hôtel Lutetia, mitoyen à leur appartement ;
La société L.Hôtel maintient que le trouble anormal de voisinage n’est pas démontré ;
Il est de principe que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ;
Pour obtenir réparation sur la base de la théorie des troubles anormaux de voisinage, le voisin doit établir que l’ouvrage lui-même ou les travaux le concernant lui causent un trouble dépassant les inconvénients normaux ou ordinaires de voisinage ;
L’hôtel Lutetia a fait l’objet d’une rénovation de grande ampleur suivant permis de construire du 7 février 2014 avec notamment ravalement et remplacement des menuiseries extérieures, redistribution des locaux et modification des façades ;
Les travaux ont duré plus de trois ans puisque la déclaration d’ouverture du chantier est du 5 janvier 2015 et l’hôtel Lutétia n’a rouvert qu’en juillet 2018 ;
L’immeuble de Mmes [S] au [Adresse 3] est mitoyen à l’hôtel et il n’est pas contesté que leur appartement est un duplex de 160 m² s’étendant sur une longueur de 24 mètres, dont toutes les pièces sont en enfilade et sont donc toutes mitoyennes de l’hôtel, les fenêtres donnant exclusivement sur une cour intérieure ;
M. [C] [W] a été désigné dans le cadre d’un référé- préventif le 21 août 2014 aux fins de constat des avoisinants au contradictoire notamment du syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] ;
S’il est exact que Mme [S] [M] était présente à la réunion d’expertise du 18 septembre 2014, ainsi que Maître Varaut et que le planning simplifié des travaux a été joint à l’assignation en référé-préventif, ces éléments ne sont pas susceptibles d’exonérer la société L’Hôtel de sa responsabilité en matière de trouble anormal de voisinage ;
Il résulte en effet des pièces versées aux débats et notamment des nombreuses attestations produites, non seulement d’amis et de membres de la famille de Mmes [S], mais aussi de riverains et occupants de l’immeuble du [Adresse 3] (M. et Mme [J], M. [O] [K] et M. [D] [X] de l’agence R-2) et de professionnels intervenus dans les lieux pour le remplacement d’un châssis parisien, la restauration des murs et peintures ou l’établissement de diagnostics immobiliers dans l’immeuble, que leur quotidien a été perturbé par des bruits assourdissants de marteaux-piqueurs, chute de gravas et bruits de chantiers ainsi que par des vibrations, lesquelles ont notamment occasionné la chute d’une partie d’un service à thé, dont la société L’hôtel a été informée, ce qui n’est pas contesté ;
Egalement, même si les opérations d’expertise de M. [A] ne sont pas contradictoires, elles peuvent être prises en considération dès lors qu’il ne s’agit pas du seul élément établissant le bien fondé de l’action de Mmes [S] ;
Il résulte du premier rapport de M. [A] que celui-ci a mis en place un système de mesure permettant de mesurer entre le 1er avril et le 14 avril 2016, le niveau sonore de l’appartement de Mmes [S] et de constater les activités bruyantes du chantier débutant généralement en semaine vers 8 h, interrompues par les pauses déjeuner et se terminant vers 16h/16h30 ;
Aux termes de ses conclusions, il a indiqué : ‘Pendant les 8 journées observées, les requérantes ont subi des nuisances sonores importantes, compte tenu du caractère agressif des bruits litigieux, de leur imprévisibilité, de leur durée – 6 heures et 40 minutes par jour en moyenne – de leur niveau sonore – compris entre 63 et 68 dB (A) en moyenne (soit une émergence moyenne comprise entre 25 et 30 dB (A) env.) et compte tenu du fait que les requérantes ne disposent pas de pièces pour se ‘réfugier’.
Entre 8h et 16h, ces nuisances sonores ont, à notre avis, été de nature à perturber fortement la jouissance ordinaire de l’appartement des requérantes pendant 5 jours, et à les en priver pendant 3 autres jours (5, 8 et 12 avril 2016).’ ;
Comme l’a énoncé le tribunal, l’expert a effectué d’autres constatations du 21 au 24 novembre 2016 et a relevé à cette occasion que ‘sur le plan du trouble sonore, nous dirons que, de manière générale, et pendant les périodes observées, le séjour dans l’appartement des requérantes était peu agréable et sa jouissance ordinaire contrariée, les bruits de chantiers y étant audibles de manière continue entre 8h et 17h, hormis une interruption entre 12h et 13h.
Mais force est de constater qu’à certaines périodes, les requérantes subissent encore des nuisances sonores extrêmement importantes, voir insupportables. Tel a été le cas le 18 novembre 2016 entre 11h et 12h, le 22 novembre entre 16h20 et 19h, le 23 novembre 10h55 et 11h20.’ ;
S’il n’est pas contesté que M. [A] n’a pas réalisé d’enregistrement audio, ce qui selon M. [T] ne permet pas de connaître l’origine exacte des sources de bruit, il sera observé que les mesures prises par M. [A] ont été réalisées lorsque le chantier de restructuration de l’hôtel était en cours et que Mmes [S] n’avaient pas d’autre intérêt que de voir mesurer le niveau sonore de cette activité ;
M. [A] déclare en outre dans sa note du 5 juillet 2018, avoir lui-même entendu les nuisances sonores alléguées à plusieurs reprises ;
L’ensemble de ces éléments démontrent que les bruits occasionnés par le chantier de rénovation de l’hôtel Lutetia ont constitué, par leur intensité, leur répétition tout au long de la journée et leur durée (un chantier sur plusieurs mois), des troubles pour Mmes [S] excédant les inconvénients normaux du voisinage ;
Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu’il a retenu l’existence d’un trouble anormal de voisinage ;
Sur le préjudice :
S’il résulte des pièces produites aux débats et notamment des attestations et des rapports de M. [A] que les bruits excédants les inconvénients normaux du voisinage ont perduré sur plusieurs jours, il n’est pas établi qu’ils ont été présents tout au long du chantier de rénovation de l’hôtel Lutetia et notamment postérieurement à la fin des travaux de démolition et de reconstruction terminés depuis fin juin 2016 ainsi que le précise la société L’Hôtel, étant rappelé que le Lutétia a rouvert en juillet 2018 ;
Mmes [S] ont fait le choix d’une expertise non contradictoire de sorte que M. [A] n’est intervenu que ponctuellement à leur demande ;
Egalement, si le stress peut entraîner des réactions dermatologiques, il n’est pas formellement établi le lien entre les difficultés de santé de Mme [M] et le chantier ;
Le tribunal a procédé dans ces conditions à une juste indemnisation du préjudice subi en allouant à Mmes [S], la somme de 3.500 € chacune, soit une somme équivalente à 350 € chacune pendant 10 mois, soit 700 € par mois étant précisé que la valeur locative de l’appartement n’est pas justifiée ;
Sur l’expertise médicale
Il résulte de ce qu’il précède qu’une expertise n’est pas nécessaire ;
Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande ;
Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l’application qui y a été équitablement faite des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Mmes [S], parties perdantes, doivent être condamnées aux dépens d’appel ;
L’équité n’impose pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société L’Hôtel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Confirme le jugement ;
y ajoutant,
Condamne Mmes [S] aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT