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5ème Chambre
ARRÊT N°-200
N° RG 20/01384 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QQQQ
Mme [K] [I] épouse [E]
M. [GL] [E]
M. [C] [E]
Mme [G] [N]
M. [WO] [E]
Mme [J] [E]
M. [S] [E]
Mme [A] [XX]
M. [M] [E]
Mme [F] [R]
Mme [PU] [I] épouse [T]
M. [U] [T]
M. [RR] [I]
Mme [Z] [E] épouse [X]
M. [GL] [X]
Mme [CA] [E] épouse [B]
M. [W] [B]
C/
M. [YI] [P]
Organisme CPAM D ILLE ET VILAINE
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 07 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 29 Mars 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 07 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTS :
Madame [K] [I] épouse [E]
née le [Date naissance 9] 1960 à [Localité 43]
[Adresse 23]
[Localité 26]
Représentée par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [GL] [E]
né le [Date naissance 4] 1965 à [Localité 43]
[Adresse 23]
[Localité 26]
Représenté par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [C] [E]
né le [Date naissance 18] 1983 à [Localité 44]
[Adresse 41]
[Localité 30]
Représenté par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Madame [G] [N]
née le [Date naissance 5] 1982 à [Localité 44]
[Adresse 41]
[Localité 30]
Représentée par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [WO] [E] mineur représenté par ses parents Madame [G] [N] et [C] [E]
né le [Date naissance 20] 2011 à [Localité 42]
[Adresse 41]
[Localité 30]
Représenté par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Madame [J] [E] mineure représentée par ses parents Madame [G] [N] et [C] [E]
née le [Date naissance 12] 2016 à [Localité 42]
[Adresse 41]
[Localité 30]
Représentée par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [S] [E]
né le [Date naissance 7] 1986 à [Localité 44]
[Adresse 24]
[Localité 11]
Représenté par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Madame [A] [XX]
née le [Date naissance 22] 1987 à [Localité 35]
[Adresse 24]
[Localité 11]
Représentée par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [M] [E]
né le [Date naissance 2] 1994 à [Localité 44]
[Adresse 23]
[Localité 26]
Représenté par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Madame [F] [R]
née le [Date naissance 17] 1994 à [Localité 44]
[Adresse 23]
[Localité 26]
Représentée par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Madame [PU] [I] épouse [T]
née le [Date naissance 10] 1958 à [Localité 43]
[Adresse 33]
[Localité 32]
Représentée par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [U] [T]
né le [Date naissance 21] 1954 à [Localité 39]
[Adresse 33]
[Localité 32]
Représenté par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [RR] [I]
né le [Date naissance 15] 1934 à [Localité 48]
Centre Hospitalier [37] [Adresse 16]
[Localité 31]
Représenté par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Madame [Z] [E] épouse [X]
née le [Date naissance 6] 1961 à [Localité 44]
[Adresse 14]
[Localité 28]
Représentée par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [GL] [X]
né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 44]
[Adresse 14]
[Localité 28]
Représenté par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Madame [CA] [E] épouse [B]
née le [Date naissance 19] 1948 à [Localité 44]
[Adresse 25]
[Localité 29]
Représentée par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [W] [B]
né le [Date naissance 13] 1942 à [Localité 38]
[Adresse 25]
[Localité 29]
Représenté par Me Véronique L’HOSTIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Monsieur [YI] [P]
né le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 46] (14)
[Adresse 8]
[Localité 26]
Représenté par Me Marie-laure DE MENOU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Organisme CPAM D ILLE ET VILAINE INE
[Adresse 36]
[Localité 27]
Représentée par Me Antoine DI PALMA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
**************
Dans le contexte d’un syndrome dépressif décelé dans le courant de l’année 2009, Mme [K] [E] a été suivie jusqu’au mois de novembre 2013 par le docteur [O] [RF], médecin psychiatre et par Mme [PI] [V], psychologue.
La dernière consultation auprès du docteur [RF] a eu lieu le 9 octobre 2013.
Un mois plus tard, Mme [K] [E] est vue par sa psychologue qui l’a orientée vers un nouveau psychiatre libéral, soit le docteur [YI] [P] qui a fixé un rendez-vous le 12 novembre à la clinique.
A l’issue de cette consultation, le docteur [P] a prescrit la poursuite du traitement antérieur.
Le 21 novembre 2013, à son retour à domicile, M. [GL] [E] a retrouvé le corps de son épouse allongé sur le sol devant l’entrée du garage de leur habitation et a immédiatement appelé les secours. Mme [K] [E] a été transportée par le SAMU au CHU de [Localité 44], victime de lésions multiples consécutives à sa chute du premier étage. Elle sera ultérieurement admise au centre de rééducation de [40] jusqu’au 21 septembre 2015, puis transférée au centre de rééducation de [47] à [Localité 44]. Elle a connu un nouvel épisode d’hospitalisation au CHU de [Localité 44] du 10 octobre au 12 octobre 2015 pour détresse respiratoire, puis à nouveau le 14 octobre 2015 jusqu’au 21 décembre 2015.
Estimant que Mme [K] [E] avait été victime d’un accident médical, M. [GL] [E], son époux, a alors saisi la Commission Régionale de Conciliation et d’Indemnisation des accidents médicaux de Bretagne le 27 juin 2014 par une demande enregistrée le 19 juin 2015. Par décision du 8 octobre 2015, il a été ordonné une mesure d’expertise confiée aux docteurs [CL] [Y] et [XL] [CX].
Les experts ont déposé le 21 février 2016 un rapport aux termes duquel ils estiment qu’il n’existe pas de faute imputable à un acte de prévention de diagnostic et de soins. Ils s’abstiennent de toute évaluation médico-légale des préjudices de Mme [K] [E].
Par avis en date du 14 décembre 2016, la Commission de Conciliation et d’Indemnisation de Bretagne a émis un avis en faveur du rejet de la demande d’indemnisation présentée par les époux [E].
Les époux [E] ont recueilli l’avis d’un médecin spécialisé en psychiatrie, le docteur [L].
Selon des actes des 1er et 10 août 2017, les consorts [E] ont fait assigner le docteur [YI] [P] et la CPAM d’Ille-et-Vilaine devant le tribunal de Rennes.
Par jugement du 9 janvier 2020, le tribunal de Rennes a :
– débouté les consorts [E] de leurs demandes,
– débouté la CPAM de ses demandes,
– condamné les consorts [E] à verser au docteur [YI] [P] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné les consorts [E] aux entiers dépens.
Le 26 février 2020, Mme [K] [I] épouse [E], M. [GL] [E], M. [C] [E], Mme [G] [N] (en leur nom et ès qualités de représentants légaux de [WO] [E] et [J] [E]), M. [S] [E], Mme [A] [XX], M. [M] [E], Mme [F] [R], Mme [PU] [I] épouse [T], M. [U] [T], M. [RR] [I], Mme [Z] [E] épouse [X], M. [GL] [X], Mme [CA] [E] épouse [B], et M. [W] [B] ont interjeté appel de cette décision et aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 21 juin 2022, ils demandent à la cour de :
– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Rennes du 9 janvier 2020 en toutes ses dispositions,
En conséquence et statuant de nouveau :
– déclarer le docteur [YI] [P] responsable de l’accident médical dont Mme [K] [E] a été victime,
– subsidiairement, ordonner une nouvelle mesure d’expertise médicale confiée à un expert psychiatre aux fins de déterminer la conformité aux données de la science médicale de la prise en charge effectuée par le docteur [YI] [P],
En conséquence,
– ordonner une mesure d’expertise d’évaluation des préjudices de Mme [K] [E],
– surseoir à statuer sur la liquidation des préjudices consécutifs dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise,
– condamner le docteur [YI] [P] au paiement d’une provision de 100 000 euros à valoir sur l’indemnisation des préjudices définitifs de Mme [K] [E],
– condamner le docteur [YI] [P] au paiement d’une provision de 10 000 euros à valoir sur l’indemnisation des préjudices définitifs de M. [GL] [E],
– condamner le docteur [YI] [P] à payer à M. [C], [S] [E] et M. [M] [E] la somme de 3 000 euros chacun, à M. [RR] [I] la somme de 2 500 euros, à M. [WO] [E] et Mme [J] [E] la somme de 2 000 euros chacun, à Mme [G] [N], Mme [A] [XX] et Mme [F] [R] la somme de 2 000 euros chacune, à Mme [Z] [E] épouse [X], M. [GL] [X], Mme [PU] [I], M. [U] [T], Mme [CA] [E] épouse [B] et M. [W] [B] la somme de 1 000 euros chacun,
– condamner le docteur [YI] [P] au paiement d’une indemnité de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner le docteur [YI] [P] aux entiers dépens de première instance et du présent appel.
Par dernières conclusions notifiées le 28 juillet 2020, le docteur [YI] [P] demande à la cour de :
– déclarer les consorts [E] mal fondés en leur appel,
– en conséquence, confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Rennes du 9 janvier 2020 en toutes ses dispositions,
– condamner les consorts [E] au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel,
– débouter la CPAM d’Ille-et-Vilaine de toutes ses demandes.
Par dernières conclusions notifiées le 22 juillet 2020, la CPAM d’Ille-et- Vilaine demande à la cour de :
– réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Rennes le 9 janvier 2020.
– déclarer le docteur [YI] [P] entièrement responsable des préjudices de Mme [K] [E] et de ses ayants droit,
– lui décerner acte de ce qu’elle s’en rapporte sur les demandes d’expertise et de provisions sollicitées et de ce qu’elle chiffrera ses débours à l’issue du dépôt du rapport d’expertise,
– condamner le docteur [YI] [P] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner le même aux entiers dépens de première instance et d’appel.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 23 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les consorts [E] expliquent que la responsabilité d’un psychiatre dans le suicide ou la tentative de suicide de son patient renvoie à la question de la prédictibilité de l’acte.
Ils estiment que le psychiatre doit apprécier la situation au regard des antécédents du patient et des facteurs de risque existant.
Ils affirment que Mme [E] avait déjà été hospitalisée en secteur psychiatrique en raisons de troubles dépressifs sévères et d’un risque de suicide élevé en 2009. Ils déclarent que, le 5 novembre 2013, Mme [V], psychologue, a été alarmée par l’état de santé de Mme [E] et a pris immédiatement contact avec le docteur [P] par téléphone et en lui adressant une note écrite.
Ils avancent que :
– M. [E] a prix contact avec le secrétariat du docteur [P] pour faire avancer la date du rendez-vous fixé au 12 novembre au regard du risque de suicide, en vain,
– une hospitalisation n’a pas été décidée par le docteur [P] lors du rendez-vous du 12 novembre 2013,
– le docteur [P] n’a pas informé M. [E] de la nécessité d’initier une procédure d’hospitalisation à la demande d’un tiers, ni du risque de passage à l’acte de son épouse.
Ils considèrent que les premiers juges se sont mépris sur l’analyse des événements ayant conduit au dommage.
Ils discutent le rapport d’expertise et font référence aux observations du docteur [L] qui a retenu l’existence d’un tableau pathologique incluant des tendances suicidaires et dépressives.
Ils soutiennent qu’au regard de la divergence d’appréciation entre les experts judiciaire et le docteur [L], un nouvel avis après audition de Mme [V] sur ses constatations lors de la consultation du 5 novembre 2013 est nécessaire.
En réponse, M. [P] indique que lors de la consultation du 12 novembre 2013 :
– il a proposé une hospitalisation dans un but d’observation de la symptomatologie et de l’observance du traitement, proposition qui a été refusée,
– il a conclu à la nécessité d’une observance renforcée avec modification du traitement,
– il a fixé un nouveau rendez-vous à une date rapprochée soit le 26 novembre 2013.
Il signale que le docteur [L] a donné un avis sur pièce, sans avoir vu Mme [E], et établi sur les seuls dires de M. [E].
Il entend se prévaloir de l’avis de l’expert qui précise qu’il a procédé de manière prudente pour obtenir une adhésion à une hospitalisation d’observation et que la lettre de la psychologue ne permet pas de conclure à une erreur de diagnostic. Il souligne qu’après l’accident, sera connu le suivi médical irrégulier de Mme [E].
Il affirme qu’aucun élément ne permet de remettre en cause les conclusions de l’expert qui a écrit : la violence et la soudaineté du raptus suicidaire évoquent un brusque effondrement de l’humeur que la symptomatologie précédente ne pouvait pas permettre de percevoir.
Il signale que le tribunal a relevé que, dans son courrier au docteur [P], Mme [V] ne fait pas mention d’idée suicidaire.
Il conteste toute faute, et considère avoir effectué une consultation consciencieuse et approfondie, avec un diagnostic cohérent avec le tableau présenté.
La CPAM d’Ille-et-Vilaine affirme que le docteur [P] a commis une faute imputable à une erreur de diagnostic en ne tenant pas compte de la symptomatologie de Mme [E] qui aurait dû le conduire à prescrire une hospitalisation immédiate au sein d’un établissement psychiatrique.
En application de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.
La charge de la preuve de la faute pèse sur les consorts [E].
Les experts judiciaires ont rappelé que Mme [E] avait été hospitalisée à l’hôpital de [Localité 44] en 2009 à la demande d’un tiers (son mari) et qu’elle en était sortie contre avis médical.
Ils rapportent la consultation du 18 janvier 2010 du docteur [RF] qui écrit : (….) qui présente ce jour un état mixte. Elle a semble-t-il présenté un état dépressif à l’automne, d’abord soigné par homéopathie, ensuite par Seroplex, elle évoque un certain degré de conjugopathie, on retient surtout un certain degré d’instabilité et pas de tristesse apparente, une tristesse occasionnelle en rapport avec les circonstances, des sentiments continuels de tension intérieure, le sommeil est réduit (….) Idée de suicide passagère, ce qui chiffre son état dépressif à 14 unités, ce qui ne confirme pas ce jour un état dépressif majeur (…) Mme [E] a déjà été hospitalisée quelques jours au CHSP cet automne, elle est sortie très rapidement de l’établissement. Aujourd’hui elle accepte l’idée d’être hospitalisée mais à la clinique [45]. Cependant, à mon sens, sa pathologie ne lui permet pas d’être admise en service libre en service ouvert. Je lui ai proposé une place à l’Espérance, elle refuse totalement pour des raisons difficiles à préciser. L’idéal, ce serait qu’elle puisse retourner au CHSP, établissement qui bénéficie de toutes les mesures de sécurité pour prendre en charge ce type de pathologie. Son mari accepte l’idée de prendre la responsabilité d’un traitement à domicile(…).
Il est consigné dans le dossier, sans que cela ne soit contesté par les appelants, qu’une véritable prise en charge psychothérapique était absente, mais que Mme [E] bénéficiait d’un traitement médicamenteux (qu’elle suivait irrégulièrement selon le professeur [Y]).
Après la consultation du 8 octobre 2013, le docteur [RF] a noté : (…) que je n’avais pas vue depuis plus d’un an. Elle présente depuis deux mois environ les symptômes en faveur d’un état dépressif côté ce jour à 33 unités à l’échelle MADRS. On retient les symptômes suivants : tristesse apparente cotée à 4, tristesse exprimée cotée à 4, tristesse intérieure cotée à 4, réduction du sommeil cotée à 4, réduction de l’appétit cotée à 2, perte de 6 kg en deux mois, difficultés de concentration cotées à 4, lassitude cotée à 4, incapacité à ressentir cotée à 4, pensée pessimiste cotée à 2, idée de suicide cotée à 1.
Le risque de suicide n’est pas caractérisé selon ce médecin.
Dans son courrier du 6 novembre 2013 adressé au docteur [P], Mme [V] écrit : je connais Mme [E] depuis juillet 2008 à l’occasion d’une difficulté professionnelle avec une collègue qui fut l’occasion d’une entrée dans la dépression. Les cognitions récurrentes étaient axées sur le rejet social, l’opinion des autres, le doute quant à ses compétences quelles qu’elles soient (…) Je la revois deux ans plus tard, en 2010, pour une raison similaire. À la source cette fois, un conflit de voisinage (…) Parallèlement à ces déboires, elle est toujours en difficulté professionnelle (…) Son mari a également vécu du harcèlement professionnel (…) Ils se retrouvent donc souvent à deux au domicile. (…) Je la revois donc cette semaine, amenée par son conjoint, dans un état de stupeur, d’immobilité, d’angoisse extrême. Le discours est confus, limité, alors que Mme [E], malgré la dépression, était prolixe et restait dynamique. Je la sens désorientée dans ses repères temporels. Apparaissent également des cognitions de persécution, cette fois axées sur d’anciens employeurs qui la soumettraient à de la surveillance. Elle a développé une culpabilité démesurée pour tout ce qui lui arrive, ou à sa famille, voire à la société en général. Le contact est très difficile alors qu’il était vraiment bon jusqu’alors. Son traitement actuel est de 3 Paroxetine/jour, prescrits par le docteur [RF] qui semble avoir conclu à une rechute dépressive (dixit son mari). En ce qui me concerne, ses symptômes m’évoquent plutôt un délire.
La cour constate que Mme [V] n’évoque pas d’idée suicidaire chez Mme [E] dans ce courrier.
Mme [E] a indiqué lors de l’expertise qu’elle garde le sentiment de ne pas avoir dit à Mme [V] qu’elle pensait à se suicider.
La fiche d’admission à la clinique du docteur [P] rédigée après l’appel téléphonique de Mme [V] mentionne : suivie par Mme [V], psychologue, qui a pris contact le 6 novembre par le docteur [P] pour activités délirantes, notion de récurrence dépressive, était suivie par le docteur [RF], psychiatre, mais veut changer d’établissement de soins. A rendez-vous en pré-admission à la clinique, mardi 12 à 11 h 30…..appel du mari ce jour 7 novembre qui précise : anxiété de l’épouse, médecin traitant docteur [XA], informé de la nécessité de soins en hospitalisation, mais admission impossible ce jour, conseil téléphonique de la diriger vers le CHGR entrée à prévoir de façon rapprochée par rapport à mardi 12 novembre semblait être prête à l’admission immédiate ce jour.
À la suite de la consultation du 12 novembre 2013, le docteur [P] a rédigé le compte-rendu suivant : attitude de méfiance et observatrice de la patiente, présentation soignée (tirée à 4 épingles) mari en retrait, silencieux. Evoque un sentiment hostilité diffuse contre elle de la part du milieu professionnel….difficultés réalisées en septembre 2013, retour des congés annuels. Lourd passé de problèmes professionnels (….) Pas d’anxiété manifeste ce jour, tristesse humeur. Capable d’humour et relativisation. Pas d’idée suicidaire ce jour. Pas de confusion, ralentissement discret ‘je tourne en rond’. Parcours de soins difficiles établir ‘ Altération de l’humeur. Docteur [XA] homéopathe et médecin traitant. Docteur [RF] diagnostic ‘dépression’ hospitalisation ‘ A déjà été hospitalisée CHGR : année ‘ Temps ‘.
Au total : éléments dépressifs/contexte professionnel.
Personnalité obsessionnelle ‘ Rigidité ‘ Sensitivité ‘
Anamnèse difficile à recueillir.
Proposition hospitalisation/observer comportement. Mise à distance milieu familial/professionnel. Renforcer observance du traitement. Refus de la patiente (cf attitude salle d’attente). Mari en retrait n’intervient pas pour encourager hospitalisation : fonctionnement couple ‘ Méfiance du mari ‘ Mettre en attente changement de décision. Poursuivre Paroxedine 1 1/2 comp/jour. Prescription de Risperidone 1/2 à 1 mg le soir. Garder lit et rendez-vous/garder le contact.
Le docteur [P] a retenu des idées de persécution qui étaient cohérentes avec la paranoïa de Kretschmer (ou paranoïa sensitive).
Cette pathologie comporte un risque suicidaire moins important que dans le cas d’une dépression mélancolique.
Dans le dossier, il est fait état de deux tentatives de suicide de Mme [K] [E] :
– une première tentative au cours de laquelle Mme [E] a menacé de se frapper avec un marteau et s’est adressée à son mari en disant ‘tue-moi’,
– une seconde tentative au cours de laquelle Mme [E] a avalé des comprimés de Lexomil (cette intoxication n’ayant pas été jugée dangereuse par le médecin des urgences).
M. [E] évoque ces deux passages à l’acte au cours de l’expertise et les
date antérieurement à un voyage à Londres et à la consultation du docteur [P].
Tout comme le tribunal, la cour constate que ces deux événements ne sont pas rapportés dans les documents contemporains à la consultation du 12 novembre 2013, supposant ainsi que soit les époux n’en ont pas fait état, soit que ces événements sont postérieurs à la consultation du docteur [P].
Au surplus, il est improbable que la famille [E] ait maintenu son voyage à l’étranger si Mme [E] avait fait ces deux tentatives de suicide.
En conséquence, la notion flagrante d’idée suicidaire ne peut être retenue au jour de la consultation du docteur [P].
Les experts judiciaires ont retenu le diagnostic d’une paranoïa de Kretschmer, soit plutôt des troubles délirants que des troubles dépressifs, comme le docteur [P].
Ce dernier a introduit un neuroleptique antipsychotique dans le traitement de Mme [E], soit la Risperidone, tout en diminuant le Paroxetine.
Ces prescriptions n’ont pas été critiquées par les experts et sont considérées comme cohérentes avec le diagnostic posé.
Il convient de signaler que le docteur [D], qui a procédé au suivi de Mme [E], après la tentative de suicide, a posé le diagnostic d’un premier épisode dépressif sévère sur un mode d’allure sensitive de type Kretschmer, en l’absence de thématique typiquement mélancolique, confirmant ainsi le diagnostic du docteur [P].
Ainsi le diagnostic de M. [P] n’est pas erroné.
Le passage à l’acte de Mme [E] est expliqué par automatisme moteur et non pas par des idées d’indignité ou d’incurabilité. Le docteur [Y] fait état d’un vide de la pensée et non de pensées proprement dépressives au moment du passage à l’acte. Lors de l’expertise, Mme [E] a déclaré qu’elle n’avait jamais pensé au suicide mais qu’elle était mal dans sa peau.
Le professeur [Y] écrit : l’expert retient surtout que le raptus suicidaire est clairement apparu comme un raptus anxieux survenu brutalement.
L’épisode d’état psychiatrique qui a abouti à la tentative de suicide s’est constitué progressivement, à bas bruit.
Si la prédictibilité de la tentative suicidaire n’était pas assurée le 12 novembre 2013, la cour remarque que le docteur [P] avait prévu une observation en milieu psychiatrique au sein de la clinique de [Localité 34].
Mme [E] a refusé cette proposition et il est observé que M. [E] était en retrait et taisant.
Les consorts [E], et plus particulièrement M. [E], ne peuvent reprocher au docteur [P] de ne pas avoir informé l’époux de Mme [E] de la nécessité d’une hospitalisation contrainte sur demande d’un tiers puisque l’hypothèse d’une idée suicidaire n’était pas retenue et que les conditions de l’article L 3212-1 du code de la santé publique ne sont pas réunies (en tous les cas aucun élément du dossier ne permet d’affirmer que les troubles psychiatriques de Mme [E] l’empêchaient de consentir à une hospitalisation).
Les consorts [E] contestent le diagnostic du docteur [P] en se fondant sur l’avis du docteur [L] qui fait état d’une mélancolie délirante, un état dépressif majeur d’intensité sévère et des symptômes psychotiques de culpabilité.
La cour constate que le docteur [L] a procédé à une étude à la seule lecture de pièces médicale sans qu’il soit possible de déterminer quelles sont ces pièces.
Il n’a pas examiné Mme [E] et s’est contenté des seules déclarations de M. [E], dont il a été dit qu’elles devaient être entendues avec précaution en particulier sur les deux tentatives de suicide expliquées ci-avant.
La thèse retenue par le docteur [L] (à savoir deux tentatives de suicide avant la consultation chez le docteur [P]) n’est pas conforme aux faits.
Cette thèse est contredite par celle du docteur [D] ainsi que le diagnostic du docteur [RF], et du docteur [GX], qui ne retiennent pas la notion de mélancolie délirante.
L’avis du docteur [L] n’est pas retenu.
En conséquence, il convient de considérer, comme l’a fait le premier juge, que l’attitude thérapeutique du docteur [P] a été conforme aux données de la science et qu’aucune faute ne peut lui être imputée dans la prise en charge de Mme [E] (sans qu’il ne soit besoin d’une nouvelle expertise, la cour disposant de tous les éléments utiles).
Les consorts [E] et la CPAM d’Ille-et-Vilaine sont déboutés de leurs demandes.
Le jugement entrepris est confirmé en toutes ses dispositions.
Succombant en appel, les consorts [E] sont condamnés à payer au docteur [P] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe :
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [K] [I] épouse [E], M. [GL] [E], M. [C] [E], Mme [G] [N] (en leur nom et ès qualités de représentants légaux de [WO] [E] et [J] [E]), M. [S] [E], Mme [A] [XX], M. [M] [E], Mme [F] [R], Mme [PU] [I] épouse [T], M. [U] [T], M. [RR] [I], Mme [Z] [E] épouse [X], M. [GL] [X], Mme [CA] [E] épouse [B], et M. [W] [B] à payer à M. [YI] [H] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Condamne Mme [K] [I] épouse [E], M. [GL] [E], M. [C] [E], Mme [G] [N] (en leur nom et ès qualités de représentants légaux de [WO] [E] et [J] [E]), M. [S] [E], Mme [A] [XX], M. [M] [E], Mme [F] [R], Mme [PU] [I] épouse [T], M. [U] [T], M. [RR] [I], Mme [Z] [E] épouse [X], M. [GL] [X], Mme [CA] [E] épouse [B], et M. [W] [B] aux dépens.
La greffière La présidente