Troubles du voisinage : 6 avril 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/03560

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Troubles du voisinage : 6 avril 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/03560
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République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 06/04/2023

****

N° de MINUTE : 23/127

N° RG 22/03560 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UM6I

Ordonnance (N° 22/00165) rendue le 29 Juin 2022 par le Président du tribunal judiciaire de Bethune

APPELANTE

Madame [D] [E]

née le [Date naissance 13] 1986 à [Localité 16] (50)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 14]

Représentée par Me Brelivet, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉS

Monsieur [V] [G]

né le [Date naissance 8] 1973 à [Localité 18] (59)

de nationalité Française

[Adresse 15]

[Localité 14]

Madame [B] [K] épouse [G]

née le [Date naissance 4] 1973 à [Localité 21] (62)

de nationalité Française

[Adresse 15]

[Localité 14]

Monsieur [X] [J]

né le [Date naissance 11] 1989 à [Localité 22] (59)

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 14]

Madame [S] [L] épouse [J]

née le [Date naissance 9] 1991 à [Localité 19] (59)

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 14]

Monsieur [O] [Y]

né le [Date naissance 10] 1947 à [Localité 17] (62)

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 14]

Madame [A] [Z] épouse [Y]

née le [Date naissance 12] 1947 à [Localité 20] (62)

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 14]

Représentés par Me Pambo, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

DÉBATS à l’audience publique du 11 janvier 2023 tenue par Yasmina Belkaid magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 avril 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 7 novembre 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

M. [V] [G] et Mme [B] [K], épouse [G], (les époux [G]) habitent [Adresse 15]. M. [X] [J] et Mme [S] [L], épouse [J], (les époux [J]) résident au [Adresse 3] et M. [O] [Y] et Mme [A] [Z], épouse [Y], (les époux [Y]) habitent au [Adresse 6].

Les époux [G], [J] et [Y] sont voisins de Mme [D] [E], propriétaire de l’immeuble situé [Adresse 1]. Celle-ci, souhaitant exercer la profession d’éleveur canin, a obtenu un permis de construire un chenil sur sa propriété par arrêté municipal du 9 avril 2021.

Invoquant des troubles manifestement illicites, constitutifs de troubles anormaux de voisinage, par actes d’huissier en date du 9 mai 2022, les époux [G], [J] et [Y] ont assigné Mme [E] devant le président du tribunal judiciaire de Lille statuant en référé aux fins de voir notamment ordonner l’interruption immédiate de toute activité d’élevage de chiens dans l’immeuble de Mme [E].

Par ordonnance rendue le 29 juin 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Béthune a notamment :

ordonné la jonction des instances enregistrées sous les numéros 22/00165, 22/00166 et 22/00167 du répertoire général de l’année sous le numéro de répertoire général 22/00165 ;

renvoyé les parties à se pourvoir au fond ;

enjoint à Mme [E] de cesser l’activité d’élevage de chiens dans son immeuble sis [Adresse 1] dans un délai de quinze jours à compter de la signification de l’ordonnance et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l’expiration dudit délai de quinze jours ;

s’est réservé la liquidation de l’astreinte prononcée ;

condamné Mme [E] à verser la somme de 500 euros aux époux [G], aux époux [J] et aux époux [Y] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

débouté Mme [E] de sa demande de condamnation solidaire des consorts [G], [J] et [Y] au paiement provisionnel de dommages et intérêts pour procédure abusive vexatoire ;

condamné Mme [E] aux dépens de l’instance ;

débouté les époux [G], les époux [J] et les époux [Y] de leur demande d’exécution de l’ordonnance au seul vu de la minute.

Par déclaration du 20 juillet 2022, Mme [E] a formé appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 octobre 2022, Mme [E] demande à la cour, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile et 1240 du code civil, de :

=> infirmer l’ordonnance de référé en date du 29 juin 2022 en toutes ses dispositions ;

condamner solidairement les consorts [G], [J] et [Y] à lui payer, en sa qualité de dirigeante de la SAS Elevage du petit sailly, la somme de 5 000 euros à titre de provision à valoir sur le montant des dommages et intérêts dus pour procédure abusive et vexatoire ;

les débouter de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;

les condamner solidairement à lui payer, en sa qualité de dirigeante de la SAS Elevage du petit sailly, la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

les condamner solidairement à lui payer, en sa qualité de dirigeante de la SAS Elevage du petit sailly, les entiers dépens, en ce y compris le coût du procès-verbal de constat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

A l’appui de ses prétentions, elle fait valoir que :

il est de jurisprudence constante qu’un trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit, ce qui correspond à une voie de fait ;

la mesure pouvant être prononcée en application des dispositions de l’article 835 du code de procédure civile n’a pas à être prononcée lorsque le trouble a pris fin au moment où le juge est appelé à statuer ;

en l’espèce, elle a cessé définitivement toute activité d’élevage canin et produit de nouveaux éléments de preuves ;

est ainsi produit un procès-verbal de constat établi le 3 août 2022 par un commissaire de justice démontrant que toutes les cages sont vides, qu’il n’y a plus aucun animal dans le chenil et une attestation du cabinet de comptable mandaté pour procéder à la liquidation amiable de la SAS Elevage du petit sailly ;

son activité a officiellement pris fin le 30 juin 2022, date de clôture de la comptabilité, le comptable ayant mis en ‘uvre toutes les formalités de dissolution et de radiation de la société, ce qu’a pu constater le commissaire de justice ;

la cessation de son activité étant incontestablement prouvée, les aboiements et les troubles subis par le voisinage ont définitivement cessé et il n’y a pas lieu à la condamner à cesser son activité et ce sous astreinte ;

les consorts [G], [J] et [Y] ont mis en ‘uvre une procédure abusive et injustifiée, caractérisée par l’intention de nuire à ses intérêts économiques ;

elle n’a pu résister psychologiquement au harcèlement permanent de ses voisins qui n’hésitent pas à recourir à des actes d’intimidation et à des actes de violation de sa vie privée en procédant à des prises de vue dans sa propriété ;

elle a ainsi été contrainte de cesser son activité professionnelle et de vendre tous ses chiens ;

son médecin traitant a décelé un syndrome anxio-dépressif consécutif aux man’uvres vexatoires commises par ses voisins.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 3 novembre 2022, les époux [G] demandent à la cour, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile et des articles L. 131-1 et L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution, de :

=> confirmer l’ordonnance de référé en date du 29 juin 2022 en toutes ses dispositions ;

ordonner l’interruption immédiate de toute activité d’élevage de chiens par Mme [E] dans son immeuble d’habitation sis [Adresse 2] ;

dire et juger que cette interdiction d’exercice de toute activité d’élevage de chiens sera immédiatement exécutoire sur la minute de l’ordonnance à intervenir ;

dire et juger que cette interdiction d’exercice d’activité d’élevage de chiens est assortie d’une astreinte de 150 euros par jour de retard, astreinte courant sur une période d’un mois à compter de la délivrance de la minute de l’ordonnance à intervenir ou à défaut à compter de la signification à Mme [E] de l’ordonnance à intervenir ;

dire et juger que le président du tribunal judiciaire de Béthune conservera la compétence juridictionnelle afin de statuer sur la liquidation de l’astreinte prononcée ;

condamner Mme [E] à leur payer une somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

la condamner aux entiers frais et dépens de l’instance.

A l’appui de leurs prétentions, ils font valoir que :

la situation est insupportable pour toute la famille et notamment pour Mme [G] puisque les nuisances ont été à l’origine de ses problèmes de santé nécessitant un traitement médical avec prescription d’anxiolytiques ;

les faits excèdent les inconvénients normaux de voisinage et de multiples démarches amiables ont été entreprises ;

Mme [E] n’a diligenté aucune étude acoustique permettant de déterminer les prescriptions concernant l’édification du mur anti-bruit mise à sa charge par le permis de construire délivré ;

elle n’a donc toujours pas édifié de mur anti-bruit et prétend avoir pris la décision de mettre un terme à son activité d’élevage canin sans pour autant avoir effectivement diligenté les démarches administratives ;

le procédé consistant de manière provisoire à vider son élevage canin pour faire dresser de manière ponctuelle un constat d’huissier de justice en août 2022, tout en conservant en l’état l’infrastructure sans mur anti-bruit conforme ne fait pas obstacle à la reprise à tout moment de son activité et ne permet en aucun cas de caractériser une cessation pérenne du trouble anormal de voisinage ;

l’activité d’élevage canin développée par Mme [E] sous le numéro de Siren 885120873 ne fait l’objet d’aucune cessation effective enregistrée au Bodacc à la date du 3 novembre 2022, ce qui contredit la prétendue volonté de cessation d’activité alléguée ;

Mme [E] s’étant délibérément affranchie de l’ensemble de ses obligations, ils sont fondés à solliciter la cessation de toute activité d’élevage canin dès lors qu’elle ne respecte pas les prescriptions du permis de construire et ne procède pas à la réalisation d’un mur anti-bruit conforme aux prescriptions techniques résultant d’une étude acoustique.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 4 novembre 2022, les époux [J] demandent à la cour, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile et des articles L. 131-1 et L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution, de :

=> confirmer l’ordonnance de référé en date du 29 juin 2022 en toutes ses dispositions ;

ordonner l’interruption immédiate de toute activité d’élevage de chiens par Mme [E] dans son immeuble d’habitation sis [Adresse 2] ;

dire et juger que cette interdiction d’exercice de toute activité d’élevage de chiens sera immédiatement exécutoire sur la minute de l’ordonnance à intervenir ;

dire et juger que cette interdiction d’exercice d’activité d’élevage de chiens est assortie d’une astreinte de 150 euros par jour de retard, astreinte courant sur une période d’un mois à compter de la délivrance de la minute de l’ordonnance à intervenir ou à défaut à compter de la signification à Mme [E] de l’ordonnance à intervenir ;

dire et juger que le président du tribunal judiciaire de Béthune conservera la compétence juridictionnelle afin de statuer sur la liquidation de l’astreinte prononcée ;

condamner Mme [E] à leur payer une somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

la condamner aux entiers frais et dépens de l’instance.

A l’appui de leurs prétentions, ils font valoir que :

depuis l’aménagement de cet élevage canin, la vie du voisinage est un véritable enfer sonore, les chiens aboyant, gémissant, jappant et hurlant à toutes heures du jour et de la nuit ;

les faits excèdent les inconvénients normaux de voisinage et de multiples démarches amiables ont été entreprises ;

Mme [E] n’a diligenté aucune étude acoustique permettant de déterminer les prescriptions concernant l’édification du mur anti-bruit mise à sa charge par le permis de construire délivré ;

Mme [E] a une attitude hostile et son comportement et celui de ses proches aboutissent de manière réitérée à exciter les chiens ;

le trouble anormal de voisinage a été constaté par l’huissier de justice ;

en réaction aux diligences de son voisinage, Mme [E] a retiré les colliers anti-aboiement des chiens, colliers par ailleurs inefficaces, afin qu’ils aboient encore plus fort jour et nuit ;

son comportement délibéré caractérise une situation constitutive d’un trouble manifestement illicite du fait de la violation délibérée des prescriptions du permis de construire lui imposant la réalisation d’un mur anti-bruit ;

leur médecin traitant a relevé qu’ils sont tous deux affectés par un état de stress, associé à des insomnies, lié à cette situation et a prescrit des anxiolytiques depuis le dernier trimestre 2021.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 12 octobre 2022, les époux [Y] demandent à la cour, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile et des articles L. 131-1 et L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution, de :

=> confirmer l’ordonnance de référé en date du 29 juin 2022 en toutes ses dispositions ;

ordonner l’interruption immédiate de toute activité d’élevage de chiens par Mme [E] dans son immeuble d’habitation sis [Adresse 2] ;

dire et juger que cette interdiction d’exercice de toute activité d’élevage de chiens sera immédiatement exécutoire sur la minute de l’ordonnance à intervenir ;

dire et juger que cette interdiction d’exercice d’activité d’élevage de chiens est assortie d’une astreinte de 150 euros par jour de retard, astreinte courant sur une période d’un mois à compter de la délivrance de la minute de l’ordonnance à intervenir ou à défaut à compter de la signification à Mme [E] de l’ordonnance à intervenir ;

dire et juger que le président du tribunal judiciaire de Béthune conservera la compétence juridictionnelle afin de statuer sur la liquidation de l’astreinte prononcée ;

condamner Mme [E] à leur payer une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

la condamner aux entiers frais et dépens de l’instance.

A l’appui de leurs prétentions, ils font valoir que :

depuis l’aménagement de cet élevage canin, la vie du voisinage est un véritable enfer sonore, les chiens aboyant, gémissant, jappant et hurlant à toutes heures du jour et de la nuit ;

malgré les nombreuses tentatives de résolutions amiables, Mme [E] n’a toujours pas mis en conformité son activité, n’a toujours pas mis en ‘uvre les mesures imposées afin de se conformer au permis de construire et s’est même depuis plusieurs semaines installée dans une attitude d’opposition hostile à toutes les démarches mises en ‘uvre à son égard et son comportement et celui de ses proches aboutissent à provoquer de manière réitérée des épisodes d’aboiements et de jappements intenses des chiens de jour comme de nuit ;

cette situation occasionne manifestement un trouble anormal de voisinage qui a été constaté par l’huissier de justice, qu’il s’agisse des nuisances sonores ou du fait que les chiens pénètrent dans leur propriété en arrachant le grillage pour venir attaquer et tuer leurs poules et leurs coqs, l’huissier de justice ayant pu produire dans son constat des photographies des chiens en train de dévorer les poules ;

de multiples témoignages et constatations matérielles sont produits

le comportement délibéré de Mme [E] caractérise un trouble manifestement illicite du fait de la violation délibérée des prescriptions du permis de construire lui imposant la réalisation d’un mur anti-bruit.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les troubles manifestement illicites :

Aux termes de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Pour apprécier la réalité du trouble ou du risque allégué, la cour d’appel, statuant en référé, doit se placer au jour où le premier juge a rendu sa décision et non au jour où elle statue.

La partie qui invoque un trouble manifestement illicite ou un dommage imminent, n’a pas à justifier de l’urgence.

Concernant les troubles anormaux de voisinage, la cour rappelle qu’aux termes de l’article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi ou les règlements.

Aux termes de l’article 651 du code civil, la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l’un à l’égard de l’autre, indépendamment de toute convention.

Il en résulte que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage ; il appartient aux juges de rechercher si les nuisances, même en l’absence de toute infraction aux règlements, n’excèdent pas les inconvénients normaux du voisinage.

Il est rappelé à cet égard que le respect de dispositions légales, réglementaires ou techniques n’exclut pas en soi l’existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage.

Sur ce,

Mme [E] a obtenu un permis de construire un chenil par arrêté municipal du 9 avril 2021 dans le cadre de son activité professionnelle d’élevage canin sous l’enseigne de la SAS Elevage du petit sailly.

Ce même arrêté, au motif que des nuisances sonores pour le voisinage étaient susceptibles d’être générées par cette activité, a accordé le permis de construire sous réserve d’édifier, sur la base d’une étude acoustique, un mur anti-bruit sur la propriété de Mme [E], lieu d’implantation du chenil.

Cependant, les voisins de Mme [E], les époux [G], [J] et [Y], se plaignent depuis l’installation de ce chenil d’importantes nuisances sonores ainsi que de la pénétration de chiens dans leur propriété pour attaquer les poules et les coqs. Ils soutiennent que Mme [E] n’a pas respecté les prescriptions du permis de construire puisqu’elle n’a fait ni étude acoustique ni édifier un mur anti-bruit et qu’elle ne justifie pas de la cessation de son activité. Ils font ainsi valoir que ces troubles anormaux de voisinage et le trouble manifestement illicite caractérisé par l’irrespect du permis de construire justifient d’ordonner à Mme [E] de cesser son activité d’élevage de chiens dans son immeuble.

Dans le cadre de l’appel qu’elle a interjeté, Mme [E] reconnaît l’existence de troubles mais soutient que l’ordonnance doit être infirmée au motif qu’elle a cessé son activité. Elle produit ainsi un procès-verbal de constat réalisé le 3 août 2022 par un commissaire de justice, un extrait du registre national du commerce et des sociétés et une attestation de l’expert comptable mandaté aux fins de procéder à la liquidation amiable de la SAS Elevage du petit sailly.

Ce procès-verbal de constat expose que les neufs cellules de l’élevage canin sont vides, qu’il n’y a plus de chien et, que le comptable de Mme [E] lui a confirmé que la SAS Elevage du petit sailly a cessé son activité le 30 juin 2022 et que les formalités de radiation étaient en cours.

Par attestation du 5 août 2022, l’expert comptable de Mme [E] indique qu’il a été mandaté par celle-ci dans le cadre de la mise en ‘uvre de la liquidation amiable de la société et que sa mission consiste à établir le bilan de dissolution et le bilan de liquidation ainsi que les formalités afférentes à la liquidation de la structure.

L’extrait du registre national du commerce et des sociétés produit indique qu’à la date du 25 septembre 2022, la SAS Elevage du petit sailly, dont le Siren est numéroté 885120873, a clôturé son activité au 30 juin 2022.

Si ces pièces démontrent que Mme [E] a bien cessé son activité professionnelle, force est de constater que cette cessation est intervenue postérieurement à l’ordonnance critiquée du 29 juin 2022.

Or, comme rappelé ci-dessus, la cour d’appel, statuant en référé, doit apprécier la réalité du trouble ou du risque allégué au jour où la décision querellée a été rendue et non au jour où la cour statue.

Dès lors, il convient de vérifier si à la date de la décision déférée il existait un dommage imminent justifiant d’ordonner la cessation de l’activité ou si cette injonction se justifiait pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En l’espèce, de nombreuses attestations sont produites par les époux [G], [J] et [Y]. Celles-ci font état de nuisances sonores importantes et réitérées à tout heure de la journée et de la nuit depuis l’installation du chenil.

Plusieurs pièces médicales sont également versées aux termes desquelles il est fait état de syndromes anxieux et de prescriptions d’anxiolytiques et dont les médecins rapportent que M. [J] et Mme [G] associent leur stress et leurs insomnies à l’origine de leurs troubles anxieux à un conflit de voisinage.

Les consorts [G], [J] et [Y] produisent également plusieurs procès-verbaux de constat d’huissier de justice. Ces constats, effectués en février, mars et avril 2022, font état de nuisances sonores constituées d’aboiements réguliers des chiens et de gémissements. Il est par ailleurs fait état du fait que l’huissier de justice s’est rendu sur place en urgence le 23 février 2022 afin de constater que deux chiens du chenil avaient réussi à accéder à la propriété des époux [Y] en arrachant le grillage et avaient attaqué leurs poules et leurs coqs. Les photographies annexées à ce procès-verbal de constat permettent de constater la présence de nombreuses plumes ensanglantées dans la propriété, la présence de deux chiens en train de dévorer des poules et coqs et celle d’un coq blessé n’ayant quasiment plus de plumes. L’huissier de justice a de plus effectué plusieurs relevés sonores qu’il expose dans son constat et dont il conclut que les aboiements soutenus et permanents génèrent une réelle nuisance sonore de par leur fréquence et leur intensité.

Le procès-verbal de constat effectué par un huissier de justice à la demande des époux [J] fait état de 137 vidéos enregistrées à diverses heures de la journée et de la nuit, en semaine et le weekend. L’huissier de justice indique que ces vidéos permettent de constater des aboiements.

Des mains courantes et un dépôt de plainte à l’encontre de Mme [E] sont également produits par ses voisins.

Un compte rendu de visite chez Mme [E] du 25 octobre 2021 est également versé aux débats et expose que le maire de la commune a rappelé à Mme [E] l’obligation de déposer un permis de construire pour la fabrication d’un mur anti-bruit soumis à une étude acoustique.

En outre, en considération des effets physiologiques et psychologiques possibles du bruit qui risque d’altérer la santé, de la mise en demeure de faire cesser les nuisances sonores adressée à Mme [E] et des nombreuses plaintes et courriers déposés par les riverains, par un arrêté du 25 mars 2022, le maire a notamment déclaré qu’à compter du 25 mars au 31 décembre 2022, les propriétaires, gardiens ou détenteurs de chiens sont tenus, de jour comme de nuit, de prendre toutes les mesures propres à préserver la tranquillité et le repos du voisinage et interdit, de jour comme de nuit, de laisser les chiens dans un enclos sans que leur gardien ne puisse à tout moment faire cesser leurs aboiements prolongés ou répétés.

De plus, Mme [E] produit elle-même une lettre du 23 février 2022, dont le destinataire est inconnu, dans laquelle elle s’excuse pour les dégâts occasionnés par ses chiens.

Enfin, les pièces tendent à démontrer que Mme [E] n’a pas fait réaliser d’étude acoustique et n’a pas fait édifier de mur anti-bruit, ce qu’elle ne conteste pas. Or, en ne justifiant pas du respect d’une telle prescription, Mme [E] ne démontre pas qu’elle a respecté le permis de construire.

Il résulte de ce qui précède qu’un trouble manifestement illicite est bien caractérisé et justifie l’injonction faite à Mme [E] de cesser son activité d’élevage de chiens dans son immeuble.

L’ordonnance querellée sera ainsi confirmée de ce chef.

En revanche, l’activité de Mme [E] ayant cessé, il convient de débouter les époux [G], [J] et [Y] de leurs demandes tendant à voir dire que l’interdiction d’exercice de toute activité d’élevage de chiens sera immédiatement exécutoire sur la minute de l’ordonnance à intervenir et d’assortir cette interdiction d’une astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la délivrance de la minute de l’arrêt à intervenir ou à défaut à compter de la signification à Mme [E] de l’arrêt à intervenir.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Dès lors que la cour a reconnu le bien-fondé de la demande des consorts [G], [J] et [Y], la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire formée par Mme [E], devenue sans objet, sera rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

d’une part à confirmer l’ordonnance attaquée sur ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile,

et d’autre part, à laisser à Mme [E] la charge des dépens exposés en cause d’appel et à la débouter de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel. Par ailleurs, Mme [E] sera condamnée à payer aux époux [G], [J] et [Y] la somme de 500 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme l’ordonnance rendue le 29 juin 2022 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Béthune dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute M. [V] [G], Mme [B] [K], épouse [G], M. [X] [J], Mme [S] [L], épouse [J], M. [O] [Y] et Mme [A] [Z], épouse [Y], (du surplus de leurs demandes) de leur demande tendant à voir ordonner, sous astreinte, l’interruption immédiate de toute activité d’élevage de chiens par Mme [E] dans son immeuble d’habitation sis [Adresse 2],

Laisse à Mme [D] [E] la charge des dépens d’appel,

Condamne Mme [D] [E] à payer à M. [V] [G] et Mme [B] [K], épouse [G], la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [D] [E] à payer à M. [X] [J] et Mme [S] [L], épouse [J], la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [D] [E] à payer à M. [O] [Y] et Mme [A] [Z], épouse [Y], la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier

Harmony Poyteau

Le Président

[M] [R]

 


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