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ARRET N°
du 24 janvier 2023
R.G : N° RG 21/01456 – N° Portalis DBVQ-V-B7F-FBDF
[A]
[A]
c/
[N]
[E]
[E]
[E]
[E]
[E]
[O]
[E]
[E]
Formule exécutoire le :
à :
la SCP RAHOLA CREUSAT LEFEVRE
la SCP LR AVOCATS & ASSOCIES
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 24 JANVIER 2023
APPELANTS :
d’un jugement rendu le 30 avril 2021 par le tribunal judiciaire de TROYES
Monsieur [S] [A]
[Adresse 1]
[Localité 11]
Représenté par Me Stanislas CREUSAT de la SCP RAHOLA CREUSAT LEFEVRE, avocat au barreau de REIMS
Madame [H] [A]
[Adresse 1]
[Localité 11]
Représentée par Me Stanislas CREUSAT de la SCP RAHOLA CREUSAT LEFEVRE, avocat au barreau de REIMS
INTIMES :
Madame [J] [N]
[Adresse 15]
[Localité 11]
Représentée par Me Christophe ROCHER de la SCP LR AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de L’AUBE
Madame [Y] [E]
[Adresse 14]
[Localité 16]
Représentée par Me Christophe ROCHER de la SCP LR AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de L’AUBE
Monsieur [M] [E]
[Adresse 4]
[Localité 11]
Représenté par Me Christophe ROCHER de la SCP LR AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de L’AUBE
Madame [R] [E]
[Adresse 3]
[Localité 11]
Représentée par Me Christophe ROCHER de la SCP LR AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de L’AUBE
Madame [V] [E]
[Adresse 2]
[Localité 11]
Représentée par Me Christophe ROCHER de la SCP LR AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de L’AUBE
Monsieur [P] [E] – décédé –
Madame [T] [O]
[Adresse 7]
[Localité 11]
Représentée par Me Christophe ROCHER de la SCP LR AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de L’AUBE
Monsieur [U] [E] – venant aux droits de son père M. [P] [E], décédé –
[Adresse 5]
[Localité 9]
Représenté par Me Christophe ROCHER de la SCP LR AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de L’AUBE
Madame [L] [E] – venant aux droits de son père M. [P] [E], décédé –
[Adresse 5]
[Localité 9]
Représentée par Me Christophe ROCHER de la SCP LR AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de L’AUBE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Monsieur Cédric LECLER, conseiller
Madame Sandrine PILON, conseillère
GREFFIER :
Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier lors des débats et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier lors du prononcé
DEBATS :
A l’audience publique du 29 novembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 24 janvier 2023,
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Monsieur [S] [A] et Madame [H] [A] (les époux [A]) sont propriétaires et occupants d’une maison d’habitation située [Adresse 1], sur la parcelle cadastrée [Cadastre 13].
Madame [Y] [E], Monsieur [M] [E], Madame [R] [E], Madame [V] [E], Madame [T] [O], Monsieur [P] [E] et Madame [J] [N] (les consorts [E]) sont propriétaires indivis d’un bâtiment agricole situé [Adresse 1], sur les parcelles cadastrées [Cadastre 12], [Cadastre 6], et [Cadastre 8].
Le 1er août 2013, ce bâtiment agricole a été détruit par un incendie.
Les consorts [E] ont décidé de procéder à sa reconstruction.
Par arrêté en date du 22 juillet 2014, le maire de la commune d'[Localité 11] a accordé le permis de construire y afférent.
Par jugement en date du 5 mai 2015, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a prononcé l’annulation de ce permis de construire.
Par arrêt en date du 24 novembre 2016, la cour administrative d’appel de Nancy a confirmé la décision rendue par le premier juge.
Par arrêt en date du 4 décembre 2017, le Conseil d’État a rejeté le pourvoi formé contre la décision du juge administratif de second degré par les consorts [E].
Les 14 et 21 mars 2018, les époux [A] ont assigné les consorts [E] devant le tribunal de grande instance de Troyes.
En dernier lieu, les époux [A] ont demandé de :
A titre principal,
– condamner in solidum les consorts [E] à faire ou à faire faire tous les travaux permettant la démolition de l’ouvrage réalisé, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai d’un mois suivant la signification la décision à intervenir ;
– condamner in solidum les consorts [E] à leur verser une somme de 50’000 euros, tous préjudices confondus ;
A titre subsidiaire,
– dire et juger que le bâtiment agricole situé sur le terrain route de [Localité 16] à [Localité 11] constituait un trouble anormal de voisinage ;
– ordonner la démolition pure et simple du bâtiment agricole situé sur le terrain [Adresse 1] et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai d’un mois suivant la signification de la décision à intervenir ;
A titre infiniment subsidiaire,
– voir désigner tel expert qu’il plairait au tribunal de grande instance de nommer, lequel aurait pour mission de:
– se rendre sur les lieux en présence de toutes les parties intéressées;
– entendre les parties en leurs dires et explications, ainsi que tout sachant;
– se faire remettre par les parties tous documents utiles à l’accomplissement de sa mission;
– décrire et caractériser les désordres dont se plaignaient les époux [A];
– rassembler l’ensemble des éléments permettant à la juridiction qui serait saisie de statuer sur la démolition et les préjudices ;
– du tout dresser rapport dans les délais de sa saisine en faisant précéder le rapport d’un pré-rapport diffusé auprès des parties au moins quatre semaines auparavant ;
En tout état de cause,
– débouter les consorts [E] de toutes leurs demandes ;
– condamner in solidum les consorts [E] aux entiers dépens avec distraction au profit de leur conseil, et à leur payer une somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles.
En dernier lieu, les consorts [E] ont demandé de :
Sur la demande de démolition,
– dire les époux [A] irrecevables en leur demande faute de qualité et d’intérêt à agir ;
Subsidiairement,
– dire les époux [A] mal fondés en leurs prétentions et les en débouter ;
Sur la demande de dommages-intérêts,
– constater que la demande des époux [A] était atteinte de prescription, faute d’avoir été introduite dans un délai maximum de deux ans à compter de l’achèvement des travaux ;
en conséquence,
– les dire irrecevables en leurs prétentions ;
Subsidiairement,
– les dire mal fondés et les en débouter ;
Sur les autres demandes,
– dire n’y avoir lieu à la désignation d’un expert judiciaire et débouter également les époux [A] de leurs demandes à cet égard ;
– reconventionnellement, condamner solidairement les époux [A] à payer à chacun des défendeurs la somme de 10’000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée en application de l’article 1240 du Code civil ;
– condamner solidairement les époux [A] à payer à chacun des défendeurs la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par jugement contradictoire en date du 30 avril 2021, le tribunal judiciaire de Troyes a :
– déclaré irrecevables les époux [A] en leurs demandes au titre des dispositions de l’article L.48-13 du code de l’urbanisme ;
– débouté les époux [A] de toutes leurs autres demandes ;
– condamné les époux [A] solidairement à verser aux consorts [E] la somme de 2000 euros au titre de la procédure abusive et injustifiée ;
– condamné les époux [A] solidairement à verser aux consorts [E] la somme de 500 euros chacun au titre des frais irrépétibles ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au dispositif.
Le 9 juillet 2021, les époux [A] ont relevé appel de cette ordonnance.
Le 8 novembre 2022, a été ordonnée la clôture de l’instruction de l’affaire.
Par note en délibéré en date du 9 décembre 2022, autorisée par la cour, les consorts [E] ont produit l’acte de décès de [P] [E] le 16 décembre 2020, ainsi que l’acte de notoriété notarié en date du 11 octobre 2021 désignant comme ses héritiers son fils Monsieur [U] [E] et sa fille Madame [L] [E].
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Pour plus ample exposé, il sera expressément renvoyé aux écritures déposées par les parties :
– le 4 octobre 2021 par les époux [A], appelants ;
– le 17 décembre 2021 par les consorts [E], intimés.
Par voie d’infirmation, les époux [A] réitèrent l’intégralité de leurs prétentions initiales, sauf à abandonner leur demande initiale tendant au débouté de toutes les demandes des consorts [E].
Les consorts [E] demandent de débouter les époux [A] de l’ensemble de leurs demandes.
Ils demandent encore la confirmation du jugement en ce qu’il a porté condamnation pour procédure abusive et injustifiée et au titre des frais irrépétibles, sauf à préciser que ces sommes étaient dues à l’ensemble des indivisaires, en ce compris Monsieur [U] [E] et Madame [L] [E], venant aux droits de [P] [E].
Les consorts [E] demandent encore la condamnation solidaire des époux [A] à leur payer la somme de 1000 euros par indivisaire au titre des frais irrépétibles d’appel.
MOTIVATION :
De manière liminaire, il conviendra de constater au regard des éléments ressortant de la note en délibéré, que Monsieur [U] [E] et Madame [L] [E] viennent aux droits de leur père [P] [E], décédé le 16 décembre 2020.
Sur les demandes en démolition et indemnisation fondées sur l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme :
Selon l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, dans sa version issue de la loi n° 2015-998 du 6 août 2015,
Lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire,
1° Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme des servitudes d’utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l’État dans le département sur le fondement du second alinéa de l’article L. 606-6, si la construction est située dans l’une des zones suivantes:
….
g) Les sites inscrits ou classés en application des articles L. 341-1 et L. 341 du même code;
….
L’action en démolition doit être engagée dans le délai de deux ans qui suit la décision devenue définitive de la juridiction administrative:
2° le constructeur ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire à des dommages et intérêts que si, préalablement, le permis de construire a été annulé pour excès de pouvoir ou si son illégalité a été constatée par la juridiction administrative. L’action en responsabilité civile doit être engagée aux plus tard deux ans après l’achèvement des travaux.
Lorsque l’achèvement des travaux est intervenu avant la publication de la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, la prescription antérieure continue à courir selon son régime.
Sur la recevabilité de l’action en démolition :
Selon l’article 31 du code de procédure civile,
L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
Sur le fondement du texte susdit, le demandeur peut exercer devant le juge judiciaire une action en démolition si le demandeur invoque un préjudice personnel, prouve qu’a été commise une violation d’une règle d’urbanisme ou d’une servitude d’utilité publique, et que son préjudice résulte directement d’une telle violation.
L’arrêté du conseil départemental de l’Aube en date du 28 février 2014, énumérant les immeubles protégés au titre de la législation sur les monuments historiques, mentionne, s’agissant de la commune d'[Localité 11]:
château : portail d’entrée avec sa grille, ainsi que la rampe d’escalier en fer forgé (inscription au titre des monuments historiques : 1982).
Il est constant entre parties que l’installation agricole objet du permis de construire annulé, édifiée par les consorts [E], se situe à l’intérieur du périmètre de protection dont bénéfice le château susdit, propriété des époux [A], au titre de la législation sur les monuments historiques.
Et d’ailleurs, le permis de construire annulé énonce lui-même que la construction sollicitée se situe dans le champ de visibilité du château.
Selon l’article 153-4 du règlement sanitaire départemental de l’Aube, les bâtiments renfermant des bovins ne peuvent être implantés à moins de 50 mètres des immeubles habités ou occupés habituellement par des tiers.
Or, il résulte des pièces du dossier, notamment du permis de construire, que la partie du hangar, qui comporte les étables, est située à 41,80 m de la propriété des époux [A], de sorte que le permis de construire méconnaît le règlement sanitaire départemental.
Selon l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme,
La reconstruction à l’identique d’un bâtiment détruit ou démoli depuis moins de 10 ans est autorisée nonobstant toute disposition d’urbanisme contraire, sauf si la carte communale, le plan local d’urbanisme ou le plan de prévention des risques naturels prévisibles en dispose autrement, dès lors qu’il a été régulièrement édifié.
Il ressort des décisions des juridictions administratives de fond que si l’affectation à la vocation agricole des constructions antérieures est maintenue, et si l’unique hangar destiné à remplacer plusieurs bâtiments répond à une nécessaire adaptation aux normes et règles d’urbanisme, il apparaît cependant de l’ensemble des pièces du dossier, notamment du permis de construire, que le hangar unique autorisé par le permis de construire contesté, qui remplace plusieurs bâtiments, n’a pas la même implantation, la même surface, ni le même volume que les bâtiments détruits, et qu’ainsi il ne s’agit pas d’une recontruction à l’identique, de telle sorte que le bâtiment projeté est donc soumis aux règles d’urbanisme applicable aux bâtiments nouveaux à la date du permis de construire contesté.
Or, c’était précisément en considérant que le bâtiment objet du permis de construire faisait l’objet d’une reconstruction à l’identique que l’autorité chargée de délivrer le permis a exclu la distance minimale prévue par le règlement sanitaire départemental.
Il résulte des éléments qui précèdent que les époux [A] démontrent tout à la fois que le permis de construire litigieux a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative, et que la construction litigieuse se situait dans une zone visée à l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme.
* * * * *
Mais il reste à déterminer quelles seraient les règles d’urbanisme violées qui pourraient fonder la recevabilité de leur action appuyée sur ce texte.
Il ressort des éléments qui précèdent, retenus par les décisions des juridictions administratives, désormais irrévocables, une violation des articles L. 111-3 du code de l’urbanisme et de l’article
153-4 du règlement sanitaire départemental de l’Aube.
Mais les époux [A] soutiennent encore que d’autres règles d’urbanisme auraient été violées.
Ils invoquent ainsi l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme, selon lequel:
Un refus de permis de construire, ou des prescriptions peuvent être opposés lorsque les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales.
Les appelants observent à cet égard que le permis conçu annulé avait été octroyé sous réserve de respecter notamment les prescriptions suivantes, émises dans l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France :
– un accompagnement végétal d’espèces rustiques locales, variées et principalement de feuillus sera réalisé, notamment en limite ouest, le long de la route de [Localité 10] mais également sur le pourtour de la construction préservée ;
et ce afin d’harmoniser ce projet de construction avoisinante formant le cadre de présentation de l’édifice protégé :
– ce projet s’attachera à reprendre les dispositions architecturales, volumétrie, pente de toit, teintes et matériaux du hangar existant au Sud ;
– afin de maintenir une présence sur la route de [Localité 16], la bâtisse ancienne, en briques et moellons sera impérativement conservée et confortée; Des mesures visant à conserver ce bâtiment devront être prises.
Mais en ce que les prescriptions de l’Architecte des Bâtiments de France avaient été reprises par le permis de construire, et que ce dernier, par suite de son annulation, a disparu de l’ordonnancement juridique, les prescriptions de ce technicien contenues dans cet acte administratif individuel ont elles aussi disparues, et ne peuvent pas constituer une violation d’une règle d’urbanisme.
Et en l’état de l’annulation de ce permis de construire, sur les fondements susdits, il ne peut pas être soutenu l’existence d’une quelconque violation de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme, à supposer même que ce dernier texte, qui se borne à encadrer la faculté de refus de délivrance des permis de construire par l’autorité qui est en chargée, édicte par lui-même une règle d’urbanisme.
De la sorte, les époux [A] ne peuvent pas venir soutenir que les prescriptions de l’Architecte des Bâtiments de France constitueraient une violation des règles d’urbanisme, ni que l’article R. 111-27, sur lequel ils appuient ces violations, aurait été lui-même violé.
Il n’en demeure pas moins que les époux [A] se prévalent à juste titre de ce que l’immeuble, accueillant des bovins, et qui n’est pas une reconstruction à l’identique, ne respecte pas la distances minimales par rapport à leur propre immeuble à usage d’habitation, en contrariété avec le règlement sanitaire départemental.
Or, ces circonstances constituent des violations tant de l’article l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme que du règlement sanitaire départemental de l’Aube, et ces dispositions constituent incontestablement des règles d’urbanisme.
S’agissant de leurs préjudices, les époux [A] se prévalent en premier lieu des dimensions importantes et irrégulières du bâtiment agricole, créant de leur chef d’importantes nuisances visuelles, en obstruant complètement leur vue.
Mais ce préjudice se rapporte encore à l’irrespect prétendu des prescriptions de l’Architecte des Bâtiments de France, repris dans le permis de construire, dont l’annulation l’a fait disparaître de l’ordonnancement juridique.
En second lieu, les époux [A] se prévalent de la stabulation située dans le bâtiment reconstruit, générant des odeurs insupportables et incommodantes interdisant l’usage des extérieurs de leur habitation, même si l’environnement est rural, ainsi que d’un préjudice moral et d’une perte de qualité de vie dans une maison où il conviendrait désormais de vivre fenêtres fermées, tant les odeurs nauséabondes se dégagent de ce bâtiment agricole.
Or, l’invocation de ce préjudice se situe incontestablement en lien de causalité avec la violation des règles d’urbanisme relatives à l’absence de respect des distances minimales de construction pour un bâtiment non reconstruit à l’identique accueillant des bovins par rapport à des maisons d’habitation.
Il résultera du tout que l’action en démolition exercée par les époux [A] sur le fondement de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme est recevable: le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le fond de l’action en démolition :
Au visa des observations qui précèdent, seul pourra être recherchée la réparation du préjudice relatif à l’absence de respect des distances minimales de construction pour un bâtiment non reconstruit à l’identique accueillant des bovins par rapport à des maisons d’habitation.
Il est constant que l’installation agricole nouvelle des consorts [E] se situe à 41,80 mères de l’habitation des époux [A], alors qu’elle aurait dû se situer à 50 mètres au moins de celle-ci.
Mais en l’absence de plus amples éléments, de nature à démontrer en quoi le respect de la distance réglementaire susdite aurait supprimé ou réduit les nuisances olfactives dont se plaignent les requérants, il n’apparaît pas en quoi le seul irrespect de ces distances minimales est de nature à générer spécifiquement ce préjudice, ou encore à aggraver un préjudice déjà existant.
Dès lors, les époux [A] seront déboutés de leur demande en démolition.
Sur l’action en indemnisation :
Selon le texte susdit, l’action en indemnisation doit être engagée au plus tard deux ans après l’achèvement des travaux.
Selon l’article R. 462-1du code de l’urbanisme,
La déclaration attestant l’achèvement la conformité des travaux est signée par le bénéficiaire du permis de construire ou d’aménager ou de la décision de non opposition à la déclaration préalable ou par l’architecte ou l’agréé en architecture, dans le cas où ils ont dirigé les travaux.
Elle est adressée par pli recommandé avec demande d’avis de réception postal au maire de la commune déposée contre décharge à la mairie.
Mais l’achèvement, au sens de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, est un simple fait juridique, qui s’apprécie concrètement, qui peut être établi par tous moyens, qui s’entend à la date où la construction est en état d’être affectée à l’usage auquel elle est destinée, et qui est souverainement fixé par les juges du fond (Cass. 3e civ., 11 mai 2000, n°98-18.385, Bull. III, n°107).
Avec le premier juge, il sera retenu que les consorts [E] ont versé une déclaration attestant de l’achèvement et de la conformité des travaux à la date du 20 avril 2015, portant la mention de ce que cette présente déclaration avait été reçue en mairie le 21 avril 2015, et la signature et le cachet du maire ont été apposés sous cette mention.
Au surplus, il ressort du courrier des époux [A] adressé au tribunal administratif en date du 13 janvier 2015, dans lequel ils évoquent leurs différents préjudices visuels et olfactifs, que l’activité d’élevage au sein du hangar agricole reconstruit avait déjà repris.
Il en résulte ainsi qu’au 13 janvier 2015, la construction litigieuse était déjà en état d’être affectée à l’usage auquel elle était destinée.
De la sorte, l’achèvement des travaux, au sens du texte plus haut cité, ne peut pas être fixé à une date plus tardive que la déclaration y afférente, soit au 21 avril 2015.
Or, ce n’est que par assignations délivrés les 14 au 20 mars 2018 que les époux [A] ont présenté leur demande indemnitaire sur ce fondement.
La demande indemnitaire des époux [A] fondée sur l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme est donc prescrite; elle sera déclarée irrecevable, et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur l’action en indemnisation fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun :
Selon l’article 1240 du code civil,
Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Les époux [A] font grief à faute aux consorts [E] d’avoir reconstruit le bâtiment agricole litigieux, selon eux générateurs de leur propre préjudice.
Mais il n’apparaît pas en quoi la reconstruction des bâtiments agricole, par les consorts [E], qui sont parfaitement conformes aux prescriptions du permis de construire, comme il sera vu plus bas, constituerait une faute.
Au surplus, et par renvoi aux observations figurant ci-après, il sera retenu que les époux [A] ne démontrent l’existence d’aucun préjudice résultant de la reconstruction des bâtiments.
Les époux [A] seront donc déboutés de leur demande indemnitaire.
Sur les demandes en démolition fondées sur la responsabilité délictuelle de droit commun ou les troubles anormaux de voisinage :
Sur les demandes fondées sur les troubles anormaux de voisinage :
L’exercice du droit de propriété peut engager la responsabilité de son auteur lorsque le titulaire en fait un usage préjudiciable à autrui.
Les troubles anormaux de voisinage constituent un régime de responsabilité sans faute, même en l’absence de toute intention de nuire, dès lors qu’un fait ou une activité, quand bien même sont-ils licites, ont causé à un voisin des dommages excédant les troubles ordinaires du voisinage.
Il n’y a pas de trouble anormal de voisinage s’il n’existe pas de dommage, et l’irrégularité administrative d’une activité n’a pas plus à être prise en compte que sa régularité.
Ainsi, il n’est pas possible de déduire l’existence d’un tel trouble du seul fait d’une infraction à une disposition légale ou réglementaire, ni à exclure l’existence du trouble au seul motif que ces dispositions auraient été respectées.
L’anormalité du trouble doit s’apprécier en considération de l’environnement et du contexte, ainsi que de la préexistence de l’activité ou des bâtiments mis en cause.
Pour exister, un préjudice doit être certain et actuel, et non pas potentiel et hypothétique.
* * * * *
Il est constant entre parties que le bâtiment détruit en 2013, ultérieurement reconstruit, était également à usage d’élevage agricole, sans alors la moindre nuisance signalée par les époux [A].
Il appartient ainsi à ces derniers de justifier depuis la reconstruction litigieuse de l’apparition ou de l’aggravation des troubles de voisinages dont ils se plaignent présentement.
Tout comme en première instance, les époux [A] produisent essentiellement des plans et des photographies; à hauteur de cour, ils produisent 5 attestations, qu’il conviendra de mettre en balance avec les 34 attestations produites par les consorts [E].
S’agissant de la perte d’ensoleillement et la privation de vue :
Il ressort notamment du mémoire préfectoral en défense du 25 mars 2015 produit devant la juridiction administrative, ainsi que des plans de masse et photographies qui y sont annexées, notamment établis par la direction de protection des populations que :
– une partie de l’ancien bâtiment était implantée à une distance de 33,17 mètres de la limite de la propriété [A] ;
– le nouveau bâtiment d’élevage rectiligne se trouve à une distance de 41,80 mères de cette dernière.
Il en ressort que de manière générale, la volumétrie du nouveau bâtiment s’inscrit dans les volumes des bâtiments préexistants.
Au regard du mémoire en défense produit devant la juridiction administrative par les époux [A], il y a certes lieu d’observer une augmentation de la hauteur du bâtiment reconstruit (équivalent à 5 balles de pailles auparavant, et correspondant aujourd’hui à 8 ou 9 balles), le sol ayant été rehaussé.
Mais en ce que cette augmentation de hauteur du nouveau bâtiment doit être rapportée avec son éloignement depuis l’habitation par rapport à l’ancien bâtiment, il n’est démontré aucune perte de vue ou d’ensoleillement.
Et il sera observé que si l’Architecte des Bâtiments de France avait prescrit que le nouvel édifice soit entouré d’une ceinture de végétation indigène, il s’en déduira a contrario que l’ancien édifice n’était pas entouré de verdure, de telle sorte que les époux [A] supportaient déjà une vue directe sur celui-ci.
Les époux [A] ne démontrent ainsi aucune perte d’ensoleillement ou privation de vue résultant du nouvel édifice.
Sur le préjudice esthétique :
Monsieur [X], témoin, a attesté que l’ancien bâtiment ne permettait déjà pas de “profiter d’une vue bucolique”.
Mais il ressort de l’ensemble des éléments produits, notamment photographiques, que les couleurs de l’ouvrage s’intègrent dans le paysage et le bâti environnants, et que les espaces verts préconisés par l’architecte ont été plantés et s’agrandiront avec le temps.
Et l’ensemble des témoins sollicités par les consorts [E] s’accordent sur l’amélioration du cadre visuel de l’exploitation agricole, plus entretenu et plus propre qu’auparavant, notamment du fait du stockage du matériel et de la paille dans une zone fermée.
Aucune aggravation esthétique résultant de la nouvelle construction n’est ainsi caractérisée.
Sur les nuisances sonores et olfactives :
Ces nuisances découlent de l’exploitation du cheptel.
Selon les indications de la direction départementale des populations, la taille actuelle du cheptel résultant de la nouvelle construction, de 75 têtes, est équivalent à l’ancienne dans le précédent bâtiment.
Les époux [A] n’apportent la preuve d’aucune augmentation du cheptel.
S’agissant de la surface de l’exploitation, celle-ci était de 741 m2 dans l’ancien bâtiment, et de 720 m2 dans le nouveau.
Mais ce dernier comprend désormais une allée située entre les deux bâtiments servant au déplacement des animaux, qui n’existait pas dans l’ancienne construction.
Il convient d’examiner en quoi cette circonstance nouvelle serait susceptible d’aggraver les troubles olfactifs et visuels préexistants.
Mais les époux [A] ne produisent sur ce point aucun élément, alors que l’ensemble des attestations des voisins, riverains, et habitants de la commune produites par les consorts [E] mettent en évidence que ceux-ci n’ont relevé aucune aggravation des troubles sonores et olfactifs depuis la création et l’exploitation du nouveau bâtiment, et se bornent à relever que les perceptions sensorielles y afférentes sont inhérentes à un bâtiment à usage d’élevage agricole.
Aucune aggravation des nuisances sonores et olfactives résultant de la nouvelle construction n’est ainsi caractérisée.
Sur la perte de jouissance de l’habitation :
Au regard des éléments précédents, aucune perte de qualité de vie dans l’habitation des époux [A] n’est démontrée.
Sur la perte de valeur de leur bien :
Pour exister, un préjudice doit être certain et actuel, et non pas potentiel et hypothétique.
Devant le premier juge, qui cite largement cette pièce, les époux [A] avait produit l’avis d’une agence immobilière en date du 9 janvier 2015, selon laquelle l’environnement de leur bien, et notamment de la construction voisine en cours, peut avoir une incidence sur la valeur de leur bien, conduisant un éventuel acquéreur à négocier d’au moins une dizaine de pour-cent par rapport à sa valeur vénale.
Mais en ce que cette exploitation d’élevage préexistait à la nouvelle construction, il n’est pas démontré en quoi cette dernière a une incidence négative sur la valeur préexistante du bien immobilier des époux [A].
Au surplus, en ce que ces derniers ne justifient pas d’une tentative de vente infructueuse ou à vil prix de leur bien et de la valeur de celui-ci dont ils auraient été privés, leur préjudice, certain et actuel, n’est absolument pas établi.
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A l’issue de cette analyse, il sera retenu que les époux [A] défaillent à démontrer l’existence d’un quelconque trouble anormal du voisinage résultant de la nouvelle construction.
Ils seront donc déboutés de leurs demandes en démolition sur ce fondement, et le jugement sera confirmé de ce chef.
Le jugement sera encore confirmé pour avoir débouté les époux [A] de leur demande indemnitaire pour trouble anormal de voisinage, qui n’a pas été réitérée à hauteur de cour.
Sur la demande d’expertise judiciaire :
Selon l’article 146 du code de procédure civile, une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour la prouver; en aucune manière, une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve.
A titre infiniment subsidiaire, les époux [A] ont demandé l’organisation d’une expertise ayant notamment pour objet de décrire les désordres et déterminer les préjudices dont ils se plaignent, mais dont ils n’ont pas apporté le moindre commencement de preuve suffisant, comme exposé plus haut.
Ils seront donc déboutés de leur demande d’expertise judiciaire, et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive :
Selon l’article 954 alinéas 1 et 2 du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune des prétentions est fondée; les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Il en résulte qu’un appelant, qui se borne dans le dispositif de ses conclusions à conclure à l’infirmation d’un jugement, sans formuler de prétention sur les demandes tranchées dans ce jugement, ne saisit la cour d’aucune prétention relative à ces demandes (Cass. 2e civ., 5 décembre 2013, n°12-23.611, Bull. 2013, II, n°230).
Selon le dispositif de leurs dernières écritures, les époux [A] ont demandé l’infirmation du jugement.
Mais ils n’ont formulé aucune prétention tendant au débouté de la prétention des consorts [E] aux fins de les voir condamnés à leur payer une indemnité pour procédure abusive.
Et pour leur part, les consorts [E] demandent la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné les époux [A] à leur payer la somme de 2000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Il résultera de la formulation des prétentions respectives des parties que la cour ne peut que confirmer le jugement en ce qu’il a condamné les époux [A] à payer aux consorts [E] la somme de 2000 euros au titre de la procédure abusive et injustifiée.
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Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné solidairement les époux [A] aux dépens de première instance, et à payer à chacun des consorts [E] la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, et en ce qu’il a débouté les époux [A] de leur demande formée au même titre.
Les époux [A] seront déboutés de leur demande au titre des frais irrépétibles d’appel.
Les époux [A] seront condamnés aux entiers dépens d’appel, et à payer à chacun des consorts [E] la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a déclaré irrecevable Monsieur [S] [A] et Madame [H] [A] en leurs demandes au titre des dispositions de l’article L.48-13 du code de l’urbanisme ;
Infirme le jugement déféré de ce seul chef ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant :
Déclare recevables les demandes formées par Monsieur [S] [A] et Madame [H] [A] au titre des dispositions de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme;
Déboute Monsieur [S] [A] et Madame [H] [A] de l’intégralité de leurs demandes;
Condamne in solidum Monsieur [S] [A] et Madame [H] [A] aux entiers dépens d’appel et à payer à Madame [Y] [E], Monsieur [M] [E], Madame [R] [E], Madame [V] [E], Madame [T] [O], Monsieur [P] [E] et Madame [J] [N], Monsieur [U] [E], venant aux droits de son père [P] [E], Madame [L] [E], venant aux droits de son père [P] [E], à chacun, la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE