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ARRET
N°
S.A.R.L. BRODERIES LANGLET
C/
[F] [K]
[B]
PM/SGS
COUR D’APPEL D’AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU DEUX FEVRIER
DEUX MILLE VINGT TROIS
Numéro d’inscription de l’affaire au répertoire général de la cour : N° RG 21/03468 – N° Portalis DBV4-V-B7F-IE4Q
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SAINT-QUENTIN DU DIX NEUF AVRIL DEUX MILLE VINGT ET UN
PARTIES EN CAUSE :
S.A.R.L. BRODERIES LANGLET, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 7]
[Localité 1]
Représentée par Me Marc ANTONINI de la SCP ANTONINI ET ASSOCIES, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
Ayant pour avocat plaidant Me VILLAIN avocat au barreau de CAMBRAI
APPELANTE
ET
Monsieur [X] [F] [K]
né le [Date naissance 2] 1980 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 8]
Madame [M] [B]
née le [Date naissance 3] 1981 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représentés par Me Alexia DELVIENNE de la SCP ANAJURIS, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
INTIMES
DEBATS :
A l’audience publique du 01 décembre 2022, l’affaire est venue devant M. Pascal MAIMONE, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l’article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 02 février 2023.
La Cour était assistée lors des débats de Madame Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre, Mme Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre et M. Pascal MAIMONE, Conseiller, qui en ont délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE DE L’ARRET :
Le 02 février 2023, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre et Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.
*
* *
DECISION :
Suivant acte authentique en date des 3 décembre 2011 et 7 décembre 2011, Mme [M] [B] et M. [X] [F] [K] ont acquis une maison à usage d`habitation sise à [Localité 8] [Adresse 4] voisine d’un local sis au numéro 28 dans lequel la Sarl Broderies Langlet exploite une activité industrielle de broderie.
Se plaignant de nuisances sonores et de vibrations provenant des métiers à tisser utilisés par la Sarl Broderies Langlet, Mme [M] [B] et M. [X] [F] [K] ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Cambrai d’une demande d’expertise judiciaire, à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 8 novembre 2016 désignant M. [R] [J], expert, lequel a déposé un rapport le 16 avril 2018.
Par acte d’huissier en date du 19 juin 2019, Mme [M] [B] et M. [X] [F] [K] ont fait assigner la Sarl Broderies Langlet devant le tribunal de grande instance de Saint-Quentin sur le fondement des articles 651 et 1240 du code civil, afin que celle-ci soit condamnée à réaliser des travaux destinés à faire cesser les nuisances et à les indemniser de préjudices de jouissance et moral.
Saisi par la Sarl Broderies Langlet de conclusions d’incompétence territoriale, par ordonnance du 12 mai 2020, le juge de la mise en état a retenu la compétence du tribunal de grande instance de Saint-Quentin devenu tribunal judiciaire de Saint-Quentin.
Par jugement du 19 avril 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Quentin a :
-Débouté Mme [M] [B] et M. [X] [F] [K] de leur demande de condamnation de la Sarl Broderies Langlet à réaliser ou faire réaliser des travaux aux fins de faire cesser les troubles anormaux de voisinage
-Condamné la Sarl Broderies Langlet à payer à Mme [M] [B] et à M. [X] [F] [K] la somme de 1 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance au titre des troubles anormaux de voisinage ;
-Condamné la Sarl Broderies Langlet à payer à Mme [M] [B] et à M. [X] [F] [K] la somme de 2 000 euros en réparation de leur préjudice moral au titre des troubles anormaux de voisinage ;
-Débouté la Sarl Broderies Langlet de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral;
-Débouté la Sarl Broderies Langlet de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice économique ;
-Rejeté toute autre demande plus ample ou contraire ;
-Condamné la Sarl Broderies Langlet à payer à Mine [M] [B] et à M. [X] [F] [K] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
-Débouté la Sarl Broderies Langlet de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
-Condamné la Sarl Broderies Langlet aux entiers dépens en ce compris le coût de l’expertise judiciaire.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 28 juin 2021, la Sarl Broderies Langlet a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions transmises par la voie électronique le 22 septembre 2021, la Sarl Broderies Langlet demande à la cour de :
-La recevoir en son appel
-Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [M] [B] et M. [X] [F] [K] de leurs demandes relatives à l’exécution des travaux.
Infirmer le jugement pour le surplus.
-Débouter Mme [M] [B] et M. [X] [F] de toutes leurs demandes.
-Condamner Mme [M] [B] et M. [X] [F] à lui payer les sommes de:
.3000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi.
.3000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique.
.5000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
-Condamner Mme [M] [B] et M. [X] [F] [K] aux entiers dépens en ce compris les frais d’expertise.
Par conclusions transmises par la voie électronique le 20 décembre 2021, Mme [M] [B] et M. [X] [F] [K] demandent à la cour de :
-Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
‘Condamné la Sarl Broderies Langlet à les indemniser de leur préjudice de jouissance au titre des troubles anormaux du voisinage,
‘Condamné la Sarl Broderies Langlet à les indemniser de leur préjudice moral au titre des troubles anormaux du voisinage,
‘Débouté la Sarl Broderies Langlet de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral,
‘Débouté la Sarl Broderies Langlet de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice économique,
‘Condamné la Sarl Broderies Langlet à leur payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘Débouté la Sarl Broderies Langlet de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘Condamné la Sarl Broderies Langlet aux entiers dépens en ce compris le coût de l’expertise judiciaire.
-Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
‘Débouté Mme [M] [B] et M. [X] [F] [K] de leur demande de condamnation de la Sarl Broderies Langlet à réaliser ou faire réaliser des travaux aux fins de faire cesser les troubles anormaux du voisinage,
‘Fixé à la somme de 1 000 euros les dommages et intérêts mis à la charge de la Sarl Broderies Langlet en réparation du préjudice de jouissance au titre des troubles anormaux du voisinages qu’ils ont subis,
‘Fixé à 2 000 euros les dommages et intérêts mis à la charge de la Sarl Broderies Langlet en réparation du préjudice moral au titre des troubles anormaux du voisinage qu’ils ont subis.
Statuant à nouveau,
Juger, et au besoin l’y condamner, que la Sarl Broderies Langlet devra réaliser ou faire réaliser les travaux suivants :
.Supprimer sur une largeur d’au moins 50 cm de large et sur toute sa longueur le petit trottoir en béton entre les deux façades des bâtiments, implanté sur la parcelle propriété de la Sarl Broderies Langlet, y compris au niveau de la fondation éventuelle de ce petit trottoir en comblant la tranchée ainsi réalisée avec du sable de rivière (ce qui ne transmet pas les sons et atténue les vibrations)
.procéder à la pose d’un poteau pour supporter le portail existant, lequel repose actuellement directement sur le mur de leur immeuble.
. Concernant le pignon de l’atelier :
‘Soit habillage intérieur du mur et du versant de couverture concernée en ajoutant un matelas de laine de verre sur l’ensemble de la surface du faux plafond puis un habillage intérieur du mur par un placo laine.
‘ Soit un habillage extérieur du mur et du versant de couverture concernée en installant un isolant acoustique sur les parois verticales et surtout sur la couverture en tôles Eternit.
-Juger que ces travaux devront être réalisés dans les 4 mois de la signification de la présente décision, et sous peine d’astreinte d’un montant de 100 euros par jour de retard.
-Condamner la Sarl Broderies Langlet à leur verser une somme globale de 9 600 euros (soit 200 euros par mois de préjudice) en réparation de leur préjudice de jouissance.
-Condamner la Sarl Broderies Langlet à leur verser une somme globale de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral.
Y ajoutant,
-Condamner la Sarl Broderies Langlet à leur verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
-Condamner la Sarl Broderies Langlet aux entiers dépens de l’instance d’appel.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l’exposé de leurs prétentions et moyens.
Par ordonnance du 7 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture et renvoyé l’affaire pour plaidoiries à l’audience du 1er décembre 2022.
CECI EXPOSE, LA COUR,
Sur les troubles anormaux de voisinage et la demande de réalisation de travaux :
En application de l’article 544 du code civil, la propriété est le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements.
Ce droit est cependant limité par l’obligation de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage: tout voisin lésé peut demander réparation tant à l’auteur des troubles qu’au propriétaire de l’immeuble d’où proviennent les trouble, ce dernier, responsable de plein droit, ne pouvant s’exonérer que par la force majeure.
Il revient aux juridictions du fond d’apprécier si les troubles invoqués dépassent les inconvénients normaux du voisinage et de rechercher s’il s’agit d’inconvénients excessifs compte tenu de l’environnement local, caractérisé par le mode normal de vie et d’activité du secteur concerné.
Par ailleurs, l’article L 112-16 du code de la construction et de l’habitation dans sa rédaction applicable au présent litige dispose que les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou lorsque l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail a été établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions.
L’antériorité de l’activité industrielle occasionnant des nuisances n’exonère pas son auteur de sa responsabilité à1’égard des voisins si cette activité n’est pas exercée en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires.
En l’espèce, l’activité de la Sarl Broderies Langlet exploitait un atelier de broderies, générant des bruits provoqués par les métiers à tisser en activité, atelier préexistant à l’acquisition par Mme [M] [B] et M. [X] [F] [K] de l’immeuble situé à proximité de l’atelier.
Les mesures acoustiques effectuées par l’expert 16 avril 2018 ont révélé au niveau de la salle de bains située à l’étage de l’immeuble, d’une part une émergence globale non conforme et d’autre part une émergence spectrale non conforme sur trois fréquences.
Ainsi nonobstant l’antériorité de l’installation de la Sarl Broderies Langlet, les activités de l’atelier de broderies qu’elle exploite dans l’immeuble voisin de celui qu’occupent Mme [M] [B] et M. [X] [F] [K] n’est donc pas exercée en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur.
La Sarl Broderies Langlet ne peut donc utilement se prévaloir des dispositions de l’article L 112-16 du code de la construction et de l’habitation pour s’exonérer de sa responsabilité.
L’expertise judiciaire a en outre révélé qu’en aucune manière les travaux réalisés par Mme [M] [B] et M. [X] [F] [K] n’ont été susceptibles de dégrader l’isolement acoustique de leur habitation, mais qu’au contraire ces travaux ont augmenté l’isolation acoustique des murs et des fenêtres.
Tant le rapport d’expertise judiciaire que le constat d’huissier du 13 juillet 2016 et les attestations de témoins produites établissent l’existence d’une gène occasionnée par des bruits et des vibrations réguliers provenant de l’atelier exploité par la Sarl Broderies Langlet.
Il est donc établi que les nuisances sonores qu’ils subissent portent atteinte à la tranquillité de Mme [B] et de M. [X] [F] [K] et sont constitutives d’un trouble anormal du voisinage, peu importe que leurs prédécesseurs ou d’autres voisins ne s’en soient jamais plaints.
Cependant les attestations versées aux débats par la Sarl Broderies démontrent que l’activité de broderie de la société a été arrêtée au plus tôt en octobre 2018 et au plus tard en mars 2019 que les locaux de la Sarl Broderies Langlet ont été mis en vente ce qui a mis fin au trouble causé à Mme [M] [B] et M. [X] [F] [K]. Le fait que Mme [G] indique entendre certains soirs depuis le 19 novembre 2021 ‘un léger bruit ..provenant du bâtiment, ressemblant à des vibrations …2-3 fois par semaine’ est insuffisant pour établir que les troubles auparavant constatés ont repris.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a retenu l’existence d’un trouble anormal de voisinage mais a rejeté la demande de réalisation de travaux aux fins de cessation des troubles.
– Sur le préjudice de jouissance :
Il résulte de ce qui précède que Mme [B] et de M. [X] [F] [K] ont subi un trouble anormal de voisinage en raison de nuisances sonores qui se sont arrêtées au plus tôt en octobre 2018 et au plus tard en mars 2019.
Toutefois, le rapport d’expertise a mis en évidence que ces nuisances étaient circonscrites à la salle de bains de l’immeuble qu’occupent Mme [M] [B] et M. [X] [F] [K], étant précisé que l’expert n’a constaté ni vibrations associées ni fissures.
C’est donc à juste titre que le premier juge, dont la décision sera confirmée sur ce point, a condamné la Sarl Broderies Langlet à payer à Mme [M] [B] et à M. [X] [F] [K] la somme de 1 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance.
– Sur le préjudice moral :
Il est incontestable que le fait de subir des nuisances sonores excédant les inconvénients normaux du voisinage ont généré un préjudice moral.
Compte tenu des justificatifs médicaux produits qui démontrent l’état dépressif engendré par ses nuisances, c’est également à juste titre que le premier juge, dont la décision sera confirmée sur ce point, a condamné la Sarl Broderies Langlet à payer à Mme [M] [B] et à M. [X] [F] [K] la somme de 2 000 euros en réparation de leur préjudice moral.
Sur les demandes reconventionnelles :
Le fait de se plaindre de nuisances sonores dont la réalité a été ci-dessus démontrée, ne saurait s’analyser en une intention de nuire.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté la Sarl Broderies Langlet de sa demande en paiement de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice moral de ce chef.
Par ailleurs, la Sarl Broderies Langlet ne produit aucun élément démontrant une faute de Mme [M] [B] et de M. [X] [F] [K] susceptible de justifier que lui soit allouer un préjudice économique dont la réalité n’est pas démontrée.
Le jugement sera donc également confirmé en ce qu’il a débouté la Sarl Broderies Langlet de sa demande de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La Sarl Broderies Langlet succombant, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée aux dépens de première instance en ce compris le coût de l’expertise judiciaire et de la condamner aux dépens d’appel. ;
L’équité commandant de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur de Mme [M] [B] et à M. [X] [F] [K], il convient de leur allouer de ce chef pour la procédure d’appel la somme de 2500 euros pour la procédure d’appel et de confirmer le jugement en ce qu’il leur a accordé à ce titre la somme de 2000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort :
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Condamne la Sarl Broderies Langlet à payer à Mme [M] [B] et à M. [X] [F] [K] la somme de 2500 euros par application en appel des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs plus amples demandes ;
Condamne la Sarl Broderies Langlet aux dépens d’appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE