Troubles du voisinage : 17 janvier 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/00690

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Troubles du voisinage : 17 janvier 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/00690
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 17 JANVIER 2023

BV

N° RG 20/00690 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LOI3

[N] [L]

[O] [I] épouse [L]

c/

[F] [A]-[P], décédé,

[Z], [V], [Y] [D] épouse [A]-[P]

[G] [R] [A]-[P]

[M] [A]-[P]

[B] [A]

S.A.R.L. FUBERIA

Nature de la décision : AU FOND

JONCTION AVEC DOSSIER RG 20/00864

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 03 décembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 7, RG : 18/11408) suivant deux déclarations d’appel du 07 février 2020 (RG : 20/00690) et du 17 février 2020 (RG : 20/00864)

APPELANTS :

[N] [L]

né le [Date naissance 4] 1951 à [Localité 28]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 6]

[O] [I] épouse [L]

née le [Date naissance 3] 1944 à [Localité 23]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 6]

représentés par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Thomas RIVIERE de l’AARPI RIVIERE – DE KERLAND, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[F] [A]-[P]

né le [Date naissance 2] 1937 à [Localité 18] (MAROC)

décédé le [Date décès 11] 2020 à [Localité 24] (24)

[Z], [V], [Y] [D] épouse [A]-[P], prise en son nom personnel et en qualité d’héritière de M. [F] [A]-[P], décédé le [Date décès 11] 2020 à [Localité 24] (24)

née le [Date naissance 7] 1946

demeurant [Adresse 21] (ALLEMAGNE)

[G] [R] [A]-[P], prise en qualité d’héritière de M. [F] [A]-[P], décédé le [Date décès 11] 2020 à [Localité 24] (24)

née le [Date naissance 9] 1966

demeurant [Adresse 19]

[M] [A]-[P], prise en qualité d’héritière de M. [F] [A]-[P], décédé le [Date décès 11] 2020 à [Localité 24] (24)

née le [Date naissance 8] 1971

demeurant [Adresse 19]

[B] [A], pris en qualité d’héritier de M. [F] [A]-[P], décédé le [Date décès 11] 2020 à [Localité 24] (24)

né le [Date naissance 1] 1983

demeurant [Adresse 15]

S.A.R.L. FUBERIA, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 20]

représentés par Maître Camille VALDES de la SCP KAPPELHOFF – LANCON – VALDES, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 22 novembre 2022 en audience publique, devant la cour composée de :

Roland POTEE, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Les époux [L] ont obtenu le 8 avril 2015 un permis désormais purgé de tout recours de construire une extension de leur villa sise [Adresse 13] à [Localité 25], sur un terrain qui jouxte la propriété de la SARL Fuberia, [Adresse 12] à [Localité 25], propriété de famille héritée de la mère de Mme [A]-[P].

Se plaignant des nuisances générées par cette construction, en raison de vues plongeantes sur le jardin et la villa ainsi que de la perte partielle du panorama sur le bassin d’Arcachon avec diminution de l’ensoleillement, la SARL Fuberia et les époux [A]-[P] ont, par acte d’huissier du 20 décembre 2018, saisi le tribunal de grande instance de Bordeaux d’une action indemnitaire dirigée contre les époux [L] sur le fondement de l’article 544 du code civil et de la théorie du trouble anormal de voisinage.

Par jugement du 3 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

– rejeté la fin de non recevoir tenant au défaut d’intérêt à agir et déclaré les demandes recevables,

– débouté la SARL FUBERIA, M. [F] [A]-[P] et Mme [Z] [A]-[P] de leur demande en démolition sous astreinte,

– ordonné, avant dire droit, une mesure d’expertise confiée à :

M. [S] [U], [Adresse 5] avec mission pour lui de :

‘ convoquer et entendre les parties,

‘ se rendre sur place, [Adresse 12] au [Localité 25]

‘ visiter les lieux et les décrire,

‘ se faire communiquer, dans le délai qu’il estimera utile de fixer, tous documents et pièces qu’il jugera nécessaires à l’exercice de sa mission, et tous les éléments propres à établir les rapports entre les parties,

‘ donner tous les éléments permettant d’apprécier si les maisons en première ligne implantées dans le voisinage immédiat disposent de manière habituelle de vues droites et obliques sur les immeubles voisins en précisant si celles-ci sont le résultat de construction d’origine ou de modifications ultérieures du bâti,

‘ se faire communiquer le cahier des charges du lotissement,

‘ donner tous éléments utiles permettant d’apprécier les vues dont dispose désormais l’immeuble [L]([Adresse 13]) sur l’immeuble appartenant à la SARL FUBERIA ([Adresse 12]),

‘ fournir tous les éléments utiles permettant d’évaluer l’ampleur de la diminution des vues des occupants de la villa propriété de la SARL FUBERIA sur le Bassin d'[Localité 16] et la dune du [Localité 25]

‘ donner tous éléments relatifs à la perte d’ensoleillement de la villa FUBERIA et proposer une évaluation de la perte de valeur subie par la villa FUBERIA en raison de la construction nouvelle des époux [L],

‘ dit que l’expert pourra se faire assister d’un sapiteur géomètre-expert notamment afin de prendre des mesures de hauteur, largeur, profondeur et angles de vue.

‘ donner au juge tous éléments techniques et de fait de nature à lui permettre de déterminer la nature et l’importance des préjudices subis par les demandeurs,

‘ constater l’éventuelle conciliation des parties sans manquer dans ce cas d’en aviser le juge chargé du contrôle des expertises,

‘ faire toutes observations utiles au règlement du litige,

‘ établir un pré-rapport comportant devis et estimations chiffrées et, deux mois avant la date prévue pour le dépôt du rapport définitif, le communiquer aux parties en leur enjoignant de formuler, dans le délai d’un mois suivant cette communication, leurs observations et dires récapitulatifs.

– rappelé que, en application de l’article 276 du code de procédure civile, l’expert ne sera pas tenu de prendre en compte les observations et dires écrits fait après l’expiration de ce délai.

– rappelé que, en application de l’article 276 du code de procédure civile, les observations et dires précédents dont les termes ne seraient pas sommairement repris dans les dires récapitulatifs, seront réputés abandonnée par les parties.

– dit n’y avoir lieu à ce stade de la procédure de donner à l’expert de plus amples chefs de mission.

– en cas d’urgence ou de péril en la demeure constatée par l’expert, autorisé la partie demanderesse à faire procéder, à ses frais avancés et pour le compte de qui il appartiendra, les travaux jugés nécessaires par l’expert, et ce, par des entreprises spécialisées de son/leur choix et sous le contrôle d’un maître d”uvre de son/leur choix.

– dit que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile.

– dit que l’expert devra remplir personnellement la mission qui lui est confiée et répondre point par point et de façon claire, concise mais argumentée à chacune des questions qui lui sont posées.

– dit que l’expert devra préciser dans son rapport qu’il a donné un exemplaire de son rapport aux parties par lettre recommandée avec accusé de réception.

– dit que l’expert devra prendre en considération les observations et déclarations des parties en précisant la suite qui leur aura été donnée.

– précisé à cet égard que les dires des parties et les réponses faites par l’expert à ces dernières devront figurer en annexe du rapport d’expertise.

– rappelé à cet égard aux parties que les dires doivent concerner uniquement les appréciations techniques et que l’expert ne peut être saisi de questions de nature purement juridique.

– dit que l’expert ne pourra recueillir l’avis d’un autre technicien que dans une spécialité distincte de la sienne, et qu’il pourra recueillir des informations orales ou écrites de toutes personnes, sauf à ce que soient précisés leur nom, prénom, adresse, et profession ainsi que, s’il y a lieu, leur lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêt avec elles.

– dit que l’expert devra, en cas de difficultés, en référer au magistrat chargé du contrôle des expertises.

– invité l’expert à établir un état prévisionnel du coût de l’expertise, à le communiquer au magistrat chargé du contrôle et aux parties dès le commencement de sa mission, au plus tard, dans le mois suivant la première réunion d’expertise.

– dit que si l’expert entend, au cours de ces opérations, solliciter une consignation complémentaire, il devra en communiquer le montant au juge chargé du contrôle des expertises, et ce, après avoir 15 jours auparavant consulté au préalable les parties qui devront elles-mêmes communiquer à l’expert et au juge chargé du contrôle des expertises leurs observations dans les 10 jours suivant réception de cette information.

– dit qu’à l’occasion du dépôt de son rapport d’expertise définitif, l’expert devra, 10 jours avant d’en faire la demande auprès du magistrat chargé du contrôle des expertises, communiquer l’évaluation définitive de ses frais et honoraires aux parties, et ce, afin de permettre à ces dernières de formuler toutes observations utiles auprès du juge chargé du contrôle des expertises.

– dit que l’expert devra déposer son rapport en deux exemplaires au greffe du tribunal de grande instance, dans le délai de 6 mois suivant la date de la consignation, sauf prorogation accordée par le magistrat chargé du contrôle des expertises, et ce, sur demande présentée avant l’expiration du délai fixé.

– dit qu’il appartiendra à l’expert d’adresser un exemplaire de son rapport à la demande du greffier de la juridiction du fond (par voie électronique ou sur support papier).

– dit qu’il sera remis à l’expert une copie du jugement par le greffe de la juridiction de fond.

– dit que la SARL FUBERIA et les époux [A]-[P] devront consigner au greffe du tribunal de grande instance de Bordeaux, dans les deux mois du prononcé de la décision, la somme de 5.000 € à valoir sur la rémunération de l’expert, sans autre avis du greffe à peine de caducité de la mesure d’instruction.

– dit que le demandeur ne versera pas de consignation s’il justifie bénéficier de l’aide juridictionnelle, les frais étant alors avancés par le trésor public.

– dit que faute par le demandeur d’avoir consigné cette somme et d’avoir fourni des explications au juge sur le défaut de consignation dans le délai prescrit, la décision ordonnant l’expertise deviendra caduque.

– dit que l’expert qui souhaite refuser sa mission en informera le service des expertises dans les 15 jours suivant la notification de la décision, sans autre avis du greffe.

– dit que l’expert pourra commencer ses opérations sur justification du récépissé du versement de la provision délivrée par le régisseur à la partie consignataire, à moins que le magistrat chargé du contrôle lui demande par écrit de le commencer immédiatement en cas d’urgence.

– désigné le juge de la mise en état chargé du contrôle des expertises pour suivre le déroulement de la présente mesure d’instruction.

– dit que l’affaire sera rappelée à l’audience de mise en état du 26 juin 2020,

– dit qu’il est sursis à statuer sur les demandes, y compris en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens.

Les époux [L] ont relevé appel de ce jugement par déclarations des 7 et 17 février 2020, les deux instances ont été jointes.

M. [F] [A]-[P] est décédé le [Date décès 11] 2020. Son épouse et ses trois enfants ont repris l’instance en leur qualité d’héritiers.

Par conclusions déposées le 12 novembre 2020, les époux [L] demandent à la cour de :

– réformer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bordeaux le 3 décembre 2019, en ce qu’il a :

* rejeté la fin de non-recevoir tenant au défaut de qualité et d’intérêt à agir et à l’irrecevabilité des demandes des consorts [A]-[P] et de la Sarl Fuberia,

* déclaré les demandes de la SARL Fuberia et des consorts [A]-[P] recevables,

* avant dire droit, ordonné une mesure d’expertise,

* prononcé le sursis à statuer sur les demandes, y compris en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens et rejeté les demandes des époux [L] tendant à :

– au fond, voir dire et juger que l’extension litigieuse n’est ni illégale ni illicite et que le cahier des charges du lotissement constitue toujours actuellement un lien contractuel entre les colotis,

– juger qu’il n’existe aucun trouble anormal de voisinage causé à la Sarl Fuberia ni aux consorts [A] [P] par l’agrandissement de la villa située [Adresse 13] à [Adresse 26], Commune de [Localité 22],

– voir rejeter toutes les demandes de la Sarl Fuberia et des consorts [A] [P],

– voir débouter la Sarl Fuberia et les consorts [A] [P] de toutes leurs demandes,

– voir très subsidiairement limiter à 5.000 € l’indemnisation de la Sarl Fuberia dans le cas où le tribunal estimerait qu’il existe un très léger trouble anormal de voisinage indemnisable,

– voir rejeter la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– voir condamner la Sarl Fuberia et les époux [A] [P] à payer une indemnité fondée sur l’article 700 à hauteur de 10.000 € ainsi que les entiers dépens.

* rejeté la demande subsidiaire des époux [L] tendant à voir compléter la mission de l’Expert et en ce qu’il a donné pour mission à l’Expert de :

– donner tous les éléments permettant d’apprécier si les maisons en première ligne implantées dans le voisinage immédiat disposent de manière habituelle de vues droites et obliques sur les immeubles voisins, en précisant si celles-ci sont le résultat de constructions d’origine ou de modifications ultérieures du bâti,

– donner tous éléments utiles permettant d’apprécier les vues dont dispose désormais l’immeuble [L] ([Adresse 13]) sur l’immeuble appartenant à la Sarl Fuberia ([Adresse 12]),

– fournir tous les éléments utiles permettant d’évaluer l’ampleur de la diminution des vues des occupants de la villa propriété de la Sarl Fuberia sur le Bassin d'[Localité 16] et la Dune du [Localité 25],

– donner tous éléments relatifs à la perte d’ensoleillement de la villa FUBERIA et proposer une évaluation de la perte de valeur subie par la villa FUBERIA en raison de la construction nouvelle des époux [L],

– donner au juge tous éléments techniques et de fait de nature à lui permettre de déterminer la nature et l’importance des préjudices subis par les demandeurs,

– confirmer le jugement rendu le 3 décembre 2019 en ses autres dispositions,

– débouter les Consorts [A]-[P] et la SARL Fuberia de toutes leurs demandes et de leur appel incident.

Statuer à nouveau et en conséquence,

– juger que les demandes des Consorts [A]-[P] et de la Sarl Fuberia sont irrecevables par application des articles 31 et 32 du code de procédure civile ;

En tout état de cause au fond :

– juger que l’extension litigieuse n’est ni illégale ni illicite ;

– juger que le cahier des charges du lotissement constitue toujours actuellement un lien contractuel entre les colotis ;

– juger qu’il n’existe aucun trouble anormal de voisinage causé à la Sarl Fuberia ni au Consorts [A]-[P] par l’agrandissement de la villa des époux [L], située [Adresse 13], à [Adresse 26], commune de [Localité 22] ;

– débouter tant la Sarl Fuberia que les Consorts [A]-[P] de l’intégralité de leurs demandes ;

– très subsidiairement, limiter à 5.000€ l’indemnisation de la Sarl Fuberia dans le cas où la Cour estimerait qu’il existe un très léger trouble anormal de voisinage indemnisable ;

– encore plus subsidiairement, si par extraordinaire, la Cour devait confirmer la mesure d’expertise, compléter la mission de l’Expert, ainsi qu’il suit :

– Se faire remettre et analyser les dispositions du Cahier des charges du lotissement,

– Rechercher et décrire le niveau d’urbanisation de l'[Adresse 17] et de son quartier, la densification du bâti et de l’urbanisme dans ce quartier, l’implantation des 26 villas de bord de mer par rapport au domaine maritime,

– Décrire l’évolution du bâti et de l’urbanisation,

* L’existence d’un étage, de fenêtres ou porte fenêtres avec balcon ou terrasse sur toutes les façades de toutes les maisons du quartier,

* Les vues réciproques existantes de jardin à jardin, de maison à maison, de maison à jardin et de jardin à maison pour chacune des propriétés du quartier,

* Les vues réciproques existantes de jardin à jardin, de maison à maison, de maison à jardin et de jardin à maison entre les fonds de n°42 et 44 [Adresse 17], lieu du litige, ainsi que la situation surélevée du n°42 et la situation non centrée sur son terrain des constructions du n°42, mais anormalement proche de son voisin du n°44 ;

– Réaliser l’étude de l’ensoleillement et de l’éclairement en vue de déterminer s’il y a création d’une gêne consécutivement à la réalisation de la construction.

Le tout afin de permettre à la juridiction d’apprécier l’existence ou l’absence de trouble anormal de voisinage excédant les troubles normaux de voisinage dans l'[Adresse 17], envers la Sarl Fuberia et M. et Mme [A]-[P] au regard des circonstances de temps et de lieu caractérisant ce lotissement disposant d’un cahier des charges toujours actuel entre colotis, et pour le cas où il existerait un trouble anormal, d’en apprécier la valeur indemnitaire.

– Se faire communiquer tous documents permettant de déterminer en quelle qualité d’occupants Monsieur et Madame [A]-[P] agissent pour revendiquer un droit à indemnisation d’un préjudice.

– Se faire communiquer tous documents justifiant de la valeur du bien telle que déclarée auprès de l’Administration fiscale (ISF et IFI de 2015) à ce jour, par M. et Mme [A]-[P], afin de permettre à la juridiction à la fois de déterminer en quelle qualité ils agissent pour revendiquer un droit à indemnisation d’un préjudice et apprécier la valeur vénale du bien.

– condamner in solidum la Sarl Fuberia et les Consorts [A]-[P] à payer aux époux [L] une somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la Sarl Fuberia in solidum avec les Consorts [A]-[P] aux dépens distraits au profit de LEXAVOUE Maître Fonrouge Avocat,

Par conclusions déposées le 24 juillet 2020, la SARL Fuberia, Mme [Z] [A]-[P], Mme [G] [A]-[P], Mme [M] [A]-[P] et M. [B] [A] (les consorts [A]-[P]) demandent à la cour de :

– confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 3 décembre 2019 en ce qu’il a déclaré recevable à agir la SARL FUBERIA et les consorts [A]-[P] en réparation de leurs préjudices et en ce qu’il a reconnu la responsabilité des époux [L] pour trouble anormal de voisinage,

– confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 3 décembre 2019 en ce qu’il a ordonné, avant dire droit, une expertise

– recevant la SARL FUBERIA en son appel incident,

– réformer le jugement en ses autres dispositions

A titre principal :

– ordonner la démolition de la construction édifiée par les époux [L] sur leur parcelle cadastrée section BR n°[Cadastre 10], située [Adresse 13] à [Localité 22], autorisée par permis de construire du 8 avril 2015 et ce, sous une astreinte définitive de 500 € par jour de retard,

A titre subsidiaire :

– condamner in solidum les époux [L] à payer la somme de 580.000 € de dommages et intérêts à la SARL FUBERIA.

– condamner in solidum les époux [L] à payer la somme de 50.000 € aux consorts [A]-[P] à titre de dommages et intérêts, en réparation de leur trouble de jouissance.

En toute hypothèse :

– condamner les époux [L] à payer à la SCI la SARL FUBERIA en cause d’appel la somme de 5000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

– condamner les époux [L] à payer aux consorts [A]-[P] la somme de 5000€ sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

– condamner les époux [L] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP Kappelhoff-Lançon Thibaud Valdés en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 22 novembre 2022.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 8 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 – Sur la recevabilité des demandes de la SARL Fuberia et des consorts [A]-[P]

Les époux [L] reprochent aux premiers juges d’avoir déclaré la SARL Fuberia et les consorts [A]-[P] recevables en leur action alors qu’ils invoquent leur défaut de qualité et d’intérêt à agir.

1.1 – Sur l’intérêt à agir de la SARL Fuberia

Les époux [L] soulèvent le défaut d’intérêt à agir de la SARL Fuberia au motif qu’elle n’est pas occupante de l’immeuble dont elle est propriétaire et dont elle assure l’exploitation commerciale par le biais de locations meublées saisonnières. Ils soutiennent qu’à défaut d’occuper personnellement les lieux, la SARL Fuberia ne peut revendiquer l’existence d’un trouble anormal du voisinage et ne justifie d’aucune perte d’exploitation.

Comme le souligne toutefois justement la SARL Fuberia, celle-ci sollicite la réparation, non pas d’un préjudice d’exploitation, mais d’un préjudice lié à la perte de valeur vénale du bien dont elle est propriétaire du fait de la construction réalisée par les époux [L].

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu’il retient qu’en application de l’article 31 du code de procédure civile, la SARL Fuberia est recevable à agir en réparation de la perte de valeur du bien qu’elle subit.

1.2 – Sur la qualité à agir des consorts [A]-[P]

Les époux [L] soulèvent le défaut de qualité à agir des consorts [A]-[P] au motif qu’ils ne sont pas occupants de l’immeuble propriété de la SARL Fuberia.

Les consorts [A]-[P] relèvent toutefois à juste titre qu’en leur qualité d’associés de la SARL Fuberia, ils disposent, en vertu des statuts de celle-ci, d’un droit de jouissance de la villa lorsque celle-ci n’est pas louée.

Leur droit à agir étant suffisamment établi, le jugement ayant rejeté la fin de non-recevoir sera confirmé de ce chef.

2 – Sur l’existence d’un trouble anormal du voisinage

La SARL Fuberia et les consorts [A]-[P] estiment que la construction des époux [L] crée des vues directes et plongeantes sur leur propriété et obstrue de manière définitive et permanente la vue latérale dont ils bénéficiaient sur le bassin d'[Localité 16], ce qui constituent selon eux des troubles anormaux du voisinage entraînant une dépréciation de la valeur vénale du bien et un trouble de jouissance.

Le droit reconnu au propriétaire par l’article 544 du code civil de jouir de son bien de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par les lois ou les règlements, trouve sa limite dans l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.

Il appartient à celui qui se prétend victime d’un trouble anormal du voisinage d’en rapporter la preuve.

Il s’agit d’une responsabilité objective, fondée sur la constatation du dépassement d’un seuil de nuisance sans qu’il soit nécessaire d’imputer celui-ci à une faute ou à l’inobservation d’une disposition législative ou réglementaire.

Il est admis que le respect des dispositions légales et des règles d’urbanisme n’exclut pas l’existence éventuelle de troubles excédants les inconvénients normaux du voisinage et que le caractère anormal d’un trouble de voisinage doit s’apprécier in concreto en tenant compte des circonstances de temps et de lieu.

2.1 – Sur les vues directes et plongeantes depuis la propriété des époux [L]

La SARL Fuberia et les consorts [A]-[P] allèguent de vues directes et gênantes depuis la construction des époux [L].

Ces derniers opposent que nul ne dispose d’un droit à une absence de vue directe sur son fonds ; que l’agrandissement de leur villa, licite au regard du PLU et respectant les dispositions du cahier des charges du lotissement, était prévisible et n’entraine aucune perte d’ensoleillement ni de vue anormale sur la propriété voisine ; que les vis-à-vis sont d’usage dans ce lotissement et résultent de la configuration des lieux et de sa situation dans un quartier urbain ainsi que de l’application du cahier des charges ; qu’il n’existe en conséquence aucun trouble anormal de voisinage.

Sur ce,

Il ressort des pièces produites que courant 2016 et suivant permis de construire accordé en avril 2015, les époux [L] ont construit sur leur fonds, sous la forme administrative d’une extension, un second bâtiment indépendant de la villa d’origine implantée côté rue, ce nouveau bâtiment étant édifié entre cette première villa et la plage, à moins de quatre mètres de la ligne divisoire avec la propriété de la SARL Fuberia.

Les fonds concernés sont situés en ‘première ligne’ dans le [Adresse 27] à [Localité 22], zone résidentielle particulièrement recherchée en raison d’une vue dégagée sur l’ensemble du bassin d'[Localité 16], de la présence d’une plage de sable fin directement accessible depuis le jardin, de vastes parcelles de jardin arboré et paysagé pour les propriétés concernées et voisines, les photographies et vues aériennes produites montrant que ce secteur est construit sous forme d’un habitat individuel à usage de villégiature.

Or, la construction édifiée par les époux [L], d’une hauteur de 7,27 mètres, dispose d’ouvertures latérales de taille imposante pratiquées du sol au toit ainsi qu’une façade constituée intégralement (rez-de-chaussée et R+1) de baies vitrées.

Si les intimés ne bénéficient certes pas d’un droit acquis de nature à empêcher toute construction sur le fonds voisin, il est manifeste que, pour légal qu’il soit au regard des règles d’urbanisme et du cahier des charges du lotissement, ce nouveau bâtiment a eu pour effet de créer des vues plongeantes et directes qui n’existaient pas auparavant sur le jardin et la terrasse de la propriété de la SARL Fuberia ainsi que sur une partie de sa villa (salle de bains du premier étage et salon du rez-de-chaussée).

Il est en effet désormais possible, sans contorsion ni effort quelconque, d’observer la vie quotidienne des occupants de la propriété de la SARL Fuberia, sans aucun égard pour leur intimité et leur vie privée.

Ces éléments excèdent notablement les inconvénients usuels imposés par la proximité des constructions en zone balnéaire et portent significativement atteinte à l’intimité des occupants.

L’existence d’un trouble anormal de voisinage imputable aux époux [L] du fait de la création de vues directes et obliques sur la propriété voisine est ainsi démontrée, aucune perte d’ensoleillement n’étant en revanche établie.

2.2 – Sur la perte de vue latérale sur la bassin d'[Localité 16]

La SARL Fuberia et les consorts [A]-[P] font valoir que la construction des époux [L] obstrue définitivement la vue panoramique et exceptionnelle dont ils jouissaient jusqu’alors sur le bassin d'[Localité 16].

Les époux [L] contestent l’existence d’un tel trouble anormal du voisinage, faisant valoir qu’ils disposent, à l’instar de tous les colotis, d’un droit à une vue sur mer. Ils exposent qu’ils ont construit une extension, légalement autorisée, dans le but de bénéficier de cette vue alors qu’ils étaient jusqu’ici ‘coincés’ entre les deux maisons voisines construites très en avant d’elle. Ils indiquent que nul ne dispose d’un droit acquis à une vue permanente totalement dégagée, surtout en milieu urbain, et que la construction d’une extension dans le lotissement était prévisible puisqu’il existe un droit à construire des propriétaires dans le lotissement dans la limite extérieure aux 25 mètres du bord de mer. Ils ajoutent que la SARL Fuberia n’est pas fondée à reprocher à son voisin un trouble qu’elle a elle-même infligée auparavant puisqu’elle leur a caché la vue latérale du bassin pendant des années. Enfin, ils soulignent qu’il n’a jamais existé d’obligation d’alignement des villas entre elle.

Sur ce,

Il est constant que la villa de la SARL Fuberia bénéficiait avant les travaux exécutés sur le fonds voisin d’une vue d’exception sur le bassin d'[Localité 16], à 180 degrés.

Compte tenu de la végétation du jardin du bien sis [Adresse 14] et notamment de la présence d’une haie, ce panorama n’était toutefois visible que depuis le premier étage de la maison de la SARL Fuberia.

Si celle-ci bénéficie toujours d’une vue pleine et directe face au bassin ainsi que d’une très large vue latérale droite, il est exact que la construction édifiée par les époux [L] occasionne une perte de vue partielle depuis l’étage et affecte la vue latérale gauche en direction du sud dissimulant ainsi une partie du paysage,

Cependant, aucune disposition ne garantit au propriétaire d’un fonds la permanence d’une vue lointaine sur l’horizon à travers le fonds de son voisin.

La SARL Fuberia ne peut ainsi se prévaloir d’un droit acquis imprescriptible à conserver une vue, laquelle peut être remise en cause au gré des nouvelles constructions,

Tel est le cas en l’espèce, l’extension litigieuse ayant été réalisée dans le strict respect des règles de l’urbanisme et du cahier des charges du lotissement autorisant les constructions jusqu’à 25 mètres du rivage, de sorte que le caractère imprévisible de la construction de l’immeuble voisin n’est pas établi.

Aucun trouble anormal de voisinage du chef de la perte de vue latérale n’étant démontré, il y a lieu de l’écarter.

3- Sur le préjudice

La SARL Fuberia sollicite la somme de 580.000 euros à titre de dommages et intérêts pour trouble anormal de voisinage résultant de la diminution de valeur vénale du bien liée à la perte de vue sur le bassin d'[Localité 16]. Compte tenu de ce qui a été jugé ci-avant, il convient de rejeter la demande en ce sens.

Les consorts [A]-[P] font valoir quant à eux un trouble de jouissance lié aux vues plongeantes et directes sur la propriété appartenant à la SARL Fuberia. Il a été vu précédemment que la construction nouvelle créait des vues directes et obliques sur la propriété voisine, portant atteinte à l’intimité et à la vie privée de leurs occupants. Au regard du préjudice subi, la destruction de la construction apparaît disproportionnée et ne saurait être valablement ordonnée. En revanche, il sera fait droit à leur demande subsidiaire de 50.000 euros de dommages et intérêts, étant observé qu’il n’y a pas lieu d’ordonner une expertise pour l’évaluation du préjudice résultant du seul trouble anormal retenu par la cour, celui résultant de la création de vues depuis la propriété des époux [L], pour lequel la cour dispose d’éléments suffisant d’appréciation.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

4- Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Partie succombante, les époux [L] supporteront les dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit de la SCP Kappelhoff-Lançon Thibaud Valdès en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Selon l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, les époux [L] seront condamnés à payer aux consorts [A]-[P], ensemble, la somme de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir tenant au défaut d’intérêt à agir et déclaré les demandes de la SARL Fuberia et des consorts [A]-[P] recevables,

Statuant à nouveau dans cette limite,

Condamne in solidum les époux [L] à payer à Mme [Z] [A]-[P], Mme [G] [A]-[P], Mme [M] [A]-[P] et M. [B] [A], ensemble, la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur trouble de jouissance,

Rejette la demande d’expertise,

Déboute la SARL Fuberia de ses demandes,

Condamne in solidum les époux [L] à payer à Mme [Z] [A]-[P], Mme [G] [A]-[P], Mme [M] [A]-[P] et M. [B] [A], ensemble, la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum les époux [L] aux dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit de la SCP Kappelhoff-Lançon Thibaud Valdès en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Rejette toutes demandes plus amples ou contraires des parties.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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