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BR/CD
Numéro 23/00950
COUR D’APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 14/03/2023
Dossier : N° RG 21/01500 – N° Portalis DBVV-V-B7F-H3PD
Nature affaire :
Demande relative à une servitude de distance pour les plantations et constructions
Affaire :
[G] [Y],
[M] [N] [U]
épouse [Y]
C/
[H], [Z] [S]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 14 Mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 16 Janvier 2023, devant :
Madame REHM, Magistrate honoraire, chargée du rapport,
assistée de Madame HAUGUEL, greffière présente à l’appel des causes,
Madame [X], en application des articles 805 et 907 du code de procédure civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame FAURE, Présidente
Madame ROSA-SCHALL, Conseillère
Madame REHM, Magistrate honoraire
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTS :
Monsieur [G] [Y]
né le 30 mars 1943 à Paris
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 5]
Madame [M] [N] [U] épouse [Y]
née le 17 avril 1945 à Laluque
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentés et assistés de Maître DE GINESTET de la SELARL DE GINESTET DE PUIVERT, avocat au barreau de DAX
INTIMEE :
Madame [H], [Z] [S]
née le 06 mai 1951 à Paris
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée et assistée de Maître CHABRIER-REMBERT, avocat au barreau de DAX
sur appel de la décision
en date du 16 MARS 2021
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE DAX
RG numéro : 11-19-000343
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte reçu le 27 décembre 2000 par Maître [W] [B], Notaire à [Localité 10] (40), Madame [F] [E] veuve [U] et Madame [M] [U] épouse [Y] ont vendu à Madame [H] [S], un immeuble sis à [Localité 9] (40), lieu-dit ‘[Localité 11]’ dénommé ‘Guinée’ comprenant une maison à usage d’habitation, très ancienne et à rénover avec terrain autour, figurant au cadastre rénové de la commune section A n° [Cadastre 4] et [Cadastre 1].
Cette maison qui constitue pour Madame [H] [S] une résidence secondaire, est voisine de la propriété des venderesses, cadastrée section A n° [Cadastre 7], qui appartient désormais à Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y] et dont elle est séparée par une allée dénommée [Adresse 8].
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 21 mars 2017 adressé aux époux [Y], Madame [H] [S] s’est plainte des nuisances provoquées par un platane situé sur leur propriété et dont les branches surplombant sa maison génèrent des dégradations au niveau de la toiture, les feuilles s’accumulant sur le toit et bouchant les gouttières et elle leur a demandé de faire le nécessaire pour mettre fin à ces nuisances en faisant élaguer cet arbre.
Aucune réponse n’ayant été faite à ce courrier par les époux [Y], Madame [H] [S] a renouvelé sa demande par pli recommandé avec accusé de réception du 04 octobre 2017 sans plus de succès.
Le 27 février 2018 Madame [H] [S] a fait intervenir la MATMUT, son assurance de protection juridique, qui a diligenté une expertise confiée à Monsieur [I] [T].
Monsieur [I] [T] a organisé une réunion d’expertise le 02 juillet 2018 à laquelle, bien que convoqués, les époux [Y] ne se sont pas présentés.
L’expert amiable, qui a clôturé son rapport le 17 juillet 2018, a constaté que l’arbre voisin était très haut et que ses branches surplombaient en partie la toiture de Madame [H] [S] ; il a considéré que l’importance de la ramure constituait un trouble anormal de voisinage du fait du défaut d’ensoleillement et de la quantité de feuilles mortes tombant sur le pan Nord de la toiture, feuilles qui pourrissent, endommagent les tuiles et bouchent les gouttières ; l’expert a par ailleurs évoqué la dangerosité de l’arbre dont le tronc est partiellement pourri et qui justifierait son abattage ; il a chiffré à la somme de 4 968,96 euros la réparation du préjudice matériel de Madame [H] [S], sur la base d’un devis établi le 15 mai 2018 à la demande de cette dernière par l’entreprise TAAZ SASU.
Par courrier en date du 03 septembre 2018 confirmé le 29 octobre 2018, la MATMUT a adressé la copie de ce rapport d’expertise aux époux [Y] en les invitant à faire le nécessaire pour remédier aux désordres constatés et à régler par ailleurs à leur assurée la somme de 4 968,96 euros correspondant à son préjudice matériel.
Par courrier en date du 10 novembre 2018, les époux [Y] ont répondu à la MATMUT que l’arbre allait être élagué par un professionnel mais ils sont restés taisant sur la demande d’indemnisation du préjudice matériel de Madame [H] [S].
Aucune solution amiable n’ayant pu être trouvée au litige, par exploit du 16 juillet 2019, Madame [H] [S] a fait assigner Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y] devant le tribunal d’instance de Dax, devenu pôle de proximité du tribunal judiciaire de Dax, devant lequel elle a notamment sollicité d’enjoindre aux époux [Y] d’élaguer sous astreinte les branches de l’arbre et de les voir condamner à lui payer la somme de 4 968,96 euros en réparation de son préjudice matériel et 1 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des troubles anormaux de voisinage.
Par jugement contradictoire en date du 16 mars 2021, le pôle de proximité du tribunal judiciaire de Dax a :
– débouté, Madame [H] [S] de sa demande d’élagage des branches du platane,
– condamné solidairement Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y] à payer à Madame [H] [S] la somme de 4 968,96 euros au titre du préjudice matériel subi,
– condamné solidairement Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y] à payer à Madame [H] [S] la somme de 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné solidairement Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y] aux dépens,
– ordonné l’exécution provisoire.
Concernant la demande de Madame [H] [S] tendant à l’élagage de l’arbre, le premier juge a considéré qu’il était établi par un constat d’huissier en date du 23 septembre 2019 que l’arbre avait fait l’objet d’un élagage et qu’aucune branche ne surplombait plus désormais le toit de la maison ni même l’allée séparative et il a donc rejeté la demande de Madame [H] [S].
Concernant la demande de réparation du préjudice matériel de Madame [H] [S], le tribunal a relevé qu’il était établi que le toit de sa maison avait été régulièrement envahi de débris végétaux provenant du platane, endommageant des tuiles et bouchant des gouttières, ce qui constituait un trouble anormal du voisinage justifiant que soit allouée à Madame [H] [S] la somme réclamée de 4 968,96 euros au titre du préjudice matériel subi.
Par déclaration du 03 mai 2021, Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y] ont relevé appel de cette décision, en sollicitant la réformation du jugement entrepris à l’exception des dispositions déboutant Madame [H] [S] de sa demande d’élagage des branches du platane.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 23 décembre 2021, Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y] demandent à la cour, sur le fondement de l’article 544 du code civil et de la théorie du trouble anormal du voisinage ainsi que de l’article 9 du code de procédure civile, de :
– dire l’appel de Madame [M] [U] épouse [Y] et de Monsieur [G] [Y] recevable et bien fondé,
– infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau,
– débouter Madame [H] [S] de toutes demandes à l’encontre de Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y],
– la condamner au paiement d’une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions déposées le 28 octobre 2021, Madame [H] [S] demande à la cour, sur le fondement des articles 673, 544, 1240 à 1242 du code civil, de :
– confirmer purement et simplement les dispositions du jugement entrepris,
– condamner solidairement Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y] à payer à Madame [H] [S] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 14 décembre 2022.
MOTIFS
A titre liminaire, la cour constate que ni les appelants ni l’intimée ne remettent en cause les dispositions du jugement ayant débouté Madame [H] [S] de sa demande d’élagage des branches du platane, de sorte que ces dispositions sont désormais définitives.
1°) Sur le trouble anormal de voisinage
Il résulte des dispositions de l’article 544 du code civil que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements.
Ce droit absolu du propriétaire de jouir de sa chose est applicable en matière immobilière et se trouve seulement limité par l’obligation du propriétaire de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux de voisinage.
L’article 651 du même code précise que la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l’un à l’égard de l’autre, indépendamment de toute convention.
La théorie des troubles anormaux de voisinage, création prétorienne fondée sur le principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage », met en oeuvre une responsabilité sans faute qui repose sur la considération que les relations de voisinage génèrent des inconvénients que chacun doit supporter, sauf s’ils dépassent les limites de ce qu’il est habituel de supporter entre voisins.
La mise en oeuvre de cette responsabilité objective spécifique et autonome ne nécessite ni la preuve d’une faute ni la preuve d’une intention de nuire mais uniquement la démonstration par le demandeur du caractère anormal du trouble invoqué en fonction des circonstances et de la situation des lieux et du lien de causalité entre un fait et une nuisance constitutive d’un trouble anormal.
Ainsi, les juges du fond apprécient souverainement en fonction des circonstances de temps et de lieu la limite de la normalité des troubles de voisinage.
En application de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
En l’espèce, Madame [H] [S] se plaint des nuisances provoquées par le platane situé sur la propriété des époux [Y] et qui provoque la dégradation de la toiture de sa maison.
Il est constant qu’à l’angle Sud-Ouest du terrain appartenant aux époux [Y] est planté un platane qui se situe à 10,31 mètres par rapport au mur Est de la propriété de Madame [H] [S] ; il est également constant que cet arbre est très imposant et d’une très grande hauteur puisque les photographies versées aux débats ainsi que celles figurant dans le constat d’huissier du 23 septembre 2019 démontrent qu’il est beaucoup plus haut que la maison de Madame [H] [S].
S’il est établi, comme cela ressort du constat d’huissier susvisé, que le 23 septembre 2019 les branches de l’arbre ne surplombaient plus la propriété de Madame [H] [S], il est possible de déduire de ce constat que cet arbre venait d’être élagué puisque l’huissier indique que certaines branches présentent des traces de sciage récent.
De fait, les époux [Y] ont fait élaguer une partie des branches du platane surplombant la toiture de Madame [H] [S] au mois de décembre 2018.
Contrairement à ce que soutiennent les époux [Y], les nombreuses photographies versées aux débats par Madame [H] [S] démontrent qu’avant l’élagage réalisé et constaté par huissier le 23 septembre 2019, les branches du platane surplombaient sa propriété, ce qui est confirmé par Monsieur [I] [T], l’expert de la MATMUT, lors de ses constatations du 02 juillet 2018.
Concernant ce rapport, c’est vainement que les époux [Y] soutiennent qu’il leur serait inopposable au motif qu’ils n’étaient pas partis aux opérations d’expertise, alors qu’ils ont été convoqués par l’expert et ont choisi de ne pas assister à cette expertise, de sorte que ce rapport leur est parfaitement opposable ; en toute hypothèse, ce document est soumis à la discussion contradictoire comme les autres pièces des parties, de sorte que les époux [Y] disposent de toute la latitude nécessaire pour discuter, en droit et en fait, la valeur des constatations et des conclusions de l’expert, ce qu’ils ne se sont pas privés de faire.
Force est de constater que les époux [Y] n’ont communiqué aucune facture justifiant qu’entre le 27 décembre 2000, date de l’achat du bien litigieux par Madame [H] [S] et le mois de décembre 2018, date de l’élagage réalisé, ils aient jamais procédé à l’élagage de l’arbre concerné, précision étant faite qu’ils n’ont même pas produit la facture de l’entreprise qui est intervenue au mois de décembre 2018.
Monsieur [I] [T], dans son rapport, indique qu’une quantité importante de feuilles tombe sur le pan Nord de la toiture et que ces feuilles pourrissent et endommagent les tuiles et bouchent les gouttières.
Il résulte de tous ces éléments que c’est par une juste appréciation des faits de la cause que le premier juge a considéré que le platane litigieux était bien à l’origine d’un trouble anormal de voisinage invoqué par Madame [H] [S].
Le jugement sera confirmé de ce chef.
2°) Sur le préjudice de Madame [H] [S]
En réparation de son préjudice, Madame [H] [S] sollicite la condamnation solidaire des époux [Y] à lui verser la somme de 4 968,96 euros sur la base d’un devis de l’entreprise TAAZ SASU en date du 15 mai 2018.
Les époux [Y] s’opposent à cette demande en soutenant qu’il n’existe aucun lien de causalité entre la présence du platane et le préjudice dont Madame [H] [S] demande réparation, les prestations prévues par le devis de l’entreprise TAAZ SASU étant selon eux, sans rapport avec la présence de feuilles sur le toit.
En l’espèce, le devis susvisé prévoit l’entretien et la reprise de la couverture du pan Nord suite à ‘accumulation due au platane’ avec la mise en oeuvre des travaux suivants :
– démoussage manuelle des mousses, nettoyage et ramassage des déchets, évacuation comprise ;
– remaniement des tuiles type Canal avec remplacement de tuiles cassées ;
– dépose des gouttières et des cochets avec évacuation des déchets ;
– gouttière 1/2 ronde D33 zinc, avec accessoires ;
– col de cygne zinc D 100mm et accessoires ;
– démoussage pulvérisation bio.
Comme l’a indiqué l’expert [T] dans son rapport la quantité de feuilles mortes tombant sur le pan Nord de la toiture pourrissent, endommagent les tuiles et bouchent les gouttières, de sorte que les prestations prévues par le devis établi par l’entreprise TAAZ SASU correspondent aux travaux nécessaires pour remédier aux désordres imputables à la présence du platane.
Les époux [Y] soutiennent par ailleurs que tant le rapport d’expertise amiable que le devis de l’entreprise TAAZ SASU font état du pan Nord de la toiture alors que selon Madame [H] [S] seul le pan Est serait affecté.
En l’espèce, si la toiture litigieuse n’a que deux pans, dirigés respectivement à l’Est et à l’Ouest, il n’en demeure pas moins qu’au vu des photographies de la maison, le toit étant très large, le pan Est et le pan Ouest ont chacun une partie plus particulièrement orientée au Sud et une autre au Nord, de sorte que, compte tenu de l’emplacement du platane, c’est plus particulièrement la partie Nord du pan Est qui est concernée par les dégradations causées par cet arbre ; s’il a été invoqué de manière inappropriée le pan Nord, il s’agit incontestablement de la partie Nord du pan Est qui est concernée ; cet argument est donc inopérant.
Le jugement sera donc confirmé quant à la réparation du préjudice.
3°) Sur les demandes annexes
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront confirmées.
Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y] seront condamnés in solidum à payer à Madame [H] [S] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et seront déboutés de ce chef de demande.
Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y] seront condamnés in solidum aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions soumises à la cour le jugement rendu le 16 mars 2021 par le pôle de proximité du tribunal judiciaire de Dax,
Condamne in solidum Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y] à payer à Madame [H] [S] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y] de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Madame [M] [U] épouse [Y] et Monsieur [G] [Y] aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme DEBON, faisant fonction de Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Carole DEBON Caroline FAURE