Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-5
ARRÊT AU FOND
DU 12 JANVIER 2023
PH
N° 2023/ 2
N° RG 20/00581 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BFN2S
[E] [S]
C/
S.C.P. BONHEUR POUR TOUS
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me JOURDAN
Me SIDER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 09 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 18/03629.
APPELANT
Monsieur [E] [S]
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Jean-François JOURDAN de la SCP JOURDAN / WATTECAMPS ET ASSOCIES, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
assisté par Me Didier VALETTE de la SCP SCP DIDIER VALETTE – VÉRONIQUE BOLIMOWSKI, avocat au barreau de GRASSE, plaidant
INTIMEE
S.C.P. BONHEUR POUR TOUS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sise [Adresse 2]
représentée par Me Philippe-Laurent SIDER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
assistée par Me Jean-Louis GRIMALDI, avocat au barreau de GRASSE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 31 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Patricia HOARAU, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Hélène GIAMI, Conseiller, faisant fonction de Président de chambre,
Madame Laetitia VIGNON, Conseiller
Madame Patricia HOARAU, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Priscilla BOSIO.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Janvier 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Janvier 2023
Signé par Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, pour Madame Hélène GIAMI, Conseiller, faisant fontion de Président de chambre, empéchée et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire..
***
FAITS et PROCEDURE – MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES
M. [E] [S] est propriétaire d’un bien immobilier cadastré section [Cadastre 6] et [Cadastre 3] sis à [Localité 4], tandis que la SCP Bonheur pour tous est propriétaire de la parcelle mitoyenne cadastrée section [Cadastre 5].
Reprochant à son voisin d’avoir fait construire un mur entre les propriétés, M. [S] a fait assigner la SCP Bonheur pour tous devant le tribunal de grande instance de Grasse le 27 juillet 2018, pour obtenir sous astreinte, la suppression des remblais et la démolition du mur et de la clôture, ainsi que la réparation d’un trouble de jouissance.
Par jugement du 9 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Grasse a :
– débouté M. [S] de ses demandes,
– débouté la SCP Bonheur pour tous de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [S] aux dépens.
M. [S] a relevé appel de ce jugement, le 4 janvier 2020, en vue de son annulation, infirmation ou réformation, en ce qu’il l’a :
– débouté de ses demandes,
– condamné aux dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré :
– que la SCP Bonheur pour tous justifie que la situation administrative du mur a été régularisée et qu’il ne subsiste aucune infraction à la réglementation en la matière sur un plan administratif,
– que les photographies jointes aux constats d’huissier postérieurs à la construction du mur, ne permettent pas d’établir l’existence d’une diminution notable de la vue mer,
– que l’existence d’un remblaiement semble réelle mais que les constats communiqués ne permettent pas d’en apprécier l’étendue et les conséquences,
– qu’il n’est donc pas établi par les seuls constats d’huissier qu’il existe un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage du fait de la perte ou de la diminution de la vue mer,
– que M. [S] n’invoque pas l’existence d’une violation des règles du code civil concernant les plantations en limite de propriété s’agissant de la présence du yucca,
– que M. [S] ne sollicite pas la réalisation d’une expertise judiciaire.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 5 novembre 2020, M. [S] demande à la cour au visa de l’article 544 du code civil :
– de réformer le jugement entrepris,
– de condamner la SCP Bonheur pour tous à supprimer l’ensemble des remblais apportés par elle sur son terrain,
– de condamner la SCP Bonheur pour tous à démolir purement et simplement la clôture et le mur édifiés en limite de propriété,
– d’assortir ces condamnations d’une astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision,
– de condamner la SCP Bonheur pour tous au paiement de la somme de 10 000 euros au titre du trouble de jouissance apporté, notamment en supprimant sa vue mer,
– de condamner la SCP Bonheur pour tous à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
M. [S] fait essentiellement valoir :
– que le seul fait que les travaux aient été postérieurement validés par une autorisation administrative, ne lui interdit pas d’exercer une action pour réparation du trouble anormal de voisinage, que de surcroit le PLU de la ville de [Localité 4] prévoit que la hauteur totale des clôtures ne doit pas excéder 2,20 mètres et que le mur bahut servant de support ne doit pas excéder 1,70 centimètre, que c’est donc dans des conditions singulières que l’autorisation de travaux a été donnée a postériori,
– que contrairement à ce qu’allègue la SCP Bonheur pour tous, le mur construit n’est pas un mur de soutènement mais un mur de clôture, car il ne soutient pas son terrain naturel mais lui a permis d’apporter des remblais pour rehausser son terrain,
– que la SCP Bonheur pour tous ne peut se retrancher derrière le jugement du tribunal d’instance de Cannes pour justifier des travaux qu’elle a réalisés, qu’il faut se référer à ses pièces 17 à 20, qui démontrent que les travaux réalisés qu’il s’agisse du remblai ou du mur, constituent un trouble anormal du voisinage,
– qu’il y a des contradictions dans la motivation du premier juge, concernant la perte de vue et le remblaiement,
– qu’il est établi que la SCP Bonheur pour tous n’a pas respecté le PLU de la ville de Cannes et que cela a engendré une perte de vue.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 27 juillet 2020, la SCP Bonheur pour tous demande à la cour au visa au visa de l’article 9 du code de procédure civile et de l’arrêté municipal du 26 juin 2018 :
– de confirmer le jugement entrepris et rejeter toutes les demandes de M. [S],
– y ajoutant de condamner M. [S] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La SCP Bonheur pour tous soutient en substance :
– que l’ancien propriétaire de sa parcelle a été condamné sous astreinte à refaire la séparation entre les deux fonds mais ne l’en a pas informée en tant que nouveau propriétaire, qu’en extrême urgence elle a fait ces travaux sans penser à faire les formalités administratives, qu’un procès-verbal d’infraction a été dressé, qu’elle a déposé une demande rétroactive afin d’être autorisée à effectuer les travaux, l’a obtenue et l’a transmise aux services du procureur de la République, qu’elle n’a pas été sanctionnée pénalement,
– que M. [S] se prévaut de la hauteur trop importante de la pseudo clôture, mais ne prend pas en compte le fait qu’il s’agit d’un mur de soutènement non soumis aux dispositions concernant le mur de clôture, qu’en l’espèce le terrain n’est pas plat mais pentu avec une pente assez forte, ce qui justifie la réalisation d’un mur de soutènement,
– que M. [S] ne rapporte pas la preuve que sa vue était différente avec la réalisation du mur, que le droit à la vue n’est pas reconnu par les textes et la jurisprudence à moins de prouver que les obstacles privatifs de vue sont illégaux au regard de certaines contraintes (règlement d’un lotissement, PLU’) ou particulièrement inesthétiques, ou encore que les obstacles à la vue ont été posés dans l’unique but de nuire au voisin sans aucun justificatif.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 18 octobre 2022.
L’arrêt sera contradictoire puisque toutes les parties sont représentées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’étendue de la saisine de la cour
Aux termes de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Il est constaté que le dispositif des conclusions de la SCP Bonheur pour tous, comporte des demandes de « constater » qui ne constituent pas des prétentions, mais des moyens, ce qui explique qu’elles n’aient pas été toutes reprises dans l’exposé des prétentions des parties.
Sur les demandes de M. [S]
M. [S] forme plusieurs demandes (suppression des remblais, démolition de la clôture et du mur, réparation du préjudice de jouissance) en se fondant sur l’article 544 du code civil, aux termes duquel « La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »
La limite de ce droit est que nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage, et qu’à défaut, il en devra réparation, même en l’absence de faute.
L’anormalité du trouble doit s’apprécier au regard des circonstances locales, et doit présenter un caractère grave et/ou répété, dépassant les inconvénients normaux de voisinage, sans qu’il soit nécessaire de caractériser une faute de son auteur.
Il appartient à celui qui invoque le trouble anormal de voisinage d’en rapporter la preuve.
En l’espèce, M. [S] allègue un préjudice de jouissance tiré de la perte de la vue.
Il ressort des pièces de la procédure, que M. [S] qui a fait réaliser plusieurs constats d’huissier afin de préserver ses droits et recours éventuels, les 15 octobre 1985, 18 avril 1989, 25 mai 1998, 8 juillet 2004, 18 août 2004, 27 juillet 2006, 12 août 2008, a obtenu par jugement du 18 février 2016 rendu par le tribunal d’instance de Cannes sur assignation du 10 novembre 2015 dirigée contre la SCI Villi alors propriétaire de la parcelle voisine, la condamnation de la SCI Villi à :
– procéder à l’arrachage des arbres, arbustes et arbrisseaux lui appartenant et se trouvant en limite mitoyenne avec la propriété de M. [S],
– poser une clôture neuve en réparation de celle endommagée sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai de quinze jours à compter de la signification de la décision.
M. [S] produit également :
– le procès-verbal de constat d’huissier du 29 janvier 2016 aux termes duquel un mur de clôture surmonté d’un grillage rigide a été érigé par son voisin, les travaux de clôture sont achevés sur la partie haute, entre la première partie du mur revêtue de crépi et la seconde partie actuellement en parpaings bruts il y a un décroché du mur, derrière le mur de clôture des murs de remblais sont érigés et le terrain a été remblayé, contre le mur sur le terrain est présent un yucca de très haute taille qui obstrue la vue mer depuis le terrain de M. [S], l’espace entre le mur de M. [S] et le mur actuellement édifié en parpaings a été comblé de béton y compris le tuyau d’alimentation d’eau du système d’arrosage de M. [S], derrière la clôture actuellement en place en partie basse du terrain une tranchée a été creusée par le voisin,
– le procès-verbal de constat d’huissier du 10 mars 2016 pour faire constater l’avancée de la construction du mur de clôture, qu’une haie de cyprès a été plantée dont la cime dépasse déjà le grillage, qu’en partie Sud-Ouest de la propriété de M. [S] le muret récemment édifié sur la propriété voisine dépasse l’ancien muret séparatif, depuis la maison de M. [S] côté salle à manger depuis la fenêtre sur façade Ouest la vue mer est obstruée par la nouvelle haie de cyprès implantée sur la propriété voisine,
– un procès-verbal de bornage signé le 3 février 2017, par lui-même et la SCP Bonheur pour tous, respectivement propriétaires des parcelles cadastrées section [Cadastre 6] et [Cadastre 3] d’une part, section [Cadastre 5] d’autre part. Pour déterminer la limite séparative selon les points A à M, le géomètre-expert [M] [N] indique :
– pour la limite A à J le plan cadastral est conforme à l’état des lieux matérialisé par un mur de clôture,
– pour la limite J à L, la limite est prise dans le prolongement de la limite A à J pour longer le mur de la propriété aux points K et L,
– pour la limite L à M, la limite est issue de l’application cadastrale et du plan réalisé le 16 avril 1998 par M. [T], géomètre-expert.
Ce procès-verbal de bornage signé, précise la nature des éléments topographiques définissant les limites entre les points : mur de clôture privatif à la parcelle [Cadastre 5] pour les points A à D, E à F et G à J, mur de clôture privatif aux parcelles [Cadastre 6] et [Cadastre 3] pour les points K à L.
De son côté, la SCP Bonheur pour tous qui a fait l’objet d’un procès-verbal d’infraction aux règles d’urbanisme le 22 juin 2016 pour avoir construit le mur de clôture surmonté d’un grillage rigide de 1,70 mètre sur une longueur de 30 mètres, justifie avoir déposé une déclaration préalable le 28 février 2018 ayant pour objet « régularisation d’un mur de clôture et soutènement » et avoir obtenu cette autorisation par arrêté du maire de Cannes, le 26 juin 2018.
M. [S] critique cette régularisation administrative de la construction du mur par la SCP Bonheur pour tous, qu’il estime non conforme au PLU de la commune de Cannes concernant les murs de clôture, en arguant que cela lui a permis d’apporter des remblais pour rehausser son terrain.
La SCP Bonheur pour tous oppose qu’il ne s’agit pas seulement d’un mur de clôture mais aussi d’un mur de soutènement, auquel ne s’appliquent pas les mêmes restrictions.
Il est constaté que la déclaration de travaux évoque bien un mur de clôture et de soutènement, est accompagnée d’un dossier comportant des mesures et des photographies et a été suivie d’une autorisation municipale. M. [S] ne prétend pas avoir attaqué cette autorisation administrative, quant à la nature du mur.
Reste à déterminer si la construction de ce mur qui a été régularisée au plan administratif, ce qui est indifférent pour apprécier l’existence d’un trouble anormal de voisinage, est à l’origine d’une perte de vue excessive.
Les photographies de M. [S] en pièces n° 17 à 19 prises avant et après la construction du mur, qui sont conformes à celles figurant dans les constats d’huissier établis en 2016, présentent un mur avec grillage dégradé sans aucune végétation mais des gravats de chaque côté de la clôture. Derrière le mur avec grillage dégradé, a été édifié un autre mur plus haut, laissant toujours apparaître une vue mer en arrière-plan, en l’état de l’absence totale de végétation.
Cependant, la situation immédiatement antérieure de la vue mer en présence de la végétation, n’est pas déterminable, notamment à l’époque au cours de laquelle M. [S] reprochait à la société Villi de ne pas avoir élagué ses arbres et d’avoir dégradé le mur de clôture et dont il a obtenu la condamnation en février 2016, sur assignation de novembre 2015.
En effet, les multiples constats produits par M. [S] font état du fait qu’il avait une vue mer directe et panoramique sur la baie de [Localité 4] dans les années 80 et 90, comme au moment de la construction de sa villa en 1974. En 2004, 2006 et 2008, il a reproché à la société Sarexim alors propriétaire de la parcelle voisine, que ses végétaux obstruaient la vue mer, sans qu’il soit déterminable précisément à partir de quel point de son terrain, la vue mer existait. A cet égard, les constats de 2004 et 2006 mentionnaient un point de vue « à partir de la propriété », « de son jardin » ou « depuis la terrasse inférieure de sa villa », tandis que le dernier constat du 10 mars 2016 prend pour point de vue « depuis la maison de M. [S] côté salle à manger depuis la fenêtre sur façade Ouest ».
De son côté, la SCP Bonheur pour tous, produit un procès-verbal de constat d’huissier daté du 25 février 2020 sur la hauteur de la végétation sur son terrain, en limite de propriété, que M. [S] ne critique d’ailleurs pas dans le cadre de la présente procédure, puisqu’il ne se plaint que de la perte de vue consécutive à la construction du mur derrière lequel ont été plantés des cyprès.
En conséquence, il y a lieu de conclure que M. [S] qui allègue sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, une perte de la vue mer, ne démontre pas quelle était la vue dont il bénéficiait depuis son terrain, en l’état de la végétation avant la construction de ce mur en 2016. Ainsi il échoue à établir une perte de vue du fait de la construction de ce mur et encore moins l’excessivité du trouble subi par rapport aux inconvénients normaux de voisinage.
M. [S] sera donc débouté de ses demandes et le jugement appelé confirmé.
Sur les demandes accessoires
En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient de confirmer le jugement et de condamner M. [S] aux dépens d’appel et à des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Condamne M. [E] [S] aux dépens d’appel ;
Condamne M. [E] [S] à verser à la SCP Bonheur pour tous la somme de 3 000 euros (trois mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier Le président