Tribunal de grande instance de Paris, CT0087, du 8 juin 2006

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Tribunal de grande instance de Paris, CT0087, du 8 juin 2006

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

T R I B U N A L D E GRANDE I N S T A N C E D E P A R I S 3ème chambre 2ème section No RG : 06/04316 No MINUTE : Assignation du : 08 Mars 2006 Expéditions exécutoires délivrées le : JUGEMENT rendu le 08 Juin 2006

DEMANDEUR Monsieur Carine X… 12 quai des Célestins 75004 PARIS représenté par Me Olivier DE BAECQUE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire E1220 DÉFENDERESSES S.A.R.L. GALERIE ALMINE Y… 127 rue du Chevaleret 75013 PARIS S.A.R.L. IMAGES MODERNES 41 avenue Philippe Auguste 75011 PARIS Madame ALMINE Z…, également dénommée Mme Almine RUIZ A…, gérante de la société GALERIE ALMINE Y… 1 avenue du Maréchal Maunoury 75116 PARIS Madame ALMINE Y… 1 avenue du Maréchal Maunoury 75116 PARIS représentées par Me Michel-Paul ESCANDE de la SELARL UNIPERSONNELLE « M-P ESCANDE », avocat au barreau de PARIS, vestiaire R.266 COMPOSITION DU TRIBUNAL Véronique RENARD, Vice-Président Michèle PICARD, Vice-Président Monique CHAULET, Juge assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier DEBATS A l’audience du 31 Mars 2006 tenue publiquement JUGEMENT Prononcé publiquement Contradictoirement en premier ressort FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES Madame Carine X… a écrit et réalisé entre 1991 et 1995 un film intitulé « Passageways » portant sur l’oeuvre de l’artiste contemporain James TURRELL. Ce film a été coproduit par le Centre National d’Art et de Culture Georges Pompidou (ci-après dénommé le Centre Georges Pompidou) et la société CA. Productions représentée par Madame X… selon contrat du 6 janvier 1994 Par contrat d’édition du 30 juin 2000, Madame Carine X… a cédé les droits de reproduction et de représentation de son film sous forme de vidéocassettes au Centre Georges Pompidou pour une durée de cinq ans à compter de la signature du contrat. Indiquant avoir constaté en septembre 2005 la reproduction de quatre images du film « Passageways », malgré son refus et dans des conditions dénaturantes,

dans un ouvrage intitulé « Rencontres 9 James Turrell / Almine Y… » dont Madame Almine Z… est l’auteur et qui est édité par les sociétés GALERIE ALMINE Y… et IMAGES MODERNES, Madame Carine X…, dûment autorisée par ordonnance présidentielle du 6 mars 2006, a fait assigner le 8 mars suivant selon la procédure à jour fixe et sur le fondement de l’article L 121-1 du Code de la Propriété Intellectuelle ainsi que 815-2 du Code Civil, ces dernières sociétés et Madame Almine Z… en contrefaçon de ses droits patrimonial et moral d’auteur pour obtenir, outre une mesure d’interdiction sous astreinte de 200 euros par infraction constatée passé un délai de 8 jours à compter de la décision à intervenir et de publication, paiement de la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi que d’une indemnité de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Par conclusions du 31 mars 2006, Madame Carine X…, après avoir réfuté les arguments en défense, a repris, en les développant, l’ensemble de ses prétentions. Par dernières écritures en date du 31 mars 2006, la société GALERIE ALMINE Y…, la société IMAGES MODERNES et Madame Almine Z… concluent à l’irrecevabilité de l’action de Madame X… faute de mise en cause du coproducteur du film en cause, et sur le fond invoquent l’exception de courte citation résultant de l’article L 122-5 3) a) du Code de la Propriété Intellectuelle et notamment le caractère pédagogique et d’information de l’ouvrage litigieux ainsi que l’absence de toute violation du droit moral de l’auteur pour conclure au rejet de l’ensemble des demandes ; à titre subsidiaire les défenderesses concluent à la réduction des sommes réclamées en opposant les tarifs des Musées Nationaux versés aux débats par la demanderesse elle-même et sollicitent en tout état de cause le paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. MOTIFS DE LA DÉCISION : Sur la

recevabilité de l’action de Madame X… B… que les défenderesses font valoir que l’action de Madame X… est irrecevable faute de mise en cause du Centre Georges Pompidou, coproducteur du film « Passageways » ; Que la demanderesse réplique qu’à la date de la publication de l’ouvrage litigieux, les droits d’exploitation du film « Passageways » lui appartenaient entièrement dès lors que les contrats de coproduction et d’édition passés avec le Centre Georges Pompidou avaient pris fin respectivement les 6 janvier 2004 et 30 juin 2005 et qu’en tout état de cause, les règles relatives à l’indivision lui permettent d’agir seule en justice pour la conservation des biens indivis ; B… en premier lieu que l’irrecevabilité de l’action tirée des dispositions de l’article L 133-3 du Code de la Propriété Intellectuelle ne saurait s’appliquer à la demande fondée sur la violation du droit moral de Madame X…, lequel est attaché à sa personne; Que par ailleurs les défenderesses reconnaissent dans leurs écritures que le contrat d’édition du 30 juin 2000 passé avec le Centre Georges Pompidou a pris fin de 30 juin 2005 ; B… que le contrat de coproduction du 6 janvier 2004 signé avec le Centre Georges Pompidou prévoit en son article 7-2 que les parties se reconnaissent mutuellement copropriétaires indivis des éléments corporels de tournage et des masters originaux de l’oeuvre, ainsi que des éléments incorporels (notamment des droits d’auteur), entrant dans la composition de l’oeuvre ou réalisés à l’occasion de sa production, et ce au fur et à mesure de la réalisation au prorata de leurs apports respectifs ; Qu’il n’est pas contesté que ces dispositions confèrent au Centre Georges Pompidou la qualité de co-auteur de l’oeuvre « Passageways » au-delà de sa qualité de co-producteur ; B… cependant que l’article 9 du même contrat stipule au chapitre « Durée » que : « le présent contrat prendra effet rétroactivement, à compter du 30 juillet 1993, pour se poursuivre

aussi longtemps que l’oeuvre pourra être exploitée pour le compte commun dans l’une quelconque de ses présentations ou versions et, en tout état de cause, pour la durée des droits d’auteur acquis ou à acquérir, y compris toute coproduction légale ou conventionnelle, sauf résiliation anticipée intervenant d’un commun accord ou pour les causes et conditions prévues ci-après » ; Qu’il en résulte que ce contrat avait une durée équivalente à la durée des droits d’auteur acquis ou à acquérir ;

Or attendu qu’il est précisé à l’article 7 au titre de la  » Propriété des droits corporels et incorporels » que « CA Productions déclare avoir acquis ou s’engage à acquérir, auprès des auteurs, réalisateurs, compositeurs de musique et artistes–interprètes les droits d’auteurs et droits voisins d’adaptation et d’exploitation audiovisuelles nécessaires à la réalisation et à l’exploitation de l’oeuvre, et ce dans le monde entier pour la durée de dix ans »; Que cette durée est confirmée par l’alinéa 2 du même article concernant les droits d’adaptation et d’exploitation audiovisuelles des oeuvres d’art et compositions musicales préexistantes ; Qu’en conséquence, i1 résulte donc de la combinaison de ces stipulations du contrat du 6 janvier 1994, que la coproduction avec le Centre Georges Pompidou a pris fin à l’issue de la durée des droits d’auteur acquis ou à acquérir, soit 10 ans après sa signature, c’est à dire le 6 janvier 2004 ; Que Madame Carine X… étant seule titulaire des droits patrimoniaux d’auteur depuis cette date, son action engagée le 8 mars 2005 doit donc être déclarée recevable ; Sur la contrefaçon B… que les défenderesses ne contestent pas la reproduction dans l’ouvrage incriminé de quatre images du film « Passageways » mais invoquent l’exception de courte citation et notamment la brièveté de la reprise et le caractère d’information de l’ouvrage litigieux pour conclure à l’absence de violation des droits patrimoniaux ;

B… qu’aux termes de l’article L 122-5 3) a) du Code de la Propriété Intellectuelle, lorsque l’oeuvre est divulguée, l’auteur ne peut interdire, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source, les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées ; B… que les quatre photographies litigieuses incorporées à l’ouvrage « Rencontres 9 James Turrell / Almine Y…  » illustrent la rencontre entre James Turrell et le chef indien hopis dénommé Gene, suivie de leur contemplation commune du ciel, tous deux allongés dans la cuvette d’un volcan qui a inspirée l’oeuvre de James Turrell, le « Roden Crater » ; Que si Madame X… décrit cette scène finale de son film comme une séquence phare qui revêt un intérêt documentaire considérable, les défenderesses elles-mêmes indiquent qu’il s’agit d’une rencontre déterminante du film « Passageways » pour être à l’origine de la relation très forte entre l’artiste et l’indien jusqu’à la mort de ce dernier il y a une dizaine d’années ; Que l’importance ainsi reconnue à ces images, au surplus entièrement reproduites, empêche que l’on puisse admettre le caractère bref de la reproduction de quatre séquences de ce film ; Que par ailleurs Madame Almine Y… décrit l’ouvrage dont elle est l’auteur comme étant le fruit de ses nombreuses rencontres avec James Turrell, comprenant un texte, une interview de James Turrell ainsi qu’une importante iconographie permettant de visualiser les différentes séries d’oeuvres créées par l’artiste depuis 1965 et notamment l’une de ses oeuvre majeures le « Roden Craten » ; B… que les quatre photographies litigieuses apparaissent en page 122 de l’ouvrage incriminé en figure 95 ; qu’elles ont ainsi présentées : En 1979, Turrell s’installe dans une partie boisée de Flagstaff, près du centre. Il y habite une maison forestière qu’il quitte dans les

années 1990 pour une immense propriété où il élève du bétail, à vingt minutes de la ville, proche du désert et du Roden Crater. Il y vit toujours, dans une maison de ranch d’une grande simplicité. Pendant sept ans à partir de 1975, il dispose de bureaux dans le Museum of Nortern Arizona à Flagstaff, pour travailler sur le projet du Roden Crater qui tient son nom de la famille Roden à qui il appartenait avant que Turrell ne l’acquiert. C’est dans ce musée, alors qu’une délégation d’indiens Hopis venus protester contre le rachat du volcan par Turrell s’y présente, qu’il rencontre Gene, Hopi, chef du Clan des Aigles (fig.95) ; Qu’il résulte de ce récit que les photographies susvisées ne sont pas destinées à informer le lecteur, ni sur le film réalisé par CarineQu’il résulte de ce récit que les photographies susvisées ne sont pas destinées à informer le lecteur, ni sur le film réalisé par Carine X…, ni sur la réalité de la rencontre entre James Turrell et l’indien Gene telle que relatée par Almine Y… ; que dès lors l’exception de courte citation sera rejetée ; B… que la reproduction non autorisée dans l’ouvrage incriminé de quatre photographies issus du film « Passageways » portent atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur de Madame Carine X… ; B… qu’au titre de la violation de son droit moral la demanderesse invoque une atteinte à sa paternité et une triple atteinte au droit au respect de son oeuvre; B… que l’index des illustrations de l’ouvrage mentionne en page 172 au titre de la figure 95 : James Turrell et Gene / James Turrell and Gene, extrait du documentaire Passageways, Carine X…, Centre Pompidou 2000 ; que cette mention suffit à identifier l’auteur de l’oeuvre première qui dès lors ne démontre pas l’atteinte à la paternité qu’elle allègue ; B… en revanche que lesdites images été reproduites dans un ordre différent de celui conçu et réalisé par Madame X… dans son film ; que ces modifications de l’oeuvre, qui ne permettent pas d’appréhender la

chronologie des événements, en dénaturent la portée et constituent une violation du droit moral de l’auteur ; Que par ailleurs l’index des illustrations de l’ouvrage indique comme date 2000 alors qu’il est constant que le documentaire « Passageways » a été réalisé en 1995 avant que le Roden Crater ne soit transformé par James Turrell ; que cette indication erronée laisse entendre que le film de Carine X…, qui retrace la genèse de l’oeuvre de James TURRELL, aurait été réalisé postérieurement à celle-ci et en dénature la portée ; B… enfin que la médiocrité des reproductions qui est par ailleurs alléguée n’est pas établie s’agissant d’un support papier, identique pour l’ensemble de l’ouvrage, et dont la qualité ne peut être comparée à celle d’un film documentaire ; que l’absence de la mention d’un copyright qui n’a pas de valeur légale en France ne peut pas plus constituer une violation du droit moral de l’auteur ; Sur les mesures réparatrices B… que pour mettre fin aux actes illicites, il sera fait droit à la mesure d’interdiction sollicitée dans les termes précisés au dispositif de la présente décision ; B… qu’il n’est pas contesté que l’ouvrage litigieux a été tiré à 3.976 exemplaires dans plusieurs pays et que sa promotion est faite sur Internet ; que si les tarifs de la Réunion des Musées Nationaux relatifs à la reproduction d’images n’ont qu’une valeur indicative, ils n’en restent pas moins un élément soumis à l’appréciation du Tribunal qu’il convient effectivement d’adapter à la reprise contrefaisante d’images d’un oeuvre audiovisuelle ; que par ailleurs le prix de cession aux défenderesses des droits des tiers n’est pas opposable à Madame X… ; B… qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que les atteintes portées à l’oeuvre de Madame Carine X… par la reproduction de quatre photographies dans l’ouvrage dont Madame Almine Y… est l’auteur et qui est édité par les sociétés GALERIE ALMINE Y… et IMAGES MODERNES justifient la

condamnation des défenderesses à payer à Madame X… la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice patrimonial ;

B… que le préjudice moral de Madame Carine X… sera quant à lui réparé par l’octroi de la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts; B… qu’à titre de dommages-intérêts supplémentaires, il sera fait droit aux mesures de publication sollicitées dans les termes ci-après définis ; Sur les demandes accessoires B… que la nature de l’affaire justifie l’exécution provisoire de la présente décision. B… qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la demanderesse la totalité des frais irrépétibles et qu’il convient de lui allouer la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Que les défenderesses qui seront condamnées aux dépens ne peuvent se prévaloir du bénéfice de ces dispositions. PAR CES MOTIFS : Le Tribunal, statuant en audience publique, par jugement contradictoire et en premier ressort,

– Dit qu’en reproduisant sans autorisation et dans des conditions dénaturantes, quatre scènes du film « Passageways » dont Madame Carine X… est l’auteur dans un ouvrage intitulé « Rencontres 9 Almine Y… / James Turrell », Madame Almine Z… et les sociétés GALERIE ALMINE Y… et IMAGES MODERNES ont commis des actes de contrefaçon au détriment de Madame Carine X….

En conséquence,

– Interdit à Madame Almine Z… et aux sociétés GALERIE ALMINE Y… et IMAGES MODERNES la poursuite de ces agissements sous astreinte de 200 euros par infraction constatée passé un délai de 8 jours après la signification de la présente décision.

– Condamne in solidum Madame Almine Z… et les sociétés GALERIE ALMINE Y… et IMAGES MODERNES à payer à Madame Carine X… la

somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice patrimonial ainsi que celle de 15.000 euros en réparation de son préjudice moral. – Autorise Madame Carine X… à faire publier le dispositif de la présente décision dans trois journaux de son choix et aux frais des défenderesses, sans que le coût total de chacune de ces insertions n’excède, à la charge in solidum de celles-ci, la somme de 3.500 euros HT.

– Ordonne la publication du dispositif de la présente décision sur la page d’accueil des sites Internet www.imagesmodernes.com et www.galeriealminerech.com aux frais in solidum des défenderesses, pendant une période ininterrompue d’un mois, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours après la signification de la présente décision.

– Condamne in solidum Madame Almine Z… et les sociétés GALERIE ALMINE Y… et IMAGES MODERNES à payer à Madame Carine X… la somme la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

– Ordonne l’exécution provisoire.

– Rejette le surplus des demandes.

– Condamne in solidum Madame Almine Z… et les sociétés GALERIE ALMINE Y… et IMAGES MODERNES aux dépens.

Fait et jugé à Paris, le 8 juin 2006. Le Greffier Le Président


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