Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
T R I B U N A L D E GRANDE I N S T A N C E D E P A R I S 3ème chambre 2ème section No RG : 03/07954 No MINUTE : Assignation du : 29 Avril 2003 Expéditions exécutoires délivrées le : JUGEMENT rendu le 27 Octobre 2006 DEMANDEURS Monsieur Michel X… 23 boulevard Suchet 75016 PARIS Monsieur Jacques Y… 1, rue Edouard Laferrière 92190 MEUDON représentés par Me Jacques Georges BITOUN, de la SCP BITOUN et ASSOCIES avocat au barreau de PARIS, vestiaire P.189 DÉFENDEURS CUISINE TV SAS vient aux droits de CUISINE TV SNC 17, rue d’Estienne d’Orves 93310 LE PRE SAINT GERVAIS représentée par Me Isabelle COPE BESSIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire B143 INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL 4 avenue de l’Europe 94360 BRY SUR MARNE représentée par Me Yves BAUDELOT, de la SCP BAUDELOT-COHEN-RICHELET-POITVIN avocat au barreau de PARIS, vestiaire P 216 Société CIVILE DES AUTEURS MULTIMEDIA 5, rue Velasquez 75008 PARIS représentée par Me Josée-Anne BENAZERAF, de la SCP DARTEVELLE-BENAZERAF avocat au barreau de PARIS, vestiaire P.327 Monsieur Guy Z… « La Garrigue » A… du Serre 34290 MONTBLANC représenté par Me Sylvie NOACHOVITCH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C.1833 COMPOSITION DU TRIBUNAL Claude VALLET, Vice-Président, signataire de la décision Véronique RENARD, Vice-Président Michèle PICARD, Vice-Président assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision DÉBATS A l’audience du 07 Septembre 2006 tenue publiquement devant Claude VALLET et Véronique RENARD, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seules l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du Nouveau Code de Procédure Civile. JUGEMENT Prononcé publiquement Contradictoire en premier ressort FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES: Monsieur X… est co-auteur d’une série d’émissions culinaires intitulées » La vérité
est au fond de la marmite » dont il était également le présentateur. Ces émissions ont été produites et diffusées par Antenne 2 de 1978 à 1983 en 309 épisodes, réalisés successivement par Messieurs Z… et Y… Quatorze épisodes de cette série ont été rediffusés à de très nombreuses reprises par la chaîne CUISINE TV entre le 10 juillet 2001 et le 27 février 2003. Estimant que ces exploitations étaient illicites, faute d’avoir été autorisées, ces auteurs ont par actes en date des 29 et 30 avril et 7 mai 2003 saisi ce tribunal d’une action en contrefaçon et, en ce qui concerne Monsieur X…, d’une action en responsabilité pour atteinte portée à son image. Monsieur B… s’est désisté de l’ensemble de ses demandes le 6 avril 2006 sous réserve que les défendeurs renoncent à leurs demandes au titre de leurs frais non taxables. Dans le dernier état de ses écritures, Monsieur X… demande de condamner in solidum les défenderesses à payer lui payer les sommes de 50 000 euros en réparation des atteintes à ses droits patrimoniaux, de 100 000euros en réparation des atteintes à son droit moral, de 80 000 euros sur le fondement de l’article 1382 du code civil et de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile, outre la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux aux frais des défendeurs le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire. Dans ses écritures récapitulatives en date du 12 octobre 2005, Monsieur Z… demande de condamner in solidum les défenderesses à lui payer à les sommes de 50 000 euros en réparation des atteintes portées à son droit moral, de 20 000 euros au titre de ses droits patrimoniaux et de condamner la SCAM à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant de la délivrance d’une autorisation d’exploitation de droits dont elle n’avait pas la gestion. Il demande en outre de lui allouer la somme de 6000 euros au titre de ses frais
irrépétibles et d’ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir. Par conclusions récapitulatives signifiées en dernier état le 19 juin 2006, la société CUISINE TV oppose l’irrecevabilité des demandes présentée par Monsieur X… et demande de donner acte à Monsieur Y… de ce qu’il renonce à ses prétentions, de débouter les autres demandeurs et subsidiairement de condamner l’INA et la SCAM à la garantir de toute condamnation. Reconventionnellement, elle demande de lui allouer la somme de 1 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 15 000 euros au titre de ses frais non taxables. Dans ses dernières écritures signifiées le 1er juin 2006, la SCAM oppose également l’irrecevabilité à agir de Monsieur X… et conclut au débouté de l’ensemble des demandes présentées à son encontre tant par les auteurs que par la société CUISINE TV. Elle demande de lui donner acte de ce qu’elle tient à la disposition de Messieurs Y… et Z… la part » réalisation » correspondant, sur les diffusions concernées, aux émissions qu’ils ont chacun réalisées, à charge pour eux de procéder à la déclaration de leurs oeuvres et de condamner in solidum Monsieur X… et Monsieur Z… à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile. L’INA a conclu en dernier état le 11 mai 2006 à l’irrecevabilité des demandes de Monsieur X… et subsidiairement au débouté de l’ensemble des demandes. Elle demande plus subsidiairement de condamner la société CUISINE TV à la garantir de toute condamnation qui pourrait être mise à sa charge à raison des atteintes éventuellement portées aux droits de Monsieur Z… et en tout état de cause de lui allouer la somme de 10 000 euros au titre de ses frais non taxables. L’ordonnance de clôture est intervenue le 29 Juin 2006. Motifs de la décision Sur le désistement d’instance de Monsieur Jacques Y… C… que la condition
posée par ce demandeur à son désistement d’instance est acquise dès lors que les défenderesses ne présentent aucune demande à son encontre au titre de leurs frais irrépétibles; qu’il y a lieu en conséquence de constater ce désistement; Sur le contexte général de l’exploitation des émissions litigeuses:
C… que dans le cadre de l’exploitation du fonds sonore et audiovisuel qu’elle tient de l’ORTF, l’INA a conclu le 22 novembre 1996 avec les sociétés d’auteurs , SACEM, SDRM, SACD et SCAM, un protocole général, objet d’un avenant en date du 21 juin 2000; qu’ en vertu de ce protocole ces sociétés autorisent l’INA à utiliser les oeuvres de leur répertoire, moyennant rémunération; Que les sociétés d’auteur conservent cependant le droit d’autoriser la représentation et la reproduction des oeuvres de leur répertoire; Qu’ainsi, lorsque la chaîne cryptée CUISINE TV a envisagé de diffuser des épisodes de l’émission » La vérité est au fond de la marmite », elle s’est rapprochée des sociétés d’auteurs, dont la SACD, avec lesquelle elle a conclu le 22 juin 2001 un contrat avec effet rétroactif au 14 avril 2001 l’autorisant à utiliser l’ensemble des oeuvres protégées appartenant à leurs répertoires en contrepartie de quoi elle leur verse une redevance annuelle, perçue par la SACEM chargée de sa répartition entre les différentes sociétés d’auteurs; C… que ce contrat imposait en son article 12 à la société CUISINE TV de transmettre aux sociétés d’auteurs la documentation complète relative aux oeuvres utilisées par elles; C… par ailleurs que selon contrat en date du 9 janvier 2001, l’INA a cédé le droit de diffusion de NNN émissions intitulées » La vérité est au fond de la marmite » pour une durée de deux ans à la société CUISINE TV; Sur la titularité des droits patrimoniaux des demandeurs:
C… que Monsieur X… est adhérent de la SCAM depuis le 19 septembre 1983; que, ce faisant, il a cédé ses droits d’exploitation; que selon les dispositions de
l’article 1 du chapitre III du règlement général de cette société d’auteurs, l’auteur adhérent s’engage à ne pas conclure de convention au profit de qui que ce soit en contradiction avec les apports de droits qu’il lui a faits; qu’il s’en suit qu’il est irrecevable en ses demandes fondées sur la violation de ces droits; qu’en revanche les demandes fondées sur le droit moral, lequel est incessible, sont recevable. Sur les atteintes au droit patrimonial de Monsieur Z…:
C… que ce demandeur, co-auteur, ce qui n’est pas contesté, d’une partie des émissions en cause, réalisées entre 1978 et le 5 novembre 1980, n’était pas membre de la SCAM à laquelle il n’a adhéré que depuis le 6 mars 2003, soit postérieurement à la re-diffusion par CUISINE TV; qu’il s’en suit que les exploitations ainsi réalisées constituent des contrefaçons imputables à la société CUISINE TV en sa qualité de diffuseur; que cette dernière sera condamnée à payer à Monsieur Z… la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts; qu’en revanche, aucun acte de contrefaçon ou faute n’est à reprocher à l’INA, pas plus qu’à la SCAM lesquelles n’ont pu délivrer aucune autorisation le concernant et n’avaient pas davantage d’obligation de l’informer des exploitations envisagées; qu’en effet, le rappel dans le règlement général de la SCAM de la réserve du droit moral des auteurs n’a pas pour conséquence d’instaurer à la charge de cette société une obligation préalable d’information mais signifie, dans le strict respect du code de la propriété intellectuelle, que les auteurs conservent leur droit moral dont ils peuvent toujours se prévaloir à l’encontre des exploitants qui porteraient atteinte soit au droit à la paternité, soit au droit au respect de l’oeuvre; Sur les atteintes au droit moral:
C… que Monsieur X… et Monsieur Z… se prévalent d’une atteinte à leur droit de divulgation à raison de la diffusion de leurs oeuvres sur le réseau satellitaire sans leur
autorisation; Mais attendu que le droit de divulgation, qui s’entend comme la première communication de l’oeuvre au public quel qu’en soit le mode choisi par l’auteur, est en l’espèce épuisé du fait des divulgations réalisées en leur temps par la chaîne Antenne 2; qu’ils seront donc déboutés de leurs demandes de ce chef; C… C… que Monsieur X… ne se prévaut d’aucune altération ou dénaturation de ses oeuvres lesquelles ont été diffusées dans leur version d’origine et avec mention de son nom; Qu’en conséquence, il n’existe aucune atteinte au droit moral, de quelque nature qu’elle soit; Sur les fautes reprochées par Monsieur X… aux sociétés défenderesses:
C… que Monsieur X… se prévaut en premier lieu d’une atteinte à son droit à l’image du fait de la rediffusion des émissions qu’il n’a pas autorisées; C… qu’il semble fonder cette demande sur les dispositions de l’article 9 du code civil lequel ne protège cependant que le respect dû à la vie privée, dont il est manifeste qu’elle n’est pas en cause ici; C… que s’il est désormais d’usage que le droit à l’image représente, notamment dans le domaine de l’audiovisuel, une valeur patrimoniale en cela qu’elle donne lieu à des dispositions contractuelles prévoyant un droit à rémunération en contrepartie de l’utilisation de la représentation d’une personne physique et consécutivement à l’allocation de dommages et intérêts lorsque ladite représentation n’est pas utilisée dans le cadre initialement prévu, il incombe néanmoins au demandeur d’établir la réalité du droit sui generis ainsi invoqué; qu’en l’espèce, le demandeur ne peut se fonder sur ses seules protestations auprès des défenderesses en vue de leur interdire la rediffusion des émissions en cause pour prétendre à indemnisation alors que la seule lettre d’engagement produite, signée avec Antenne 2 le 14 mai 1991 ne contient aucune disposition relative à un éventuel droit à l’image du demandeur; C… que Monsieur X… se prévaut en second lieu de
ce que son image a été utilisée dans les dossiers de presse de la société CUISINE TV; que cependant, aucune pièce ne vient étayer cette affirmation; C… qu’il est encore fait grief à la société CUISINE TV d’avoir, du fait de la rediffusion d’émissions anciennes et devenues désuètes, nuit à l’image et à la réputation du demandeur, lequel était alors en pourparlers avec une autre chaîne en vue d’une nouvelle émission; C… cependant que s’il est indéniable que la présence de Monsieur X… sur une chaîne directement concurrente à celle avec laquelle il avait des projets ne pouvait que rendre ces derniers irréalisables, cette situation dommageable est sans relation avec une faute qui aurait été commise par l’un ou l’autre des défendeurs; qu’il appartenait à Monsieur X… d’exercer son droit de retrait, dans les conditions prévues par le Code de la propriété intellectuelle; Qu’en conséquence, Monsieur X… sera débouté de cette demande. Sur la demande de garantie présentée par CUISINE TV:
C… que cette société estime que la SCAM a engagé sa responsabilité à son égard dans la mesure où l’article 13-4 du contrat signé le 22 juin 2001dispose que: » Les sociétés d’auteurs s’engagent également à aider la société à régler les difficultés qu’elle pourrait rencontrer en raison de la diffusion d’oeuvres d’auteurs non adhérents, notamment en lui apportant le concours technique de leurs services »; C… cependant que force est de constater que la société CUISINE TV n’a transmis à la SCAM les documents permettant à cette dernière de disposer des renseignements utiles sur les oeuvres et leurs auteurs que le 13 mars 2003, soit postérieurement aux dernières diffusions, ainsi qu’elle le reconnaît; qu’elle n’est dès lors pas fondée à prétendre que la SCAM ne lui a pas apporté l’aide et les conseils qu’elle lui devait dès lors qu’elle n’a pas satisfait elle-même à l’obligation de renseignement qui lui incombait; C… qu’au titre de la garantie contractuelle
sollicitée par ailleurs de l’INA, la société CUISINE TV invoque les stipulations de l’article 5.1 du contrat selon lesquelles « l’Institut fait son affaire, en application des accords généraux qu’il a conclu avec les sociétés d’auteurs des autorisations et rémunérations dues aux auteurs de émissions au titre de la mise en oeuvre du droit de reproduction et/ou de représentation »; Mais attendu que cet article s’applique, ainsi qu’il le stipule expressément, aux situations dans lesquelles les auteurs en cause appartiennent à une desdites sociétés d’auteur, alors que tel n’est pas le cas en ce qui concerne Monsieur Z…; qu’en revanche, et ainsi que précisé à l’article 5.2, la garantie est due par la société CUISINE TV dans le cas contraire; qu’elle avait ainsi l’obligation d’effectuer les relevés de droits d’auteurs et de s’assurer du consentement des auteurs qui ne faisaient pas partie des sociétés d’auteur; Que cette demande de garantie est donc également mal fondée. Sur les demandes reconventionnelles:
C… que Monsieur X… a pu de bonne foi se méprendre sur la portée de ses droits; qu’en conséquence la demande reconventionnelle formée à son encontre par la société CUISINE TV sera rejetée; Sur les autres demandes:
C… qu’aucune considération ne commande d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision; C… qu’il serait inéquitable que Monsieur Z… supporte la charge de ses frais non compris dans les dépens; qu’il lui sera alloué la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile; que Monsieur X… sera condamné sur le même fondement à payer à l’INA et à la SCAM la somme de 3000 euros; C… que les dépens de l’instance seront supportés par moitié par Monsieur X… et par la société CUISINE TV. Par ces motifs Le tribunal, statuant en audience publique, par décision contradictoire et en premier ressort, Constate le désistement d’instance de Monsieur B…, Déclare
Monsieur X… irrecevable en ses demandes fondées sur les atteintes portées à ses droits patrimoniaux, Condamne la société CUISINE TV à payer à Monsieur Z… la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice patrimonial, Déboute Monsieur X… et Monsieur Z… de leurs demandes d’indemnisation fondées sur leur droit moral d’auteur, Déboute Monsieur Z… de sa demande fondée sur une faute commise à son encontre par la SCAM pour avoir autorisé une exploitation dont elle ne détenait pas les droits Déboute la société CUISINE TV de sa demande de garantie dirigée contre la SCAM et contre l’INA et de sa demande reconventionnelle dirigée contre Monsieur X…, Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire, Condamne Monsieur X… à payer à l’INA et à la SCAM la somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile, Condamne la société CUISINE TV à payer à Monsieur Z… la somme de 2000 euros sur le même fondement, Dit que les dépens seront supportés par moitié par Monsieur X… et par la société CUISINE TV seront recouvrés directement conformément aux dispositions de l’article 699 du même code. Fait et jugé à Paris le 27 Octobre 2006 Le Greffier Le Président