Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
3ème chambre 1ère section
JUGEMENT
rendu le 01 Avril 2008
DEMANDERESSE
Madame Marie- France X…
…
…
06100 NICE
représentée par Me Marc- Olivier DEBLANC- Association d’avocat LA BOETIE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire G0460
DÉFENDERESSES
Madame Sophie Y… épouse Z…
…
92800 PUTEAUX
S. A. R. L. MOLIDI 49, représentée par Madame Sophie Y… épouse Z…
…
75009 PARIS
représentées par Me Francine WAGNER- EDELMAN, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire C. 1233 et par Me Bernard WAGNER- EDELMAN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire D0096
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Marie COURBOULAY, Vice Présidente
Florence GOUACHE, Juge
Cécile VITON, Juge
assistées de Léoncia BELLON, Greffier
DÉBATS
A l’audience du 18 Février 2008 tenue en audience publique devant Marie COURBOULAY et Florence GOUACHE, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seules l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
Prononcé par remise au greffe
Contradictoire
en premier ressort
FAITS ET PRÉTENTIONS
Madame Marie- France X… est la veuve de l’artiste Raymond X…, décédé le 2 juin 2005.
Raymond X… était l’un des peintres, illustrateur et sculpteur français les plus importants de la seconde moitié du XXème siècle ; ses oeuvres sont exposées dans le monde entier.
Les époux X… s’étaient mariés le 16 décembre 1967 à Nice, sous le régime matrimonial de séparation de biens en vertu d’un contrat préalable du 22 novembre 1967.
Aucun testament n’avait été rédigé par le de cujus mais une clause de donation au dernier vif avait été stipulée dans le contrat de mariage
Les époux résidaient séparément, l’épouse à Nice et l’artiste à Courbevoie où il avait ses ateliers, mais sans qu’aucune procédure de divorce pour séparation de fait ou d’autres motifs n’ait jamais été initiée d’un côté ou de l’autre.
Madame Z… était, du vivant de l’artiste, son assistante depuis une vingtaine d’années. Le 1er février 1999, elle créa avec Monsieur X… la Société MOLIDI 49 dont l’objet était « toutes activités d’édition graphique, de promotion et de commercialisation de reproductions d’oeuvres d’art ».
Cette société compte parmi ses associés principaux Monsieur X…, Madame Z… ainsi que son époux Monsieur Gilles Z…, Monsieur Luk B… et une Société GROUPE 49.
Lors de la liquidation de la succession de son époux, Madame X… a découvert que Madame Z… et la Société MOLIDI 49 se présentaient dans de nombreux documents à l’égard des tiers comme titulaires des droits d’exploitation sur les oeuvres de Monsieur X….
Contestant les droits que Mme Z… et la société MOLIDI 49 prétendaient détenir sur la gestion des oeuvres, Madame X… les a fait assigner, par acte délivré les 22, 24, 29 et 30 mars 2006, devant le Tribunal de grande instance de Paris.
Dans ses dernières conclusions du 20 août 2007, Mme Marie- France X… demande au Tribunal de :
faire injonction à la Société MOLIDI 49 de communiquer l’ensemble des comptes sociaux et annexes depuis sa création, ainsi que tous les éléments comptables relatifs à l’exploitation des droits sur les oeuvres de Monsieur X… ;
faire injonction à la Société MOLIDI 49 et / ou Madame Z… de communiquer toutes les demandes d’exploitation, autorisations, redditions de comptes, factures afférentes à l’exploitation de l’oeuvre de Monsieur X… ;
constater que la Société MOLIDI et Madame Z… ne communiquent aucun document susceptible de valider une cession des droits d’auteur à leur profit ;
dire et juger que le projet de testament versé aux débats est nul et de nul effet n’étant ni signé ni daté ;
dire et juger que Madame X… est seule titulaire de l’ensemble des droits patrimoniaux sur l’oeuvre de son mari et du droit moral de l’artiste ;
condamner la Société MOLIDI 49 à restituer dans leur intégralité les sommes qui auraient été versées à la Société MOLIDI 49 ou à Madame Z… du fait de l’exploitation des oeuvres de Monsieur X… ;
dire et juger que Madame X… a subi un préjudice moral particulièrement important du fait des agissements des co- défenderesses, agissements qui la contraignent aujourd’hui à devoir justifier de ses droits sur l’oeuvre de son mari ;
condamner in solidum les co- défenderesses à payer à Madame X… la somme de 200. 000 à titre de dommages et intérêts ;
ordonner la publication du jugement dans trois publications au choix de la demanderesse à hauteur de 7. 500 par publication ;
ordonner le retrait des débats des allégations et références à la vie privée de Madame X…, à sa prétendue cupidité, à ses pratiques cultuelles ;
condamner in solidum la Société MOLIDI 49 et Madame Z… à payer à la demanderesse 5. 000 au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile outre les entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions du 11 septembre 2007, Madame Sophie C… épouse Z… et la Société MOLIDI 49 sollicitent du tribunal de :
débouter Madame X… de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
dire et juger que les deux projets de testament olographe rédigés par Monsieur X… qui instituaient Madame Z… exécuteur testamentaire sont corroborés, malgré pour l’un l’absence de date et de signature et pour l’autre son caractère dactylographié, à la fois par son intention, attestée, d’avoir fait le projet d’adopter Madame Z… et par les innombrables témoignages qui faisaient valoir la très grande proximité intellectuelle de l’artiste et de Madame Z… ;
dire et juger que s’agissant de l’exercice du droit moral, une telle proximité est particulièrement essentielle et que la transmission du droit moral par les règles ordinaires de la dévolution successorale aboutiraient à instituer exécuteur testamentaire Madame X…, son épouse, dont il était séparé depuis plus de trente ans ;
dire et juger que Monsieur X… a cédé tous les droits d’exploitation de son oeuvre à la Société MOLIDI 49, dont il était actionnaire, et dont la seule activité, depuis sa création en 1999 consistait à gérer son oeuvre ;
dire et juger que cette cession a été confirmée par Monsieur X… à l’occasion de la conclusion de plusieurs contrats, et du testament du 25 septembre 2004 qui, en tout état de cause, a valeur probante à cet égard ;
dire et juger que Madame Z… a subi un préjudice moral important du fait du comportement particulièrement haineux et soupçonneux de Madame X… qui l’a soupçonnée, notamment, de soustraction frauduleuse sur les biens de son époux ;
condamner Madame X… à verser à Madame Z… 50. 000 à titre de dommages et intérêts ;
débouter Madame X… de sa demande en retranchement des débats d’allégations et d’accusations à son égard, dès lors que ces passages étaient indispensables pour justifier la défense de Madame Z… ;
ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq publications au choix de Madame Z…, à hauteur de 500 par publication ;
condamner madame X… à verser la somme de 5. 000 au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
La clôture a été prononcée le 5 décembre 2007.
MOTIFS
– sur la titularité du droit moral.
L’article L 121-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose :
» L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.
Ce droit est attaché à sa personne.
Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.
Il est transmissible aux héritiers de l’auteur.
L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires « .
L’exercice du droit moral de l’auteur attaché à sa personne, une fois celui- ci décédé, est organisé par ce texte. Il attribue, à défaut d’exécuteur testamentaire désigné par l’auteur, les héritiers de l’auteur.
En l’espèce, Raymond X… n’a pas désigné Mme Z… comme exécuteur testamentaire et il n’a pas initié de procédure d’adoption même s’il ressort des pièces versées au débat qu’il a envisagé un moment cette possibilité.
A défaut d’enfants issus du mariage des époux X…, Mme Marie- France X… est la seule héritière de l’artiste comme l’établit l’acte de notoriété du 6 décembre 2005 versé au débat.
Au vu des pièces régulièrement mises au débat, il apparaît d’une part que si les époux X… avaient des résidences séparées, leur union existait toujours et que ni l’un ni l’autre époux n’a envisagé de la rompre ; d’autre part, que Raymond X… connaissait les dispositions du Code de la propriété intellectuelle et a réfléchi à une autre dévolution de l’exercice du droit moral, comme en atteste la consultation auprès d’avocat en date du 25 juillet 2002, le projet d’adoption ou les projets de testament, mais qu’il a finalement décidé, en connaissance de cause, de ne rien faire et de laisser à sa femme le plein exercice des droits d’auteur.
En conséquence, il ne peut être prétendu que de ces projets ressort une volonté claire et précise de l’auteur de conférer à Mme Z… l’exercice d’un quelconque droit moral ; en effet, la manifestation claire de la volonté de l’auteur a été, après avoir pris conseil et réfléchi à d’autres solutions, de ne rien changer aux dispositions légales et de ne pas désigner de tiers par des dispositions testamentaires valables.
Les lettres de soutien de tiers attestant de la volonté de l’artiste de confier son droit moral à Mme Z… sont totalement inopérantes et ne peuvent rapporter la seule preuve qui pourrait être opposable à Mme X…, à savoir un testament rédigé en bonne et due forme.
Mme Z… fait encore référence à une volonté de nuisance de l’héritier, à son incapacité, à son éloignement et son ignorance de l’oeuvre de Raymond X… pour justifier du refus d’attribuer le droit moral à son épouse.
Or, outre que ces moyens sont inopérants au regard des règles de succession prévues à l’article L 121-1 du Code de la propriété intellectuelle qui sont les règles de dévolution communes, ils sont de plus non étayés.
En effet, seule une lettre de Mo D…, ancien maire de Nice écrite en 2005, montre qu’une exposition prévue à Nice, n’a pu voir le jour en raison du refus opposé par Mme Marie- France X…, refus motivé par les difficultés nées de la succession et de l’attitude de Mme Z….
Aucune autre preuve de la volonté de nuisance de Mme Marie- France X… quant à l’exploitation et la mise en valeur de l’oeuvre de son mari n’est produite.
Les époux, s’ils vivaient séparément, avait gardé une communauté de vie comme le montrent les attestations versées au débat par Mme Marie- France X….
Aucun élément ne justifie d’un désintérêt de Mme Marie- France X… pour l’oeuvre de son mari, d’une cupidité particulière de la demanderesse ni même de son appartenance à la secte japonaise Sukyo Mahikari, hormis la consultation de son mari auprès de son conseil.
En conséquence, Mme X… est seule titulaire du droit moral attaché à la personne de son mari.
– sur la titularité du droit patrimonial
Et l’article 123-6 du Code de la propriété intellectuelle
» Pendant toute la période prévue à l’article L 123-1, le conjoint survivant, contre lequel n’existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps, bénéfice, quelque soit le régime matrimonial et indépendamment des droits qu’il détient des articles 756, 757-3 et 764 à 766 du Code civil sur les autres biens de la succession, de l’usufruit du droit d’exploitation dont l’auteur n’aura pas disposé. »
Le conjoint survivant est le titulaire de l’usufruit du droit d’exploitation des oeuvres dont l’auteur n’aura pas disposé.
En l’espèce, Raymond X… n’a pas davantage pris de disposition particulière, legs, donation, en faveur de Mme Z….
La Société MOLIDI 49 prétend qu’elle a eu très vite eu comme activité principale la gestion et l’exploitation des droits sur les oeuvres de Monsieur X… et qu’elle détiendrait tous les droits d’exploitation des oeuvres du défunt.
Or, l’objet social de la société MOLIDI 49 est : « toutes activités d’édition graphique, de promotion et de commercialisation de reproductions d’oeuvres d’art » et non gestion des oeuvres de Raymond X….
La société MOLIDI 49 ne justifie aucunement avoir reçu cession des droits patrimoniaux de l’artiste sur l’ensemble de son oeuvre ni même sur certaines oeuvres.
En effet, il exerce une différence certaine entre exercer la gestion des droits patrimoniaux de Raymond X…, ce dernier étant par ailleurs associé de la société MOLIDI 49, et être titulaire des dits droits.
Aucun document ne démontre que Raymond X… a cédé ses droits à la société MOLIDI 49, ni qu’il a entendu le faire.
Raymond X… s’est contenté de céder ses parts au sein de la société MOLIDI 49 à Mme Z… sans lui céder par un acte séparé les droits patrimoniaux sur ses oeuvres.
Mme X… est donc seule titulaire des droits patrimoniaux sur les oeuvres de son mari Raymond X….
En conséquence, la Société MOLIDI 49 sera condamnée à restituer à Mme X… dans leur intégralité les sommes qui lui auraient été versées du fait de l’exploitation des oeuvres de Monsieur X….
Il sera également fait injonction à la Société MOLIDI 49 de communiquer tous les éléments comptables relatifs à l’exploitation des droits sur les oeuvres de Monsieur X… et à la Société MOLIDI 49 et / ou Madame Z… de communiquer toutes les demandes d’exploitation, autorisations, redditions de comptes, factures afférentes à l’exploitation de l’oeuvre de Monsieur X….
Il sera également ordonné la publication du jugement dans trois publications au choix de la demanderesse et aux frais des défenderesses à hauteur de 3. 500 par publication.
– sur la demande de retrait.
Mme Marie- France X… demande le retrait des débats des allégations et références à sa vie privée, à sa prétendue cupidité et à ses pratiques cultuelles au motif que l’obligation de réserve que doivent respecter les écritures dans le cadre d’un débat judiciaire n’a pas été respectée et ce en contravention avec l’article 24 du Code de procédure civile.
Les défenderesses font valoir que les arguments employés étaient nécessaires pour étayer leurs moyens et n’ont pas été utilisés dans le but de nuire à la demanderesse.
Les allégations de Mme Z… et de la société MOLIDI 49 ayant trait à la vie privée de la demanderesse et considérant qu’il n’existait plus de véritable union entre les époux ont été soutenues dans l’intérêt de la défense et n’ont pas été tenues dans des termes injurieux ; elles reflètent l’opinion de Mme Z… sans revêtir un caractère calomnieux
Mme Marie- France X… prétend qu’il est donné d’elle une image dégradante car il est lui est prêté une certaine cupidité et il est fait état de son appartenance à une secte.
Or, il a été dit plus haut qu’aucune de ses affirmations n’est établie et il est peu flatteur d’être traitée de personne cupide et d’être taxée d’appartenir à une secte jugée dangereuse. Néanmoins, Mme Marie- France X… ne citant pas expressément les phrases ou les termes qu’elle entend voir retirer des débats, sa demande sera déclarée mal fondée.
– sur les autres demandes.
Madame X… ne démontre pas subir un préjudice, même moral, du fait du comportement de Mme Z… qui a pu se méprendre sur les intentions de Raymond X….
Elle sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;
Les conditions sont réunies pour condamner Mme Z… et la société MOLIDI 49 à payer in solidum la somme de 5. 000 euros à Mme Marie- France X… au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant par remise au greffe et par jugement contradictoire et en premier ressort,
– Dit que Madame Marie- France X… est seule titulaire de l’ensemble des droits patrimoniaux sur l’oeuvre de son mari, Raymond X…, et du droit moral de l’artiste ;
En conséquence,
Fait injonction à la Société MOLIDI 49 de communiquer les éléments comptables relatifs à l’exploitation des droits sur les oeuvres de Monsieur X… depuis le décès de celui- ci.
Fait injonction à la Société MOLIDI 49 et / ou Madame Z… de communiquer toutes les demandes d’exploitation, autorisations, redditions de comptes, factures afférentes à l’exploitation de l’oeuvre de Monsieur X….
Condamne la Société MOLIDI 49 à restituer dans leur intégralité les sommes qui auraient été versées à la Société MOLIDI 49 du fait de l’exploitation des oeuvres de Monsieur X… depuis le décès de Raymond X….
Ordonne la publication, une fois le jugement devenu définitif, dans trois publications au choix de Mme Marie- France X… et aux frais de Mme Z… et de la société MOLIDI 49 à hauteur de 3. 500 par publication, de l’extrait de jugement suivant :
» Par jugement du 1er avril 2008, le tribunal de grande instance de Paris a dit que Madame Marie- France X… est seule titulaire de l’ensemble des droits patrimoniaux sur l’oeuvre de son mari, Raymond X…, et du droit moral de l’artiste « .
Déboute Mme Marie- France X… de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande de retrait des débats des allégations et références à sa vie privée, à sa prétendue cupidité et à ses pratiques cultuelles.
Condamne in solidum la Société MOLIDI 49 et Madame Z… à payer à la Mme Marie- France X… 5. 000 au titre de l’article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens dont distraction au profit de Mo Marc- Olivier DEBLANC, avocat, par application de l’article 699 du Code de procédure civile.
FAIT ET RENDU A PARIS LE 1ER AVRIL par Mme Marie COURBOULAY- Vice- Président- assistée de Mme BELLON- Greffier-
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT