Travaux d’impression : la rupture abusive de relation commerciale

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Travaux d’impression : la rupture abusive de relation commerciale
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Y compris pour les travaux d’impression, la rupture brutale sans préavis ne peut intervenir que dans les seuls cas de force majeure et de manquement imputable au partenaire évincé, lequel doit présenter une certaine gravité.

Pour valoir notification de la rupture et faire débuter le préavis, l’écrit ne doit être empreint d’aucun caractère équivoque tant quant à la volonté de son auteur que quant à la date de la cessation effective de la relation.

En l’espèce, la Cour retient qu’un préavis de 6 mois était suffisant en raison des éléments suivants :

  • la relation commerciale a duré 9 ans et demi,
  • eu égard aux particularités de la relation tissée (impression de catalogues haut de gamme et importance du chiffre d’affaires réalisé avec le partenaire), Telliez ne pouvait aisément obtenir d’autres clients des commandes dans des conditions comparables,
  • aucune exclusivité économique n’avait été consentie,
  • il n’est justifié par Telliez d’aucun investissement spécifique réalisé dans le cadre de la relation,
  • il n’est pas fait état de cycle particulier de production ou de distribution,
  • il existait de réelles perspectives de reconversion et de réorganisation du partenaire évincé eu égard à l’ouverture à la concurrence du marché de l’imprimerie.

Les éléments postérieurs à la rupture ne doivent pas être pris en compte pour apprécier la durée du préavis (Cass. com., 17 mai 2023 n°21-24.809). Dans ces circonstances, la Cour considère que le délai de préavis de 6 mois accordé par Piasa dans sa lettre du 30 juin 2017 est nécessaire et suffisant.


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4



ARRET DU 20 SEPTEMBRE 2023



(n° 157 , 10 pages)



Numéro d’inscription au répertoire général : 21/01999 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDA4G



Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Décembre 2020 – Tribunal de Commerce de Paris 04 – RG n° 2018068183





APPELANTES



S.A. PIASA agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 440 257 145

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,

assistée de Me Guillaume BUGE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0201



S.A.S. TELLIEZ COMMUNICATION prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Compiègne sous le numéro 501 615 090

[Adresse 2]

[Localité 5]



représentée et assistée de Me Nathalie RAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : G0528





INTIMEES



S.A.S. TELLIEZ COMMUNICATION agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Compiègne sous le numéro 501 615 090

[Adresse 2]

[Localité 5]



représentée et assistée de Me Nathalie RAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : G0528



S.A. PIASA agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 440 257 145

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,

assistée de Me Guillaume BUGE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0201









COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Juillet 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre.



Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre,

Madame Sophie Depelley, conseillère

Monsieur Julien Richaud, conseiller,



Greffier, lors des débats : Madame Saoussen Hakiri



ARRÊT :



– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

– signé par Madame Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre, et par Monsieur Maxime Martinez, greffier, auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige




FAITS ET PROCÉDURE



La société Piasa est une maison de ventes aux enchères spécialisée, en particulier, dans le design. Elle réalise, pour chaque enchère, un catalogue papier qui est principalement distribué à titre gratuit auprès des clients.



La société Telliez Communication (ci-après “Tellier”), créée en novembre 2007, a pour activité les travaux d’imprimerie. Elle a acquis en janvier 2008 le fonds de commerce de la société Imprimerie Telliez, laquelle avait déjà réalisé des catalogues Piasa en 1996, 1998 et 2000 notamment.



La société Pisa a régulièrement confié des travaux d’impression Tellier Communication, la moyenne annuelle du chiffre d’affaires entre les parties s’élevant à la somme de 666 591 € HT sur la période 2014 – 2016.



Courant 2016, Piasa a mené une revue de ses charges d’exploitation, en lien avec son résultat d’exploitation net négatif depuis plusieurs exercices. Elle a estimé, après étude comparative, que les tarifs d’impression des catalogues de Telliez présentaient un caractère élevé par rapport à d’autres imprimeurs spécialisés.



Telliez a proposé une remise de 6 % (5% étant accordé depuis 2 ans), s’agissant des prestations passées en 2016. Une baisse plus sensible a été discutée s’agissant des tarifs à venir. Dans l’attente, Piasa a retenu le règlement de certaines factures.



Telliez a fait délivrer à Piasa une sommation de payer par voie d’huissier le 9 janvier 2017 puis une assignation en référé d’heure à heure le 23 janvier 2017 à l’effet d’obtenir le paiement de 220 747,13 € TTC correspondant à des factures échues et de 110 819,10 € TTC correspondant à des factures à échoir jusqu’au 1er mars 2017. Elle a également fait procéder entre le 23 et 30 janvier 2017 à trois saisies conservatoires sur les avoirs, les meubles et des comptes de tiers de Piasa.



Par courrier du 31 janvier 2017, Piasa lui a fait connaitre qu’elle contestait les factures réclamées et a indiqué sa “volonté de poursuivre les relations commerciales (‘) dès lors que des conditions tarifaires satisfaisantes pouvaient être convenues”, ajoutant que sans retour cependant de Telliez sur ce point, elle ne pouvait que constater que le comportement de son partenaire confirmait sa volonté de ne pas poursuivre les relations commerciales.



Le 3 février 2017, le tribunal de commerce de Paris a constaté que les parties s’étaient rapprochées et étaient parvenues à un accord par lequel Piasa s’engageait à payer au plus tard le 10 février 2017 la somme de 200 000 € et 6 mensualités de 27 814,31 € à compter du 1er mars 2017.



Les partenaires se sont rencontrés postérieurement pour discuter des conditions tarifaires pour 2017, mais ne sont pas parvenus à s’entendre. Piasa a fait état d’une dégradation de la qualité des prestations fournies.



Par lettre du 30 juin 2017, Piasa a informé Telliez de sa décision de cesser ses relations commerciales à l’issue d’un préavis de 6 mois, soit au 31 décembre 2017.



Par acte du 4 décembre 2018, la société Telliez a assigné la société Piasa devant le tribunal de commerce de Paris pour rupture brutale de la relation commerciale établie.



Par jugement du 21 décembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a :



– Condamné la SA Piasa à verser la somme de 54 577 € à la SAS Telliez Communication au titre de l’inexécution partielle du préavis,

– Débouté la SA Piasa de sa demande d’indemnisation à hauteur de 20 000 € en réparation de l’abus que constitue l’action de la SAS Telliez Communication,

– Condamné la SA Piasa à payer à la SAS Telliez Communication la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

– Ordonné l’exécution provisoire,

– Condamné la SA Piasa aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.



Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 28 janvier 2021, la société Piasa a interjeté appel de ce jugement (RG n° 21/01999). Telliez a également formé appel le 1er mars 2021 (RG N° 21/03969). Les deux procédures ont été jointes le 14 septembre 2021.


Moyens

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 11 mai 2023, la société Piasa demande à la Cour de :

– Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

– Débouter Telliez de son appel principal et de son appel incident,



En conséquence,

– Juger qu’il n’y a eu aucune rupture d’une relation établie ;

– Subsidiairement, juger que la rupture n’a pas été brutale ;

– Plus subsidiairement, juger que la situation dans laquelle se trouvait Piasa et les fautes de Telliez justifiaient les conditions de la résiliation ;



– En tout état de cause, juger que Telliez ne peut réclamer plus que la marge moyenne du secteur de l’imprimerie sur une période de six mois et par référence au total de commande de catalogues de Piasa en 2017, soit 89.328 € ;

– Juger que sur cette période Telliez a déjà reçu de Piasa la somme de 122.966 € ;



– En tout état de cause, débouter Telliez de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,



– Condamner Telliez à verser à Piasa la somme de 20.000 € au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens (y compris la totalité des frais et honoraires d’huissier en cas d’exécution forcée de la décision à intervenir, en ce compris tout droit proportionnel, en application des dispositions des articles A. 444-31 et A-444.32 du code de commerce et L. 111-8 du code des procédures civiles d’exécution) avec le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.



Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 6 juin 2023, la société Telliez demande à la Cour de :



– Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 21 décembre 2020, en ce qu’il a limité À la somme de 54.577 € le montant de la condamnation prononcée à l’encontre de la société Piasa en réparation du préjudice subi par Telliez Communication résultant de l’inexécution partielle du préavis,

– Le confirmer pour le surplus,

– Débouter la société Piasa de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.



Statuant à nouveau,

– Condamner la société Piasa à payer à la société Telliez Communication de 326.446 €,

– La condamner au règlement de la somme de 30.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– La condamner en tous les dépens d’appel (y compris la totalité des frais et honoraires d’huissier en cas d’exécution forcée de la décision à intervenir, en ce compris tout droit proportionnel, en application des articles A. 444-31 et A. 444.32 du code de commerce et L.111-8 du code des procédures civiles d’exécution).



L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 juin 2023.

Motivation




MOTIVATION



La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.



La Cour rappelle que les ruptures brutales intervenues avant le 26 avril 2019 sont soumises à l’ancien article L. 442-6, I, 5e du code de commerce, lequel dispose :



“Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé par le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers :

(…) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (‘) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.”



Sur l’existence de relations commerciales établies



Exposé du moyen :



La société Piasa soutient que le fait pour l’Imprimerie Telliez d’avoir pu réaliser des impressions épisodiques dans les années 90 ne caractérise pas une relation établie dès cette date. Elle considère que ne doivent en outre pas être pris en compte les commandes d’impression hors catalogues, d’une part, et le routage, d’autre part. Elle invoque enfin une perte de confiance en raison du refus de Telliez Communication de renégocier de bonne foi ses tarifs.



La société Telliez répond, s’appuyant sur une jurisprudence constante, qu’une relation commerciale est établie lorsqu’elle est régulière, significative et stable, et qu’il en est de même lorsque la relation est fondée sur une succession de contrats ponctuels. Elle souligne aussi que l’absence de relations d’affaires ne peut résulter de l’inexistence d’un accord-cadre entre les deux parties ou de l’absence de garantie de chiffre d’affaires ou d’exclusivité entre elles.



Sur le point de départ de la relation, Telliez rappelle que l’ancien article L. 442-6, I, 5° du code de commerce n’exige pas que les relations commerciales aient existé depuis leur origine entre les mêmes personnes physiques ou morales. Aux termes de la jurisprudence, il suffit que ces personnes aient eu l’intention de poursuivre la relation initialement nouée par d’autres entités, aux droits desquelles elles sont venues. Elle estime que tel est le cas en l’espèce, les impressions assurées auparavant par Imprimerie Telliez l’ayant ensuite été par Telliez Communication. La relation commerciale lui parait en conséquence remonter à 1996 au moins, comme le démontrent des ouvrages imprimés par Telliez dès 1998.



Telliez souligne également que l’importance du chiffre d’affaires réalisé au fil des années conforte le caractère régulier, significatif et stable de la relation commerciale, sachant que jusqu’à la fin de l’année 2016, Telliez bénéficiait d’une exclusivité de fait auprès de Piasa.



Réponse de la Cour :



Il ressort des pièces versées aux débats que les relations entre les parties portent essentiellement sur les impressions de catalogue, ainsi que des brochures, des cartons d’invitation, des cartes de correspondance et des cartes de voeux, lesquelles n’étaient pas organisées par contrat écrit.



La société Telliez Communication a communiqué deux procès-verbaux de constat d’huissier évoquant le contenu des 11 CD Rom intitulés “travaux divers”, antérieurs à sa date de création. Elle produit aussi deux attestations d’anciens salariés de l’imprimerie Tellier (une opératrice PAO et un massicoteur) attestant de la présence de Piasa dans le portefeuille des clients de la société Imprimerie Telliez depuis leur recrutement en 1996.



Si ces éléments (qui n’ont pas fait l’objet d’une exploitation raisonnée chronologique et restent parcellaires) ne sont pas suffisants pour démontrer que la relation d’affaires initiale avec l’Imprimerie Telliez présentait un caractère établi et que cette relation se serait poursuivie selon les mêmes modalités, nonobstant le changement de partenaire économique, ils permettent de faire remontrer le début de la relation commerciale à 2008.



Il se déduit des extraits des grands livres de Telliez pour le client Piasa produits que ce dernier lui a ensuite confié sans discontinuer des travaux d’impression. Il est en outre établi qu’en 2016, Tellier a imprimé 53 des 55 catalogues Piasa (pièce Piasa n°45 : extrait de son grand-livre 2016).



Il ressort par ailleurs des pièces versées que la prestation de routage (acheminement des travaux d’impression, lesquels ne concernaient pas que les catalogues, auprès des clients) lui était également déléguée de manière habituelle.



Il s’ensuit que la relation commerciale, laquelle n’est pas divisible, a revêtu à compter de 2008, un caractère suivi, stable et habituel et que Telliez pouvait raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial.



Les discussions intervenues fin 2016 à propos des tarifs applicables ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère établi de la relation commerciale. Ces échanges n’ont pu par eux-mêmes introduire une précarité excluant la croyance légitime de Telliez dans la pérennité de la relation.



Sur les circonstances de la rupture des relations commerciales établies



Exposé du moyen :



La société Piasa soutient, d’abord, qu’il n’y a pas eu de rupture brutale de relation établie le 30 juin 2017 puisque la relation antérieure avait pris fin par le courrier du 31 janvier 2017 et que s’en étaient suivi des pourparlers susceptibles de déboucher sur une nouvelle relation. En conséquence, à la date de leur échec, le 30 juin 2017, les conditions d’application de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce n’étant selon elle pas réunies et il n’était pas nécessaire de prévoir un préavis.



Piasa fait valoir, ensuite, que dès lors que la rupture est à son sens intervenue le 31 janvier 2017, et que des commandes ont été passées auprès de Telliez tout au long de l’année 2017, le préavis de fait accordé a été de 11 mois.



S’agissant de la date de la rupture, Telliez répond que les termes de la lettre du 30 juin 2017 sont clairs, et ne font aucune référence à une rupture intervenue le 31 janvier 2017 et à l’ouverture d’une période de pourparlers. Elle ajoute que si la Cour devait considérer que la rupture a été consommée par la lettre du 31 janvier 2017, il n’en reste pas moins qu’avant cette lettre, la relation commerciale entre les parties existait bel et bien et que Piasa aurait dû lui notifier par écrit un préavis.



S’agissant de la brutalité de la rupture, Telliez rappelle que la jurisprudence retient une rupture partielle lorsqu’est constatée une baisse de commandes ou du chiffre d’affaires. Elle considère qu’à compter du 1er janvier 2017, Piasa a rompu une première fois de façon partielle et brutale sans aucun préavis ses relations avec Telliez. Le nombre de commandes passées auprès d’elle par Piasa a considérablement diminué, ainsi que le chiffre d’affaires correspondant. Piasa a dans un second temps rompu définitivement les relations commerciales et l’a formalisé cette fois par écrit, en notifiant un préavis de 6 mois à compter du 30 juin 2017. Elle a dans ce cadre méconnu les exigences posées par la Cour de cassation quant aux modalités de l’exécution de ce préavis, lesquelles supposent le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures. Or, à compter du 1er juillet 2017, le nombre de commandes n’a pas cessé de décroître par rapport à l’année précédente, tout comme le chiffre généré. Le montant de chaque commande a également régressé.



Réponse de la Cour :



Pour valoir notification de la rupture et faire débuter le préavis, l’écrit ne doit être empreint d’aucun caractère équivoque tant quant à la volonté de son auteur que quant à la date de la cessation effective de la relation.



La lettre du 30 juin 2017, par laquelle la société Piasa a notifié à la société Teilliez son intention de rompre la relation commerciale au 31 décembre 2017, soit avec un délai de préavis de 6 mois, est claire et non équivoque.



Il s’ensuit que l’existence de deux ruptures successives en 2017 n’est pas démontrée, mais il appartient à la Cour de vérifier si le préavis de 6 mois ainsi notifié était suffisant et effectif.



Sur les causes d’exonération de responsabilité alléguées



Exposé du moyen :



Piasa fait valoir que quand bien même elle aurait brutalement mis un terme à la relation établie, la rupture pouvait être immédiate et sans aucune forme particulière dans la mesure où deux causes exonératoires existent selon elle en l’espèce :

– Les pertes systématiques depuis plusieurs années causées notamment par les prix abusifs pratiqués par Telliez la plaçaient dans une position financière impossible. Il ne saurait donc être reproché à Piasa d’avoir réduit son volume de commandes.

– Le comportement adopté par Telliez (prix abusifs, assignations en paiement de factures non échues, saisies conservatoires, menaces d’atteintes à la réputation) justifie selon elle qu’elle rompe la relation sans préavis.

Telliez souligne en réponse, tout d’abord, que Piasa ne rapporte pas la preuve que ses pertes seraient imputables aux prix de Telliez alors même que les charges de personnel de cette maison de vente ont augmenté de plus de 336 000 € entre 2014 et 2016. Elle soutient que Piasa a fait le choix de sacrifier son imprimeur afin d’assumer des choix de gestion et une restructuration importante tout en augmentant ses charges de personnel de manière conséquente. Il n’y aurait aucune corrélation entre les pertes de Piasa et les prix de Telliez. Elle ajoute que Piasa se situe à la 4ème place sur le marché français des sociétés de vente aux enchères publiques, avec une valorisation fin 2017 de son fonds de commerce à plus de 6,5 millions d’euros et des capitaux propres de 5 342 535 €, si bien que la situation de Piasa n’est pas économiquement préoccupante. Sa cliente a au demeurant pu régler 200 000 euros dès le 10 février 2017. Le contexte économique du marché de l’art dans lequel évolue Piasa ne connait par ailleurs aucune récession.



Telliez fait valoir, ensuite, qu’aucune faute grave ne peut lui être imputée. Elle souligne que l’éventuelle cherté d’une prestation n’a jamais été une cause d’exonération permettant au cocontractant de rompre partiellement la relation, sans notification d’un quelconque préavis aux conditions habituelles antérieures pour ensuite réduire considérablement le volume d’affaires durant le préavis. Elle soutient aussi avoir agi en justice car c’était le seul moyen d’obtenir paiement d’une créance conséquente, laquelle a au demeurant fini par être payée. S’agissant des défauts qui lui ont été reprochés, ceux-ci n’ont affecté que la commande d’avril 2017 et n’ont concerné que quelques exemplaires. Les autres manquements/retards sur des parutions ultérieures ne sont pas prouvés. Enfin, Telliez avance que Piasa ne saurait se prévaloir de l’absence de négociation de bonne foi pour les tarifs applicables à compter de février 2017 dès lors que l’imprimeur a consenti une diminution de 15 % par rapport à ceux pratiqués antérieurement et a immédiatement appliqué ces tarifs revus à la baisse tout au long de 2017. La notion de bonne foi dans la négociation des tarifs pour 2017 ne signifiait nullement que Telliez s’aligne sur le prix que Piasa considérait arbitrairement comme étant celui du marché. La bonne foi signifie seulement l’ouverture d’un dialogue loyal entre les parties avec une attitude proactive de Piasa.



Réponse de la Cour :



La rupture brutale sans préavis ne peut intervenir que dans les seuls cas de force majeure et de manquement imputable au partenaire évincé, lequel doit présenter une certaine gravité.



Force est de constater qu’aucune de ces circonstances permettant d’écarter la qualification de rupture brutale n’est caractérisée en l’espèce, ainsi qu’en a de manière justifiée jugé le tribunal, alors qu’il incombe à Piasa de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.

La responsabilité délictuelle de Piasa est en conséquence engagée en application de l’article L. 442-6, I, 5e du code de commerce.



Sur la durée du préavis nécessaire



Exposé du moyen :



La société Telliez demande que le délai soit fixé à douze mois compte tenu de l’ancienneté de la relation, de l’existence d’une quasi-exclusivité entre les parties, de la difficulté à trouver sur le marché un partenaire de rang équivalent et de l’importance financière de la relation commerciale (le chiffre d’affaires généré par Piasa représentant 39,5% du chiffre d’affaires global de Telliez). Elle fait valoir que le groupe Morault dont elle fait partie a décidé de la regrouper juridiquement puis géographiquement avec une autre identité (ISL, précédemment rachetée) et que sans cette fusion-absorption, son chiffre d’affaires aurait accusé un recul de 810 884 euros par rapport à l’exercice 2016. Elle rappelle qu’en toute hypothèse, la situation s’apprécie au moment de la notification de la rupture.



Telliez souligne que l’avènement d’internet et du numérique conduit structurellement à la désaffection des ouvrages “papier”, entrainant une récession dans le secteur de l’imprimerie depuis plusieurs années, le tout dans un secteur très concurrentiel. Elle soutient par ailleurs que le tribunal n’a pas pu valablement retenir une durée de préavis de 4 mois alors que Piasa a elle-même consenti un préavis de 6 mois par lettre du 30 juin 2017.



La société Piasa répond, d’abord, que la situation de Telliez postérieurement à la rupture démontre qu’elle n’en a pas souffert, puisque son chiffre d’affaires a sensiblement augmenté en 2017.



Elle fait valoir, ensuite, que la durée du préavis ne saurait être majorée au prétexte que Telliez se serait trouvée en situation de dépendance économique vis-à-vis de Piasa, rien ne venant étayer une telle dépendance. Elle observe n’avoir jamais demandé à Telliez de ne prendre que ses commandes ou de les faire passer avant les autres clients. Elle ajoute que le groupe Morault dont Telliez est une filiale évoque sur son site internet la complète intégration de ses neuf “sites de production” au sein d’une entreprise unique, laquelle est un acteur économique bien plus important que Piasa (55 millions d’euros de chiffres d’affaires).



Réponse de la Cour :



La Cour retient qu’au cas présent :

– la relation commerciale a duré 9 ans et demi,

– eu égard aux particularités de la relation tissée (impression de catalogues haut de gamme et importance du chiffre d’affaires réalisé avec le partenaire), Telliez ne pouvait aisément obtenir d’autres clients des commandes dans des conditions comparables,

– aucune exclusivité économique n’avait été consentie,

– il n’est justifié par Telliez d’aucun investissement spécifique réalisé dans le cadre de la relation,

– il n’est pas fait état de cycle particulier de production ou de distribution,

– il existait de réelles perspectives de reconversion et de réorganisation du partenaire évincé eu égard à l’ouverture à la concurrence du marché de l’imprimerie.



La Cour rappelle que les éléments postérieurs à la rupture ne doivent pas être pris en compte pour apprécier la durée du préavis (Cass. com., 17 mai 2023 n°21-24.809).



Dans ces circonstances, la Cour considère que le délai de préavis de 6 mois accordé par Piasa dans sa lettre du 30 juin 2017 est nécessaire et suffisant.



Sur le préjudice tiré de l’inexécution du préavis



Exposé du moyen :



Piasa fait valoir, tout d’abord, que la référence à la moyenne des chiffres d’affaires réalisés par Telliez grâce à Piasa au cours des trois derniers exercices n’a pas de sens car ses charges d’impression sont par essence variables et qu’elles ont baissé (diminution de plus de 33% entre 2016 et 2017), les frais de routage, qui sont fonction du nombre d’impression de catalogues, chutant par hypothèse dans les mêmes proportions.



Elle considère en outre que le chiffre d’affaires moyen retenu ne doit pas comprendre les commandes d’impression hors catalogues et le routage.



Piasa conteste enfin le taux de marge brute avancé par Telliez, soit 60,05 %, car il n’a été fourni que dans un second temps et sans qu’aucune comptabilité analytique ne soit produite à l’appui. Telliez avance finalement que sa marge sur coûts variables est de 52,94%, en lien sans doute avec l’étude de l’OFCE sur les taux de marge (pièce n°21 Piasa – marge moyenne dans le secteur de l’imprimerie) mais ce taux n’est pas non plus documenté, ce qui constitue une carence probatoire.



La société Tellier pointe le manque de transparence de Piasa s’agissant des impressions (autres que les catalogues) ainsi que le routage, malgré sommations de communiquer. Elle en déduit que le chiffre de 666 591 euros qu’elle retient par défaut est de fait en deça de la réalité.



Elle demande que la Cour confirme le jugement attaqué en ce qu’il a constaté que Piasa n’a pas maintenu un courant d’affaires régulier durant l’exécution du préavis et que ce dernier donc fait l’objet d’une inexécution partielle. Après soustraction du chiffre d’affaires réalisé sur l’année 2017 (122 966 euros), elle soutient que son manque à gagner s’est élevé à 543 625 euros.



Elle fait valoir, ensuite, que son taux de marge a été calculé selon les règles comptables, d’après les chiffres figurant dans son compte de résultat et le détail des charges pour l’exercice 2017 certifiés par son commissaire aux comptes. S’agissant de la marge sur coûts variables, celle-ci s’élève sur l’année 2017 à 52,94 %, ainsi qu’il ressort de l’attestation de son commissaire aux comptes (pièce Tellier n°79).



Elle soutient, enfin, que si cet indicateur devait être retenu par la Cour, il convient de tenir compte des frais supplémentaires spécifiques supportés du fait du dommage et de la réduction des frais de structure induite par ce même dommage (coût du licenciement d’un salarié : 24 995 euros ; économies de salaires corrélatives : 11 042 euros).



Réponse de la Cour :



Le préjudice s’évalue en considération de la marge brute escomptée, c’est-à-dire la différence entre le chiffre d’affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d’insuffisance de préavis, différence dont peut être encore déduite, le cas échéant, la part des couts fixes non supportés du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture, durant la même période (Cass. com., 28 juin 2023, n°21-16.940).



La Cour écarte l’attestation de l’expert-comptable de Piasa selon laquelle “les frais catalogues compatibilisés au cours de l’année 2016 à 2018” sont respectivement de 504 384, 40 euros (2016), 337, 648, 83 euros (2017) et 312 025, 49 euros (2018), ni le périmètre visé, ni les exercices concernés n’étant pertinents.



La Cour retient, tout d’abord, qu’au vu des pièces fournies, le chiffre d’affaires moyen entre les parties sur les trois derniers exercices antérieurs à la date de rupture (646 182, 20 euros en 2014, 678 922, 95 en 2015 et 674 669, 67 euros en 2016), s’est élevé à la somme de 666 591 euros.



Puis le courant d’affaires a connu une forte décrue en 2017, le chiffre d’affaires réalisé entre les parties se limitant à 122 966 euros pour cet exercice.



Le préavis, qui expirait le 30 décembre 2017, a donc été en grande partie inexécuté.



La cour retient, ensuite, qu’au vu de l’évolution tendanciellement décroissante du marché (désaffection des ouvrages “papier”) et de la diminution de ses tarifs de 15 % acceptée dans son principe par l’imprimeur (cf. écritures de Telliez p. 17), Telliez pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les besoins globaux d’impression de Piasa impliquent un courant d’affaire entre les parties de l’ordre de 500 000 euros en 2017.



Eu égard au chiffre d’affaires réalisé entre les partenaires en 2017, le manque à gagner s’est donc élevé à 377 000 euros sur l’exercice 2017.



Il s’ensuit que le chiffre d’affaires escompté et dont Telliez a été privé durant les 6 mois de préavis partiellement inexécuté, s’élève à la somme de 185 000 euros.



La Cour constate, sur la base des pièces fournies par Telliez (n°57 et 79), que le taux de marge brute s’élève à 60, 05 %, une fois prise en compte les achats de papier et consommables, la variation des stocks et la sous-traitance.



Comme le relève le commissaire aux comptes de la société Telliez dans son attestation du 28 juin 2021, “l’activité d’imprimerie est par nature constituée d’investissements importants et de charges de personnelles significatives. Les frais variables venant en diminution de la marge brute pour donner la marge sur couts variables correspondent principalement aux frais d’électricité, de carburant, de commissions sur ventes, de frais de transport et de frais d’affranchissements.”, si bien qu’un taux de marge sur coûts variables de 52, 94 %, “inférieur de 7, 11 points par rapport au taux de marge brute précédemment attesté [60, 05]” parait “cohérent”.



La Cour retient ce taux, qui n’est pas utilement contesté par Piasa.



Il se déduit de ce qui précède que le préjudice subi par Telliez au titre du gain manqué, du fait de l’inexécution du préavis aux conditions antérieures, s’élève à la somme arrondie de 97 940 euros.



La Cour constate, enfin, que Telliez a fait état, lors des débats, d’un licenciement pour motif économique, du départ à la retraite d’une salariée, laquelle n’a pas été remplacée, et du transfert de plusieurs salariés sur le site de [Localité 5] après la fermeture du site de [Localité 4], mais que la preuve du lien direct entre la rupture brutale (et non la rupture elle-même) et la perte subie en raison de coûts supportés par Telliez au troisième trimestre 2017 en matière de ressources humaines, n’est pas rapportée.



Le préjudice réparable s’élève donc à la somme de 97 940 euros. Le jugement est infirmé sur ce point.



Sur les frais irrépétibles et dépens



Piasa qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens d’appel.



Il serait inéquitable de laisser à la charge de Telliez les frais irrépétibles d’appel qu’elle a été contrainte d’exposer pour faire valoir ses droits devant la Cour.



Piasa est en conséquence condamnée à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.



Piasa est déboutée de sa demande à ce titre.


Dispositif

PAR CES MOTIFS



La Cour,



INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Paris mais seulement en ce qu’il a condamné la société Piasa à verser la somme de 54 577 euros à la société Telliez Communication au titre de l’inexécution partielle du préavis ;



Le confirme en ses autres dispositions qui lui sont soumises ;



Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant :



Condamne la société Piasa à verser la somme arrondie de de 97 940 euros à la société Telliez Communication au titre de l’inexécution partielle du préavis ;



Condamne la société Piasa aux dépens d’appel ;



Condamne la société Piasa à verser à la société Telliez communication la somme supplémentaire de 10 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.







LE GREFFIER LA PRESIDENTE


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