JN/SB
Numéro 23/52
COUR D’APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 05/01/2023
Dossier : N° RG 20/03053 – N° Portalis DBVV-V-B7E-HW2E
Nature affaire :
A.T.M.P. : demande d’un employeur contestant une décision d’une caisse
Affaire :
S.A.S. [7]
C/
CPAM DES LANDES
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 05 Janvier 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 03 Novembre 2022, devant :
Madame NICOLAS, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame LAUBIE, greffière.
Madame NICOLAS, en application de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame NICOLAS, Présidente
Madame SORONDO, Conseiller
Madame PACTEAU, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
S.A.S. [7]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Maître BELLEGARDE, avocat au barreau de PAU
INTIMEE :
CPAM DES LANDES
[Adresse 1]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Maître SERRANO loco Maître BARNABA, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 30 NOVEMBRE 2020
rendue par le POLE SOCIAL DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MONT DE MARSAN
RG numéro : 18/00569
FAITS ET PROCÉDURE
Le 29 mai 2018, la société [7], entreprise de travail temporaire (l’employeur) a adressé à la caisse primaire d’assurance maladie des Landes (la caisse ou l’organisme social), une déclaration d’accident de travail, concernant un salarié mis à disposition de la société [5] en qualité de manutentionnaire, M.[R] [T] (le salarié), pour des faits survenus le 24 mai 2018, à 15h40, ayant été déclarés à l’employeur le 25 mai 2018.
Cette déclaration, à laquelle était joint un courrier de réserves, indiquait notamment : « en retirant un paquet de lames de bois d’un casier. En marchant sur un noeud au sol, M. [T] s’est blessé à la cheville gauche’ ».
Le 7 août 2018, la caisse a notifié à l’employeur sa décision de prise en charge de l’accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
L’employeur a contesté que cette décision de prise en charge lui soit opposable, ainsi qu’il suit :
– le 1er octobre 2018, devant la commission de recours amiable (CRA) de l’organisme social, laquelle n’a pas répondu,
– le 16 novembre 2018, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Landes, devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Mont de Marsan.
Par jugement du 30 novembre 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Mont de Marsan a :
– déclaré opposable à l’employeur la décision de la caisse du 7 août 2018 tendant à la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l’accident du travail du salarié survenu le 24 mai 2018,
– condamné l’employeur à assumer la charge des dépens engagés à compter du 1er janvier 2019.
Cette décision a été notifiée aux parties, par lettre recommandée avec avis de réception, reçue de l’employeur le 4 décembre 2020.
Le 11 décembre 2020, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au greffe de la cour, l’employeur en a régulièrement interjeté appel.
Selon avis de convocation du 14 juin 2022, contenant calendrier de procédure, les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 3 novembre 2022, à laquelle elles ont comparu.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Selon conclusions visées par le greffe le 19 août 2022, reprises oralement à l’audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, l’employeur, la société [7], appelant, conclut à l’infirmation du jugement déféré, et statuant à nouveau, demande à la cour de :
– constater l’insuffisance des éléments du dossier relatifs à la matérialité de l’accident du travail,
– en conséquence, lui déclarer inopposable la décision de prise en charge de l’accident du salarié en date du 24 mai 2018 .
Selon conclusions transmises par RPVA le 19 septembre 2022, reprises oralement à l’audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, l’organisme social, la CPAM des Landes, intimé, conclut à la confirmation du jugement déféré, et à la condamnation de l’appelante à lui verser 1000 € d au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les entiers dépens.
SUR QUOI LA COUR
Sur la contestation de la matérialité de l’accident du travail
L’employeur, après avoir rappelé l’indépendance des rapports entre d’une part la caisse et l’assuré, et d’autre part la caisse et l’employeur, ainsi que son intérêt à agir, lequel ne fait l’objet d’aucune contestation, conteste, au visa de la définition de l’accident du travail contenue à l’article L411-1 du code de la sécurité sociale, et de la jurisprudence qu’il invoque, que la preuve de la matérialité de l’accident litigieux soit rapportée.
Il fait valoir à cet égard que :
-ce n’est que le 25 mai 2018, à 8h30, que l’employeur a eu connaissance de l’accident du travail déclaré par le salarié, dont ce dernier prétend avoir été victime la veille, à 15h40, alors même que les agences de l’employeur, sont ouvertes de 8 heures à 12 heures et 14 heures à 18 heures,
-le 24 mai 2018, le salarié a terminé sa journée de travail, a regagné son domicile par ses propres moyens, et n’a formé aucune doléance,
-le salarié a attendu le 25 mai 2018, pour consulter le service des urgences de l’hôpital de [Localité 6], lequel indique une « récidive de fracture de 5e métatarsien gauche »,
-le salarié ne peut se prévaloir d’aucun témoin ni même d’une première personne avisée le jour de l’accident,
-selon ces éléments, il n’est pas permis d’exclure que le salarié se soit blessé alors qu’il ne se trouvait plus sous l’autorité de son employeur, d’autant qu’il semble difficilement compréhensible, qu’il ait pu terminer sa journée de travail alors même qu’il avait une fracture au pied,
-ces éléments ne permettent pas à la caisse d’établir avec certitude la réalisation d’un accident du travail le 24 mai 2018 dans les circonstances rapportées par le salarié.
Au visa des articles L411-1, et R411-11 du code de la sécurité sociale, la caisse estime qu’il existe des présomptions sérieuses, graves et concordantes corroborant les déclarations du salarié sur la survenance d’un accident au temps et au lieu du travail le 24 mai 2018, lui ayant causé une entorse à la cheville, s’agissant de :
-la déclaration d’accident du travail, et les précisions qu’elle contient,
– l’information de l’employeur, dès le lendemain 8h30, soit dans le délai réglementaire de 24 heures prévu par l’article R441-2 du code de la sécurité sociale,
– le certificat médical initial en date du 25 mai 2018, soit le lendemain des faits, ayant médicalement constaté une « récidive de fracture 5e métatarsien gauche ».
Sur ce,
Selon l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale :
« Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise. »
Constitue un accident du travail :
« Un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle quelle que soit la date d’apparition de celle- ci » .
Ainsi, l’accident du travail se définit par trois critères :
– un événement ou une série d’événements survenus à une date certaine,
– une lésion corporelle,
– un fait lié au travail.
La lésion peut être une atteinte psychique, lorsque son apparition est brutale, et liée au travail, permettant ainsi de distinguer l’accident du travail de la maladie.
Si l’article L411-1 du code de la sécurité sociale institue une présomption, il s’agit d’une présomption simple qui ne vaut que jusqu’à preuve contraire.
Une affection pathologique qui s’est manifestée à la suite d’une série d’atteintes à évolution lente et progressive, et non en raison d’une action brutale et soudaine assimilable à un traumatisme, ne peut être considérée comme un accident du travail.
Dans ses rapports avec l’employeur, la caisse doit établir non seulement la matérialité de l’accident, la réalité de la lésion, mais aussi sa survenance au temps et au lieu de travail.
S’agissant d’un fait juridique, l’accident du travail peut être prouvé par tous moyens, et notamment par un faisceau d’indices concordants, laissé à l’appréciation du juge.
Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail, et si la preuve est rapportée de la relation entre la lésion et un événement soudain survenu au temps et au lieu du travail .
Au cas particulier, les déclarations du salarié, dont l’employeur a été informé le 25 mai 2018, à 8h30, selon lesquelles « le salarié aurait marché sur un n’ud au sol, et se serait blessé à la cheville gauche », alors qu’il « retirait un paquet de lames de bois d’un casier », et aurait été blessé à la cheville gauche, ne sont pas à suffisance corroborées par un faisceau d’autres éléments objectifs, pour permettre d’établir que les lésions alléguées résultent de l’accident déclaré comme étant survenu le 24 mai 2018, au temps et au lieu du travail, puisqu’en effet :
– la déclaration d’accident du travail, et les précisions qu’elle contient, ne sont que la retranscription par l’employeur, des déclarations du salarié, alors même que par un courrier circonstancié, l’employeur a, dès le 29 mai 2018, contesté la matérialité de l’accident, pour les mêmes motifs que ceux qu’il développe à l’occasion de la présente instance, sollicitant de la caisse de mener une enquête,
-les constatations médicales, contenues dans le certificat médical initial, en date du 25 mai 2018, nonobstant leur caractère concordant avec les déclarations du salarié quant au siège de sa lésion, et le fait qu’elles soient datées du 25 mai 2018, avant 8h30, ne permettent pas à elles seules d’établir que le fait accidentel se serait produit au temps et au lieu du travail, faute de témoin, et eu égard à la nature des lésions, lesquelles peuvent résulter, comme le soutient l’employeur, d’un fait accidentel survenu en dehors de l’exercice de sa profession par le salarié,
-en outre, si la caisse indique avoir mené une enquête, elle se contente de produire, sous sa pièce n° 7,un document intitulé « questionnaire assuré, complément d’information », par lequel le salarié indique le nom d’un collègue de travail qui aurait été un témoin direct de sa chute, et dont aucun élément ne permet de retenir, que nonobstant les réserves de l’employeur, et sa demande d’enquête, il aurait été entendu par la caisse, pour venir confirmer les déclarations du salarié.
Faute pour les éléments du dossier de permettre de dégager un faisceau d’éléments objectifs concordants de nature à corroborer les déclarations du salarié, l’accident du travail n’est pas caractérisé.
En conséquence, l’employeur est fondé à se prévaloir de l’inopposabilité à son égard, de la décision de prise en charge de cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
Le premier juge sera infirmé.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
L’équité ne commande pas de prononcer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, condamnation au bénéfice de la caisse, qui succombe, et qui forme seule une demande à ce titre.
La caisse, qui succombe, supportera les dépens exposés tant en première instance qu’en appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan en date du 30 novembre 2020 (RG 18/00569)
Et statuant à nouveau,
Déclare inopposable à la société [7], la décision que lui a notifiée l’organisme social le 7 août 2018, de prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels, l’accident du travail dont M.[R] [T] a déclaré avoir été victime le 24 mai 2018,
Condamne la caisse primaire d’assurance-maladie des Landes, aux entiers dépens de première instance et d’appel,
Dit n’y avoir lieu à condamnation au bénéfice de la caisse primaire d’assurance-maladie des Landes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame NICOLAS, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,