Travail temporaire : 21 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01107

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Travail temporaire : 21 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01107

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 11

ARRET DU 21 FEVRIER 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/01107 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBNFU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Janvier 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/05500

APPELANT

Monsieur [S] [P]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Pierre-François ROUSSEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0026

INTIMEES

SA ELECTRICITE DE FRANCE (EDF)

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Antonio ALONSO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0074

SAS MANPOWER FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Florence FARABET ROUVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C0628

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madale Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre,

Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. [S] [P] né le 4 mai 1982 a été mis à la disposition de la SA EDF, en qualité d’assistant SI, par l’intermédiaire de la SAS Manpower France aux termes de différents contrats de travail temporaires conclus sur une période courant entre 2009 et le 2 novembre 2018 dernier jour travaillé.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises au statut des industries électriques et gazières.(IEG)

Par lettre recommandée avec AR du 6 décembre 2018, le conseil de M. [P] attirait l’attention de la société EDF sur le non-respect des dispositions du code du travail, et notamment :

– l’absence de motif valable de recours à un contrat de travail temporaire ;

– le non-respect de la durée maximale de recours à un contrat de travail temporaire ;

– le non-respect du délai de carence entre certaines missions.

Par lettre du 23 janvier 2019, la société EDF, par la voix de son conseil, contestait l’ensemble des violations et griefs allégués et opposait une fin de non-recevoir.

A la date du dernier jour travaillé, la société EDF occupait à titre habituel plus de 10 salariés.

Demandant la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée et à titre principal sa réintégration avec maintien des avantages acquis et reprise d’ancienneté au sein de la société EDF et réclamant à titre subsidiaire aux sociétés EDF et Manpower le versement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de possibilité de titularisation, outre des rappels de salaires et diverses indemnités consécutives à la rupture du contrat de travail, M. [S] [P] a saisi le 24 juin 2019, le conseil de prud’hommes de Paris, qui par jugement du 22 janvier 2020, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

Déboute M. [S] [P] de l’ensemble de ses demandes.

Déboute la société Manpower de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne M.[S] [P] au paiement des entiers dépens.

Par déclaration du 6 février 2020, M. [P] a interjeté appel du jugement rendu par le conseil de prud’hommes, notifié par lettre recommandée avec accusé de réception envoyée par le greffe le 28 janvier 2020.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 22 avril 2020, M. [P] demande à la cour de :

Infirmer le jugement du Conseil de prud’hommes de Paris du 22 janvier 2020 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Requalifier les contrats de travail temporaire successifs de M. [P] en CDI conclu avec la société EDF à effet au 6 avril 2009 ;

Juger que M. [P] a fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse le 2 novembre 2018 ;

En conséquence,

A titre principal,

Ordonner la réintégration de M. [P] au sein de la société EDF en tant qu’agent titulaire, avec maintien des avantages acquis et reprise d’ancienneté au 6 avril 2009 ;

A titre subsidiaire,

Condamner in solidum la société EDF et la société Manpower à verser à M. [P] la somme de 36.099,24 € au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamner in solidum les sociétés EDF et Manpower à payer à M. [P] la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de possibilité de titularisation ;

En tout état de cause,

Condamner in solidum la société EDF et la société Manpower à verser à M. [P] les sommes suivantes :

3.420,95 € à titre de rappel de salaires pour la période du 6 avril 2015 au 2 novembre 2018 avec reprise de l’ancienneté du salarié depuis le 6 avril 2009 ;

342,10 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférente au rappel de salaires avec reprise l’ancienneté ;

183.272,59 € de rappel de salaires pour les périodes d’intermissions entre le 20 juin 2009 et le 5 novembre 2017 ;

18.327,26 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférente au rappel de salaires pour les périodes d’inter missions ;

20.000 € au titre de l’indemnité de requalification des contrats de travail temporaire successifs en CDI ;

6.168,80 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;

616,88 € au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

7.387,77 € au titre de l’indemnité légale de licenciement.

Ordonner à la société EDF de remettre à M. [P] les bulletins de salaire et l’attestation Pôle Emploi conformes, sous astreinte de 100 € par jour de retard, à compter de la signification de l’arrêt à intervenir ;

Dire que les sommes de nature salariale produiront intérêt à compter de la saisine du Conseil et les sommes de nature indemnitaire à compter de l’arrêt à intervenir ;

Ordonner la capitalisation des intérêts ;

Condamner in solidum la société EDF et la société Manpower à payer à M. [P] la somme de 5. 000 au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner in solidum la société EDF et la société Manpower aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 juin 2020, la société EDF demande à la cour de :

Confirmer en toutes ses dispositions le Jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Paris le 22 janvier 2020

Par conséquent,

Dire et juger que la mise à disposition de M. [P] par la société Manpower au profit de la société EDF n’a jamais eu pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale permanente de l’entreprise ;

Dire et juger que le non-respect du délai de carence applicable entre les différents contrats de missions ne peut fonder la demande de requalification en contrat de travail à durée indéterminée ;

Débouter M. [P] de l’intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire :

Dire et juger que le contrat de mission du 6 avril 2009 au 19 juin 2009 ne concerne pas la société EDF ;

Réduire à de plus justes proportions l’indemnité de requalification sollicitée,

Constater la prescription des demandes de rappels de salaires de M. [P] sur toute période antérieure au 24 juin 2016 ;

Réduire à la somme de 45.259,28 € le montant dû à titre des rappels de salaires pour les périodes intermissions de M. [P] ;

Débouter M. [P] pour le surplus ;

En tout état de cause :

Condamner M. [P] à payer à la société EDF la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 19 juin 2020, la société Manpower France demande à la cour de :

Confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes le 22 janvier 2020 en ce qu’il a débouté M. [P] de l’ensemble de ses demandes ;

Condamner M. [P] à verser à la société Manpower France la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Le condamner aux entiers dépens de la présente instance.

En tout état de cause :

Dire et juger que l’entreprise de travail temporaire n’est pas visée par les dispositions des articles L.1251-40 et L.1251-41 du Code du travail relatif à la requalification ;

Dire et juger qu’aucune disposition légale ne prévoit la requalification du contrat de travail temporaire à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire ;

Dire et juger que la législation spécifique au travail temporaire et spécifiquement les dispositions de l’article L.1251-40 du Code du travail ne prévoient pas la requalification du contrat de travail temporaire en cas de manquement aux dispositions de l’article L.1251-36 du Code du travail ;

Dire et juger que la législation spécifique au travail temporaire et spécifiquement les dispositions de l’article L.1251-36 du Code du travail ne mettent aucune obligation à la charge de l’entreprise de travail temporaire s’agissant du respect des délais de carence entre deux missions ;

Dire et juger qu’au contraire la seule sanction prévue par le Code du travail est une sanction pénale issue de l’article L.1255-9 du Code du travail lequel ne vise encore pas l’entreprise de travail temporaire ;

Dire et juger que M. [P] ne rapporte pas la preuve des préjudices qu’il revendique et qu’il ne verse aucun élément de preuve relatif au préjudice qu’il prétend avoir subi ;

Débouter M. [P] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions relatives tant à la requalification de contrat de travail temporaire en contrat à durée indéterminée qu’aux conséquences financières qui en découlent ;

L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 octobre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 8 novembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR :

Il convient de rappeler à titre liminaire que par application de l’article 954, alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statuera que sur les prétentions énoncées au dispositif des écritures des parties en cause d’appel, ce que ne sont pas au sens de ces dispositions des demandes visant seulement à ‘dire’ ou ‘constater’ un principe de droit ou une situation de fait.

Il est acquis aux débats que M. [S] [P] a été mis à la disposition de la société EDF par la société de travail temporaire Manpower France afin d’effectuer 9 missions d’intérim notamment en qualité d’assistant SI (Système d’information) entre le 7 décembre 2009 et le 2 novembre 2018, dernier jour travaillé.(la mission conclue à compter du 6 avril 2009 concernait en effet la société ERDF devenue la société Enedis et non la société EDF).

M. [P] forme une demande de requalification de la relation de travail avec la société EDF en contrat à durée indéterminée et sollicite la condamnation in solidum de l’entreprise de travail temporaire comme de l’entreprise utilisatrice à en supporter les conséquences .

Sur la demande de requalification des contrats de travail temporaire en contrat à durée indéterminée avec la société de travail temporaire Manpower France

Sur la recevabilité de la demande

M. [P] sollicite la requalification de ses contrats de travail temporaires à l’égard de la société Manpower France.

La société Manpower France s’oppose à cette demande en faisant valoir qu’aux termes de l’article L.1251-40 du code du travail seule la société utilisatrice s’expose à une telle sanction.

Il est toutefois de droit qu’aux termes de l’article L. 1251-40 du code du travail, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice des droits correspondants à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.

Cet article n’exclut pas la possibilité pour le salarié d’agir contre l’entreprise de travail temporaire lorsque les conditions, à défaut desquelles toute opération de prêt de main d’oeuvre est interdite, n’ont pas été respectées, notamment en cas d’absence de contrat de mission, de contrat irrégulier, de non-respect du délai de carence entre contrats ou de mise à la disposition permanente de la société utilisatrice.

Il s’en déduit que la demande de requalification peut être présentée concurremment tant à l’encontre de la société de travail temporaire que de l’entreprise utilisatrice dès lors que ces actions s’appuient sur un fondement juridique différent.

La demande formée à l’encontre de la société Manpower France est par conséquent recevable.

Sur le fond

Au soutien de la demande de requalification à l’encontre de la société Manpower France, M. [P] fait valoir de première part que s’agissant des missions du 15 novembre 2012, du 26 février 2014 du 3 juillet 2017 et du 6 novembre 2017 aucun contrat écrit n’a été établi ni signé entre lui et la société de travail temporaire. De seconde part, il dénonce le fait que le délai de carence n’a pas été respecté à deux occasions, à l’issue de la mission du 7 décembre 2009 prolongée jusqu’au 31 mars 2010 alors qu’il a été positionné sur une nouvelle mission auprès de la société EDF dès le 6 avril 2010 et à l’issue de la mission du 15 novembre 2012 dont le terme était le 18 janvier 2013 et alors qu’il a été missionné dès le 21 janvier 2013.

La société Manpower France soutient avoir remis tous les contrats comme en attestent les duplicata qu’elle produit aux débats et la connaissance de ceux-ci par M. [P]. Elle ajoute s’agissant du délai de carence que celui-ci a été respecté, qu’il n’a d’ailleurs vocation à s’appliquer que s’agissant de postes identiques ce qui n’était pas le cas et qu’en tout état de cause une telle violation ne saurait être sanctionnée par la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée.

Il est constant que la société Manpower France produit les contrats de travail qui, s’agissant de duplicata, ne comportent pas la signature du salarié, de sorte que la cour considère qu’elle ne démontre dès lors pas, en l’absence de signature apposée sur les contrats par le salarié et de démonstration d’une intention frauduleuse de celui-ci, avoir rempli ses obligations caractérisant un manquement par l’entreprise temporaire dans l’établissement des contrats de mission.

Il est justifié par ailleurs que le délai de carence n’a pas été respecté entre les deux contrats signés pour l’un le 7 décembre 2009 prolongé jusqu’au 31 mars 2010 et la nouvelle mission à compter du 6 avril 2010 et le contrat signé le 15 novembre 2012 avec pour échéance le 18 janvier 2013 et celui signé dès le 21 janvier 2013 jusqu’au 28 septembre 2013, sans qu’il soit justifié qu’il ne s’agissait pas du même poste.

Il est de droit que l’entreprise de travail temporaire qui ne respecte pas le délai de carence prévu par l’article L.1251-36 du code du travail, se place en dehors du champ d’application du travail temporaire et se trouve liée au salarié par un contrat de droit commun à durée indéterminée.

Il s’en déduit que la demande de requalification en contrat à durée indéterminée est fondée à l’égard de la société Manpower France à tout le moins à compter du 7 décembre 2009.

Sur la demande de requalification à l’égard de l’entreprise utilisatrice EDF

Sur le fond

M. [P] forme une demande de requalification de la relation de travail et soutient que la société EDF ne justifie pas de la réalité des cas de recours au travail temporaire invoqués et qu’il occupait en tout état de cause un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise EDF.

La société EDF s’oppose à cette requalification en faisant d’abord valoir que l’appelant n’a commencé ses missions en qualité d’intérimaire pour son compte qu’à compter du 7 décembre 2009, celle conclue le 6 avril 2009 concernant en réalité la société ERDF devenue ENEDIS. Elle réplique ensuite qu’aucun contrat n’a excédé la durée de 18 mois et que les périodes d’inactivité entre les missions allant de plusieurs mois à plusieurs années contredit le fait soutenu par l’appelant qu’il ait été affecté à une activité durable et permanente de l’entreprise. Elle ajoute en outre qu’elle rapporte la preuve de ce que l’appelant a pour les deux premiers contrats remplacé un salarié absent ou en attente de recrutement et que les accroissements d’activité invoqués sont à chaque fois justifiés. Elle indique que les délais de carence ont toujours été respectés.

L’article L.1251-6 du code du travail énumère les cas autorisant le recours au travail temporaire, il s’agit notamment du remplacement d’un salarié en cas d’attente de l’entrée en service effective d’un salarié recruté par un contrat à durée indéterminée ou de l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise. L’inobservation de ces dispositions légales autorise le salarié à demander la requalification de la relation de travail avec l’entreprise utilisatrice en contrat à durée indéterminée à compter de la date du 1er contrat.

Au cas d’espèce, il ressort de l’examen attentif des contrats de missions de M. [P] qu’à l’exception du premier contrat visant la période du 6 avril 2009 au 19 juin 2009 qui ne concerne en effet par la société EDF mais la société ERDF devenue la société ENEDIS, les motifs de recours ont été les suivants :

– mission du 7.12.au 31.12 2009 : l’attente d’une entrée en service en CDI de M. [C] [Z] pour le 1er janvier 2010,

-mission du 1er janvier 2010 au 31 mars 2010 (avenant au contrat précédent) : l’attente d’une entrée en service en CDI de M. [G] [B] qui arrive le 1er avril 2010,

-mission du 6 avril 2010 au 31 août 2010 : accroissement d’activité lié à la création de deux plateaux externes,

-mission du 7 février 2011 au 6 juin 2011 remplacement d’un salarié malade M. [J] [L] assistant SI (prolongé jusqu’au 31 juillet 2011),

et des dupplicatas produits par la société EDF :

-mission du 15 novembre 2012 au 18 janvier 2013 un accroissement d’activité lié à la formation des secrétaires et aux retards sur les demandes de travaux,

-mission du 21 janvier 2013 au 18 septembre 2013 lié au développement de la nouvelle mission Guardian,

-mission du 26 février 2014 au 28 novembre 2014 pour accroissement d’activité lié au projet Neo pour lequel le CIT était pilote prolongé jusqu’au 28 août 2015,

-mission du 3 juillet 2017 au 29 septembre 2017 pour un accroissement d’activité pour renfort durant la période estivale,

-mission du 6 novembre 2017 au 2 novembre 2018 accroissement d’activité lié à la mise en place et au paramétrage des sites sharepoint.

Alors que le salarié conteste les motifs de recours aux contrats de missions temporaires invoqués, la société EDF ne produit aucun justificatif des motifs de recours que ce soit les embauches des salariés attendus ou les accroissements d’activité allégués, privant la cour de la possibilité de vérifier leur bien-fondé et justifiant la requalification en contrat à durée indéterminée des contrats de mission à compter du 7 décembre 2009 au 2 novembre 2018 sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens développés par M. [P].

Sur les conséquences de la requalification

Sur la demande d’indemnité de requalification

Pour infirmation du jugement déféré, M. [P] réclame la condamnation solidaire des sociétés EDF et Manpower France au paiement d’une indemnité de requalification de 20.000 euros soulignant que chacune a manqué à ses obligations.

La société EDF conclut à la réduction drastique de cette demande.

La société Manpower France s’oppose à cette demande en rappelant que la société utilisatrice est la seule débitrice de cette indemnité.

Il est de droit qu’il résulte de L. 1251-41 du code du travail alinéa 2, qu’en cas de requalification d’un contrat de mission en contrat à durée indéterminée, le juge doit accorder au salarié, à la charge de l’utilisateur, une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire ; qu’il en résulte que le salarié ne peut prétendre au paiement, par l’entreprise de travail temporaire, d’une indemnité de requalification.

Il sera alloué, par infirmation du jugement déféré, à M. [P] une indemnité de 3.000 euros, suffisant à réparer son préjudice en l’état du dossier, à titre d’indemnité de requalification, seule la société EDF étant condamnée au paiement de cette somme.

Sur la rupture du contrat de travail

Il est de droit que par l’effet de la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée, tant à l’égard de l’entreprise utilisatrice qu’à l’égard de la société de travail temporaire, les employeurs sont tenus, in solidum, de répondre des conséquences de la rupture de ce contrat .

Eu égard à la requalification ordonnée, le terme de la dernière mission temporaire s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

M. [P] est fondé à réclamer les indemnités de rupture découlant du licenciement qui a produit effet à compter du 2 novembre 2018, la société EDF s’opposant à sa réintégration en demandant à ce que celle-ci soit écartée.

Au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, il sera alloué à M. [P], par application de l’article L.1234-1 et 5 du code du travail la somme de 6.168,80 euros majorée de 616,88 euros de congés payés, non utilement discutée. Les sociétés EDF et Manpower France seront condamnées in solidum au paiement de cette somme et le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Au titre de l’indemnité de licenciement, il sera alloué à M. [P] une somme de 6.253,62 euros en considération de son ancienneté retenue de 8 années et 11 mois. Les sociétés EDF et Manpower France seront condamnées in solidum au paiement de cette somme et le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Pour infirmation du jugement déféré, M. [P] demande à défaut de réintégration une indemnité de 36.099,24 euros à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société EDF se limite à répliquer que cette demande n’est pas justifiée.

La société Manpower France tout en rappelant que cette demande est infondée en ce qui la concerne fait valoir que le salarié ne rapporte pas l’existence d’un préjudice.

En application de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse et que l’une ou l’autre des parties refuse toute réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés en fonction de l’ancienneté selon un barème légal, soit en l’espèce pour une ancienneté de 8 années entre 3 et 8 mois de salaire.

A la date de la rupture, M. [P] était âgé de 36 ans et bénéficiait d’une ancienneté de plus de 8 ans. Il justifie du bénéfice des indemnités de chômage entre novembre 2018 et août 2019. Dès lors et au vu des bulletins de salaire produits, il convient de lui allouer la somme de 12.000 euros d’indemnité en réparation de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Conformément aux dispositions de l’article L1235-4 du code du travail, il y a lieu, d’ordonner d’office le remboursement par la SA EDF et la société Manpower France tenues in solidum à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à M.[S] [P]dans la limite de six mois d’indemnités.

Sur la demande d’indemnité pour perte de chance de la possibilité de titularisation

Pour infirmation du jugement déféré, M. [P] sollicite à défaut de réintégration une indemnité pour perte de chance d’être titularisé, faisant valoir avoir donné le meilleur de lui-même afin de s’intégrer dans les équipes d’EDF et se trouve contraint à retrouver un nouvel emploi avec des perspectives d’évolution plus incertaines.

Pour s’opposer à la demande la société Manpower France réplique que M. [P] n’apporte pas la preuve de son préjudice et notamment de ce qu’il a cherché à obtenir sa titularisation, rappelant en outre que un salarié intérimaire perçoit davantage qu’un salarié permanent du fait de l’indemnité de fin de mission.

La société EDF conclut au débouté de cette demande.

Il est constant que la succession de contrats à durée déterminée, entrecoupée de périodes d’inactivité, a eu des conséquences sur l’avancement de la carrière de M. [P] ; toutefois, l’intéressé a bénéficié d’indemnités de précarité qui lui restent acquises, ainsi que d’allocations de chômage et il est constant qu’il ne justifie pas avoir postulé sur des postes ou chercher une titularisation au sein d’EDF.

La cour en déduit qu’il ne justifie pas de son préjudice et qu’il doit être débouté de sa demande de chef.

Sur la demande de rappel de salaire au titre de la reprise d’ancienneté

Pour infirmation du jugement déféré, M. [P] exposant être réputé, du fait de la requalification , avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche réclame une régularisation de son ancienneté, conformément à la grille d’échelon d’ancienneté qui n’a pas été prise en compte pour la période allant du 6 avril 2015 au 2 novembre 2018, soit une somme de 3.420,95 euros majorée des 324,09 euros de congé payés au paiement desquelles les sociétés EDF et Manpower France doivent être condamnées solidairement.

La société EDF se borne à rappeler que le contrat de mission en date du 6 avril 2009 ne la concerne pas et que pour le surplus les contrats étaient réguliers.

La société Manpower France s’oppose à cette demande en rappelant que le détachement de M. [P] a été discontinu.

Il est de droit que par l’effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche au sein de la société et qu’il est en droit d’obtenir la régularisation de sa rémunération.

La cour rappelle toutefois que le jour de la première embauche par la société EDF est le 7 décembre 2009, (et non le 6 avril 2009 comme retenu par le salarié).

Il n’est pas discuté qu’à partir de 6 ans d’ancienneté le salarié passe à l’échelon 5 et à partir de 9,5 ans d’ancienneté à l’échelon 6;

La cour retient que c’est à compter du 7 décembre 2015 que M. [P] a atteint une ancienneté de 6 années mais qu’il n’a jamais atteint celle de 9, 5 années et qu’il a toujours été rémunéré sur la base du salaire minimal de l’échelon 4.

Il est par conséquent en droit de prétendre à un rappel de salaire de 2.462,72 euros à titre de reprise d’ancienneté entre le 7 décembre 2015 et le 2 novembre 2018 majorés de 246,27 euros de congés payés. Les sociétés EDF et Manpower France seront condamnées in solidum au paiement de ces sommes et le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur les rappels de salaire concernant les périodes intermissions

Pour infirmation du jugement déféré, M. [P] réclame du fait de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée le paiement des périodes non travaillées séparant les différentes missions. Il soutient que durant ces périodes au cours desquelles il n’a pas travaillé et été indemnisé par Pôle Emploi, il se tenait à la disposition de la société EDF. Il réclame à ce titre la condamnation in solidum de la société EDF et de la société Manpower France à lui payer la somme de 183.272,59 à titre de rappel de salaire pour le périodes intermissions entre le 20 juin 2009 et le 5 novembre 2017.

La société EDF réplique outre que le salarié échoue à rapporter la preuve de ce qu’il s’est tenu à sa disposition et qu’il n’a pas travaillé pour d’autres employeurs pendant la même période, que du fait la prescription triennale des salaires seule la période du 24 juin 2016 au 2 juillet 2017 ne seraitpas prescrite.

La société Manpower France s’oppose à cette demande en exposant que le salarié ne rapporte pas la preuve de ce qu’il s’est tenu à la disposition de la société utilisatrice, ajoutant en outre qu’elle a détaché ce dernier auprès d’une autre entreprise notamment du 7 au 31 mars 2013.

Le salarié engagé selon plusieurs contrats à durée déterminée et dont la relation contractuelle est requalifiée en contrat à durée indéterminée qui réclame le paiement des salaires au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat doit rapporter la preuve de ce qu’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant ces périodes interstitielles.

En l’espèce, faute pour M. [P] de rapporter la preuve de ce qu’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant les périodes interstitielles, lesquelles ont été particulièrement longues à certaines périodes et ont été interrompues au moins une fois par une mise à disposition de près d’un mois par la société Manpower France auprès d’un autre employeur en 2013, c’est à juste titre que M. [P] a été débouté de cette prétention de ce chef.

Sur les autres dispositions

Parties perdantes les sociétés EDF et Manpower France seront condamnées aux dépens d’instance et d’appel et devront indemniser in solidum M. [P] des frais irrépétibles par application de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de la somme de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté M. [S] [P] de sa demande de rappels de salaires pour les périodes interstitielles, de sa demande d’indemnité pour perte de chance d’être titularisé, de sa demande d’indemnité de requalification à l’égard de la société Manpower France et de sa demande de réintégration au sein de la SA EDF.

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

REQUALIFIE la relation de travail entre les parties en contrat de travail à durée indéterminée à effet au 7 décembre 2009.

JUGE que la rupture de la relation contractuelle au 2 novembre 2018 s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

CONDAMNE la SA EDF à payer à M. [S] [P] une somme de 3.000 euros à titre d’indemnité de requalification.

CONDAMNE in solidum la SA EDF et la SAS Manpower France à payer à M. [S] [P] les sommes suivantes :

– 2.462,72 euros de rappel de salaire à titre de reprise d’ancienneté entre le 7 décembre 2015 et le 2 novembre 2018 majorés de 246,27 euros de congés payés.

– 6.168,80 euros majorée de 616,88 euros de congés payés à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre au titre des congés payés.

– 6.253,62 euros à titre d’indemnité de licenciement

– 12.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

ORDONNE d’office le remboursement par la SA EDF et la société Manpower France tenues in solidum à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à M. [A] [W] dans la limite de six mois d’indemnités.

DEBOUTE M. [S] [P] du surplus de ses demandes.

CONDAMNE in solidum la SA EDF et la SAS Manpower France à payer à M. [S] [P] la somme de 2.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la SA EDF et la SAS Manpower France aux dépens d’instance et d’appel.

La greffière, La présidente.

 


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