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ARRÊT N° /2023
SS
DU 21 FEVRIER 2023
N° RG 22/01518 – N° Portalis DBVR-V-B7G-FACF
Pole social du TJ d’EPINAL
21/223
01 juin 2022
COUR D’APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANTE :
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE L’ISERE prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège social
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Mme [Z] [C], regulièrement munie d’un pouvoir de représentation
INTIMÉE :
Société [4] prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège social
[Adresse 15]
[Adresse 15]
[Localité 3]
Représentée par Me Xavier BONTOUX de la SAS BDO AVOCATS LYON, avocat au barreau de LYON
Dispensée de comparaitre à l’audience
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président : Mme BUCHSER-MARTIN
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier : Madame TRICHOT-BURTE (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue en audience publique du 18 Janvier 2023 tenue par Mme BUCHSER-MARTIN, magistrat chargé d’instruire l’affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric HENON, président, Dominique BRUNEAU et Catherine BUCHSER-MARTIN, conseillers, dans leur délibéré pour l’arrêt être rendu le 21 Février 2023 ;
Le 21 Février 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
FAITS ET PROCÉDURE :
Monsieur [F] [L] est salarié de la SASU [4] depuis le 1er octobre 2019 en qualité de chauffeur PL TP.
Le 3 novembre 2020, il a transmis à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère (ci-après dénommée la caisse) une déclaration de maladie professionnelle, accompagnée d’un certificat médical initial établi le 3 février 2020 par le docteur [M] [V] mentionnant « Tableau 98 Lombosciatique par hernie discale L5 S1 opérée ».
La caisse a instruit la demande dans le cadre du tableau n° 97 des maladies professionnelles.
Par courrier du 10 août 2021, la caisse a informé la SASU [4] de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de monsieur [F] [L].
Le 24 septembre 2021, la SASU [4] a contesté cette décision par-devant la commission de recours amiable au regard de la désignation de la maladie et de la durée d’exposition au risque.
Par requête du 17 décembre 2021, la SASU [4] a saisi le tribunal judiciaire d’Epinal d’un recours à l’encontre de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.
Par décision du 17 janvier 2022, la commission de recours amiable a rejeté le recours de la SAU [4].
Par jugement RG 21/223 du 1er juin 2022, le pôle social du tribunal judiciaire d’Epinal a :
– déclaré la société [4] recevable en son action recours,
– infirmé la décision du 10 août 2021 de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère,
– déclaré inopposable à la société [4] la prise en charge au titre de la législation des risques professionnels au titre de la maladie professionnelle déclarée par monsieur [F] [L] « sciatique par hernie discale L5-S1 » le 1er octobre 2019
– condamné la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère aux dépens.
Par acte du 30 juin 2022, la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère a interjeté appel à l’encontre de ce jugement.
L’affaire a été plaidée à l’audience du 18 janvier 2023, à laquelle la SASU [4] a été dispensée de comparaître.
PRETENTIONS DES PARTIES :
La caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère, dument représentée, a repris ses conclusions reçues au greffe le 22 novembre 2022 et a sollicité ce qui suit :
– réformer le jugement du 01.06.2022,
– constater le respect par la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère des dispositions légales,
– déclarer opposable à la société [4], la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie de monsieur [L], objet du certificat médical du 03.02.2020.
Par conclusions reçues au greffe le 14 décembre 2022, la SASU [4] a sollicité ce qui suit :
– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d’Epinal en ce qu’il a :
infirmé la décision du 10 août 2021 de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère,
déclaré inopposable à la société [4] la prise en charge au titre de la législation des risques professionnels au titre de la maladie professionnelle déclarée par monsieur [F] [L] « sciatique par hernie discale L5-S1 » le 1er octobre 2019,
condamné la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère aux dépens,
– condamner la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère aux entiers dépens d’appel.
Pour l’exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l’audience par la caisse et régulièrement communiquées avant l’audience par la SASU [4].
L’affaire a été mise en délibéré au 21 février 2023 par mise à disposition au greffe par application des dispositions de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
Sur l’opposabilité de la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle :
Aux termes de l’article L461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau. Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime. Dans ce cas, la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Aux termes d’une jurisprudence constante, la charge de la preuve de la vérification des conditions prévues au tableau des maladies professionnelles concerné pèse sur la caisse qui est subrogée dans les droits du salarié qu’elle a indemnisé (cass. civ. 2e 13 mars 2014 n°13-10316)
Sur la désignation de la maladie :
La maladie telle qu’elle est désignée dans les tableaux de maladies professionnelles est celle définie par les éléments de description et les critères d’appréciation fixés par chacun des tableaux (cass. civ.2e 17 mai 2004 n° 03-11968, 22 septembre 2011 n°10-21950, 21 janvier 2016 n°14-29419) et la maladie déclarée doit correspondre précisément à celle décrite au tableau, avec tous ses éléments constitutifs.
Par ailleurs, les indications figurant sur le certificat médical doivent correspondre au libellé de la maladie du tableau (cass. civ. 2e 9 juillet 2015 n°14-22606, 4 mai 2016 n°15-18059, 25 janvier 2018 n°16-28519), sans pour autant que soit exigée une correspondance littérale, dans la mesure où il appartient au juge de vérifier si la pathologie déclarée est au nombre des pathologies désignées par le tableau (civ. 2e 21 janvier 2016 n° 14-28901, 9 mars 2017 n°16-10017, 14 mars 2019 n°18-11975, 23 juin 2022 n° 21-10631).
Si le libellé de la maladie mentionnée au certificat médical initial est différent de celui figurant au tableau, il appartient aux juges du fond de rechercher si l’avis favorable du médecin conseil à la prise en charge de cette pathologie était fondé sur un élément médical extrinsèque lorsque tous les éléments constitutifs de la maladie visée au tableau ne résultent pas du certificat médical initial (civ.2e, 22 octobre 2020 n° 19-21.915 pour l’objectivation par IRM d’une tendinopathie de la coiffe des rotateurs du tableau 57A, 7 novembre 2019 n° 18-21.742 et 12 mai 2021 n° 20-14.871 pour le caractère primitif du cancer broncho-pulmonaire du tableau n°30 bis).
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En l’espèce, la SASU [4] fait valoir que le tableau n°97 vise la maladie « sciatique par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante » Elle ajoute que ni le certificat médical initial ni la fiche de concertation médico-administrative ni aucun document médical ne font état d’une atteinte radiculaire de topographie concordante de telle sorte que les conditions du tableau ne sont pas remplies.
La caisse fait valoir qu’il résulte de la fiche de concertation médico-administrative que la maladie désignée dans le tableau 97 a été identifiée et qualifiée par le médecin conseil, à l’appui d’une IRM du rachis lombaire du 12.03.2021. Elle ajoute que les éléments du diagnostic n’ont pas à figurer dans les pièces du dossier administratif dont l’employeur peut demander la communication.
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Le certificat médical initial délivré par le docteur [M] [V] est rédigé ainsi qu’il suit : « Tableau 98 Lombosciatique par hernie discale L5 S1 opérée » et il résulte des questionnaires adressés à l’employeur et à l’assuré que la demande de reconnaissance de maladie professionnelle de monsieur [L] a été instruite au titre d’une « sciatique par hernie discale L5-S1 ».
La fiche de concertation médico-administrative mentionne, au titre du libellé complet du syndrome, « sciatique par hernie discale L5-S1 ».
Si le médecin traitant évoquait le tableau 98 des maladies professionnelles, le médecin conseil a retenu un code syndrome 097AAM51B, correspondant au tableau 97 des maladies professionnelles et il a précisé que les conditions médicales réglementaires du tableau étaient remplies.
Ledit tableau prévoit les maladies suivantes :
– Sciatique par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante.
– Radiculalgie crurale par hernie discale L2-L3 ou L3-L4 ou L4-L5, avec atteinte radiculaire de topographie concordante.
La maladie retenue étant une sciatique par hernie discale L5-S1, elle ne peut être prise en charge que si elle comporte une « atteinte radiculaire de topographie concordante ».
Cette atteinte ne peut être révélée que par des examens d’imagerie.
Le médecin conseil précise dans la fiche de concertation médico-administrative que le tableau prévoit un examen, et que l’examen complémentaire, à savoir une IRM du rachis lombaire, a été réalisée le 12 mars 2021 et réceptionnée le 19 avril 2021.
Dès lors, même si le libellé retenu par le médecin conseil est « sciatique par hernie discale L5-S1 », et non « Sciatique par hernie discale L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante », le médecin conseil de la caisse s’est fondé sur un élément extrinsèque, en l’occurrence une IRM, pour émettre un avis favorable à la prise en charge de la maladie.
Dès lors, la maladie dont est atteint monsieur [F] [L] est bien la maladie « Sciatique par hernie discale L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante » du tableau n°97 des maladies professionnelles.
Sur l’exposition au risque :
En cas d’employeurs successifs, le défaut d’imputabilité à l’employeur de la maladie professionnelle qui n’a pas été contractée à son service n’est pas sanctionné par l’inopposabilité de la décision de prise en charge (civ. 2e 17 mars 2022 n°20-19294). Cette opposabilité ne prive toutefois pas l’employeur concerné de la possibilité de contester l’imputabilité de l’accident ou de la maladie, ou même son caractère professionnel (civ.2e 19 décembre 2013, pourvoi n° 12-19.995, 15 février 2018, pourvoi n° 17-10.165).
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En l’espèce, la SASU [4] fait valoir que monsieur [L] travaillait au sein de son entreprise depuis le 1er octobre 2019 en qualité de chauffeur poids-lourds et que la caisse devait rechercher s’il avait été exposé au risque en fonction de son travail au sein de l’établissement. Elle ajoute que la caisse ne démontre pas qu’il a été exposé au risque au sein des entreprises précédentes [9] et [7], auxquelles elle n’a pas adressé de questionnaire.
La caisse fait valoir qu’au vu de l’instruction du dossier, l’assuré a été exposé au risque pendant plus de cinq ans au cours de sa carrière professionnelle. Elle précise qu’elle a mené à bon droit la procédure de reconnaissance de la maladie au regard du dernier employeur, la SASU [4]. Elle ajoute que la CARSAT a retiré du compte employeur de la SASU [4] la maladie professionnelle de monsieur [L].
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Le tableau n° 97 des maladies professionnelles comporte une « liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies » qui est la suivante : travaux exposant habituellement aux vibrations de basses et moyennes fréquences transmises au corps entier :
– par l’utilisation ou la conduite des engins et véhicules tout terrain : chargeuse, pelleteuse, chargeuse-pelleteuse, niveleuse, rouleau vibrant, camion tombereau, décapeuse, chariot élévateur, chargeuse sur pneus ou chenilleuse, bouteur, tracteur agricole ou forestier
– par l’utilisation ou la conduite des engins et matériels industriels : chariot automoteur à conducteur porté, portique, pont roulant, grue de chantier, crible, concasseur, broyeur ;
– par la conduite de tracteur routier et de camion monobloc »
Le délai de prise en charge de la maladie étant de 6 mois sous réserve d’une exposition au risque de 5 ans.
La SASU [4] ne conteste pas l’exposition au risque de monsieur [L], mais la durée de cette exposition au regard de son ancienneté de 4 mois dans l’entreprise au moment de la date de première constatation de la maladie.
La caisse produit aux débats l’enquête qu’elle a réalisée, et notamment les questionnaires adressés à l’assuré au regard de son activité au sein de la SASU [4] mais aussi des sociétés [13], [10], [11], [12], [7], [8] et [5], et les questionnaires adressés à la SASU [4], les sociétés [8], [5], [14] et [6].
Il résulte des seuls questionnaires employeurs que monsieur [L] a exercé les fonctions suivantes :
– chauffeur routier du 15 novembre 2011 au 30 janvier 2011 au sein de la société [14], avec conduite d’un camion VL de 3,5 tonnes
– chauffeur livreur-manutentionnaire du 2 mars 2011 au 19 avril 2013 au sein de l'[5], avec conduite de transpalette et diable
– chauffeur livreur du 29 avril 2013 au 9 mars 2017 au sein de l’entreprise [6] puis [8], avec conduite d’un camion poids lourd de 10 tonnes
– chauffeur poids lourds depuis le 1er octobre 2019 au sein de la SASU [4], avec conduite d’un camion poids lourd de 32 tonnes.
Monsieur [L] indique en outre qu’il a travaillé en qualité de chauffeur poids-lourds du 11 avril 2017 au 30 octobre 2019 pour la société de travail temporaire [9], avec conduite d’un camion benne de 28 tonnes.
Il résulte de ce qui précède que monsieur [L] a conduit des tracteurs routiers visés au tableau n°97 a minima du 2 mars 2011 au 19 avril 2013, du 29 avril 2013 au 9 mars 2017, du 11 avril 2017 au 30 octobre 2019, puis pour la SASU [4], soit pendant plus de cinq ans.
Dès lors, la condition d’exposition au risque du tableau n°97, qui s’apprécie au regard de l’ensemble de la carrière du salarié, est remplie.
En conséquence, la décision de la caisse de prise en charge de la maladie de monsieur [L] sera déclarée opposable à la SASU [4].
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
La SASU [4] succombant, elle sera condamnée aux dépens de la procédure d’appel.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère aux dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME le jugement RG 21/223 du 1er juin 2022 du pôle social du tribunal judiciaire d’Epinal en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
DIT que la décision de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère du 10 août 2021 de reconnaissance de la maladie professionnelle du 3 février 2020 de monsieur [F] [L] est opposable à la SASU [4],
Y ajoutant,
CONDAMNE la SASU [4] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Guerric HENON, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
Minute en sept pages