Travail temporaire : 21 février 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 22/00677

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Travail temporaire : 21 février 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 22/00677

ARRÊT N°

BUL/SMG

COUR D’APPEL DE BESANÇON

ARRÊT DU 21 FEVRIER 2023

CHAMBRE SOCIALE

Audience publique

du 13 décembre 2022

N° de rôle : N° RG 22/00677 – N° Portalis DBVG-V-B7G-EQDP

S/appel d’une décision

du Pole social du TJ de BESANCON

en date du 28 mars 2022

Code affaire : 88G

Autres demandes contre un organisme

APPELANTE

URSSAF DE FRANCHE-COMTE sise [Adresse 1]

représentée par Me Séverine WERTHE, avocat au barreau de BESANCON, présente

INTIMEE

S.A.S. [5], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Joël GRANGÉ, avocat au barreau de PARIS, présent et par Me Romain GUICHARD, avocat au barreau de PARIS, présent

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats du 13 Décembre 2022 :

Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre

Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller

Mme Florence DOMENEGO, Conseiller

qui en ont délibéré,

Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats

en présence de Mme Margot LUCAS, Greffière stagiaire

Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 21 Février 2023 par mise à disposition au greffe.

**************

FAITS ET PROCEDURE

La société [5], qui exerce une activité d’agence de travail temporaire, est immatriculée auprès de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Franche-Comté (ci-après URSSAF) depuis le 1er novembre 2012.

A ce titre, elle est redevable de cotisations du régime général, en application notamment des articles L.311-1 et suivants, et R. 243-6 du code de la sécurité sociale.

Suite à un contrôle effectué dans ses établissements de [Localité 3] et [Localité 4], portant sur la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2018, l’inspecteur de l’URSSAF a estimé que la législation de la sécurité sociale n’avait pas été correctement appliquée et a adressé à la société [5], à l’issue de ce contrôle, une lettre d’observations notifiée le 30 septembre 2019 lui faisant notamment une observation (sans redressement) pour l’avenir relative au calcul de la réduction générale des cotisations patronales.

L’URSSAF considère en effet que, lorsque les droits acquis sur un compte épargne-temps (CET) sont monétisés par un salarié intérimaire et font l’objet de versements postérieurement au départ du salarié, ces montants doivent être rétroactivement réintégrés à la rémunération prise en compte pour le calcul de la dernière réduction calculée au titre de la dernière mission du salarié et être en conséquence rattachés au dernier contrat de mission.

Le 13 janvier 2020, la société [5] a saisi la Commission de recours amiable d’une contestation portant sur cette observation pour l’avenir.

En l’absence de réponse, elle a, par pli recommandé expédié le 15 mai 2020, saisi le tribunal judiciaire de Besançon d’un recours contre la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.

Ladite commission ayant finalement, par décision du 29 avril 2021, rejeté la demandes de la société et confirmé l’observation pour l’avenir, la société [5] a, par pli recommandé expédié le 13 août 2021, formé un recours à l’encontre de cette décision devant la même juridiction.

Par jugement du 28 mars 2022, le tribunal judiciaire de Besançon, sous le bénéfice de l’exécution provisoire et après avoir ordonné la jonction des deux instances, a :

– dit la requête recevable

– annulé l’observation pour l’avenir et la décision explicite de rejet de la Commission de recours amiable

– condamné l’URSSAF au paiement d’une indemnité de procédure de 1 000 euros ainsi qu’aux dépens

Par déclaration du 22 avril 2022, l’URSSAF a relevé appel de cette décision et aux termes de ses écritures visées le 18 novembre 2022 demande à la cour de :

– infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions

– débouter la société [5] de l’ensemble de ses demandes

– confirmer l’observation pour l’avenir sur le point intitulé « Réduction générale des cotisations : entreprise d’intérim »

– valider la décision de la commission de recours amiable du 29 avril 2021

– condamner la société [5] au paiement de la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens

Suivant conclusions du 6 décembre 2022, la société [5] conclut à la confirmation du jugement entrepris et demande à la cour de lui allouer 2 000 euros au titre des frais irrépétibles et de condamner l’appelante aux dépens.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour l’exposé des moyens des parties, à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l’audience de plaidoirie du 13 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur le bien fondé de l’observation pour l’avenir relative à la réduction générale des cotisations portant sur les sommes monétisées sur le CET des salariés intérimaires

Aux termes de l’observation pour l’avenir relative à la réduction dite ‘Fillon’ portant sur les sommes monétisées sur le CET des salariés intérimaires, figurant dans la lettre d’observations du 30 septembre 2019, l’URSSAF indique :

‘A l’avenir, lorsque la monétisation fera l’objet de versements postérieurs au départ du salarié en contrat de travail temporaire, ces montants devront être réintégrés à la rémunération prise en compte pour le calcul de la réduction au titre de la dernière mission et seront également rattachés au dernier contrat de mission, et ce, même de manière rétroactive pour les années antérieures.

Le nombre de salariés étant limité, aucune régularisation ne sera effectuée dans le cadre du présent contrôle’.

Pour annuler cette observation pour l’avenir, les premiers juges ont considéré d’une part que l’URSSAF ne pouvait valablement invoquer les arrêts de la Cour de cassation du 22 octobre 2020, dès lors que les textes sur la base desquels la cour suprême s’est prononcée ont été modifiés depuis lors, et d’autre part que le ‘redressement’ ne reposait sur aucun fondement juridique, la lettre ministérielle du 14 novembre 2012 étant par ailleurs inopposable à la société cotisante, faute d’avoir été publiée.

L’URSSAF leur fait grief d’avoir ainsi jugé et expose au soutien de sa voie de recours qu’en cas de monétisation du CET, les sommes versées au salarié revêtent le caractère de salaire et sont, en application des articles L.242-1 et L.136-2 du code de la sécurité sociale, soumises aux cotisations et contributions sociales au moment où elles sont versées au salarié.

Elle précise que pour les salariés intérimaires en contrat de mission, la réduction générale est calculée par mission (en cas de renouvellement pour l’ensemble de la période) et non annuellement et que dans l’hypothèse où des éléments de rémunérations sont versés par l’entreprise de travail temporaire postérieurement à la fin d’une mission, ceux-ci doivent être rattachés à la mission à laquelle ils se rapportent.

Cependant elle considère par exception et en conformité à la lettre ministérielle du 14 novembre 2012 applicable aux entreprises de travail temporaire, que dans l’hypothèse où des éléments de rémunération afférents à une ou plusieurs missions sont placés sur CET puis monétisés au cours d’une mission ou postérieurement à la fin d’une mission, ces sommes sont rattachées à la dernière mission effectuée (en cours ou passée), même si les sommes constituant le CET se rapportent à de précédentes missions. Elle soutient à cet égard que la lettre ministérielle, qui ne fait que préciser des dispositions légales et réglementaires existantes (L.241-13 et D.241-7 du code de la sécurité sociale), ne crée pas une nouvelle obligation mais simplifie les modalités de calcul de la réduction.

La société [5] prétend au contraire que la position de la caisse est contraire au code de la sécurité sociale et affirme qu’il ne doit être tenu compte, pour le calcul de la réduction, que des revenus d’activité versés au cours de la mission pour laquelle la réduction est calculée et ayant donné lieu au versement des cotisations et contributions sociales, à l’occasion de la mission, et en aucun cas de rémunérations versées sur une autre mission et a fortiori une autre année.

Elle soutient en outre qu’il ne peut être considéré qu’à la date à laquelle les salariés affectent des sommes au CET, ces sommes constituent des « revenus d’activité », dont il pourrait devoir être tenu compte pour le calcul de précédentes réductions générales lorsque les salariés utilisent des droits qu’ils ont acquis sur le CET, ce d’autant que lorsque des sommes sont affectées sur le CET, elles sont automatiquement transformées en jours.

Elle souligne encore que l’URSSAF ne peut invoquer les arrêts de la Cour de cassation du 22 octobre 2020 (Civ. 2ème 22 octobre 2020, n°19-20.789 et n°19-20.794), dès lors qu’ils portent sur des redressements intervenus en 2012/2013 et que l’article L.241-13du code de la sécurité sociale a depuis été modifié et précise désormais que la « rémunération annuelle » s’entend des «revenus d’activité de l’année tels qu’ils sont pris en compte pour la détermination de l’assiette des cotisations».

Elle rappelle enfin que l’URSSAF ne peut valablement se prévaloir d’une lettre ministérielle du 14 novembre 2012 , dépourvue de portée normative (JP constante CDC (Cass. 2ème civ., 19 décembre 2013, n°12-28.071 ; Cass. 2ème civ., 7 mai 2015, n°14-14.956 ; Cass. 2ème civ., 18 février 2021, n°19-24.137), ce d’autant qu’une analogie est impossible avec la réglementation applicable aux rappels de salaire.

Conformément à l’article L.242-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, sont assujettis à cotisations l’ensemble des sommes versées en contrepartie ou à l’occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages, en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l’entremise d’un tiers à titre de pourboire.

Selon l’article R.242-1 alinéa 6 du même code, dans sa version applicable : «Le montant des rémunérations à prendre pour base de calcul des cotisations en application des alinéas précédents ne peut être inférieur, en aucun cas, au montant cumulé, d’une part, du salaire minimum de croissance applicable aux travailleurs intéressés fixé en exécution de la loi n° 70-7 du 2 janvier 1970 et des textes pris pour son application et, d’autre part, des indemnités, primes ou majorations s’ajoutant audit salaire minimum en vertu d’une disposition législative ou d’une disposition réglementaire.»

En outre, en vertu de l’article L.241-13 du même code, dans sa version applicable, les cotisations à la charge de l’employeur au titre des assurances sociales et des allocations familiales qui sont assises sur les gains et rémunérations inférieurs au salaire minimum de croissance majoré de 60% font l’objet d’une réduction dégressive, le montant de la réduction étant calculé chaque année civile, pour chaque salarié, selon des modalités fixées par décret.

L’article D.241-7 III du même code, dans sa version applicable, précise que, pour les salariés en contrat de travail temporaire mis à disposition au cours d’une année auprès de plusieurs entreprises utilisatrices, le coefficient servant de base de calcul est déterminé pour chaque mission.

En l’espèce, les inspecteurs du recouvrement ont constaté que conformément à l’accord national étendu du 27 mars 2000, relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail pour le personnel intérimaire, la société [5] avait mis en place un CET, que les dispositions prévues par l’accord permettaient aux salariés intérimaires d’affecter à leur CET des sommes d’argent telles que les indemnités de fin de mission et les indemnités compensatrices de congés payés, et que l’accord permettait aux salariés temporaires d’en retirer à tout moment tout ou partie des indemnités sous forme monétaire, une telle utilisation permettant au salarié de compléter sa rémunération.

Si les sommes versées au CET ne constituent pas, comme le souligne à juste titre la société [5], au moment de leur versement à ce compte des ‘éléments de rémunération’, à telle enseigne qu’ils ne donnent pas lieu à ce stade à cotisations et contributions comme le rappelle la lettre circulaire de l’ACOSS n°2008/088 du 18 décembre 2008, tel n’est pas le cas au moment où le salarié décide de débloquer ses droits sous forme d’une monétisation, puisqu’il s’agit en l’occurrence d’indemnités de fin de mission et d’indemnités compensatrices de congés payés, lesquelles entrent dans l’assiette des cotisations définie par l’article L. 241-2 du code de la sécurité sociale.

Se pose dès lors la question de leur rattachement à une mission pour le calcul du coefficient de réduction prévu par l’article L.241-13 III du code de la sécurité sociale puisque, par définition, ils sont versés au salarié de façon différée.

En vertu de l’article D.241-7 III précité qui n’opère pas de distinction entre un versement immédiat ou différé, ces éléments de rémunération, versés par l’entreprise de travail temporaire postérieurement à la fin de la mission à l’origine de ces droits, doivent être rattachés à la mission à laquelle ils se rapportent pour le calcul de la réduction générale des cotisations.

A l’inverse, selon la lettre ministérielle du 14 novembre 2012 :

‘Les sommes retirées d’un compte épargne temps ont la nature d’un élément de rémunération et sont soumises aux cotisations de sécurité sociales. Elles entrent donc dans le calcul de l’assiette de la réduction générale, dite Fillon.

Par analogie avec la règlementation applicable aux rappels de salaire, il y a lieu de rattacher la monétisation des droits au CET, pour le calcul des allègements généraux, au dernier contrat de mission effectué, même si les sommes alimentant le CET (indemnités de fin de mission, jours de repos ou indemnités compensatrice de congés payés) sont issues de précédentes missions.

De même, si la monétisation fait l’objet de versements postérieurs au départ du salarié en contrat de travail temporaire, ces montants devront être réintégrés à la rémunération prise en compte pour le calcul de la réduction au titre de sa dernière mission et seront également rattachés au dernier contrat de mission.

en cas de versement de sommes sur un CET suivi d’une monétisation au cours d’une mission ou postérieurement à la fin d’une mission, il doit être admis que ces sommes soient rattachées à la dernière mission effectuée ( en cours ou passée), même si les sommes constituant le CET se rapportent à de précédentes missions’.

Cette circulaire instaure en réalité un mode de calcul dérogatoire aux dispositions précitées, qui prescrivent au contraire un rattachement à la mission ayant donné lieu aux versements sur le CET. Aussi, l’URSSAF ne peut valablement soutenir que la modalité ainsi prévue se limiterait à une facilitation des modalités d’application des textes en vigueur.

En outre c’est pertinemment que la société [5] dénie à cette lettre ministérielle toute valeur normative pour conclure à son inopposabilité à son égard, faute d’avoir été publiée.

Si l’URSSAF se prévaut encore de deux décisions de la Cour de cassation (Civ 2ème 22 octobre 2020 n°19-20.789 et 19-20.794), celles-ci ne se prononcent toutefois pas sur la question du rattachement au dernier contrat de mission du salarié ayant abondé son CET et procédant à sa monétisation.

Dans ces conditions, l’observation pour l’avenir insérée dans la lettre d’observation susvisée, qui ne repose sur aucun fondement juridique mais exclusivement sur une lettre circulaire inopposable aux cotisants, ne peut qu’être annulée.

Le jugement déféré qui a ainsi statué sera confirmé de ce chef.

III – Sur les demandes accessoires

L’URSSAF supportera les dépens d’appel et sera condamnée à verser à l’URSSAF une indemnité de procédure de 1 500 euros, le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Condamne l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Franche-Comté à verser à la SAS [5] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Franche-Comté aux dépens d’appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le vingt et un février deux mille vingt trois et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,

 


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