Travail dissimulé : 31 août 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/04748

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N° RG 21/04748 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I6SA

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 31 AOUT 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 29 Novembre 2021

APPELANTE :

S.A.S. COURIR FRANCE

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Olivier GRET de la SELARL A PRIM, avocat au barreau de LYON substituée par Me Allison MOUGNE, avocat au barreau de LYON

INTIMEE :

Madame [G] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Saliha LARIBI, avocat au barreau de DIEPPE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 28 Juin 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 28 Juin 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 31 Août 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 31 Août 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [G] [T] a été engagée par la SAS Courir France en qualité de ‘stockman’, statut employée, par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel du 10 juin 2012.

Le 19 avril 2019, Mme [T] a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable de licenciement fixé au 29 avril 2019.

Le licenciement pour faute grave a été notifié à la salariée le 6 mai 2019.

Par requête du 18 février 2020, Mme [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen aux fins de contestation de son licenciement et paiement de rappels de salaire et indemnités.

Par jugement du 29 novembre 2021, le conseil de prud’hommes a dit le licenciement de Mme [T] sans cause réelle et sérieuse et condamné la société Courir France au paiement des sommes suivantes :

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 6 751,50 euros

indemnité de licenciement : 2 668,20 euros

indemnité compensatrice de préavis, congés payés inclus : 1 237,77 euros

rappel de salaire sur mise à pied conservatoire : 605,22 euros

congés payés afférents : 60,52 euros

article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros

– débouté Mme [T] du surplus de ses demandes, et débouté la société Courir France de l’intégralité de ses demandes.

La société Courir France a interjeté appel de cette décision le 16 décembre 2021.

Par conclusions remises le 31 août 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, la société Courir France demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté Mme [T] du surplus de ses demandes, statuant à nouveau, à titre principal, débouter Mme [T] de l’intégralité de ses demandes, à titre subsidiaire, condamner la société Courir France à lui verser la somme de 1335,90 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement et 3 375,75 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en tout état de cause, condamner Mme [T] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par conclusions remises le 29 novembre 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, Mme [T] demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre du manquement à l’obligation de sécurité ainsi que sur le quantum des sommes allouées et, en conséquence, condamner la société Courir France à lui payer les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 6 751,50 euros

indemnité de licenciement : 2 668,20 euros

indemnité compensatrice de préavis, congés payés inclus : 1 237,77 euros

rappel de salaire sur mise à pied conservatoire : 605,22 euros

congés payés afférents : 60,52 euros

dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité : 1 125,25 euros

article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros

– y ajoutant, condamner la société Courir France à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel, outre les entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 8 juin 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur le manquement à l’obligation de sécurité

L’article L. 4121-1 du code du travail dispose que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, lesquelles comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Mme [T] évoque trois avis du médecin du travail montrant que son employeur devait veiller à sa sécurité et qu’il n’a pas respecté cette obligation, puisqu’à l’issue du dernier avis du 26 octobre 2017 qui préconisait une période d’essai de trois mois, il n’a pas fait réaliser de nouvelle visite médicale pour savoir si les restrictions devaient être levées.

En l’espèce, par avis du 2 avril 2015 émis à la demande de l’employeur, le médecin du travail a indiqué que Mme [T] était ‘apte à son poste de stockman en limitant la manutention : aide par collègue pour les cartons, suivi médical à poursuivre avec son médecin traitant. Visite périodique réalisée dans le même temps. A revoir dans 24 mois’. Par avis du 24 août 2016 rendu dans le cadre d’une visite de reprise après accident du travail, Mme [T] a été déclarée ‘apte à la reprise à l’essai sur poste aménagé uniquement sans manutention ni recherche de cartons en réserve. Encaissement uniquement autorisé. Poursuite soins en cours et avis spécialisé en attente.’ Mme [T] ne conteste pas que les préconisations faites au titre de ces deux avis ont été respectées, étant précisé que le contexte dans lequel ont été rendu ces avis n’est pas explicité.

La salariée reproche en revanche à son employeur l’absence de nouvelle visite à l’issue de l’avis du 26 octobre 2017 intitulé ‘visite de reprise’, aux termes duquel, le médecin du travail indique ‘apte au poste de stockman à l’essai pendant 3 mois. Présence très favorable de la 2ème personne sur ce poste. A revoir avant le 26/10/2022″.

Toutefois, la société Courir France, en produisant les plannings de ses salariés sur cette période, justifie avoir respecté pendant trois mois la recommandation non contraignante faite par le médecin du travail de faire accompagner Mme [T] par un salarié en doublon sur le poste de stockman. Au demeurant, la salariée ne conteste pas cet état de fait, se contentant de reprocher à l’employeur l’absence de visite de contrôle à l’issue de la période de trois mois. Or, dans la mesure où, d’une part, une telle visite n’était pas exigée du médecin du travail et où, d’autre part, Mme [T] n’a jamais manifesté auprès de son employeur à l’issue de ces trois mois d’essai le moindre souci d’exécution des tâches affectées à son poste ou encore sollicité une nouvelle visite médicale, cette critique est inopérante.

En tout état de cause, elle n’allègue ni a fortiori ne justifie aucunement de l’existence d’un préjudice.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris.

II – Sur le licenciement

Conformément aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu’elle soit objective, établie, exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

L’article L. 1235-1 du même code précise qu’à défaut d’accord, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Il appartient à l’employeur qui l’invoque d’en rapporter la preuve.

En l’espèce, la lettre de licenciement pour faute grave du 6 mai 2019, qui fixe les limites du litige, est rédigée comme suit :

‘Vous avez délibérément jeté de la marchandise neuve en vue de la récupérer ultérieurement pour votre profit personnel, et ce dans le cadre de vos fonctions.

En date du 16 avril 2019, nous avons été alertés par le magasin de [Localité 3] 1 qu’un individu s’est présenté pour nous informer qu’il avait le 15 avril 2019 la responsable magasin de [Localité 3] 2 récupérer de la marchandise de la benne à ordure se situant à l’arrière de son magasin. Il s’agissait de deux paires d’Adidas Stan Smith, la première en taille 36 et la seconde en taille 23.

Après échanges avec ce dernier, cet individu nous a expliqué plus précisément vous avoir vu à plusieurs reprises les semaines précédentes, récupérer de la marchandise provenant de la benne à ordure (marchandise que vous déposiez préalablement), puis les récupérer quelques minutes plus tard pour les mettre dans votre véhicule personnel.

Lorsque celui-ci interloqué par votre comportement, vous a demandé des explications, vous lui avez répondu que vous étiez la responsable du magasin et que des collaborateurs avaient jeté accidentellement des paires de chaussures. Celui-ci interpellé par vos explications, a décidé de vous observer une nouvelle fois. C’est ainsi que le 15 avril 2019, il vous a vu jeter de nouveau de la marchandise à la benne et a décidé de récupérer cette fois les produits à votre insu, dans le but d’alerter un autre magasin COURIR de votre démarche.

Lors de l’entretien, vous n’avez pas su nous fournir d’explications plausibles et avez nié les faits qui vous ont été reprochés. Les observations que vous avez apportées pour tenter de justifier votre comportement ne sont pas de nature à modifier notre appréciation de la gravité des faits qui vous sont reprochés.

Nous ne pouvons admettre vos arguments sachant que les paires identifiées par l’individu étaient manquantes dans notre stock et que ce dernier nous a par ailleurs ramené les produits correspondant en magasin afin de les réintégrer dans les stocks.

Aussi, nous ne pouvons cautionner ce type d’agissement qui s’apparente à de la fraude et fait état d’un esprit pour le moins malhonnête. De ce fait, en agissant de la sorte, vous vous êtes placée en totale infraction avec les dispositions de notre règlement intérieur qui prévoit que les faits de ‘détournement, vol, abus de confiance’ sont totalement interdits et que conformément à l’article 12, ‘il est interdit d’emporter quoique ce soit appartenant à l’entreprise et ce sans autorisation préalable’.

Enfin, au regard de votre ancienneté, vous n’êtes pas sans savoir que ce type d’agissement constitue un acte répréhensible en totale contradiction avec les valeurs de notre enseigne. En tant que chargée de stock, nous ne pouvons que déplorer cette attitude qui traduit un manque de transparence et de professionnalisme sans équivoque.

Vous comprendrez aisément que nous ne pouvons tolérer un tel comportement de votre part, eu égard à la probité exigée par votre fonction de chargée de stock et à la confiance que nous accordons à notre à personnel. Au regard de la gravité des faits, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible.’

Mme [T] conteste les faits qui lui sont reprochés, soutenant que les éléments produits par son employeur n’ont aucune valeur probante et rappelant que le règlement intérieur n’a jamais été porté à sa connaissance.

Pour établir les griefs litigieux, la société Courir France verse aux débats l’attestation de M. [V] le témoin des faits du 15 avril 2019, étant précisé qu’il est constant que cet homme n’a aucun lien de subordination avec la société Courir France

Certes, il n’est pas contesté que cet homme, ne sachant pas écrire, a dicté son témoignage à M. [H] le directeur du magasin de [Localité 3] 1 au sein duquel il s’est rendu pour restituer les chaussures cachées dans la benne à ordure par la femme qu’il a identifiée comme étant Mme [T].

Toutefois, dans la mesure où cette première attestation faite le jour même du 15 avril 2019 à destination du service des ressources humaines de la société Courir France, a été réitérée le 15 décembre 2020 aux termes d’un nouvel écrit conforme aux prescriptions de l’article 220 du code de procédure civile, qui contient un récit parfaitement circonstancié tant sur les conditions de rédaction de ce témoignage, que sur les faits reprochés à Mme [T] et sur son identification certaine par M. [V], ce dernier précisant même le numéro d’immatriculation du véhicule de Mme [T] et l’altercation qu’il avait pu avoir en amont avec elle, puisque ce n’était pas la première fois qu’il la surprenait agir ainsi mais que la première fois, elle avait réussi à récupérer la marchandise, la cour considère que ce témoignage est parfaitement probant.

En outre, il est corroboré par les éléments suivants :

– l’emploi du temps de Mme [T] qui confirme que le 15 avril 2019, elle travaillait de 10h à 15h30, ce qui est cohérent avec les faits décrits par M. [V] qui explique que vers 15h25, il a vu Mme [T] déposer des boites à chaussures près de la benne à ordures et que la soupçonnant de réitérer le comportement qu’il avait déjà surpris, c’est-à-dire revenir environ 10 minutes plus tard, à la fin de sa journée avec sa voiture, récupérer les boites ou vêtements qu’elle venait de déposer, il l’avait devancée, avait récupéré les chaussures et se voyant menacé par cette dernière alors qu’elle revenait, il avait pris peur et s’était réfugié dans la galerie commerçante puis rendu au magasin Courir de ladite galerie pour restituer les chaussures,

– le témoignage de Mme [U], employée du magasin Courir situé dans la galerie marchande, qui a reçu M. [V] le 15 avril 2019 et qui a récupéré les chaussures qu’il venait rendre,

– l’édition des stocks du magasin où travaillait Mme [T] qui montre que le 16 avril 2019, sur les deux modèles concernés, il existait une différence entre le stock théorique et le stock réel correspondant au manque des chaussures que Mme [T] avait jeté dans la benne à ordure.

Au vu de ces éléments, et peu important que la société Courir France n’est pas jugée utile de déposer une plainte pénale pour ses faits, il y a lieu de considérer que la matérialité des griefs reprochés à Mme [T] est parfaitement établie, étant précisé que l’absence de communication du règlement intérieur, même à la considérer comme avérée, est indifférente, les faits reprochés à Mme [T] pouvant aisément être qualifié de fautif en dehors de toute interdiction prévue par le règlement intérieur, puisqu’il s’apparente à des faits de vol ou d’escroquerie, pénalement répréhensibles et en tout état de cause incompatible avec l’obligation d’exécution loyale du contrat de travail.

En conséquence, et eu égard à la gravité de ces faits, qui, rompant la confiance que l’employeur doit légitimement pouvoir avoir à l’égard de sa salariée, rendent son maintien dans l’entreprise impossible, il convient d’infirmer le jugement entrepris et de débouter Mme [T] de son action en contestation de son licenciement et de toutes ses demandes financières subséquentes.

III – Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner Mme [T] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer la société Courir France la somme de 300 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés tant en première instance qu’en appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [G] [T] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ;

L’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit le licenciement pour faute grave justifié ;

Déboute Mme [G] [T] de toutes ses demandes financières subséquentes ;

Condamne Mme [G] [T] aux entiers dépens de première instance et d’appel ;

Déboute Mme [G] [T] de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [G] [T] à payer à la SAS Courir France la somme de 300 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance et en appel.

La greffière La présidente