Travail dissimulé : 31 août 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 22/03302

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N° RG 22/03302

N° Portalis DBVM-V-B7G-LQGP

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE – PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 31 AOUT 2023

Appel d’une décision (N° RG 21/00320)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire d’Annecy

en date du 25 juillet 2022

suivant déclaration d’appel du 06 septembre 2022

APPELANTE :

Madame [P] [D]

née le 11 février 1986 à [Localité 5] (Bosnie)

de nationalité Bosniaque

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Hervé GERBI de la SELARL GERBI, avocat au barreau de GRENOBLE substitué par Me Thibaut HEMOUR, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

La CPAM DE HAUTE SAVOIE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparante en la personne de Mme [X] [C], régulièrement munie d’un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l’audience publique du 11 mai 2023,

M. Pascal VERGUCHT, chargé du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président et Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller, en présence de Mme [T] [G], juriste assistant, ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoirie,

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 16 juin 2019, Mme [P] [D] a, selon une déclaration d’accident du travail datée du lendemain, été victime d’un traumatisme crânien après s’être cogné la tête contre une armoire électrique, alors qu’elle vidait des pièces dans un godet de trémie. Le même jour, un certificat médical initial a constaté une commotion cérébrale.

Le 20 juin 2019, la CPAM de Haute-Savoie a pris en charge l’accident du travail.

Le 16 octobre 2020, la caisse a notifié un taux d’incapacité permanente de 5 % pour un syndrome subjectif post-commotionnel chez une assurée droitière, ouvrière, de type céphalées chroniques.

A la suite de sa contestation, la commission médicale de recours amiable du 11 mars 2021 a porté le taux à 8 %, dont 0 % pour le taux socioprofessionnel.

Le Pôle social du Tribunal judiciaire d’Annecy saisi d’un recours de Mme [D] contre la CPAM de Haute-Savoie, a par jugement du 25 juillet 2022 :

– déclaré l’action recevable,

– débouté Mme [D] de ses demandes,

– dit n’y avoir lieu à confirmer la décision de la commission médicale de recours amiable,

– condamné Mme [D] aux dépens,

– débouté les parties de leurs autres demandes,

– rappelé le caractère exécutoire de plein droit à titre provisoire de la décision.

Par déclaration du 6 septembre 2022, Mme [D] a relevé appel de cette décision.

Par conclusions communiquées le 9 février 2023 et reprises oralement à l’audience devant la cour, Mme [D] demande :

– l’infirmation du jugement,

– l’annulation de la décision de la caisse fixant son taux à 5 % et de la décision de la commission médicale de recours amiable fixant ce taux à 8 %,

– la fixation de son incapacité à un taux médical entre 23 et 28 % et un taux socioprofessionnel de 10 %,

– la condamnation de la CPAM aux dépens et à lui verser 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Sur le taux fonctionnel, Mme [D] soutient que le tribunal a tranché une difficulté de nature médicale contre les avis des docteurs [E] et [O] constatant un état dépressif et un syndrome de stress post-traumatique et anxio-dépressif directement en lien avec son accident du travail, et contre le barème indicatif d’invalidité en accident du travail qui prévoit que les cas névrotiques caractérisés ne doivent pas être confondus avec un syndrome post-commotionnel de traumatisé du crâne, qui comprend par ailleurs une dimension thymique. Elle souligne que le rapport d’évaluation des séquelles a totalement omis de prendre en considération le volet thymique de son état, alors même que le service médical de la caisse avait noté un suivi psychiatrique pour un syndrome anxio-dépressif, son traitement étant d’ailleurs composé d’antidépresseur et d’anxiolytique. Elle s’appuie sur le barème pour demander un taux de 23 à 28 %.

Sur le taux socioprofessionnel, elle considère que si l’incapacité doit être appréciée à la date de la consolidation, les éléments produits postérieurement n’ont pas été pris en compte alors que son état est demeuré inchangé. Elle ajoute que le rapport d’évaluation des séquelles mentionne le courrier du médecin psychiatre ayant constaté une incompatibilité avec une reprise de travail au poste actuel, que Mme [D] n’a toujours pas repris. Elle demande donc un taux de 10 %.

Par conclusions du 24 avril 2023 reprises oralement à l’audience devant la cour, la CPAM de Haute-Savoie demande :

– la confirmation du jugement,

– le débouté des demandes de Mme [D].

La CPAM estime que le taux médical de 8 % fixé par la commission médicale de recours amiable l’a été conformément au barème indicatif d’invalidité pour un syndrome subjectif post-commotionnel qui comprend, dans sa définition médico-légale et ses signes fonctionnels, une dimension thymique, et qui prévoit un taux entre 5 et 20 %.

La caisse estime ensuite, pour le taux socioprofessionnel, que Mme [D] n’a fourni aucun élément à la caisse puis à la commission médicale de recours amiable au sujet d’une perte de salaire ou d’emploi en lien direct avec son accident du travail, alors que la charge de la preuve lui incombe. Elle ajoute que l’assurée n’a manifestement pas perdu son emploi puisqu’elle a été indemnisée au titre de l’accident du travail puis au titre de la maladie jusqu’au 28 février 2023, puis a bénéficié d’une pension d’invalidité de catégorie 2 à compter du 1er mars suivant, outre une reconnaissance de la qualité de travailleuse handicapée.

En application de l’article 455 du Code de procédure civile, il est expressément référé aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIVATION

Selon l’article L. 434-1 du Code de la sécurité sociale, « Une indemnité en capital est attribuée à la victime d’un accident du travail atteinte d’une incapacité permanente inférieure à un pourcentage déterminé.

Son montant est fonction du taux d’incapacité de la victime et déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret dont les montants sont revalorisés au 1er avril de chaque année par application du coefficient mentionné à l’article L. 161-25. Il est révisé lorsque le taux d’incapacité de la victime augmente tout en restant inférieur à un pourcentage déterminé . »

L’article L. 434-2 du même code précise que : « Le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité. »

Le barème indicatif d’invalidité en annexe de l’article R. 434-32 du même code dispose notamment que :

– « 4.2.1 SYNDROMES PROPRES AU CRÂNE ET A L’ENCEPHALE

4.2.1.1 Syndrome post-commotionnel des traumatisés du crâne

Les traumatisés du crâne se plaignent souvent de troubles divers constituant le syndrome subjectif. On ne doit conclure à la réalité d’un tel syndrome qu’avec prudence. Il ne sera admis que s’il y a eu à l’origine un traumatisme crânien ou une commotion cérébrale par l’intermédiaire de l’axe cérébral plus particulièrement du rachis cervical.

Ce syndrome se manifeste par des céphalées, des étourdissements ou une sensation d’instabilité, une difficulté de la concentration intellectuelle et de l’association des idées. La victime peut accuser également une fatigabilité intellectuelle à la lecture (par hétérophorie), des troubles amnésiques portant sur les faits récents, une modification de l’humeur et du caractère, ainsi que des troubles du sommeil.

Lors de l’interrogatoire, il y aura lieu de faire préciser au blessé les signes accusés, de les lui faire décrire. Cependant, le médecin évitera de diriger l’interrogatoire par des questions pouvant orienter les réponses.

– Syndrome subjectif, post-commotionnel 5 à 20

On ne doit pas additionner au taux du syndrome post-commotionnel les taux inhérents à des séquelles neurologiques, sans que celles-ci soient individualisées et objectivées par des examens paracliniques éventuels : bilans ophtalmo et O.R.L., E.C.G., tomodensitométrie, etc. »

– « 4.2.1.11 Séquelles psychonévrotiques

Il est nécessaire de recourir à un bilan neuropsychologique détaillé et à l’avis d’un neuro-psychiatre. Dans la majorité des cas, ces troubles sont les conséquences de lésions cérébrales diffuses, sans possibilité de focalisation, associées ou non à des troubles neurologiques précis.

En règle générale, les accidentés atteints de ces troubles intellectuels post-traumatiques ont présenté un coma plus ou moins prolongé et ont présenté en général d’emblée des troubles de la conscience : 30 à 100

Syndromes psychiatriques.

L’étiologie traumatique des syndromes psychiatriques est très exceptionnelle. Il ne faut qu’une enquête approfondie atteste l’intégrité mentale antérieure, et que le syndrome succède immédiatement à un traumatisme particulièrement important. Seul, un psychiatre peut estimer valablement le déficit psychique de la victime.

– Syndrome psychiatrique post-traumatique : 20 à 100.

Névroses post-traumatiques.

– Syndrome névrotique anxieux, hypochondriaque, cénesthopatique, obsessionnel, caractérisé, s’accompagnant d’un retentissement plus ou moins important sur l’activité professionnelle de l’intéressé : 20 à 40

(Ces cas névrotiques caractérisés ne doivent pas être confondus avec un syndrome post-commotionnel des traumatisés du crâne ni avec les séquelles définies au chapitre suivant). »

En l’espèce, il ressort de la notification de taux d’incapacité que Mme [D] a été indemnisée pour les séquelles d’un syndrome subjectif post-commotionnel, de type céphalées chroniques, sur la base d’un rapport d’évaluation des séquelles du docteur [U] [Z] du 6 octobre 2020 qui avait retenu : une profession d’ouvrière, une absence d’état antérieur interférant connu, des mouvements douloureux du rachis cervical lors de l’examen clinique, des doléances pour un fond permanent de céphalée et des crises de céphalées pouvant provoquer des chutes et une grande fatigue, des vertiges, une absence de coefficient socioprofessionnel ; tout en évoquant juste un suivi psychiatrique depuis le 27 janvier 2020 deux fois par mois pour un syndrome anxio-dépressif sous traitement, et un diagnostic reçu le 7 octobre 2019 de céphalées chroniques dans le cadre d’un syndrome de stress post-traumatique par un neurologue, le docteur [O].

Il apparaît donc que la dimension thymique n’a pas été examinée ou approfondie par le médecin-conseil lors de l’examen clinique ayant donné lieu au rapport d’évaluation des séquelles, ni par la suite devant la commission médicale de recours amiable qui n’a pas motivé sa réévaluation du taux d’incapacité, le suivi psychiatrique et les syndromes anxio-dépressif et de stress post-traumatique étant juste évoqués dans la partie du rapport listant les documents présentés.

Mme [D] justifie d’une note technique du docteur [J] [E] en date du 22 avril 2021 qui retient un état dépressif relativement important en lien direct avec son accident du travail, sans état antérieur. Le docteur [E] relève notamment l’apparition très rapide, après l’accident, d’une anxiété en lien avec les intenses douleurs qu’elle subissait, et le développement progressif dans les mois qui ont suivi d’un état dépressif réactionnel aux névralgies ainsi qu’aux conséquences en termes de qualité de vie. Il ajoute ne pas retrouver d’état de stress post-traumatique contrairement au diagnostic du docteur [O], d’autant que le traumatisme à l’origine des douleurs n’entre pas dans le cadre étiologique de cette pathologie, et il précise que l’état dépressif est à différencier du syndrome subjectif des traumatisés crâniens et se surajoute à cette pathologie avec probablement un taux entre 15 et 20 %.

Par ailleurs, il convient de noter que la caisse se prévaut d’une mise en invalidité, intervenue postérieurement à la date de consolidation, mais sans précision sur les éléments pris en compte à cette fin, et attestant d’une perte de plus des deux tiers des capacités de travail ou de gain.

L’appelante apporte par conséquent des éléments qui justifient l’existence d’une difficulté d’ordre médical sur l’évaluation de son taux d’incapacité à la suite de son accident du travail du 16 juin 2019 et particulièrement dans la prise en compte de la dimension thymique de sa pathologie ou d’une dépression et dans les conséquences socioprofessionnelles induites par cette pathologie. Une expertise médicale sera donc ordonnée afin d’éclairer la cour, avant dire droit sur la solution du litige, aux frais de la CPAM en application des dispositions du Code de la sécurité sociale.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du pôle social du tribunal judiciaire d’Annecy du 25 juillet 2022,

Et statuant à nouveau,

Ordonne avant dire droit sur le fond du litige une mesure d’expertise et commet pour y procéder :

Le Docteur [A] [K] – [Adresse 3]

avec pour mission, après avoir prêté serment sur le document joint à retourner au greffe, de :

– convoquer les parties ou leur médecin-conseil afin de permettre leur présence lors de la réalisation des opérations d’expertise,

– consulter les pièces du dossier médical versé auprès de la juridiction notamment l’intégralité du rapport médical mentionné à l’article L. 142-6 du code de la sécurité sociale reprenant les constats résultant de l’examen clinique de l’assuré ainsi que le rapport mentionné à l’article R. 142-8-5 du même code ainsi que l’ensemble des éléments ou informations qui ont pu fonder la décision contestée ceux résultant des examens consultés par le praticien-conseil justifiant sa décision, et les pièces qui pourraient lui être transmises par les parties,

– procéder à l’examen clinique du (de la) requérant(e),

– entendre les parties en leurs dires et observations,

– émettre un avis sur l’état de santé du (de la) requérant(e) notamment au vu du guide barème indicatif invalidité (accident du travail) applicable, le taux d’incapacité correspondant à la situation de celui(celle)-ci, telle qu’elle résulte de son accident du travail, y compris et dans la mesure du possible dans sa dimension socioprofessionnelle,

– apporter toute précision qui serait de nature à éclairer le tribunal sur le litige qui lui est soumis.

Dit que :

– l’expert aura la faculté de s’adjoindre tout spécialiste de son choix dans une spécialité différente de la sienne, à charge de joindre leur avis au rapport,

– le rapport d’expertise sera déposé au greffe de la cour dans le délai de SIX mois à compter de la date de la saisine de l’expert, en deux exemplaires après en avoir adressé un exemplaire à chacune des parties en cause,

– l’expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, si elles sont écrites les joindre à son rapport si les parties le demandent, faire mention dans son avis de la suite qu’il leur aura donnée et l’expert peut fixer un délai aux parties pour formuler leurs observations à l’expiration duquel il ne sera plus tenu d’en prendre compte sauf cause grave et dûment justifiée auquel cas il en fait rapport au juge chargé du contrôle de l’expertise,

– l’expert tiendra le magistrat chargé du contrôle de l’expertise informé de l’avancement de ses opérations et le saisira de toute difficulté y afférente,

– en cas d’empêchement, l’expert sera remplacé par simple ordonnance du magistrat chargé du contrôle des expertises,

Rappelle qu’en application des dispositions de l’article L. 142-11 du code de la sécurité sociale, les frais résultant de cette expertise dans le cadre du contentieux mentionné à l’article L. 142-2 sont pris en charge par l’organisme mentionné à l’article L. 221-1,

Dit que l’affaire reprendra à l’initiative de la partie la plus diligente après le dépôt du rapport d’expertise.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. DELAVENAY, Président et par M. OEUVRAY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président