Travail dissimulé : 31 août 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 22/00834

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C5

N° RG 22/00834

N° Portalis DBVM-V-B7G-LIDV

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

La SCP LECAT ET ASSOCIES

Monsieur [E] [S]

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE – PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 31 AOUT 2023

Appel d’une décision (N° RG 19/553)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry

en date du 04 mai 2021

suivant déclaration d’appel du 02 juin 2021 sous le N° RG 21/02477

radiation le 13 janvier 2022

réinscription le 23 février 2022

APPELANTE :

LA CAISSE INTERPROFESSIONNELLE DE PREVOYANCE ET D’ASSURANCE VIEILLESSE (CIPAV)

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Malaury RIPERT de la SCP LECAT ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Manon ALLOIX, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIME :

Monsieur [E] [S]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l’audience publique du 11 mai 2023,

M. Pascal VERGUCHT, chargé du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président et Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller, en présence de Mme Laëtitia CHAUVEAU, juriste assistant, ont entendu le représentant de la partie appelante et la partie intimée en leurs conclusions et plaidoirie,

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 14 novembre 2018, la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (CIPAV) a informé M. [E] [S], en réponse à une correspondance de ce dernier, qu’il a été affilié à la caisse de janvier 1984 à décembre 1987 puis en qualité d’autoentrepreneur de janvier 2010 à octobre 2013, qu’il a bénéficié d’une exonération de cotisations au régime de base pour insuffisance de ressources en raison d’un revenu professionnel inférieur au seuil déterminé, et que l’exonération de 1984 à 1987 ne donnait pas lieu à l’attribution de points ou à la validation de trimestres au titre du régime de retraite de base.

Le 23 mai 2019, la commission de recours amiable de la CIPAV a rejeté la demande de validation, en date du 18 mars 2019, de 16 trimestres de janvier 1984 à décembre 1987. Il était précisé que l’affiliation sur ces années était au CREA qui avait annulé cette période pour insuffisance de revenus professionnels conformément à ses statuts.

Le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry, saisi d’un recours de M. [S] contre la CIPAV a, par jugement du 4 mai 2021 :

– déclaré le recours recevable,

– annulé la décision de la commission de recours amiable rejetant la demande de validation de 16 trimestres,

– déclaré la CIPAV entièrement responsable du préjudice de M. [S],

– condamné la caisse à réparer le préjudice en validant gratuitement 12 trimestres de janvier 1984 à décembre 1987,

– dit que la retraite de base sera liquidée en fonction de la durée d’assurance reconstituée et des revenus réels ou estimés,

– condamné la CIPAV aux dépens,

– rejeté toutes les autres demandes.

Par déclaration du 2 juin 2021, la CIPAV a relevé appel de cette décision. Le dossier a été radié le 13 janvier 2022 en l’absence de conclusions de l’appelante dans les délais, avant d’être réinscrit au rôle de la cour le 23 février 2022.

Par conclusions du 22 février 2022, reprises oralement à l’audience devant la cour, la CIPAV demande :

– l’infirmation du jugement,

– la confirmation de la décision de la commission de recours amiable,

– le débouté des demandes de M. [S],

– la condamnation de M. [S] aux dépens et à lui verser 300 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

La caisse estime que M. [S] exerçait une activité non salariée au titre de sa profession libérale et était soumis à une obligation de payer des cotisations au régime de retraite, qui étaient portables et non quérables, l’assuré devant avoir l’initiative de ce paiement, ce qu’il n’a pas fait puisque la CIPAV affirme ne pas avoir reçu de fonds de M. [S] pour la période de 1984 à 1987.

Elle précise avoir informé M. [S] que la caisse de retraite de l’enseignement et des arts appliqués (CREA) a appliqué sur cette période l’article 2 de ses statuts prévoyant une exonération de cotisation du régime de base en cas de revenus inférieurs à un seuil de ressources, ne donnant lieu ni à attribution de points ni à validation de trimestres, les seules cotisations versées sur la période litigieuse relevant du régime de retraite complémentaire.

La caisse ajoute que M. [S] ne justifie pas les revenus perçus entre 1984 et 1987 et évoque seulement un revenu de 31.657 francs en 1985 sans le prouver.

Par conclusions, déposées le 27 mars 2023 et reprises oralement à l’audience devant la cour, M.[S] demande la confirmation du jugement.

M. [S] conteste avoir perçu des revenus inférieurs au seuil d’exonération et souligne qu’il ne lui a jamais été notifié qu’il bénéficiait d’une exonération, ni les conséquences pouvant en découler en termes de droits à la retraite. Il ajoute avoir bénéficié en 1984 d’un remboursement de trop-perçu qui a pu générer une erreur de traitement, et avoir réglé les appels à cotisations de la CREA entre 1984 et 1987, l’organisme lui ayant envoyé un courrier en 1985 où il annonçait vérifier sa situation, et un autre en 1988 pour l’informer qu’il avait acquis 18 points de retraite. Il souligne enfin n’avoir reçu aucune lettre ni aucun avis au sujet d’une exonération, la CIPAV ne justifiant que des statuts de la CREA de l’année 1987.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément référé aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIVATION

L’article L. 351-3 du code de la sécurité sociale, dans ses rédactions entre 1985 et 2018, prévoyait que : « Sont prises en considération en vue de l’ouverture du droit à pension, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État :

1°) les périodes pendant lesquelles l’assuré a bénéficié des prestations maladie, maternité, invalidité, accident du travail et celles postérieures au 1er juillet 1930 pendant lesquelles les travailleurs salariés ont perçu une rente d’accident du travail prenant effet antérieurement à la date susmentionnée, pour une incapacité permanente au moins égale à un taux fixé par le même décret ».

L’article D. 643-2, dans sa version en vigueur du 1er mars 2012 au 1er novembre 2019, précisait que : « Sont comptées comme périodes d’assurance dans le régime :

1° Les périodes ayant donné lieu au versement effectif des cotisations ;

2° Les périodes ayant donné lieu aux exonérations de cotisations prononcées en application de l’article L. 642-3 ;

3° Les périodes de mobilisation et de captivité mentionnées à l’article L. 161-19, et les périodes de service national légal ;

4° Les périodes ayant donné lieu au versement prévu à l’article L. 643-2-1 ;

5° Les périodes attribuées par le présent régime au titre de la majoration de durée d’assurance pour enfant mentionnée à l’article L. 643-1-1. »

En l’espèce, M. [S] justifie :

– un bulletin d’affiliation à l’URSSAF du 4 janvier 1983, à compter du 5 janvier 1983, en qualité de travailleur indépendant exerçant la profession de peintre illustrateur ;

– un appel des cotisations pour l’année 1984, à l’entête de « IRCEC CREA », émis le 19 avril 1984 pour un montant de 876 francs, avec un numéro CREA à rappeler, à verser à l’ordre de la CREA ;

– un courrier du 7 février 1985 de la CREA à M. [S] lui exposant que son revenu professionnel de 1983 n’a pas justifié son affiliation à la caisse en 1984, qu’il appartenait à la caisse de vérifier si sa situation était identique en 1985 ou si le montant de 1984 nécessitait une réinscription, un volet complété devant être retourné en conséquence, à défaut de quoi une réinscription serait réalisée d’office à compter du 1er janvier 1985 ;

– un appel des cotisations pour l’année 1985, à l’entête de « IRCEC CREA », émis le 13 mai 1985 pour un montant de 936 francs, avec un numéro CREA à rappeler, à verser à l’ordre de la CREA ;

– un appel des cotisations pour l’année 1987, à l’entête de « IRCEC CREA », émis le 28 avril 1987 pour un montant de 1.014 francs, avec un numéro CREA à rappeler, à verser à l’ordre de la CREA ;

– un appel de cotisation personnelle d’allocations familiales de l’URSSAF pour 1987 portant la mention d’un revenu déclaré de 31.657 francs pour l’année de référence 1985 ;

– un avis d’imposition sur les revenus de l’année 1987 portant un montant de revenus non commerciaux de 94.216 francs.

La CIPAV ne verse aucun justificatif de ses allégations, mis à part les statuts de la CREA à une date indéterminée (mais comportant une référence à la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993) évoquant dans son article 2 que « ne sont pas tenus à affiliation et soumis à l’obligation de cotiser, pour un exercice donné, que les adhérents qui ont perçu, l’année précédente, des revenus professionnels nets d’un montant au moins égal à une somme fixée chaque année par le Conseil d’Administration », et des circulaires d’information relative à l’appel des cotisations mentionnant pour 1986 un seuil d’exonération total de 10.500 ou 14.000 francs (selon le statut : marié, veuf, divorcé, avec ou sans personne à charge) et pour 1987 un seuil de 17.000 francs.

M. [S] justifie donc avoir perçu des appels de cotisations de la CREA entre 1984 et 1987, et pour le moins en 1984, 1985 et 1987, et avoir reçu une information en 1985 sur son affiliation en fonction de ses revenus qui serait réalisée automatiquement en l’absence de renvoi d’un volet complété du courrier de la caisse. Dès lors que des cotisations ont été réclamées à M. [S], la CIPAV ne peut se contenter d’alléguer que la CREA n’aurait reçu aucun fonds.

Par ailleurs, il ne peut être déduit des appels à cotisations, celui de 1987 étant versé en original recto verso, qu’il s’agissait de cotisations au régime de retraite complémentaire puisque si l’IRCEC est mentionnée à côté de la CREA en en-tête, le terme « complémentaire » n’apparaît nulle part sur les avis, et le paiement était bien demandé à l’ordre de la CREA.

M. [S] justifie également qu’il a déclaré à l’URSSAF un revenu de 31.657 francs en 1985 et a été imposé pour l’année 1987 sur un revenu de 94.216 francs. Dès lors, la CIPAV ne peut se contenter d’alléguer que M. [S] ne percevait pas de revenus supérieurs à un seuil (qui est justifié à hauteur de 17.000 francs pour 1987, ou 10.500 ou 14.000 francs pour 1986, sans être justifié pour 1985) pour revendiquer une exonération en application de statuts applicables à l’époque, qui ne sont pas davantage justifiés.

M. [S] apporte donc des preuves et commencements de preuve suffisants pour attester qu’il s’est acquitté de cotisations au régime de retraite de base entre 1984 et 1987, la CIPAV lui refusant le bénéfice de seize trimestres sur ces quatre années sur le fondement de simples allégations.

Dans ces conditions, il convient de confirmer les premiers juges qui ont condamné la CIPAV à valider sans autre contrepartie les trimestres relatifs à ces quatre années, sauf à corriger ce qui apparaît comme une erreur matérielle du tribunal qui a retenu à la fin de sa motivation et dans le dispositif de sa décision le nombre de douze trimestres, sans expliquer à aucun moment une raison qui aurait justifié de ne pas retenir que quatre années de quatre trimestres constituent un total de seize trimestres, comme demandé par M. [S].

La CIPAV supportera les dépens de l’instance en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi :

Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry du 4 mai 2021, sauf en ce qu’il a validé gratuitement le nombre de « douze trimestres »,

Et statuant à nouveau,

Condamne la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse à valider gratuitement au bénéfice de M. [E] [S] les seize trimestres correspondants à la période du 1er janvier 1984 au 31 décembre 1987 au titre du régime de retraite de base,

Y ajoutant,

Condamne la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse aux dépens de la procédure d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Kristina Yancheva, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président