Travail dissimulé : 3 août 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/01943

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VC/PR

ARRET N° 476

N° RG 21/01943

N° Portalis DBV5-V-B7F-GJVK

S.A.S. BRIOCHE DORÉE

C/

[DX]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 03 AOUT 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 juin 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de POITIERS

APPELANTE :

S.A.S. BRIOCHE DORÉE

N° SIRET : 318 906 591

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Ayant pour avocat postulant Me Jean-Philippe TALBOT de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Audrey BALLU-GOUGEON de la SELARL BALLU-GOUGEON VOISINE, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

Madame [D] [DX]

née le 03 janvier 1966 à [Localité 8] (PORTUGAL)

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Ayant pour avocat Me Emmanuelle BUFFET de la SELARL AD ASTREA, avocat au barreau de POITIERS

(bénéficie d’une aide juridictionnelle partielle numéro 2021/007478 du 25/10/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de POITIERS)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 mai 2023, en audience publique, devant :

Madame Valérie COLLET, Conseillère

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Valérie COLLET, Conseillère

GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, que l’arrêt serait rendu le 27 juillet 2023. A cette date le délibéré a été prorogé au 03 août 2023.

– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIERE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, signé le 27 décembre 2006, la SAS La Brioche Dorée a engagé Mme [D] Manuela [DX] en qualité de vendeuse préparatrice à compter du 22 décembre 2006 pour une durée hebdomadaire de travail de 20 heures.

Par la suite, Mme [DX] a eu pour employeur la SARL EMAH, qui exploitait en location gérance le fonds de commerce de boulangerie, pâtisserie, viennoiserie, restauration rapide sous l’enseigne Brioche Dorée qui se situait dans le centre commercial [7] à [Localité 5].

Le 23 avril 2016, la SAS Brioche Dorée, reprenant la gestion directe du restaurant, a fait signer à Mme [DX] un nouveau contrat de travail augmentant la durée hebdomadaire de son travail à 30 heures par semaine.

Mme [DX] a été placée en arrêt de travail pour maladie du 1er mars 2018 au 18 mars 2018 et de nouveau arrêtée à compter du 23 mars 2018.

Le 5 mars 2019, le médecin du travail a déclaré Mme [DX] inapte à son poste d’employée polyvalente, précisant qu’elle restait apte d’employée dans une autre structure.

Le 27 mai 2019, la société Brioche Dorée a notifié à Mme [DX] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Contestant son licenciement qu’elle considérait sans cause réelle et sérieuse, Mme [DX] a saisi, par requête reçue le 22 novembre 2019, le conseil de prud’hommes de Poitiers afin d’obtenir le paiement de dommages et intérêts ainsi que le paiement de l’indemnité spéciale de licenciement et l’indemnité compensatrice de préavis outres les congés payés afférents.

Par jugement du 8 juin 2021, le conseil de prud’hommes a :

– déclaré Mme [DX] recevable en ses demandes,

– condamné la société Brioche Dorée à payer à Mme [DX] les sommes de :

* 4.386 euros au titre de l’indemnité spéciale de licenciement,

* 2.654 euros au titre des deux mois de préavis,

* 265,54 euros au titre des congés payés afférents,

– dit que le licenciement de Mme [DX] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– condamné la société Brioche Dorée à payer à Mme [DX] la somme de 14.500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

– condamné la société Brioche Dorée à payer à Mme [DX] la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral,

– débouté la société Brioche Dorée de ses demandes,

– condamné la société Brioche Dorée à payer à Mme [DX] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que les sommes allouées porteront intérêt légal,

– ordonné sous astreinte de 50 euros par jour de retard la communication des documents sociaux rectifiés à compter de un mois après le 8 juin 2021,

– ordonné la notification par le greffe de la décision à Pôle Emploi,

– dit que la société Brioche Dorée sera tenue aux dépens et devra rembourser au Trésor Public les frais avancés par l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle en application des articles 43 de la loi du 10 juillet 1991 et 123 du décret du 19 décembre 1991.

Le 22 juin 2021, la société Brioche Dorée a interjeté appel du jugement, par voie électronique, en toutes ses dispositions.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 25 avril 2023 et l’affaire fixée à l’audience du 23 mai 2023.

Par conclusions notifiées le 21 septembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens, la société Brioche Dorée demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et de :

– débouter Mme [DX] de l’ensemble de ses demandes,

– fixer la moyenne de salaire de Mme [DX] à 1.303,90 euros,

– condamner Mme [DX] à lui payer la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Elle soutient qu’il n’existe aucun lien entre l’inaptitude de Mme [DX] et le travail. Elle fait valoir que la décision de prise en charge de la CPAM de la maladie de Mme [DX] ne suffit pas à établir le lien de causalité. Elle rappelle que la médecine du travail a considéré que la salariée était apte à un poste d’employée dans une autre structure au sein de la Brioche Dorée. Elle considère que le conseil de prud’hommes a outrepassé ses pouvoirs en se prononçant sur le caractère professionnel de la maladie dès lors que cette question relève de la compétence du Pôle social du tribunal judiciaire. Elle souligne que le Dr [T] ne pouvait pas se prononcer sur le lien de causalité dans ces certificats médicaux et en conclut qu’il convient d’écarter ces pièces des débats. Elle prétend qu’elle ignorait la cause de l’inaptitude de Mme [DX] lors de la procédure de licenciement puisque les certificats médicaux d’arrêt de travail ne mentionnent pas le motif de l’arrêt. Elle indique qu’elle a proposé trois postes de reclassement à Mme [DX] qui les a refusés sans explication. Elle ajoute que l’indemnité spéciale de licenciement n’est pas due lorsque le salarié a refusé abusivement le reclassement proposé.

Elle affirme que Mme [DX] n’établit aucun fait précis, qu’aucune pression n’a été exercée sur la salariée, cette dernière n’ayant fait en outre l’objet d’aucune humiliation. Elle expose que Mme [F], la compagne de l’ancien locataire-gérant, a adopté un positionnement contestataire et a influencé Mme [DX] afin qu’elle adopte un comportement de défiance vis-à-vis de M. [TG].

Elle estime avoir satisfait à son obligation de sécurité en prenant les mesures de prévention dans son règlement intérieur et en procédant à l’affichage obligatoire au sein du restaurant. Elle précise avoir diligenté des enquêtes à la suite des alertes du médecin du travail et de la réception du courrier des trois salariées. Elle indique avoir informé Mme [DX] des résultats de cette enquête et avoir encore répondu le 1er mars 2019 au courrier de la salariée du 4 février 2019, réaffirmant que cette dernière avait été manipulée par Mme [F]. Elle rappelle que les plaintes pénales ont été classées sans suite, que la médecine du travail a refusé d’émettre une alerte face à l’absence de manquement de l’employeur et que les instances représentatives du personnel n’ont pris aucune initiative après le constat du respect par l’employeur de ses obligations. Elle déclare que Mme [DX] ne rapporte pas la preuve de l’étendue de son préjudice ni d’un lien de causalité entre un manquement et le préjudice invoqué.

Par conclusions notifiées le 15 décembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens, Mme [DX] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de :

– débouter la société Brioche Dorée de ses demandes,

– condamner la société Brioche Dorée à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

– donner acte à Me Emmanuelle Buffet de ce qu’elle s’engage à renoncer au bénéfice de l’aide juridictionnelle, dans les conditions prévues à l’article 108 du décret du 19 décembre 1991 si elle parvient, dans les douze mois de la délivrance de l’attestation de fin de mission à recouvrer auprès de la société Brioche Dorée la somme allouée.

Elle se fonde sur l’article L.1226-14 du code du travail, elle rappelle qu’elle a été en arrêt de travail à partir du 29 mars 2018 jusqu’au 10 mai 2019, affirmant que ses arrêts étaient en lien avec une maladie professionnelle. Elle ajoute qu’elle avait présenté, le 23 mai 2018, une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de la CPAM, laquelle avait porté sa demande à la connaissance de la société Brioche Dorée. Elle précise que l’origine professionnelle de sa maladie a été reconnue le 20 mars 2019. Elle explique que l’employeur disposait d’un délai de deux mois pour contester cette décision et fait observer qu’il n’a saisi le tribunal d’un recours en inopposabilité que le 17 septembre 2019 de sorte que son recours est irrecevable pour avoir été formé au-delà du délai de 2 mois prévu par l’article R.441-14 du code de la sécurité sociale. Elle indique que la reconnaissance de la maladie professionnelle a été portée à la connaissance du CGAM qui est l’organisme de mutuelle et prévoyance d’entreprise des salariés de la Brioche Dorée, insistant sur le fait que cette dernière a attendu de lui avoir notifier son licenciement afin de lui transmettre les demandes d’informations complémentaires faites par la CGAM. Elle déclare que l’origine professionnelle de sa maladie a été attestée par M. [G], infirmier psychiatrique et par le Dr [U], médecin du travail, qui avait d’ailleurs alerté l’employeur par courriers des 5 janvier 2018 et 23 avril 2018 sur les risques psychosociaux dans l’entreprise. Elle considère que l’origine professionnelle de son inaptitude ne fait aucun doute. Elle soutient en outre que son employeur avait parfaitement connaissance de l’origine professionnelle de son inaptitude. Elle en conclut qu’elle est fondée à solliciter le paiement d’une indemnité spéciale de licenciement et une indemnité de préavis. Elle souligne que la perte du droit à l’indemnité spécifique ne peut intervenir qu’en cas de refus abusif par le salarié du reclassement proposé, ce qui n’a pas été son cas puisque les propositions qui lui ont été faites entraînaient une modification de son contrat de travail.

Elle fait par ailleurs valoir qu’elle a été victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique, M. [TG], qui a critiqué systématiquement la qualité de son travail, qui a exercé des pressions et a eu un comportement méprisant et humiliant à son égard. Elle rappelle que le médecin du travail a adressé à son employeur une information préoccupante le 5 janvier 2018, renouvelée le 23 avril 2018 et qu’elle a co-écrit avec deux autres salariées un courrier à l’attention de son employeur, le 28 septembre 2018, pour dénoncer les agissements dont elle était victime. Elle affirme que le harcèlement a eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail qui a porté atteinte à sa dignité et altéré son état de santé, ce qui lui a causé un préjudice moral.

Elle prétend que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité prévue par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail en ne prenant pas toutes les mesures de prévention et en ne prenant pas toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement. Elle indique que la société Brioche Dorée ne justifie d’aucune mesure de formation ou d’information, ni de l’établissement d’un DUERP dans le point de vente ni de l’affichage obligatoire sur le site de [Localité 5]. Elle ajoute que les mesures prises par l’employeur à la suite des alertes du médecin du travail n’ont eu pour objectif que de le dédouaner. Elle en conclut que le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité rend son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral

Il résulte de l’article L. 1154-1 du code du travail que, dès lors que le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En vertu des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail qui précise que ‘Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel’. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, ce qui implique que le harcèlement moral peut procéder d’une organisation du travail, pour autant toutefois qu’il répond aux conditions posées par la loi à l’égard d’un salarié déterminé.

En l’espèce, Mme [DX] explique que M. [TG] a procédé à des critiques systématiques sur la qualité de son travail et à des pressions, adoptant un comportement méprisant et humiliant à son égard. Elle ajoute que ce comportement a eu pour effet de dégrader ses conditions de travail en portant atteinte à sa dignité et d’altérer son état de santé puisqu’elle a été en arrêt de travail à compter du 23 mars 2018.

Pour établir la matérialité des faits allégués, Mme [DX] produit :

– l’attestation de Mme [XY] [PP] – qui n’a pas lieu d’être déclarée irrecevable, la société Brioche Dorée se contentant de faire observer qu’aucun justificatif d’identité n’a été produit sans pour autant démontrer ni même alléguer que cette irrégularité par rapport à l’article 202 du code de procédure civile lui ferait grief – qui explique que ‘lors de mon entretien d’embauche avec M. [TG] il a dénigré Mme [F] en m’énonçant que ce n’était pas une bonne personne, que c’était quelqu’un de manipulateur, puis il m’a énoncé le montant de son salaire en ajoutant qu’elle ne s’était pas gênée pour s’en mettre pleins les poches. Puis il m’a parlé de son ‘projet’ de virer les plus anciens. Puis lors de ma période au sein de l’entreprise j’ai pu assister au comportement agressif de M. [TG] à l’encontre de toute l’équipe entre autre à l’égard de Mme [F] avec des propos dénigrant comme un matin où il a ‘engueulé’ [J] en lui disant qu’elle était trop lente alors qu’il ne restait que 2 choses à faire, j’étais ahurie d’entendre ça ce matin-là. Je me souviens également que [K] ait dit ‘Etre un bon patron c’est celui qui fait rien’ alors que c’est tout l’inverse d’être un bon patron. J’ai vu un nombre incalculable de fois des personnes de l’équipe sortir en pleurant de l’entreprise car M. [TG] leur avait mal parlé ou humilier devant les clients alors que ce n’était pas nécessaire de leur parler sur ce ton là (agressif), également j’ai pu appercevoir Mme [F] très énervée au point de vouloir partir car il lui avait fait des reproches qui n’était pas mérité, ce matin là nous avions reçu une grosse livraison et Mme [F] avait clairement assurée niveau rapidité! Il s’est plains alors qu’il n’avait pas aidé du tout lors de cette matinée intense’. La cour observe que le seul fait que Mme [PP] soit restée deux mois en poste, selon les allégations de l’employeur, n’est pas de nature à remettre en cause les constatations qu’elle a pu relater dans son témoignage. La cour constate cependant que si Mme [PP] évoque de manière circonstanciée des comportements de M. [TG] à l’égard de Mme [F], elle ne relate aucun fait précis concernant Mme [DX] qui aurait révélé l’existence de critiques systématiques sur la qualité de son travail, de pressions, ou encore d’un comportement méprisant et humiliant à son égard.

– l’attestation de Mme [E] [L] qui indique que ‘lors de ma première semaine à la Brioche Dorée, M. [TG] m’a ‘mise en garde’ contre Mme [F], laissant entendre qu’elle n’était pas fiable et que je ne devais pas l’écouter (ainsi que les autres employés plus anciens)…il y avait une sorte de climat de tension dès que M. [TG] était présent car il y avait le risque de se prendre une remontrance pour le moindre détail (de façon disproportionnée). Il est arrivé que je me fasse recadrer très sèchement pendant que j’étais en train de servir un client.’ La cour observe que le seul fait que Mme [L] soit restée deux mois en poste selon les allégations de l’employeur n’est pas de nature à remettre en cause les constatations qu’elle a pu relater dans son témoignage. La cour constate cependant que si Mme [L] évoque de manière circonstanciée des comportements de M. [TG] à son égard ou à l’égard de Mme [F], elle ne relate aucun fait précis concernant Mme [DX] qui aurait révélé l’existence de critiques systématiques sur la qualité de son travail, de pressions, ou encore d’un comportement méprisant et humiliant à son égard, étant en outre rappelé que Mme [L] n’a travaillé que 6 jours avec Mme [DX], selon l’allégation non contredite de l’employeur.

– l’attestation de Mme [A] [W] épouse [Z] selon laquelle ‘le nouveau responsable de cet établissement n’était ni poli ni aimable pas plus avec ses employés qu’avec ses clients’, attestation qu’il n’y a pas lieu d’écarter des débats, la circonstance que Mme [W] soit ou non une cliente habituelle ou une amie étant inopérante à cet égard, la cour appréciant en outre souverainement la force probante de ce témoignage au regard de son contenu et des autres éléments produits par Mme [DX]. A cet égard, la cour relève que Mme [W] ne relate aucun fait précis concernant Mme [DX] de sorte qu’il ne peut être déduit de son témoignage que la salariée faisait l’objet, de la part de M. [TG], de critiques systématiques sur la qualité de son travail, de pressions, ou encore d’un comportement méprisant et humiliant à son égard.

– un écrit de Mme [V] [N] épouse [R], daté du 20 octobre 2018, dans lequel elle ‘atteste avoir constaté à plusieurs reprises que M. [TG] [K] a tenu des propos vis-à-vis de son équipe qui ont mis mal à l’aise l’ensemble des clients, dont moi. D’ailleurs l’équipe a perdu son sourire et son enthousiasme depuis longtemps.’, attestation qu’il n’y a pas lieu d’écarter des débats, la circonstance que Mme [R] soit ou non une cliente habituelle étant inopérante à cet égard, la cour appréciant en outre souverainement la force probante de ce témoignage au regard de son contenu et des autres éléments produits par Mme [DX]. Or, il s’avère que ce témoignage ne relate aucun fait précis concernant la salariée et en tout cas aucun élément qui permettrait de considérer comme établi le fait que M. [TG] se livrait à des critiques systématiques sur la qualité du travail de Mme [DX], à des pressions, ou encore d’un comportement méprisant et humiliant à son égard.

– l’attestation de Mme [J] [F] qui certifie avoir ‘été témoin de comportements rabaissants de la part de M. [TG] [K] envers Mme [Y] [S]. Il lui a signifiait devant moi qu’elle ne pouvait même pas prétendre à obtenir 2.000 euros si elle devait quitter la Brioche Dorée car elle ne valait même pas 2.000 euros. M. [TG] s’est moqué de Mme [Y] à plusieurs reprises car elle ne savait pas bien lire le français. Il faisait cela devant des personnes (le livreur et moi-même) ce qui humiliait encore plus Mme [Y]. M. [TG] critiquait très régulièrement et de manière quotidienne le travail de Mme [Y], lui disant qu’elle était lente, que son travail n’était pas propre et mal fait. Ces propos étaient injustifiés et fait pour dénigrer Mme [Y]. J’ai vu M. [TG] marchait volontairement sur le sol du laboratoire que Mme [Y] venait de laver et demandait à Mme [Y] de relaver car le nettoyage était mal fait. M. [TG] a fait cela plusieurs fois. M. [TG] parlait à Mme [Y] de manière méprisante et dégradante.’ S’il n’est nullement démontré que Mme [F] aurait manipulé, influencé Mme [DX], il n’en reste pas moins que cette attestation ne permet pas d’établir les faits allégués par Mme [DX] dès lors que Mme [F] ne relate en réalité aucun fait mais se livre à une interprétation purement personnelle (et alors qu’elle est également en contentieux avec son employeur pour des faits partiellement similaires) des propos de M. [TG] dont elle ne livre pas la teneur, privant ainsi la cour de la possibilité de vérifier la réalité des critiques systématiques, des pressions et des humiliations alléguées.

– le courrier d’alerte du médecin du travail, daté du 5 janvier 2018, à l’attention de la société Brioche Dorée dans lequel il indique :’je souhaite porter à votre connaissance une situation préoccupante au sein de votre entreprise la Brioche Dorée au [Adresse 3] [Localité 5]. Mes observations cliniques au cours des entretiens individuels m’incitent à vous alerter sur les risques importants de souffrance au travail dans cette structure. Je pense qu’il y a lieu d’améliorer la prise en charge des risques psychosociaux au sein de l’entreprise’ et le courrier de ‘relance’ du médecin du travail du 23 avril 2018, rappelant les termes de son premier courrier du 5 janvier 2018 et précisant : ‘la situation ne semble pas s’être améliorée. Nous envisageons à ce jour, une inaptitude pour l’une de vos salariées, pour qui la situation actuelle au travail affecte durablement son état de santé. Une intervention urgente ciblant les risques psycho-sociaux et les circonstances qui les favorisent me semble indispensable. Il vous appartient de prendre des mesures visant à améliorer les conditions de travail de vos salariés.’. Ces deux courriers, dont rien ne permet de considérer qu’ils concernaient précisément Mme [DX], évoquent de manière générale les risques psychosociaux dans l’entreprise sans pour autant faire état des faits allégués, dans le cadre de la présente instance, par Mme [DX].

– l’attestation de paiement des indemnités journalières par la CPAM démontrant que Mme [Y] a été placée en arrêt de travail à compter du 23 mars 2018 pour un ‘accident du travail’ jusqu’au 3 mai 2019,

– l’avis d’inaptitude du médecin du travail,

– la demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de la CPAM remplie par Mme [DX] le 23 mai 2018, évoquant un syndrome dépressif,

– les certificats médicaux de prolongation délivrés par le Dr [T], médecin généraliste, évoquant un syndrome dépressif,

– la notification de la décision de prise en charge par la CPAM de la maladie déclarée par Mme [DX] au titre de la législation professionnelle,

Ces éléments établissant la matérialité de la dégradation de l’état de santé de la salariée.

Au final, les éléments produits par Mme [DX] sont insuffisants pour établir matériellement le fait que M. [TG] a procédé à des critiques systématiques sur la qualité de son travail et à des pressions, adoptant un comportement méprisant et humiliant à son égard. Par ailleurs, la dégradation de l’état de santé de la salariée, qui est établie, est insuffisante à elle seule pour laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Par conséquent, il convient de débouter Mme [DX] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et, par suite, d’infirmer le jugement entrepris qui lui a alloué une indemnité de 15.000 euros en réparation de son préjudice moral.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse si l’inaptitude physique du salarié est la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (Soc., 3 mai 2018, n°16-26.850 ;Soc 4 septembre 2019 n°1815490; Soc., 12 janvier 2022, n° 20-22.573).

L’article L. 4121-1 du code du travail dispose que :

‘L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

– des actions de prévention des risques professionnels ;

– des actions d’information et de formation ;

– la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés ;

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement de circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes’.

L’article L.4121-2 dispose que l’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L.4121-1 sur le fondement de principes généraux de prévention, qu’il énumère.

Il appartient en outre à l’employeur de rapporter la preuve de ce qu’il a respecté son obligation de sécurité.

Il est constant que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

En l’espèce, la société Brioche Dorée justifie avoir pris toutes les mesures nécessaires à la suite des courriers d’alerte du médecin du travail et du courrier du 14 juillet 2018 de trois salariées dont Mme [DX] dénonçant les agissements de M. [TG].

En effet, il ressort tant du procès-verbal de la réunion extraordinaire de la commission de santé sécurité et conditions de travail (CSSCT) du 27 juillet 2018 que de la réponse faite par la société Brioche Dorée au médecin du travail le 24 mai 2018, que :

– l’employeur après réception du courrier du 5 janvier 2018 a demandé à la responsable des ressources humaines, Mme [EU] [B] épouse [C], de se rendre sur site le 19 janvier 2018 pour rencontrer l’ensemble des salariés et les interroger sur les conditions de travail du point de vente, le management du responsable, la planification, la communication,

– il en est ressortit :

‘- qu’il n’y a pas de mal-être au travail des collaborateurs,

– qu’il n’y a pas de problème particulier sur le restaurant,

qu’il a fallu un temps d’adaptation (nécessaire) des équipes à l’arrivée du responsable de restaurant,

– qu’il y aurait néanmoins certaines difficultés avec une salariée du point de vente pour le responsable de restaurant et certains de ses collègues,’

– la responsable des ressources humaines a préconisé de ‘tendre vers davantage d’équité dans la planification des équipes et de les faire ‘tourner’ davantage, ce qui a été demandé à monsieur [TG] à l’issue des entretiens’.

A la suite du second courrier de la médecine du travail, M. [O] [I], Directeur des ressources humaines, a écrit, le 24 mai 2018, au médecin du travail en :

– l’informant des éléments de contexte,

– rappelant l’enquête sociale menée en janvier 2018 par la responsable des ressources humaines tout en l’avisant des conclusions aboutissant à l’absence de harcèlement moral,

– indiquant envoyer à nouveau la responsable des ressources humaines sur site et en demandant au directeur régional d’être particulièrement vigilant lors de ses déplacements sur site.

Enfin, à la suite du courrier du 14 juillet 2018, l’employeur justifie avoir, dès le 20 juillet 2018, convoqué les membres de la commission Santé sécurité et conditions de travail pour une réunion extraordinaire le 27 juillet suivant, l’objet de la réunion étant notamment la ‘mise en place d’une enquête sur les conditions de travail sur le restaurant Brioche Dorée de [Localité 5]’. Le procès-verbal de réunion mentionne que deux membres du CSSCT ont été désignés, M. [X] [H] et Mme [M] [P], pour procéder à l’enquête. La société Brioche Dorée justifie enfin avoir adressé, par lettre recommandée avec avis de réception du 8 octobre 2018, les conclusions de l’enquête à Mme [DX] et les recommandations émises par la CSSCT dans les termes suivants :

‘Les membres de cette commission ont ainsi diligenté une enquête sur place qui s’est déroulée le 30 août 2018.

Cette enquête, réalisée par 2 membres de la commission et moi-même [[O] [I], DRH], a permis de rencontrer les salariés et n’a pas permis de conclure à l’existence d’un harcèlement moral de la part du responsable de restaurant.

D’ailleurs, j’ai posé à nouveau cette question du harcèlement moral aux représentants du personnel (qui ont effectué l’enquête) lors de la réunion du comité social et économique en date du 11 septembre et ils ont été dans l’incapacité de me répondre.

Par contre, si nous reprenons ce que vous avez évoqué lors de l’enquête et les réponses que vous avez apportées, il s’avère que :

– vous avez reconnu que si le responsable de restaurant demandait d’effectuer des heures supplémentaires et/ou modifier les plannings, c’était du fait de l’absentéisme sur le restaurant ;

vous avez d’ailleurs précisé que nous n’étiez pas concernée par les modifications de planning et quand celles-ci intervenaient, c’était du fait des absences répétées.

– vous avez aussi indiqué que certains procédés de fabrication de votre responsable de restaurant engendraient des problèmes d’hygiène, l’enquête a aussi démontré qu’il n’y avait aucun lien entre les procédés de fabrication et l’hygiène ; depuis l’enquête et pour information, le restaurant a été contrôlé par la DDPP qui n’a constaté aucun défaut (la DDPP n’a d’ailleurs fait aucun rapport).

Toutefois et afin de permettre à l’ensemble de l’équipe de travailler sereinement, la commission santé, sécurité et conditions de travail a émis quelques recommandations :

– recruter pour combler les absences répétées,

– signature et affichage des plannings au moins 10 jours avant,

– faire signer obligatoirement les heures travaillées,

– afficher le tableau des congés payés,

– effectuer une formation HACCP sur place (formation effectuée par Silliker),

– unifier les méthodes de fabrication pour une seule et même méthode de travail,

– effectuer des entretiens de suivi de la performance,

– organiser une table ronde,

– suggestion d’un management participatif.

Ces recommandations doivent impérativement s’accompagner d’une prise de conscience de votre part sur l’extrême nécessité de vous conformer aux règles applicables au sein de l’entreprise.

En effet, il a été constaté que certains salariés acceptent difficilement le respect des standards de la marque et des règles de fonctionnement de l’entreprise pourtant nécessaires à une bonne exploitation de nos restaurants et contestent presque systématiquement les remarques formulées quant à l’exécution de leur travail, ce qui n’est pas acceptable.’

Mme [DX] a contesté les conclusions de l’enquête dans un courrier adressé à son employeur 4 mois plus tard, soit le 4 février 2019, en indiquant ‘en ce qui concerne les représentants du personnel au CSE, ils ne travaillent nullement sur le point de vente de [Localité 5] et n’ont donc pas la possibilité de connaître nos conditions de travail. Par ailleurs, les propos que vous me prêtez avoir tenus lors de l’enquête qui permettrait de vous dédouaner ont été totalement sortis de leur contexte. J’ai au contraire maintenu les déclarations que j’avais toujours faites et confirmé ma souffrance au travail résultant du comportement du responsable du restaurant.’ Dans un courrier du 1er mars 2019, la société Brioche Dorée a répondu à Mme [DX] en lui rappelant que les conclusions de l’enquête ont été présentées à la réunion plénière du CSE de septembre 2018 qui a conclu à l’absence de harcèlement moral avéré et que lors de son audition menée par les membres du CSE, elle avait clairement indiqué ne pas avoir rédigé le courrier à l’origine de l’enquête et qu’elle n’avait pas pu relater de faits précis et concrets pour étayer ses accusations.

C’est donc tout à fait vainement que Mme [DX] prétend encore que l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour mettre un terme au harcèlement moral dont elle était victime, alors qu’il a été jugé qu’aucun harcèlement moral ne pouvait être retenu, que le ministère public a classé la plainte pénale déposée contre M. [TG], qu’il n’est pas démontré que les enquêtes diligentées par l’employeur n’ont pas été menées avec objectivité. Le seul fait que Mme [DX] soit en désaccord avec les conclusions des enquêtes ne saurait en effet caractériser un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

En revanche, si l’employeur justifie avoir intégré à son règlement intérieur des dispositions relatives au harcèlement moral, la cour constate qu’il ne produit pas le ou les DUERP en vigueur lorsque Mme [DX] était en poste dans l’entreprise et qu’il ne justifie pas qu’un affichage a été fait dans le magasin de [Localité 5], se contentant de procéder par voie d’affirmation.

La société Brioche Dorée n’a donc pas pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles précités. Cependant, Mme [DX] ne rapporte pas la preuve que le manquement de l’employeur, caractérisé par l’absence de DUERP et d’affichage pourtant obligatoire, est directement à l’origine de son inaptitude. Dès lors, Mme [DX] ne peut qu’être déboutée de sa demande tendant à voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris est en conséquence infirmé de ce chef et en ce qu’il a condamné la société Brioche Dorée à payer à Mme [DX] la somme de 14.500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

A titre surabondant, la cour observe qu’il n’existe aucun lien de causalité entre le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, tel qu’il vient d’être caractérisé, et le préjudice moral allégué par la salariée de sorte qu’aucune demande de dommages et intérêts ne peut prospérer.

Sur les demandes d’indemnités relatives au licenciement pour inaptitude

Selon l’article L.1226-14 du code du travail :

‘La rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis prévue à l’article L. 1234-5 ainsi qu’à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité prévue par l’article L. 1234-9.

Toutefois, ces indemnités ne sont pas dues par l’employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.’

Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

Le seul lien de causalité entre l’inaptitude et les conditions de travail ne suffit pas à justifier l’application du régime des articles L1226-10 et suivants du code du travail. Le salarié doit donc établir que l’inaptitude résulte d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

L’application des règles protectrices du code du travail n’est pas subordonnée à la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie par un organisme de sécurité sociale (Soc., 23 mai 1996, n°93-41.940 ; Soc.,9 juin 2010, n°09-41.040), ni à l’accomplissement par le salarié des formalités de déclaration de l’accident du travail à la CPAM (Soc., 6 mai 1998, n°95-41.570).

Une décision de prise en charge par la caisse au titre de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle ne constitue qu’un élément de preuve parmi d’autres laissés à l’appréciation du juge prud’homal : il lui appartient de rechercher lui-même l’existence d’un lien de causalité entre l’inaptitude et l’accident du travail ou la maladie professionnelle (Soc., 31 mars 1993, n°89-40.711). La connaissance par l’employeur de l’intention du salarié de faire reconnaître l’existence d’un(e) AT/MP peut suffire à retenir l’application du régime d’inaptitude professionnelle  (Soc., 17 janvier 2006, n° 04-41.754 ; Soc., 10 juillet 2002, n° 00-44.796).

En l’espèce, Mme [DX] produit :

– l’attestation de paiement des indemnités journalières par la CPAM qui démontre qu’elle a été en arrêt de travail à compter du 23 mars 2018 sans pouvoir reprendre son emploi avant d’être déclarée inapte par le médecin du travail,

– sa demande de reconnaissance la maladie professionnelle suivante : syndrome dépressif, du 23 mai 2018,

– des certificats médicaux des 12 avril 2018 et 30 mai 2018 de son médecin traitant, le Dr [T], évoquant un syndrome dépressif, étant précisé qu’il n’y a pas lieu de les écarter des débats mais seulement de ne pas tenir compte de l’avis du médecin concernant l’origine de la maladie,

– la notification du 20 mars 2019 par la CPAM de la Vienne de la décision, après avis du CRRMP, de prendre en charge la maladie du 23 mars 2018 au titre de la législation professionnelle,

– une attestation établie par M. [FR] [G], infirmier spécialisé au centre médico-psychologique, datée du 29 novembre 2018 dans laquelle il explique recevoir Mme [DX] qui présente un syndrome anxio-dépressif, nécessitant un traitement médicamenteux prescrit par son médecin généraliste, qu’elle attribuait ‘à la pression psychologique occasionnée par sa hiérarchie’,

– l’avis motivé du médecin du travail, qui avait été sollicité par la CPAM de la Vienne dans le cadre de l’instruction de la demande de maladie professionnelle, selon lequel ‘Mme [DX] présentait en novembre 2016 un important stress lié à son travail, un syndrome dépressif en avril 2018. Il n’existe pas à notre connaissance de causes extra-professionnelles..un changement de direction a sans doute favorisé la pathologie..il me semble que la pathologie est en grande partie liée aux conditions de travail’,

– l’avis d’inaptitude à son poste de travail rendu par le même médecin du travail le 5 mars 2019.

Ces éléments constituent un faisceau d’indices concordants qui établissent que l’inaptitude de Mme [DX] trouve sa cause directe, au moins partiellement, dans l’altération de son état psychique et plus précisément dans sa maladie professionnelle.

S’il est inopérant pour Mme [DX] de soutenir que la société Brioche Dorée connaissait l’origine professionnelle de son inaptitude lors du licenciement aux motifs que :

– le médecin du travail avait écrit à l’employeur le 23 avril 2018 en l’informant envisager une inaptitude pour elle dont la situation au travail affectait durablement son état de santé, puisque dans ce courrier il n’est pas fait référence expressément à Mme [DX],

– son employeur a eu connaissance de la reconnaissance de sa maladie professionnelle intervenue le 20 mars 2019, puisqu’aucun élément du dossier ne permet de savoir s’il en a eu connaissance avant ou après le licenciement,

– son employeur a falsifié la lettre du CGAM pour ne la lui transmettre qu’après son licenciement, puisqu’aucune preuve de la falsification n’est apportée,

la preuve de la connaissance par l’employeur de cette origine professionnelle résulte néanmoins des éléments suivants :

– l’employeur a été destinataire d’un courrier co-écrit le 14 juillet 2018 par Mme [DX] lui exposant être victime d’agissements de la part de M. [TG],

– l’employeur a été destinataire d’un courrier du 4 mars 2019 dans lequel Mme [DX] insistait sur ‘sa souffrance au travail’,

– l’employeur ne conteste pas avoir été destinataire des certificats d’arrêt de travail concernant Mme [DX] à compter du 23 mars 2018 qui, s’ils ne pouvaient effectivement pas mentionner la pathologie dont souffrait la salariée, portaient toutefois la précision qu’ils étaient établis dans le cadre d’une maladie professionnelle. En effet, il résulte des certificats médicaux de prolongation produits par la salariée que le médecin traitant a utilisé les formulaires Cerfa n°11138*04 relatifs aux certificats médicaux d’arrêt de travail pour accident du travail et maladie professionnelle, mention en étant faite en entête de chacun des certificats,

– dans son courrier daté du 28 août 2018, dont la teneur ne fait l’objet d’aucune contestation de la part de la société Brioche Dorée, la CPAM de la Vienne a indiqué à Mme Maria [DX] qu’elle demandait ‘ce jour à votre employeur un rapport circonstancié décrivant les postes de travail successivement tenus par vous-même’.

La cour considère donc au vu de tous ces éléments que la preuve de l’origine professionnelle de l’inaptitude de la salariée est rapportée ainsi que celle de la connaissance par l’employeur de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

Enfin, la société Brioche Dorée ne rapporte pas la preuve que le refus opposé par Mme [DX] des postes de reclassement qui lui avaient été proposés à [Localité 10], à [Localité 6] ou encore à [Localité 9], était abusif dès lors que ces offres emportaient modification du contrat de travail et plus précisément du lieu d’exécution du travail.

En conséquence, Mme [DX] est bien fondée à réclamer le paiement d’une indemnité spéciale de licenciement correspondant au double du montant de l’indemnité légale de licenciement. La cour observe que la salariée a déjà perçu une somme de 4.386 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement de sorte que la société Brioche Dorée doit être condamnée à lui payer une somme similaire au titre de l’indemnité spéciale de licenciement. Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.

Mme [DX] est également bien fondée à réclamer le paiement d’une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis, étant rappelé que cette indemnité compensatrice n’a pas la nature d’une indemnité de préavis et n’ouvre pas droit à congés payés. En l’espèce, Mme [DX], qui avait plus de deux ans d’ancienneté, a droit à un préavis de deux mois, en application de l’article L.1234-1 du code du travail, précision étant faite que la moyenne de ses trois derniers mois de salaire s’élève à 1.327 euros (selon l’attestation Pôle Emploi rempli par l’employeur). Le jugement entrepris est donc confirmé en ce qu’il a condamné la société Brioche Dorée à payer à Mme [DX] la somme de 2.654 euros au titre de l’indemnité compensatrice mais est infirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à payer la somme de 265,54 euros au titre des congés payés afférents.

Sur les autres demandes

Il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal en précisant que les dommages et intérêts alloués seront assortis d’intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris et les autres sommes octroyées qui constituent des créances salariales, seront assorties d’intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société Brioche Dorée de la convocation devant le bureau de conciliation.

La société Brioche Dorée qui succombe doit supporter les dépens d’appel venant s’ajouter aux dépens de première instance.

Enfin, s’il était inéquitable de laisser supporter à Mme [DX] l’intégralité des frais exposés en première instance, il n’apparaît pas inéquitable de laisser supporter à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles à hauteur d’appel. Par conséquent, le jugement entrepris est confirmé en ce qu’il a condamné la société Brioche Dorée à payer à Mme [DX] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure et les parties sont déboutées de leur demande à ce titre formulées dans la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement rendu le 8 juin 2021 par le conseil de prud’hommes de Poitiers en ce qu’il a :

– condamné la SAS Brioche Dorée à payer à Mme Maria [DX] la somme de 265,54 euros au titre des congés payés afférents à l’indemnité compensatrice correspondant au montant de l’indemnité compensatrice de préavis,

– dit le licenciement de Mme Maria [DX] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– condamné la SAS Brioche Dorée à payer à Mme Maria [DX] la somme de 14.500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

– condamné la SAS Brioche Dorée à payer à Mme Maria [DX] la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions,

Statuant à nouveau sur les chefs du jugement infirmés et y ajoutant,

– déboute Mme [DX] de sa demande au titre des congés payés afférents à l’indemnité compensatrice correspondant au montant de l’indemnité compensatrice de préavis,

– déboute Mme [DX] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

– déboute Mme [DX] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

– dit que les dommages et intérêts alloués à Mme Maria [DX] sont assortis d’intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris,

– dit que les créances salariales allouées à Mme Maria [DX] sont assorties d’intérêts au taux légal à compter de la date de réception par SAS Brioche Dorée de la convocation devant le bureau de conciliation,

– condamne la SAS Brioche Dorée aux dépens d’appel,

– débouté la SAS Brioche Dorée et Mme Maria [DX] de leur demande respective au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,