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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION B
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ARRÊT DU : 20 JUILLET 2023
SÉCURITÉ SOCIALE
N° RG 21/06727 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MOT4
Madame [V] [K] [N] [L]
c/
S.A. [4]
Mutualité MSA DE LA GIRONDE
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d’huissier).
Certifié par le Greffier en Chef,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 novembre 2021 (R.G. n°19/02382) par le pôle social du TJ de BORDEAUX, suivant déclaration d’appel du 10 décembre 2021.
APPELANTE :
Madame [V] [K] [N] [L]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Sandrine DURGET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
S.A. [4] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 3]
représentée par Me Christophe BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
MSA DE LA GIRONDE prise en la personne de son représentant légal domicilé en cette qualité au siège social [Adresse 1]
dispensée de comparution
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 10 mai 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente,
Madame Sophie Lésineau, conseillère,
Madame Cybèle Ordoqui, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Mme Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.
EXPOSE DU LITIGE
La société [4] a engagé Mme [N], en qualité d’agent d’entretien polyvalent, par un contrat de travail à durée indéterminée en date du 3 septembre 2012.
Mme [N] a été victime d’un accident du travail le 14 novembre 2014.
La déclaration d’accident du travail établie le 17 novembre 2014 mentionne : ‘ En train de faire le ménage elle a frappé sa main droite, provoquant douleur’.
Par décision en date du 24 novembre 2014, la caisse de mutualité sociale agricole de la Gironde (la caisse) a pris cet accident en charge au titre de la législation sociale.
L’état de santé de Mme [N] a été déclaré consolidé le 30 avril 2018 avec attribution d’un taux d’incapacité permanente partielle de 10 %.
Le 10 novembre 2017, Mme [N] a saisi la caisse d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [4] dans la survenance de son accident du travail. La procédure de conciliation n’a pas abouti.
Le 14 octobre 2019, Mme [N] a saisi le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de voir :
– dire que l’accident du travail dont elle a été victime le 14 novembre 2014 est dû à une faute inexcusable de son employeur,
– ordonner la majoration de la rente,
– ordonner une expertise judiciaire avec pour mission d’évaluer ses préjudices,
– dire que la caisse fera l’avance des frais d’expertise,
– dire que la caisse pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir et majorations accordées à Mme [N] à l’encontre de la société [4] et la voir condamner à ce titre,
– condamner la société [4] au paiement d’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par demande reconventionnelle, la société [4] a sollicité du tribunal de grande instance qu’il condamne Mme [N] au paiement d’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 12 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
– débouté Mme [N] de l’ensemble de ses demandes à l’égard de la société [4],
– dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile,
– laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.
Par déclaration du 10 décembre 2021, Mme [N] a relevé appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions, enregistrées le 14 mars 2023, Mme [N] demande à la Cour de :
– juger recevable son recours contre le jugement déféré,
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes,
Ce faisant,
– dire que l’accident de travail survenu en date du 14 novembre 2014 est dû à une faute inexcusable de la société [4],
– ordonner la majoration maximale de la rente versée,
– avant dire droit sur la liquidation des préjudices subis ordonner une expertise judiciaire confiée à tel expert qu’il lui plaira avec la mission suivante :
– l’examiner,
– se faire communiquer tous les examens, soins et interventions dont elle a été l’objet,
– préciser si les lésions constatées sont bien en relation directe avec l’accident du travail,
– déterminer la durée d’incapacité temporaire de travail en indiquant si elle a été totale ou en fixer la durée,
– dégager en les spécifiant les éléments propres à justifier une indemnisation au titre de la douleur, du préjudice esthétique et du préjudice d’agrément en les qualifiant de très légers, légers, modérés, moyens, assez importants, importants ou très importants,
– dire si du fait d’une des lésions constatées initialement il existe une incapacité permanente et dans l’affirmative, après en avoir précisé les éléments, en chiffrer le taux,
– dire qu’il pourra, s’il y a lieu, se faire assister de tout sapiteur de son choix,
– dire que la caisse fera l’avance des frais d’expertise,
– dire que la caisse versera directement à Mme [N] les sommes dues au titre de la majoration de la rente et de l’indemnisation complémentaire,
– dire que la caisse pourra recouvrer les montants des indemnisations à venir et majorations accordées à l’encontre de la société [4] et condamner cette dernière à ce titre ainsi qu’au remboursement du coût de l’expertise,
– condamner la société [4] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– donner acte à la caisse de ses conclusions,
– statuer ce que de droit sur les dépens.
Par ses dernières conclusions, enregistrées le 3 avril 2023, la société [4] demande à la Cour de :
A titre principal,
– juger qu’il n’est caractérisé aucun manquement à une obligation de sécurité à l’origine de l’accident et que Mme [N] ne justifie pas d’une faute inexcusable imputable au Château Kirwan,
En conséquence,
– confirmer le jugement déféré,
– débouter Mme [N] de ses demandes,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour devait retenir la faute inexcusable de l’employeur,
– ordonner la désignation d’un expert judiciaire chargé de l’examen des éventuels autres préjudices de Mme [N],
– dire que la mission qui lui sera confiée sera limitée à l’examen des préjudices visés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, à savoir les souffrances physiques et morales, le préjudice d’agrément, le préjudice esthétique,
– dire que le coût de la mesure d’expertise ordonnée sera supportée par la caisse conformément aux dispositions des articles L.442-8 et R.141-7 du code de la sécurité sociale,
En tout état de cause,
– condamner Mme [N] au versement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par ses dernières conclusions, enregistrées le 16 janvier 2023, la caisse de mutualité sociale agricole de la Gironde demande à la Cour de :
– lui donner acte de ce qu’elle s’en remet à la sagesse de la Cour quant à l’appel formé par Mme [N],
– dire, si la faute inexcusable est retenue, que la caisse sera amenée à récupérer auprès de la société [4], le montant de la majoration dans les conditions prévues à l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, ainsi que, s’il y a lieu, les préjudices définis à l’article L. 452-3.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises.
L’affaire a été fixée pour être plaidée au 10 mai 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la faute inexcusable
Le manquement à l’obligation de sécurité et de la protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le salarié, en vertu des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
La faute commise par l’employeur doit être une cause nécessaire de l’accident et non une cause déterminante. La preuve de l’existence d’un danger et de l’absence de mesures préventives incombe à celui qui allègue la faute inexcusable.
Il résulte des articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 4121-3 du code du travail que l’employeur met en oeuvre les moyens adaptés pour éviter les risques, notamment en évaluant ceux qui ne peuvent être évités, en combattant les risques à la source et en donnant des instructions appropriées aux travailleurs.
Selon l’article R. 4121- du code du travail l’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L. 4121-3 du code du travail.
Il appartient au salarié de rapporter la preuve, d’une part, de la conscience du danger qu’avait ou aurait dû avoir l’employeur, d’autre part, de l’absence de mesures de prévention ou de protection.
Au soutien de ses prétentions, Mme [N] fait valoir, en substance, que son accident est survenu après que son employeur lui ait notifié un avertissement au motif du vol d’une orchidée et alors qu’elle était confrontée au harcèlement de la part de deux de ses collègues et à une surcharge de travail la plaçant dans une situation de stress intense et que l’employeur, qui était informé des difficultés qu’elle rencontrait, n’a pris aucune mesure pour l’en préserver.
Pour s’opposer aux prétentions de Mme [N], la société [4] fait valoir, en substance, que la salariée a contesté tardivement son avertissement et que son dépôt de plainte à l’encontre de ses collègues est intervenu plus de trois ans après son départ de la société.
Elle ajoute que la salariée ne rapporte aucun élément qui puisse être matériellement établi se rapportant au harcèlement moral de ses collègues ou à une surcharge de travail, qu’elle a été licenciée au motif de sa seule inaptitude et qu’elle n’a jamais repris son poste de travail suite à son accident du travail.
Partant l’employeur affirme que la salariée échoue à rapporter la preuve d’une faute inexcusable de la société [4] dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail.
La Caisse s’en remet à la Cour pour l’appréciation de la faute inexcusable de l’employeur.
En l’espèce, Mme [N] a été engagée par son employeur en qualité d’agent d’entretien polyvalent et a été victime d’un accident du travail le 14 novembre 2014.
L’employeur a procédé à la déclaration de cet accident le 17 novembre 2014 précisant ‘en train de faire le ménage elle a frappé sa main droite provoquant douleur’.
Il résulte des pièces versées aux débats par les parties que la société [4] a adressé à Mme [N] un avertissement, qui lui a été notifié le 22 septembre 2014, au motif du vol d’une orchidée, vol qu’elle a contesté trois mois plus tard par un courrier du 22 décembre 2014 .
La Cour relève que Mme [N] a contesté le bien fondé de l’avertissement pour la première fois le 22 décembre 2014 seulement, soit après l’accident du 14 novembre 2014, précisant dans son courrier : ‘je réfute être à l’origine d’un climat malsain de mes collègues de travail, jusqu’à présent, il n’y a eu aucun problème.’
Par ailleurs, si Mme [N] précise dans son courrier adressé à la MSA le 10 novembre 2017, qu’elle ‘était en train de nettoyer l’ensemble des toilettes de l’accueil en rechargeant le papier pour essuyer les mains j’ai oublié la petite clé et en nettoyant je me suis blessée à la main droite sous la pression de mes collègues Mme [B] et M. [T] harcèlement moral et téléphonique…’ il y a lieu de relever que ce courrier a été rédigé trois ans après son accident du travail et son départ de la société [4].
En outre, si Mme [N] produit encore un procès verbal d’audition du 12 janvier 2018 dans lequel elle se plaint de ses collègues et du fait que son employeur était informé de la pression subie, ces déclarations sont faites plus de trois ans après son accident de travail et sont en contradiction avec les termes du courrier adressé à son employeur le 22 décembre 2014 dans lequel elle lui indique ne rencontrer aucun problème avec ses collègues.
Enfin, Mme [N] produit aux débats un courrier manuscrit non daté, non signé, sans destinataire qui ne démontre aucunement qu’elle a porté plainte à l’encontre de sa collègue, Mme [B], pour des faits de harcèlement moral.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que si Mme [N] fait état du harcèlement de la part de ses collègues elle ne produit aucun élément en laissant supposer l’existence ; elle a d’ailleurs indiqué dans le courrier qu’elle a adressé à l’employeur le 22 décembre 2014, précisément pour contester le bien fondé du grief qu’il formulait à son encontre tenant à son comportement envers ses collègues, qu’elle ne rencontrait aucune difficulté avec ces derniers; il ne résulte d’aucun des éléments du dossier qu’elle l’en a informé avant le 14 novembre 2014, ses déclarations devant les services de police le 12 janvier 2018 soit plus de trois ans après son accident n’y suppléant pas ; si Mme [N] soutient avoir été confrontée à une charge de travail excessive et à une situation de stress intense, elle ne rapporte pas la preuve de ce qui reste en l’état de simples allégations.
La société [4], qui conteste avoir manqué à son obligation de sécurité, produit aux débats un document d’évaluation des risques professionnels décrivant le travail en hauteur et singulièrement celui des vitres comme étant à risque ainsi qu’ une facture du 18 septembre 2014 démontrant que le nettoyage des vitres et des bâtiments était confié à un prestataire de service lorsque l’accident s’est produit.
Il se déduit de l’ensemble des éléments sus énoncés que Mme [N], à qui incombe la charge de la preuve, échoue à démontrer une surcharge de travail, une pression subie ou encore des faits de harcèlement dont l’employeur aurait été informé, sans réaction de sa part pour garantir sa sécurité et sa santé.
En conséquence, aucune faute inexcusable de la société [4] ne peut être retenue et le jugement déféré sera confirmé dans toutes ses dispositions.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Mme [N], qui succombe, doit supporter les dépens d’appel, au paiement desquels elle sera condamnée. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles.
L’équité commande de ne pas laisser à la société [4] la charge des frais non compris dans les dépens exposés à hauteur d’appel. En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, Mme [N] sera condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement entrepris;
Et y ajoutant,
CONDAMNE Mme [N] à verser à la société [4] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et DEBOUTE Mme [N] de sa demande à ce titre;
CONDAMNE Mme [N] aux dépens d’appel.
Signé par madame Marie-Paule Menu, présidente, et par madame Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps MP. Menu