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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION B
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ARRÊT DU : 20 juillet 2023
SÉCURITÉ SOCIALE
N° RG 21/06487 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MN5W
Monsieur [T] [Z] [S] [K]
c/
CPAM DE LA GIRONDE
S.A.S. [6]
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d’huissier).
Certifié par le Greffier en Chef,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 octobre 2021 (R.G. n°19/01268) par le Pole social du TJ de BORDEAUX, suivant déclaration d’appel du 26 novembre 2021.
APPELANT :
Monsieur [T] [Z] [S] [K]
né le 04 Août 1983 à [Localité 5] (974)
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représenté par Me BOURDENS substituant Me Cédric BERNAT de la SELARL LEX CONTRACTUS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
CPAM DE LA GIRONDE prise en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 3]
représentée par Me Françoise PILLET de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX
S.A.S. [6] AQUITAINE SAS [6], immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le numéro [N° SIREN/SIRET 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 4]
représentée par Me Emmanuelle SAPENE de la SCP PECHENARD & Associés, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 26 avril 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente,
Madame Sophie Lésineau, conseillère,
Madame Cybèle Ordoqui, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Mme Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.
EXPOSE DU LITIGE
M. [K] a été engagé par la société [6] par contrat à durée indéterminée, en qualité d’équipier de collecte, à compter du 5 juin 2009.
Le 17 novembre 2016, la société [6] a complété une déclaration d’accident du travail survenu le 15 novembre 2016 dans les termes suivants : ‘Le 2ème coéquipier de collecte déclare que M. [K] s’est coincé l’index de la main droite dans le lève conteneur lors d’une opération de collecte d’OM en bac’.
Le certificat médical initial, établi le 15 novembre 2016, mentionnait : ‘fracture deux os avant-bras droit, fracture ouverte extrémité distale P2 au deuxième doigt de la main droite’.
Par décision du 28 novembre 2016, la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde (la caisse) a pris l’accident en charge au titre de la législation professionnelle.
L’état de santé de M. [K] a été déclaré consolidé le 15 juin 2018 avec attribution d’un taux d’incapacité permanente partielle de 8 % et d’un capital d’un montant de
3 539,11 euros.
Le 6 avril 2017, M. [K] a saisi la caisse d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [6] dans la survenance de son accident du travail. La procédure de conciliation n’a pas abouti.
Le 24 mai 2019, M. [K] a saisi le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de voir :
– constater les manquements de son employeur à ses obligations,
– constater la faute inexcusable commise par l’employeur,
– ordonner une majoration de la rente allouée,
– ordonner une expertise judiciaire avec pour mission d’apprécier les préjudices subis,
– dire que l’expertise judiciaire sera aux frais avancés de la caisse,
– condamner la société [6] à lui payer une indemnité de 2 500 euros, outre les dépens.
Par demande reconventionnelle, la société [6] a sollicité du tribunal de grande instance qu’il condamne M. [K] au paiement d’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 27 octobre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux a:
– débouté M. [K] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné M. [K] au paiement des entiers dépens,
– dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 26 novembre 2021, M. [K] a relevé appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions, enregistrées le 17 janvier 2023, M. [K] demande à la Cour de :
In limine litis, déclarer recevable son appel,
Au fond,
– infirmer le jugement déféré,
Et, statuant à nouveau,
– le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes,
– constater les manquements à ses obligations par la société [6], au préjudice de son employé,
– constater la faute inexcusable commise par la société [6],
En conséquence,
– lui accorder une majoration maximale de la rente allouée,
– ordonner la désignation de tel expert de son choix, qui aura pour mission, avec la faculté de s’adjoindre tout sapiteur de son choix, de :
– se faire communiquer par M. [K] tous documents concernant son état de santé antérieur à l’accident, les examens réalisés suite à ces accidents, les traitements suivis, les avis émis par les différents médecins généralistes ou spécialistes consultés par M. [K], ainsi que toute pièce qu’il estimera utile au bon déroulement de sa mission,
– examiner M. [K] en présence de tout sachant de son choix ; à cette occasion, l’expert devra recueillir toutes les doléances et toutes les observations du requérant et dudit sachant,
– procéder ou faire procéder, s’il y a lieu, à tout examen complémentaire et toute analyse
utile, en communiquant aux parties tous les éléments d’information obtenus hors de leur présence pour leur permettre de formuler des observations,
– décrire l’état de santé constaté et présenter de façon résumée tous les éléments d’information recueillis, en répondant le cas échéant aux remarques des parties,
– préciser si l’état de santé de la victime suite à son accident du 15 novembre 2016 est consolidé, et si oui, depuis quelle date,
– déterminer et évaluer l’ensemble des préjudices patrimoniaux et extra patrimoniaux subis par M. [K], par référence à la nomenclature Dintilhac,
– dire si l’état de M. [K] est susceptible de modification, en aggravation ou en amélioration ; dans l’affirmative, fournir toutes précisions utiles sur cette évolution, son degré de probabilité, et, dans le cas où un nouvel examen apparaîtrait nécessaire, indiquer le délai dans lequel il devra être procédé,
– adresser aux parties un pré-rapport, préalablement au dépôt du rapport d’expertise, pour leur permettre de lui adresser, dans un délai d’un mois, leurs observations ou dires éventuels auxquels il devra répondre dans son rapport définitif,
– dire que l’expertise judiciaire sera aux frais avancés de la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde,
– condamner la société [6] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens en ce compris les frais éventuels d’exécution forcée de la décision à intervenir.
Par ses dernières conclusions, enregistrées le 14 octobre 2022, la société [6] demande à la Cour de :
– déclarer mal fondé l’appel interjeté par M. [K],
– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
En conséquence,
– débouter M. [K] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner M. [K] à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner en tous les dépens.
Par ses dernières conclusions, enregistrées le 24 janvier 2023, la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde demande à la Cour de :
– la recevoir en ses demandes et l’en déclarer bien fondée,
– statuer ce que de droit sur l’appel interjeté par M. [K],
– si la Cour jugeait que l’accident de travail, dont a été reconnu victime M. [K], était dû à la « faute inexcusable » de l’employeur, recevoir également la caisse dans son action contre l’employeur,
– d’une part, préciser le quantum de la majoration de la rente à allouer à M. [K] en tenant compte de la gravité de la faute commise et non du préjudice subi,
– d’autre part, limiter le montant des sommes à allouer à M. [K] :
– aux chefs de préjudices énumérés à l’article L. 452.3 (1er alinéa) du code de la sécurité sociale : les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique, le préjudice d’agrément, le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle,
– ainsi qu’aux chefs de préjudices non déjà couverts par le Livre IV du code de la sécurité sociale le préjudice sexuel, le déficit fonctionnel temporaire, les frais liés à l’assistance d’une tierce personne avant consolidation, l’aménagement du véhicule et du logement,
– conformément aux dispositions du 3ème alinéa de ce même texte, la caisse assurant l’avance des sommes ainsi allouées, il est demandé à la Cour de condamner la société [6] à rembourser à la caisse :
– le capital représentatif de la majoration de la rente tel qu’il sera calculé et notifié par la caisse,
– les sommes dont la caisse aura l’obligation de faire l’avance,
– et les frais d’expertise,
et ce, afin d’éviter une nouvelle procédure en vue d’obtenir un titre exécutoire,
– condamner la partie succombante aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises.
L’affaire a été fixée au 26 avril 2023 pour être plaidée.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la reconnaissance de la faute inexcusable
Le manquement à l’obligation de sécurité et de la protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le salarié, en vertu des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
La faute commise par l’employeur doit être une cause nécessaire de l’accident et non une cause déterminante. La preuve de l’existence d’un danger et de l’absence de mesures préventives incombe à celui qui allègue la faute inexcusable.
Il résulte des articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 4121-3 du code du travail que l’employeur met en oeuvre les moyens adaptés pour éviter les risques, notamment en évaluant ceux qui ne peuvent être évités, en combattant les risques à la source et en donnant des instructions appropriées aux travailleurs.
Il résulte de l’article R. 4121- du code du travail que l’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L. 4121-3 du code du travail.
Il appartient au salarié de rapporter la preuve, d’une part, de la conscience du danger qu’avait ou aurait dû avoir l’employeur, d’autre part, de l’absence de mesures de prévention ou de protection.
M [K] fait valoir au soutien de ses prétentions, en substance, que la benne utilisée (n°580) lors de l’accident devait faire l’objet d’un passage aux mines dans la journée et qu’il n’avait pas été formé pour travailler sur le camion de substitution, peu important la faute du contremaître qui le lui a confié, à tort.
Il précise que l’employeur s’est contenté de le former lors de son embauche mais ne l’a pas formé spécifiquement à l’utilisation du camion en cause dans l’accident et n’a pris aucune mesure effective pour assurer sa sécurité à cette occasion.
Il ajoute que les régles de sécurité ne sont pas respectées au sein de l’entreprise et que la sécurité des salariés n’est pas assurée, que le rapport d’enquête du CHSCT a constaté sa méconnaissance du matériel de remplacement ce qui l’a placé dans une situation de danger dont son employeur aurait dû avoir conscience.
La société [6] fait valoir, en substance, que le salarié ne démontre pas la faute inexcusable de l’employeur ni qu’il a été exposé à un danger et qu’aucune mesure n’a été prise pour assurer sa sécurité.
Elle ajoute que l’attestation du témoin, M. [Y], est imprécise et affirme que le salarié, qui effectuait une tâche habituelle avec un camion en bon état de fonctionnement, a commis une faute à l’origine de l’accident en ne respectant pas la consigne de sécurité imposée par l’employeur qui consistait à s’éloigner du lève-conteneur en mouvement et l’interdiction de récupérer les déchets à la main.
Enfin, elle précise que le salarié a bénéficié de nombreuses formations à la sécurité, qu’il était en possession tant de la fiche métier que des consignes de sécurité obligatoires, qu’il bénéficiait d’une tenue de travail référencée et des équipement individuels requis et que l’enquête du CHSCT a relevé sa responsabilité du fait de son non-respect des règles de sécurité comme étant à l’origine de l’accident.
La caisse s’en remet sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
En l’espèce, M. [K] a été engagé à compter du 5 juin 2009 en qualité d’équipier de collecte.
Il n’est pas contesté que l’accident dont il a été victime a été pris en charge au titre de la législation professionnelle.
Par des motifs pertinents que les débats en appel n’ont pas remis en cause et que la cour adopte, les premiers juges ont d’abord retenu que la fiche ‘formation sécurité’, signée par le formateur ainsi que le salarié le 4 septembre 2008, atteste de ce qu’il a reçu une formation renforcée pour le poste qu’il occupait lors de l’accident et que plusieurs documents lui ont été remis, singulièrement un livret de sécurité, une évaluation des risques au poste ainsi que des consignes écrites, que la fiche métier signée par M. [K] le 25 novembre 2013 établit sans ambiguïté les règles fondamentales de sécurité pour le métier d’équipier de collecte, singulièrement de toujours rester en dehors de la zone d’évolution des lève-conteneurs, que M. [K] a attesté avoir reçu les règles fondamentales applicables à son poste de travail et disposer des EPI nécessaires, mentionnées sur les règles fondamentales, le 28 novembre 2013, puis en ont exactement déduit que M. [K] ne rapporte pas la charge qui lui incombe qu’en mettant à sa disposition pour la collecte des déchets le camion en cause, la société [6] avait ou aurait dû avoir conscience de l’exposer à un danger et n’aurait pas pris les mesures propres à l’en préserver.
En outre, il n’est démontré aucun dysfonctionnement du camion impliqué dans l’accident du salarié et le compte-rendu du CHSCT du 15 février 2017 relève que le salarié a déclaré ‘s’être coincé l’index de la main droite dans le lève-conteneur, en voulant dégager les déchets restés sur la poubelle, avant d’être entraîné par celui-ci’ ce qui démontre que M. [K] n’a pas respecté les consignes de sécurité, connues de tous les salariés, au sein de la société qui consistent à s’éloigner du lève-conteneur en mouvement et l’interdiction de récupérer les déchets à la main.
Il y a lieu, dans ces conditions, de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [K] de l’ensemble de ses demandes.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
M.[K], qui succombe, doit supporter les dépens de première instance et les dépens d’appel, au paiement desquels il sera condamné, le jugement déféré étant confirmé en conséquence. M. [K] sera débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité commande de ne pas laisser à la société [6] la charge des frais non compris dans les dépens exposés à hauteur d’appel. En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, M.[K] sera condamné à lui payer la somme de 1 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement entrepris ;
Et y ajoutant,
CONDAMNE M.[K] aux dépens d’appel; en conséquence le DEBOUTE de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
CONDAMNE M.[K] à verser à la société [6] la somme de
1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Signé par madame Marie-Paule Menu, présidente, et par madame Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps MP. Menu