Travail à temps partagé aux fins d’employabilité

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Travail à temps partagé aux fins d’employabilité

Loi n° 2024-1027 du 15 novembre 2024

La loi n° 2024-1027 du 15 novembre 2024 poursuit l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité.

Ce dispositif, initialement instauré par l’article 115 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, visait à faciliter l’insertion professionnelle des personnes éloignées du marché du travail en leur permettant de travailler pour plusieurs employeurs via un contrat de travail à temps partagé.

L’expérimentation, prévue jusqu’au 31 décembre 2023, a été prolongée pour une durée de quatre ans à compter de la promulgation de la loi n° 2024-1027 du 15 novembre 2024, visant à poursuivre l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité.

Cette prolongation a pour objectif de continuer à évaluer l’efficacité du dispositif en matière d’insertion professionnelle et d’employabilité des publics concernés. Le contrat de travail à temps partagé permet à un salarié d’être embauché par une entreprise spécialisée, qui le met ensuite à disposition de plusieurs entreprises clientes pour des missions variées, offrant ainsi une flexibilité tant pour les employeurs que pour les salariés.

Ce dispositif a suscité des débats, notamment concernant son efficacité et son impact sur le marché de l’emploi. Néanmoins, la prolongation de l’expérimentation vise à approfondir l’évaluation de ses effets et à déterminer s’il peut constituer une solution pérenne pour améliorer l’employabilité des personnes éloignées du marché du travail.

Favoriser l’accès d’un public confronté à la précarité professionnelle

Favoriser l’accès d’un public confronté à la précarité professionnelle à un emploi stable, tel est le sens du travail à temps partagé aux fins d’employabilité. Né d’une initiative de terrain lancée il y a un peu plus de dix ans, assis sur une base légale depuis 2018, il est mis en œuvre sur le fondement d’une expérimentation supposée prendre fin le 31 décembre 2023.

Alors que l’échéance est désormais toute proche, la question de l’avenir du dispositif inscrit à l’article 115 de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel se pose inévitablement.

L’intérêt qu’il présente pour les parties prenantes, salariés ou entreprises utilisatrices, déjà mis en lumière par les rapporteurs de la mission « flash » chargée de l’évaluer pour le compte de la commission des affaires sociales plaide en faveur de son maintien dans l’ordre juridique, à plus forte raison dans le contexte d’une hausse, même légère, du taux de chômage.

C’est pourquoi les députés du groupe Démocrate (MoDem et Indépendants), convaincus que la recherche du plein emploi doit continuer de guider l’action de la majorité présidentielle, ont décidé d’inscrire la présente proposition de loi à l’ordre du jour de la séance publique du 18 janvier 2024, en application de l’avant-dernier alinéa de l’article 48 de la Constitution.

Le temps est compté. Il faut donc espérer que le Parlement légifère dans les délais les plus brefs de sorte que soit dissipée au plus vite l’insécurité juridique qui pourrait naître de l’absence de législation.

I.  une expérimentation destinée À favoriser l’accès d’un public exposé à la précarité professionnelle À un emploi stable

Issu d’un amendement adopté à l’Assemblée nationale, l’article 115 de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel autorise un entrepreneur de travail à temps partagé (ETTP) à conclure un contrat de travail à temps partagé aux fins d’employabilité (CDIE) avec une personne éloignée de l’emploi en vue de sa mise à disposition d’une entreprise utilisatrice, pour l’exécution d’une mission.

A.  un dispositif qui accorde à ses bénéficiaires des garanties conçues pour renforcer leur employabilité

Bien qu’il repose sur le même mécanisme que celui sur lequel repose le travail à temps partagé sous sa forme classique, le dispositif expérimental s’adresse à des femmes et des hommes qui rencontrent « des difficultés particulières d’insertion professionnelle » quand le dispositif de droit commun s’adresse, à l’inverse, à un public « qualifié ».

Peuvent en effet être signataires d’un CDIE :

– les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi depuis six mois au moins ;

– les attributaires des minima sociaux ;

– les personnes handicapées ;

– les personnes âgées de plus de 50 ans ;

– les personnes qui ont une formation de niveau égal ou inférieur au certificat d’aptitude professionnelle (CAP) ou au brevet d’études professionnelles (BEP) (niveaux de formation V, V bis et VI).

Le fonctionnement du travail à temps partagé
(article L. 1252-1 du code du travail)

« Le recours au travail à temps partagé a pour objet la mise à disposition d’un salarié par une entreprise de travail à temps partagé au bénéfice d’un client utilisateur pour l’exécution d’une mission.

« Chaque mission donne lieu à la conclusion :

« 1° D’un contrat de mise à disposition entre l’entreprise de travail à temps partagé et le client utilisateur dit  » entreprise utilisatrice  » ;

« 2° D’un contrat de travail, dit  » contrat de travail à temps partagé « , entre le salarié et son employeur, l’entreprise de travail à temps partagé. »

Point essentiel, le dispositif offre à ses bénéficiaires un certain nombre de garanties, « gages d’une employabilité renforcée et facteurs d’une nécessaire sécurisation des parcours professionnels ».

En premier lieu, être titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée (CDI), signé avec l’ETTP.

En deuxième lieu, être rémunéré à hauteur du dernier salaire horaire de base pendant les périodes sans exécution de mission (périodes dites d’« intermissions »).

En troisième lieu, être formé durant le temps de travail. L’ETTP prend en charge les actions de formation, qui doivent être sanctionnées par une certification professionnelle enregistrée au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) ou par l’acquisition d’un bloc de compétences. Il est également tenu d’abonder le compte personnel de formation (CPF) du salarié – à temps complet – à hauteur de 500 euros supplémentaires par an. L’intérêt de la mesure, aux dires des acteurs de terrain, réside dans le fait que le salarié, après quelques années de missions, dispose de droits suffisants pour suivre une formation (ou plus) à même d’enrichir ses compétences et de favoriser son maintien en emploi.

B.  un dispositif régi par des règles juridiques peu contraignantes

Le travail à temps partagé, dans sa version classique ou dans sa version expérimentale, aux fins d’employabilité, obéit à un cadre juridique peu contraignant.

Cela se vérifie, d’abord, en ce qui concerne les conditions de sa mise en œuvre.

Il peut y être recouru en l’absence de motif particulier, ce qui limite considérablement le risque de requalification du contrat. Du reste, le dispositif institué à l’article 115 de la loi du 5 septembre 2018 apporte un élément de souplesse supplémentaire en comparaison du dispositif de droit commun : il n’est pas indispensable que l’entreprise utilisatrice soit dans l’incapacité de recruter le salarié en raison de sa « taille » ou de ses « moyens ». Par ailleurs, la durée des missions accomplies pour le compte de cette dernière n’est pas limitée par la loi, pas plus que le nombre de leur renouvellement. Le formalisme du contrat qui lie le salarié à l’ETTP ne répond, en outre, à aucune exigence légale.

Sur ces différents points, le travail à temps partagé se distingue du travail intérimaire, autre mécanisme de prêt de main d’œuvre à but lucratif, auquel il ne peut être fait appel que dans un ensemble de situations énumérées par les textes (le remplacement d’un salarié ou l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, par exemple), et jamais aux fins de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente du client, ainsi que pour un temps donné (même si tel n’est plus le cas pour la mission effectuée par un salarié titulaire d’un CDI intérimaire).

Cela se vérifie, ensuite, en ce qui concerne le régime de sanctions encourues en cas d’abus attestés.

Rien n’est prévu, dans la loi, s’agissant du travail à temps partagé alors que les prescriptions sont nombreuses et précises s’agissant du travail intérimaire, « au motif que la relation tripartite et le caractère temporaire de la mise à disposition du salarié […] placent ce dernier dans une situation de relative précarité », qui justifie qu’il fasse l’objet d’une protection spécifique. La législation prévoit donc des peines à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire (ETT) ou de l’entreprise utilisatrice qui méconnaîtrait les règles régissant cette forme de travail.

Cela dit, les éventuels abus dans le recours au travail à temps partagé peuvent être réprimés au titre du travail illégal, notamment du marchandage, aux termes de l’analyse livrée par le Gouvernement.

Exemples de peines encourues par l’entreprise de travail temporaire

Article L. 1255-2 du code du travail

« Est puni d’une amende de 3 750 euros, le fait pour l’entrepreneur de travail temporaire :

« 1° De recruter un salarié temporaire en ayant conclu un contrat ne comportant pas les mentions prévues aux 1° et 3° de l’article L. 1251-16 ou comportant ces mentions de manière volontairement inexacte ou sans lui avoir transmis dans le délai prévu à l’article L. 1251-17 un contrat de mission écrit ;

« 2° De méconnaître les dispositions relatives à la rémunération minimale prévues au premier alinéa de l’article L. 1251-18 ;

« 3° De méconnaître l’obligation de proposer au salarié temporaire un ou des contrats dans les conditions prévues à l’article L. 1251-34 ;

« 4° De mettre un salarié temporaire à la disposition d’une entreprise utilisatrice sans avoir conclu avec celle-ci un contrat écrit de mise à disposition dans le délai prévu à l’article L. 1251-42 ;

« 5° D’exercer son activité sans avoir fait les déclarations prévues à l’article L. 1251-45 ;

« 6° D’exercer son activité sans avoir obtenu la garantie financière prévue à l’article L. 1251-49.

« La récidive est punie d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 7 500 euros.

« La juridiction peut prononcer en outre l’interdiction d’exercer l’activité d’entrepreneur de travail temporaire pour une durée de deux à dix ans. Les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 1251-47 sont applicables. »

Exemples de peines encourues par l’entreprise utilisatrice

Article L. 1255-3 du code du travail

« Le fait pour l’utilisateur de conclure un contrat de mise à disposition ayant pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, en méconnaissance de l’article L. 1251-5, est puni d’une amende de 3 750 euros.

« La récidive est punie d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 7 500 euros. »

Article L. 1255-10 du code du travail

« Est puni d’une amende de 3 750 euros, le fait pour l’utilisateur de recourir à un salarié temporaire :

« 1° Soit sans avoir conclu avec un entrepreneur de travail temporaire un contrat écrit de mise à disposition, dans le délai prévu à l’article L. 1251-42 ;

« 2° Soit en ayant omis de communiquer, dans le contrat de mise à disposition, l’ensemble des éléments de rémunération conformément au 6° de l’article L. 1251-43.

« La récidive est punie d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 7 500 euros. »

C.  un dispositif dont le déploiement demeure limité

Le déploiement du dispositif n’a pas été immédiat et a rapidement été entravé par la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de covid-19, si bien que la prorogation de l’expérimentation pour une durée de vingt-quatre mois s’est assez naturellement imposée. En réalité, il a fallu attendre l’année 2021, voire 2022, pour qu’elle entre véritablement dans sa phase de démarrage.

Aussi le recul est-il faible et les données très parcellaires, l’autorité administrative n’ayant été destinataire, en dépit de ce que prévoyait la loi, ni du nombre de contrats signés par les ETTP, ni d’aucun autre élément sur le parcours des personnes recrutées. Une situation qui s’explique par l’impossibilité technique pour les employeurs de transmettre ces informations par l’intermédiaire de la déclaration sociale nominative (DSN).

● Toujours est-il que 5 000 CDIE environ auraient été conclus depuis 2018  et que 1 500 CDIE seraient en cours d’exécution, d’après les observations de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), à l’origine d’un rapport non publié à ce jour, relayées par les services du ministère du travail.

Près de 80 % des titulaires d’un contrat de ce type seraient inscrits à Pôle emploi depuis six mois au moins ou auraient une formation de niveau égal ou inférieur au CAP-BEP au moment de l’embauche. Très peu seraient bénéficiaires de minima sociaux ou en situation de handicap.

critère principal d’éligibilité au dispositif
à l’embauche des salariés en CDIE

 Part des CDIE
Inscription à Pôle emploi depuis au moins six mois38 %
Niveau de formation V, V bis ou VI38 %
Âgé(e) de plus de 50 ans15 %
Bénéficiaire de minima sociaux2 %
Travailleur handicapé1 %
Sans critère légal6 %

Note : critère principal d’éligibilité au dispositif.

Lecture : 38 % des salariés en CDIE sont éligibles au titre de leur inscription à Pôle emploi depuis au moins six mois.

Source : direction générale du travail, sur la base des observations de l’Inspection générale des affaires sociales.

Plus des deux tiers auraient entre 25 et 50 ans et un cinquième aurait plus de 50 ans.

La très grande majorité (87 %) appartiendrait à la catégorie socioprofessionnelle des ouvriers, un sur dix à celle des employés. Ils exerceraient principalement dans le secteur de l’industrie (métallurgie, plastique, chimie, etc.) et, de plus en plus, dans celui des services (tri et distribution du courrier pour l’essentiel).

Répartition des salariés en CDIE par secteur d’activité

Services postaux et autres services tertiaires                                                                                       39 %
Industrie                                                                                                                                    30 %
Transport/Logistique                                                                                                                          21 %
Bâtiment et travaux publics (BTP)                                                                                                    4 %
Agriculture                                                                                                                                         1 %
Autre                                                                                                                                                     5 %

Lecture : 30 % des CDIE sont conclus dans le secteur de l’industrie.

Source : direction générale du travail, sur la base des observations de l’Inspection générale des affaires sociales.

Près de 45 % des titulaires d’un CDIE seraient embauchés en CDI à l’issue de leur mission, dans l’entreprise utilisatrice pour la quasi-totalité d’entre eux, ce qui s’avère encourageant. Le manque de recul rend toutefois malaisée toute analyse portant sur l’incidence de l’exécution d’un CDIE sur l’insertion professionnelle durable des individus intéressés.

● L’insuffisance des données relatives au respect des obligations touchant à la formation empêche hélas de dresser un quelconque bilan dans ce domaine. Tout au plus sait-on que de nombreux ETTP ont éprouvé des difficultés pratiques pour procéder à l’abondement du CPF dans les conditions prévues au III de l’article 115 précité et que l’outil n’a quasiment pas été mobilisé pour financer une formation le temps de l’exécution du contrat.

Au demeurant, la règle selon laquelle « [l]’employeur s’assure de l’effectivité de la formation », énoncée au second alinéa du même III, est sans doute trop peu prescriptive pour revêtir une réelle portée opérationnelle.

II.  l’objet de la proposition de loi : relancer une expérimentation pour une durée de quatre ans afin de garantir le bon déploiement du dispositif

Le travail à temps partagé aux fins d’employabilité présente des avantages tant pour le titulaire du contrat, au regard des garanties théoriques qui lui sont accordées, que pour l’entreprise utilisatrice, au regard de la durée relativement longue de la mise à disposition du salarié à son profit et du faible degré d’insécurité juridique que l’exécution du contrat fait courir. Il n’engendre, au surplus, aucun coût direct pour la collectivité.

Il ne saurait donc être envisagé, dans le contexte économique actuel, de se priver d’un dispositif qui, au-delà de la souplesse caractérisant sa mise en œuvre, produit des résultats intéressants, à en croire les témoignages issus du terrain, qui méritent d’être confirmés.

C’est pourquoi l’article 1er de la présente proposition de loi, réécrit par la commission des affaires sociales, relance l’expérimentation pour une durée de quatre ans, une solution préférée à la solution initiale qui consistait dans la pérennisation dudit dispositif dès à présent.

Par cohérence avec ce qui précède, la commission a supprimé l’article 2, qui posait les bases d’un régime de sanctions pénales à l’encontre d’un ETTP ou d’une entreprise utilisatrice qui aurait méconnu la législation. Source : Assemblée nationale


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